Fernando d’Almeida
Culture et Civilisations

INTRODUCTION AUX BALLADES ET CHANSONS AFRICAINES D’ENO BELINGA

Ethiopiques numéro 32

revue socialiste

de culture négro-africaine

nouvelle série

1er trimestre 1983

INTRODUCTION aux Ballades et Chansons Africaines d’Eno BELINGA [1]

Eno Belinga est, à ce jour, le géniteur de trois plaquettes de poèmes [2] qui l’ont rendu familier aux lecteurs amoureux d’ambroisie. Homme de sciences minéralogiques qui aborde presque tous les genres littéraires à la manière d’un Gœthe, le signataire de ce présent florilège, dans son quotidien, vit et s’épanouit dans la simplicité incarnée, traverse les jours en composant avec les choses et les êtres qui président à la naissance d’un poème. Car cet incorrigible boute-en-train est un écrivain qui parle en poète, un scribe pour qui, la poésie est rigoureusement création selon du reste sa teneur étymologique.

Il nous est demandé d’introduire le possible lecteur dans cette résidence du rythme et de l’image, dans cette province lyrique où le poète grâce à la magie du recréé, use des mots de la tribu pour soulever le pan de l’apparence des choses, pour chanter l’amour avec délicatesse et frémissement. Pour remonter le cours des Ages en égrenant le rosaire des patriarches qui surent à leur manière s’inventer des raisons de vivre en harmonie avec leurs peuples.

Notre intention n’est guère d’épuiser le sens profond du poème qui est l’œuvre faite, mais de pouvoir fixer la position du barde en tenant compte des points d’ancrage de son œuvre si admirablement protégée du lyrisme d’inondation, du débraillé. Car les mots ici disent la tenue du langage et l’écriture devient le support d’une exigence lyrique modulée par la parole racontée. Car la rigueur est la demeure permanente de cette poésie qui s’écarte des crues, qui procède par forages, s’appuie sur le mythe pour asseoir son autorité.

L’œuvre, à maintenant parler, répond à une architecture, à une stricte disposition. Elle se déploie, s’incante en cinq mouvements qui sont autant de pérégrinations intérieures, d’amorce du lointain.

Voyons donc comme s’imagine la parole du poète en ces cinq séquences qui nous orientent allègrement vers la saison de l’amour, vers la littérature orale telle qu’elle a pu s’organiser autour des mythes et légendes, autour du mvet.

Femme d’Afrique

Le ton de ce premier mouvement est rassurant. Eno BELINGA, ici, sculpte le visage de la femme avec labeur créatif. Médiatrice du songe et du réel, autant rêvée que connue au sens biblique du mot, elle est amante et tel l’antique dieu Protée, prend des formes diverses.

Liée au sentiment de la nature, la femme ainsi conjurée par la plume mélodieuse du chantre, est fidélité constante. Au croisement de plusieurs ethnies, de multiples hérédités, elle est d’ascendance panafricaine. Car au vrai, il s’agit d’une femme en toutes les femmes rencontrée. Car il est poétiquement question de toutes les femmes en une seule perçues. Cette oscillation de l’amour doit être saisie comme une approche de l’utile et du beau.

Dès le prologue, nous sommes bienveillamment fixés sur l’ambition hautaine du poète : la femme anime sa vie, suscite et entretient son enthousiasme. A tous égards, elle est inspiratrice c’est-à-dire gardienne du feu secret.

Toi, tu es la femme et ma demeure

Secrète, tu alimentes les hautes sources

De ma création quand sonne l’heure (p. 3).

Ainsi, peut-on lire au fronton de cette œuvre qui plaide pour l’amour avec les arguments de la maturité.

Qui aime la femme doit mesurer la ferveur de son étreinte et son regard sans cesse inquisiteur. Il n’y a pas d’amour vrai sans exaltation, sans sublimation de l’être aimé.

Aérienne est cette poésie toute de nuances et de charme. Avec un sens inné du rythme qui est l’armature suprême de cette poésie, Eno Belinga donne à lire des poèmes tels que nous les aimons, c’est-à-dire à l’abri de toute gratuité, des poèmes où le sentiment se mêle à la musique des vers. Il chante la femme, exalte une quête de la beauté. Eno Belinga crée entre la femme et lui une sorte de duplicité sentimentale, amoureuse :

Femme, en toi j’ai enfermé mon sang,

Mon honneur, mes prières et mes chants (p. 5).

