Alassane Ndaw
Hommage à Léopold Sédar Senghor

ITINÉRAIRE D’UNE PENSÉE : LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR : DU REFUS DE L’ASSIMILATION A LA RECHERCHE D’UN MÉTISSAGE BIEN COMPRIS.

Ethiopiques numéros 37-38

Revue trimestrielle de culture négro-africaine

Nouvelle série 2eme et 3ème trimestres 1984 volume II n° 2-3

La philosophie, comme pensée de l’universel, est essentiellement négation des différences ; différences de race, de sexe, de classe, de couleur. Ce faisant, elle se rend paradoxalement complice d’une certaine pratique raciste dans la culture, en déclarant inessentiel ce qui constitue l’identité spécifique de chaque peuple.

La démarche senghorienne se caractérise par le refus de cette fonction d’occultation inconsciente. Toutefois, elle ne signifie pas que la culture reste sous la gouverne de la génétique. On n’y rencontre aucune connotation raciste. Elle préconise simplement la nécessité de lutter contre une domination politique qui se trouve coïncider avec une subordination raciale. Une fois l’égalité retrouvée, le progrès des civilisations ne peut se réaliser que par un métissage intellectuel qu’on rencontre au carrefour de toutes les grandes civilisations, voire un métissage biologique que l’histoire nous montre partout à l’œuvre et dont la science révèle le caractère bénéfique.

« L’anthropologie et l’histoire, écrit le Président Senghor, démontrent que toutes les grandes civilisations sont de métissage, biologique et culturel, et que celles-ci ont commencé par s’élaborer aux latitudes de la Méditerranée : à la rencontre des Blancs, des Jaunes et des Noirs ». La poésie de l’Action, p. 92)

Mais ce brassage, cette miscégénation, c’est d’abord pour l’Afrique qu’il faut les rechercher, cette Afrique dont il devient urgent de fonder l’unité au plan théorique comme au plan de l’action.

« Je suis convaincu que ce qui nous lie est plus profond et ma conviction s’appuie sur des faits scientifiquement démontrables. Ce qui nous lie est au-delà de l’histoire – il est enraciné dans la préhistoire. Il tient à la géographie, à l’ethnie et, partant, à la culture. C’est cette communauté culturelle que j’appelle Africanité ». Les Fondements de l’unité africaine.

On constate, en effet, à l’intérieur d’un certain espace géographique que des croyances, des institutions et des techniques imposent un même style de vie à de longues suites de générations et contribuent ainsi à assurer l’unité et la stabilité d’une civilisation. Il s’agit, en quelque sorte, de ce quid proprium qui fait qu’un peuple est différent de tout autre et qui est très difficile à saisir ou à exprimer en termes conceptuels.

Ainsi la culture possède deux pôles : d’une part, c’est ce qui propre à l’homme en tant que de l’autre, c’est ce qui fait que chaque peuple possède le droit de revendiquer, de mettre en avant son originalité, c’est à dire ce qui le rend unique et irremplaçable.

Toutefois, à l’intérieur de ce sens, il y a lieu d’opérer une autre distinction. La culture offre à l’analyse un aspect statique et un aspect dynamique.

Le volet statique désigne l’ensemble des trésors, des institutions, des croyances, tandis que la forme dynamique caractérise l’aptitude créatrice, le fait qu’aucun peuple ne peut se contenter du statut de simple consommateur, mais se veut un producteur de biens culturels. Cet aspect est plus essentiel que tous les autres. Car, dans la polyvalence du terme « culture », dans la multiplicité des significations qu’il recouvre, il apparaît que le noyau sémantique réside dans le caractère dynamique du projet culturel. Le phénomène central de la culture c’est l’aptitude de chaque homme et de chaque société à aimer, à comprendre, à créer et par là à se dépasser. Ainsi la culture est à la fois contestation et permanence. Toute culture se réfère à quelque chose qui est permanent, mais comporte fatalement un élément en mouvement, un élément de transformation. Sans ce processus évolutif, elle se fige et meurt. C’est que, dans ce cas, le « noyau créateur », le vrai phénomène culturel, aura été stérilisé ou complètement détruit. C’est ce qui se produit dans le phénomène si souvent décrit de la rencontre de deux sociétés où l’une, pour des raisons historiques, notamment d’avance technologique, domine l’autre et prétend lui apporter, comme un bienfait, sa civilisation,En effet, pour la colonisation, tout le problème culturel, se trouvait ramené à celui de l’instruction fondée sur le principe de la supériorité de la nation conquérante.

Cette dernière ne reconnaissait l’existence d’aucune forme d’expression culturelle propre à l’Afrique. Seule la culture occidentale était considérée comme valable.

Pendant un moment, les Africains eux-mêmes furent tentés par l’assimilation culturelle et sociale ; les premiers d’entre eux, qui se ruaient dans les écoles et les universités françaises, ne prenaient que peu de conscience des conflits et incompatibilités qui naissent immanquablement du contact des cultures différentes.

Mais très vite, des difficultés se révélèrent dans leur vie morale par des comportements d’inadaptation et d’hésitation, par des attitudes inauthentiques et des détournements de valeurs. Ils furent en proie à un déchirement profond, car ils ne pouvaient vivre les valeurs occidentales sans être rappelés sans cesse par une rencontre, une visite, une cérémonie familiale, à la présence proche de la vie traditionnelle.

Cette acculturation aliénante avait non seulement des répercussions d’ordre psychologique à l’intérieur de chaque individu, mais concernait globalement la société colonisée, au sein de laquelle elle créait un conflit, une situation de crise.

Ce processus de destruction des sociétés autochtones par l’entreprisse coloniale et les différents niveaux de contact entre sociétés inégalement développés ont été analysés avec une grande pénétration par les sociologues, notamment par Balandier, sous le nom de « situation coloniale », En effet, celle-ci se traduit par « la domination d’une minorité étrangère, culturellement différente, au nom d’une supériorité raciale et culturelle dogmatiquement affirmée… le caractère des relations existant entre ces deux sociétés qui s’explique par le rôle d’instrument auquel est soumise la société colonisée… la nécessité pour la société de recourir à des justifications pour maintenir son emprise… ».

Cette attitude, lors même qu’elle reconnaissait l’existence de cultures dignes d’intérêt n’en considérait pas moins comme légitime de concevoir un processus : d’unification des cultures sur la base de la seule culture occidentale, qu’on proposait sans modification aux peuples d’Afrique.

Contre cette politique d’assimilation culturelle et d’annexion morale, la réaction ne se fit pas attendre. La doctrine senghorienne de la Négritude et le mouvement qu’elle créa, le concept d’African Personality, si cher aux anglophones, et plus récemment l’idéologie zaïroise de l’authenticité expriment essentiellement les efforts d’opposition et de reconstruction des sociétés négro-africaines pour la reconquête de leur identité.

L’indépendance culturelle avait été réclamée bien avant l’indépendance politique et économique, en tant que moyen de s’affirmer, de justifier ses droits en tant que communauté, en tant que nation.

Les œuvres des intellectuels des pays autrefois soumis à l’assujettissement colonial, sont dominés par les thèmes de la revendication de la culture propre, de la reconnaissance de sa valeur et de la nécessité de sa diffusion. Toutefois, il a paru paradoxal de constater que de nombreux écrivains ont choisi d’écrire en français et d’utiliser cette langue pour la défense et l’illustration des cultures noires. C’est ici qu’éclate le dualisme culturel qui pose de si graves problèmes à l’intelligentsia nègro-africaine. Comment transcender les divergences profondes qui séparent la classe des intellectuels parlant et utilisant le français et la masse des paysans attachés à la vie traditionnelle et aux langues issues du terroir. Ce clivage culturel situé à l’intérieur de l’Afrique elle-même diffère de l’opposition entre deux communautés, l’une coloniale, européenne, l’autre colonisée, africaine, ayant chacune leur langue, leur culture, leur vision du monde et de l’univers.

Sur un autre plan, comment ne pas être également frappé par la diversité, le foisonnement des peuples, des groupes de langues et de religions qui constituent l’Afrique Noire.