Cette femme, c’est l’Innommée. A la fois amante et mère, elle assume sa première fonction qui est de procréer car en son ventre mûrit la vie (Maternité Fang). Cependant, cette mère peut également être frappée de stérilité. Pourquoi le poète, conscient de ce drame sans nom, s’emploie-toi ! à rasséréner l’épouse en lui susurrant :

Femme stérile, je t’admire !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Femme stérile, mais fleur du bonheur (p. 6).

Pour Eno Belinga, cette femme stérile perpétue la présence du bonheur car, en dépit de son drame existentiel, elle est porteuse d’autres certitudes de vivre et ne doit en rien céder au désenchantement, perdre contenance d’elle-même. Belle leçon d’humilité et de bravoure !

Progressant dans cette dialectique, dans cette éthique de l’amour, l’auteur de « Masques Nègres », en parfaite possession des ressources stylistiques de son art, écrit des poèmes d’une simplicité conquise qui jamais ne se dément aux tournes des pages. Avec une économie extrême de moyens et un bonheur d’expression qui consonne avec la prosodie classique. Eno Belinga séduit par la justesse de ses propos. Car, dans ce territoire de syllabes et de voyelles où se fait jour l’imagination visuelle, auditive du créateur, Samuel-Martin Eno Belinga fredonne des airs de mélancolie à la veuve, à la pleureuse, à ta victime de Sowéto [3], aux femmes combattantes de la SWAPO [4]. Sa muse s’arme contre le désespoir, œuvre dans le sens d’une plénitude à retrouver par le jeu des sonorités, du symbole rythmé.

Parfois, avec un zeste de français parlé, l’auteur de ces pages frémissantes de verdeur, rivalise de prouesse avec les mots. En posant ses doigts sur le davier du langage, Eno Belinga joue savamment avec et sur les rimes, fait danser les mots et les images sur la page blanche et procure ainsi au lecteur à peine distrait, l’impression d’une gaieté apprivoisée. Le poème intitulé : La Femme qui venait de la Guinée-Bissau est, à cet égard, révélateur de cette tendance.

Dans cette quête initiale, le poète, l’amant des symboles, argumente pour la femme logée dans la misère des bidonvilles. Prenant forme et puissance dans la réalité saisie de biais par l’œil de l’artiste, la poésie d’Eno Belinga débusque le tourment de l’être aimé et, par approches successives, en expose les méandres de son cœur.

Les fiançailles que l’on attend

Une femme, mue par un désir ardent, va à la rencontre de son partenaire l’homme. Tout puritanisme aboli, elle explore les possibles dans une parole ouverte, brûlante de sincérité ; pose son regard sur l’amour ; un regard de conquête car, au plus lointain de son opacité, dans sa concession hérissée d’interdits, de tabous, l’amour, telle la liberté, est conquête prométhéenne.

En heurtant le protocole d’usage instauré dans « Femme d’Afrique » à seule nécessité de célébrer la femme dans une subtile alchimie des mots, Eno Belinga, à présent, introduit son hypocrite lecteur dans un ordre nouveau.

Ayant eu à dire ses quatre vérités à la femme avec souveraine aisance, il peut, dès lors, éponger son orgueil en « octroyant » à sa complice le droit de prendre à son tour la parole pour l’user à d’autres fins personnelles, essentielles.

On devra ajouter que dans cette vision du recréé, l’homme est souvent pris de court car engoncé dans sa suffisance à nulle autre pareille, il a peine à penser que la femme, délibérément, peut venir à lui : l’inverse ayant toujours été son parcours le plus évident.

Or, à y voir clair, c’est-à-dire pour peu que les mots puissent avoir un sens, il s’agit pour la femme d’ensemencer l’homme, d’orienter sa vie dans la direction de la rectitude, de l’acclimater à des valeurs rendues positives par l’humilité, la disponibilité, la compréhension.

Ici. le créateur convoque les mots et les images pour à l’homme ôter son voile de personnage hautain. Il fait de la femme la conscience radieuse de l’homme et lui impose une autre conduite qui supposerait un rejet systématique des présupposés de sa mentalité obtuse.

Ainsi qu’il est aisé de le pressentir, il s’agit vraisemblablement d’un viatique, d’une odyssée intérieure, d’un voyage au mieux subjectivisée par l’ordre souverain des mots. Mais, somme toute, peut-on, à distance intellectuelle, prendre ce projet, ce dessein, pour un acte, ce rêve pour une réalité illuminante.

A toutes fins utiles, il nous paraît séant de révéler que depuis toujours, cette conception de l’amour, cette saisie « belingienne » de l’amour, n’a de cesse d’habiter l’esprit du barde qui cherche dans le cadre d’un protocole de bonheur entre l’homme et la femme, à inventer une forme de pédagogie vivante articulée sur l’intime, sur les rapports complexes, qui anime souterrainement la vie de l’homme et de la femme.

Paysages

Parvenu à ce point de fermeté, de condensation, le langage du poète accède, une fois de plus à la psychologie de l’amour. C’est du moins à cette interprétation que nous invite le premier chant de Paysages. Or, tout bien pesé, il n’en est rien. Conscient d’avoir suffisamment assujetti le lecteur à ses accents confidentiels, l’écrivain, dans ce troisième mouvement, plaide pour la symbolique de l’arbre.

Dans une effusion lyrique contenue, il entre en pourparlers avec le baobab, lui l’homme de forêt équatoriale dont l’enfance a été vécue dans l’ignorance de cet arbre sahélien. Vous avez lu ignorance ? Que non ! Car, comment pourrait-il en être ainsi quand le baobab symbolise ici l’Afrique, c’est-à-dire l’enracinement nécessaire !

Lisons ensemble ce sixain car il est d’une inquiétude décisive :

C’est triste, c’est étonnant,

Hier, comme un feu lent,

La lèpre l’ayant touché,

Mon baobab est menacé

Déjà d’être tranché

D’avec ma communauté (p. 83),

Lecture faite, nous aimerions avoir à trahir de nouveau la pensée du poète en soulignant que cette strophe contient à elle seule, toute la substance de ce poème unique disposé en plusieurs chants. L’auteur fait entrer en scène l’histoire de notre passé récent quand justement nous étions pris dans les nasses du colonat. La « lèpre » se rattache à l’horreur subie par nos peuples car avant « hier », tout était d’un calme olympien. Tout était « Grande ferveur / dans le cours du temps ». Or, voici que les hommes pattés par la mer houleuse, les hommes aux yeux bleus, sont venus semer le désarroi chez nous. Ils ont menacé le baobab, entendez derechef l’Afrique.

On glissera qu’il s’agit là du passéisme poétique ; à quoi nous répondrons qu’il ne s’est agit que de souvenirs tapis dans la cervelle de l’homme qu’est sensé être Eno Belinga. Au demeurant, le poète n’étant pas un écrivain à couler la poésie dans un moule de rancœurs aujourd’hui sans fondement, il a tôt fait d’abandonner en chemin ce thème honnêtement désuet, pour dialoguer avec les arbres de sa forêt tropicale. Organisant ses phrases dans une perspective didactique, il établit entre la forêt et lui d’étranges réseaux de correspondances, de pulsions secrètes.

Toutefois, cette inspiration de l’arbre ne peut paraître juste que si et seulement, elle s’attache à décrire les peines, les souffrances, les angoisses de ceux qui vivent à la périphérie de la vie, nommons : les laissés-pour-comp­te, les exclus du bien commun, les affamés de tout poil et tous les autres qui tendent sébiles aux mandarins de l’Afrique indépendante.

Mais l’espoir demeure envers et contre tout :

Et voilà que là-bas

A travers mille difficultés

Tu as jeûné, tu as lutté,

Mais ta gerbe d’or ne viendra pas

Accroche-toi

A ta vie

Elle est à toi

Je te le dis (p. 93).

On peut vous déshabiller de tout mais jamais de votre outre­cuidance, de votre orgueil d’être homme vivant parmi les hommes :

Accroche-toi

A ta vie

Elle est à toi

Je te le dis.

Une telle injonction est rare dans la poésie négro-africaine de graphie française qui nous a trop habitués à des cris perçants, trop perçants pour être vrais, authentiques.