L’analyse, ici, pour pouvoir serrer la réalité d’aussi près que possible doit tenir compte des différents paliers du pluralisme africain. D’une part, il y a la dualité Europe-Afrique où l’on retrouve l’opposition entre société industrielle, techniquement avancée et, d’autre part, une pluralité africaine originelle qui repose sur un fond commun.

S’agissant de ce second palier, la question posée est de savoir comment le pluralisme originel va évoluer vers la coexistence de communautés différentes ou vers la prise de conscience de ce qui, par-delà les diversités et les particularités, constitue le fonds commun de leur attachement à l’africanité. Mais il apparaît que ce pluralisme africain n’est ni une donnée statique ni une catégorie fixée de manière rigide et définitive. De nombreux facteurs, favorisant et accélérant l’évolution tendent à substituer à la diversité multiple, une recherche de l’unité, une tendance vers la prise de conscience d’une communauté. Pour autant que nous puissions juger les événements historiques actuels, il semble bien que les peuples de l’Afrique s’orientent inéluctablement vers une forme économique et politique commune, malgré les barrières idéologiques administratives et linguistiques. Ainsi le mouvement de réhabilitation des cultures africaines ne se sépare-t-il jamais d’une perspective d’intégration. Il tend à substituer à la diversité multiple une recherche de l’unité, une prise de conscience d’une communauté de destin historique et culturel.

Ecoutons encore Senghor :

« La conscience de notre communauté culturelle, de notre africanité, est un préalable à tout progrès dans la voie de l’unité. Sans elle, il ne peut y avoir volonté encore moins effort efficace d’unité. Je ne le nie pas ; nous avons aussi de commun notre situation de pays sous-développés, qui se caractérise par un certain nombre de traits, que je résumerai ainsi : sous-alimentation et sous-productivité parce qu’insuffisance de capitaux et de cadres techniques.

Mais pour sortir, précisément, de cette situation matérielle, technique, il nous faut faire appel à une énergie spirituelle. Il faut nous forger, ensemble, une âme commune. Nous l’avons, cette âme, qui s’incarne dans l’Africanité. Il nous suffit de la reconnaître et de l’assumer. Ce qui suppose que nous commencions par rejeter tout fanatisme racial, linguistique, religieux ».

Reste à déterminer comment surmonter le dualisme Europe-Afrique.

En général, la rencontre Europe-Afrique est conçue comme celle de la civilisation scientifique et technique et de la civilisation traditionnelle avec tous les effets destructeurs de celle-là sur celle-ci. En fait, il n’est pas tout à fait légitime d’identifier la spécificité européenne avec la civilisation scientifique et technique de l’ère industrielle dont le développement optimum s’observe surtout aux U.S.A.

Sans doute la civilisation technicienne a-t-elle permis à l’Europe d’exporter sa culture et d’imposer à d’autres continents les sous-produits de ses entreprises culturelles. Mais on observe que, par une sorte d’effet boomerang, elle finit par être ruinée dans son âme par le développement inconsidéré de la technique. Les récents mouvements de contestation qui se sont chargés, avec une brutalité sans précédent dans l’histoire, de remettre en cause les valeurs sur lesquelles repose la civilisation de l’Occident, manifestent un malaise profond et traduisent un sentiment de crise dont nous ne mesurons pas encore toute l’ampleur. A juste titre, il a été dit que l’Europe risquait de mourir d’ennui parce qu’elle avait perdu l’esprit qui justement, inspirait le développement des activités scientifiques, lesquelles, à leur tour se sont dégradées en technologie. L’observation des phénomènes de la crise actuelle permettra de déterminer pourquoi les Occidentaux ne sont pas satisfaits malgré (ou à cause de) l’abondance que leur envient les ressortissants du Tiers-Monde.

En effet, c’est précisément cette abondance qui, libérant l’homme occidental des besoins biologiques immédiats, le fait aspirer à autre chose, l’amène à s’interroger sur la signification de son existence et à aspirer à une vie plus pleine de l’esprit. C’est que la culture est un phénomène complexe embrassant des plans multiples. La forme techno-scientifique qui se répand dans le monde entier n’est qu’une monstrueuse excroissance qui tend à se confondre avec la civilisation universelle. Elle tend à uniformiser les modes de vie sans rapprocher les cultures. Avec son dynamisme, voire son agressivité, elle envahit la planète tout entière et régente jusqu’au mode d’alimentation et d’habillement des personnes.