Dite sur un mode serein mais d’une sérénité crispée pour escroquer René Char, la vérité est souvent mieux entendue que criée par-dessus les toits de l’univers.

Mythes et Légendes

Avant tout ceci, le mythe dans cette partie est exclu de sa signification première et prend l’allure d’une histoire vécue dont la finalité, apparemment sans fin, est extensive à la morale.

Dans l’esprit du poète, mythes et légendes signifient ici, vision, parole racontée dont le lieu de vérité permanente est le poème.

Ainsi lue, voici à présent une poésie reçue au niveau de l’amitié. En lâchant la bride à des amis supposés être vrais ou imaginés, en exilant de sa conscience l’éthique et le racial, l’auteur de la « Prophétie de Joal » cherche l’humain dans l’homme : Antoine de Saint-Exupéry, Blaise Pascal, Léopold Sédar Senghor, Francis Bebey sont mandés dans un tel poème qui se développe selon la loi de l’humanitarisme.

Armé de cette conviction solaire, le poète peut alors penser son continent en fonction de l’urgence du moment. Il met à l’index ceux qui font office de vendeurs d’armes, supplie en faveur de la paix car, dans ce monde conflictuel qui ne sait plus « raison garder », tout est prétexte et simulacre, génocide et incohérence dans le choix des décisions matures. La dimension paternelle l’oblige, dans cette séquence, à s’attendrir sur ceux qui, dans leur propre pays, sont mis au ban de leur clan, de leur village et surtout d’eux-mêmes.

Les temps du mvet

Passé ce quatrième moment d’articulation, le poète, pour finir, entonne un autre chant ample, d’une richesse insoupçonnée. Il écrit des poèmes de longues laisses car ici, en cette demeure de figures légendaires, la respiration du poème est d’obédience épique.

En cette couche sémantique, dans cette tropicalité légendaire, voici donc cette poésie qui s’essaie à résoudre l’antithèse du mythe et de la réalité. S’éloignant de l’aveu, du murmure sentimental, le poète, par le jeu des variations incessantes, brode ses poèmes autour du mythe de la Création telle qu’elle a été perçue et rendue par le rhapsode du mvet qui module ses accents dans le silence :

Dans le silence, sous la lune qui luit,

Le poète du mvet chante et danse la nuit.

On reconnaît chez nous le bon conteur

Avec la calebasse du mvet sur le cœur (p. 133).

Ailleurs :

Voici déjà que le poète chante et danse !

Ses doigts effilés tissent sur les cordes végétales

Les arpèges mélodiques de la transe

Au rythme syncopé : danse fondamentale ! (p. 146)

Il faudrait remonter très loin, atteindre l’origine des destinées, suivre l’affluent et le confluent de notre existence d’hommes, selon une pédagogie absolument bantoue ; il faudrait refaire le chemin initiatique de la source première, et lire dans les éléments : végétal, aquatique, minéral entre autres, la marche de l’Homme, ce frêle roseau dont quelque penseur avait magistralement mis l’accent sur son inclination cognitive naturelle. Il faudrait se soumettre à cette exigence primordiale car :

Au commencement, la terre était jusqu’alors

Sans vie, sans arbre, ni montagne, ni pierre

Dans les ténèbres il n’y avait pas de lumière

C’était comme un vaste désert, calme et mort.

Dès le commencement, il fut un grand mystère :

Soudain un œuf immense parut dans le ciel !

Et cet œuf sans support semblait providentiel,

Il planait sur les eaux qui entouraient la Terre (p. 136).

On dirait le grand Hugo accoudé à son arrogant projet de reconstitution de l’Humanité en loques. On dirait Anaxagore écrivant : « Au commencement, tout était mêlé ; alors parut l’Esprit qui y mit bon ordre ».

Dans cette poétique de la Genèse, l’aède du mvet dont le « chant est pareil à celui du rossignol » fait appel à toutes les ressources créatrices de son art patiemment maîtrisé au fil des ans ; altier, il nomme les êtres, les personnages de marque de sa contrée avec un appétit verbal digne des bardes généralement les mieux inspirés.