Il ne paraît pas possible et ce n’est même pas souhaitable d’enrayer l’irruption de la technique dans les coins les plus reculés du monde. Mais la préservation des cultures nationales devra permettre de lutter contre l’uniformisation des genres de vie et contre les valeurs de « pacotille » que la culture de masse véhicule. En ce qui concerne les cultures traditionnelles négro-africaines, la lutte est d’autant plus difficile que l’absence de supports socio-économiques puissants les rend particulièrement fragiles.

Par ailleurs, les défenseurs de ces cultures ont bien conscience de la nécessité d’assimiler les techniques qui permettent de dominer la nature (norme propre à la civilisation occidentale, d’essence prométhéenne, mais à laquelle toute culture nationale doit se soumettre pour survivre). Ils proclament en même temps le devoir de s’assurer la pleine maîtrise de leur propre culture. C’est la meilleure arme contre l’obsession d’universalisme où pourraient s’estomper jusqu’à l’évanouissement toutes les différences et qui est si caractéristique de l’eurocentrisme. Il faut bien dire qu’une sorte de pente naturelle, de tendance liée à sa nature profonde a toujours poussé l’Europe à offrir aux hommes un seul modèle que, parfois, pour des raisons généreuses, elle a voulu mettre à la disposition d’autres peuples sans se douter que leurs traditions culturelles constituent pour eux, leurs vraies raisons de vivre. Mais les mésaventures actuelles des sociétés européennes en proie à une nostalgie qu’ils croyaient avoir perdu à jamais peuvent amener l’Europe à opérer un retour aux sources et à entrer en dialogue avec les cultures traditionnelles des autres pays et notamment de l’Afrique Noire. Seul, un véritable dialogue peut favoriser à la fois la prise de conscience par chaque culture de ses apports spécifiques, la compréhension des apports différents et l’échange créateur des valeurs. En effet, seule une prise de conscience des besoins spécifiques de chaque culture, dans l’état présent de son évolution propre par rapport à la voie que représente pour elle l’uniformisation croissante de la civilisation est susceptible de conduire les différents groupes humains vers une convergence riche et harmonieuse.

L’Afrique Noire est bien consciente du fait que le rayonnement de ses cultures dans les autres continents est lié à leur capacité de résistance d’abord, ensuite d’assimilation de certains apports du monde moderne et surtout à leur capacité de diffusion.

Le cas du Sénégal, où l’on se trouve en présence de plusieurs communautés vivant en symbiose, constitue un exemple particulièrement significatif de pluralisme culturel. L’objectif essentiel de la politique culturelle vise à faire en sorte que ce pluralisme originel n’évolue pas vers la juxtaposition des communautés différentes mais vers la prise de conscience de ce qui, par-delà les diversités et les particularités constitue le fonds commun de leur attachement à l’africanité. Le rôle de la langue française dans cette unification malgré les réserves de certains intellectuels chauvins est d’une très grande importance. Pour des raisons de commodité et peut-être aussi de secrètes affinités, la langue française demeure la langue officielle de la République du Sénégal. La question d’une langue africaine a été posée avant même que l’indépendance ait été acquise, malgré les nombreuses difficultés provoquées par la multitude des langues nationales, leur caractère oral et aussi, l’espèce de rivalité entre les locuteurs de ces différentes langues.

Aujourd’hui les opinions des intellectuels sont assez diverses : pour les uns, la langue propre est une condition même de l’expression de la culture africaine. D’autres constatent que les continents entiers ont leur originalité, malgré une langue d’emprunt.

L’étude scientifique des langues africaines entreprise dans certaines universités, notamment celle de Dakar, qui aboutit à l’élaboration de classifications permettant d’établir des parentés et des filiations, annonce la naissance de langues africaines de grande diffusion.

Déjà de grandes langues de circulation comme le haoussa, le peulh, le bambara, le wolof, jouent le rôle de lingua franca. Nul doute que les efforts tentés à l’heure actuelle, par des linguistes compétents, en vue de les faire parvenir au rôle de langues qui transmettent la science et la culture, ne réussissent à les faire l’apparaître comme des véhicules culturels de grande richesse, contribuant ainsi à l’unification spirituelle du continent. Mais, pour Senghor cela ne doit pas empêcher la langue française d’être conservée comme langue officielle, comme une langue d’union, entre différents pays africains qui ont opéré le même choix et sur le plan international.

Il n’en demeure pas moins qu’il ne touche qu’une faible partie de la population : les cadres et les élites. C’est la raison pour laquelle, à côté de la langue officielle, l’université estime qu’elle doit mettre l’accent sur le développement des langues nationales.

L’usage de la langue française ne doit pas exclure le développement d’une vie africaine autonome, ni empêcher l’intégration et la coopération des cultures africaines.

La culture négro-africaine n’atteindra son plein épanouissement que quand elle aura acquis un certain rayonnement et se sera montrée capable d’exercer une influence sur les autres civilisations en leur fournissant quelques-uns des éléments de leur système de valeur.

On trouvera la marque d’une véritable influence dans les modifications que leurs apports pourront introduire dans les façons d’être et les représentations du monde propre aux Européens. Ceux-ci doivent accepter l’idée que les peuples occidentaux ne sont pas capables à eux seuls de fonder une civilisation totalement humaine. Leur objectif ne doit pas viser à faire en sorte que la culture de l’Occident devienne celle du Monde entier ; il doit promouvoir une nouvelle culture qui sera le fruit d’une rencontre entre la civilisation de l’Occident et celle de tous les pays qui s’ouvrent à la vie moderne. Le chemin de la civilisation mondiale ne doit pas se diriger vers l’effacement des différences, vers la convergence des voies multiples que les peuples ont tracées dans l’histoire. Les Africains et les peuples du Tiers-Monde en général, estiment pouvoir apporter à l’édification de la civilisation mondiale ce que l’Occident ne possède pas encore ou qu’il a perdu.

La distinction que Léopold Sédar Senghor a établie entre, « civilisation universelle définie par l’effacement des différences au profit d’une vision hégémonique et civilisation de l’Universel » qui serait la somme des apports de tous les peuples, est extrêmement féconde. Déjà, en Europe, se dessinent des mouvements d’opinion qui commencent à juger les influences africaines sur une nouvelle échelle de valeurs. Par conséquent, la tâche présente est d’organiser l’individualité africaine, de la rendre « communiquante » après avoir maitrisé son hétérogénéité. Des écrivains, des poètes, des personnalités de grand talent se sont attelés à cette tâche avec les moyens d’expression qui leur sont propres.

La recherche senghorienne a été cette mise en question de l’homme africain, des puissances qui le meuvent, de son histoire, de sa culture. Elle a jeté un regard pénétrant sur les structures humaines et sociales de l’Afrique ; elle en a étudié les dissolutions et les destructurations par la colonisation. Mais elle n’a pas occulté l’apport constructif de celle-ci.

Les solutions qu’elle préconise ne doivent pas se fixer en dogmes sclérosés, mais doivent conduire vers une acceptation et une reconnaissance de ce qui dépasse le moment présent.

Comprise d’une manière féconde comme une quête qui ne s’arrête pas à l’exploration de la seule subjectivité de son auteur, l’œuvre spirituelle de Senghor peut aider l’homme sénégalais à reconnaître l’errance de sa vérité. Car la nature de cet homme, son existence sociale, ses œuvres et ses aspirations doivent être mises à la question et reconnues, interrogées et élevées à la conscience de la dure réalité du moment, avec ses sollicitations présentes.

La direction la plus productive de la tentative de Senghor n’exclut pas que le Sénégal tout en ne pouvant pas échapper au devenir du monde inscrive son effort combatif dans le choc des mondes particuliers choisisse son autonomie, sa liberté.

La question du caractère même de l’évolution historique de notre nation demeure ouverte : sursaut dans la créativité, dans la réflexion et dans l’action ou effondrement dans la résignation, l’imitation servile ou l’agitation stérile ?

Il va sans dire que notre choix et notre espérance se portent sur la première branche de l’alternative.