La vie avec son cortège de palabres claniques, d’égoïsmes en fleurs, de fierté avouée, de luttes intestines, sans rime ni raison ; voilà quelques traits mis en épingle par le « toucheur-de-cithare » [5] le logophore, c’est-à-dire le Porteur de la parole parlée qui égrène aux yeux de son auditoire, un long chapelet de noms magiques qui forment une grande fresque légendaire. A eux seuls, les noms de ces patriarches évoquent la bravoure, la fourberie, le sens de la dignité. Ils orientent généralement l’auditoire vers les chemins escarpés de l’exemplarité car le récital du chanteur du mvet a devoir de blâmer des abus, d’établir l’ordre dans des ménages en ban d’harmonie.

Tel quel, le rhapsode du mvet avec sa verve des profondeurs, la tonalité de sa voix, prend rang de pédagogue au sein de son lignage. La rigueur de son écriture orale, avec ses connotations diverses, son style ampoulé, lui assurent une personnalité irradiante. En déclamant les hauts faits de son terroir, le créateur du mvet participe à s’y méprendre, à l’aggiornamento de son peuple, à l’honneur de son clan qui se place dans la constellation suscitée par son personnage.

Le finale de cette partition est un trait de dérison acerbe que le poète Eno Belinga lance à ses frères qui s’ancrent sur le rivage de la modernité sans, de prime abord, prend le contact avec la bouse ancestrale.

Le dessein du poète est d’amener les siens à pouvoir établir un pont affectif entre l’ancien et le nouveau afin de trouver une branche irénique sur laquelle reposer leurs rêves.

Il y a dans cette diction moralisante, une certaine éloquence de l’agir à entretenir par les générations appelées à donner un contenu positif, autonome à leurs pays respectifs. Il ne s’agit point, semble signifier l’épilogue, de marquer sa présence au monde par des « idées creuses au souffle court », d’oublier sans vergogne sa langue maternelle mais de s’inspirer des grandes figures héroïques qui se sont dans le passé illustrées, afin de faire admettre, d’une manière subtile et plénière, les revendications du jour.

Déjà, dans un poème dédié aux femmes combattantes de la SWAPO (p. 24), ou du moins écrit sous leur dictée, Eno Belinga, qui souvent puise son inspiration en feuilletant les parchemins oraux des griots de son village, avait stigmatisé cette prédilection outrée qui nous aiguillonne à reposer notre existence sur l’Occident, à suivre son sillage comme des moutons de Panurge.

L’Afrique importé des coutumes

Et des doutes qui font pourrir (p. 24).

Ce distique arbitrairement arraché d’un quatrain est sans équivoque : le drame de notre continent consiste à prendre d’assaut des théories évanescentes, des idéologies concurrentielles étrangères à notre philosophie de l’existence. Car, au vrai et en dépit des distraits et des esprits chagrins, nous avons une philosophie et il importe aux tenants de cette assertion de fouiller dans nos archives détenues par nos vieillards asthmatiques, pour tirer de notre quotidienneté, de nos cosmogonies respectives, le sens de nos valeurs virtuelles, réelles et permanentes.

Tant de choses essentielles n’ont pas été mises en évidence dans cette introduction qui est sans prétention. Je n’ai voulu qu’éclairer le lecteur en l’introduisant dans cette œuvre de première importance qui se développe dans la rigueur, prend assise dans la simplicité laborieuse. Arrivé à ce point de mon commentaire, je m’oblige à ne plus disserter, permettant à qui aime la poésie de traquer à son tour l’œuvre du poète car il est grand temps que des voix beaucoup plus autorisées s’accordent à tenir ce poète pour l’un des plus accomplis de notre littérature.

Car à sa manière, ce poète participe à la prise en possession des valeurs morales qui rendent crédibles l’humanisme de son peuple. La poésie alors devient facteur de développement – moral, psychique, intellectuel, social -, et c’est assez dire que d’attirer l’attention sur elle, sur son essence, en un mot, sur sa charge extraordinaire. Car il s’agit, pour ce créateur, de se libérer de la gangue des réflexions fixistes et sans prise sur l’Afrique à édifier selon d’autres archétypes. Les tours d’ivoire, une fois basculées, l’urgence en appelle à l’éthique de l’amour, de l’homme conséquent et il est intéressant d’entrevoir ce porteur de Verbe tracer des voies nouvelles, entrer en rupture avec l’acte simpliste qui suppose l’accoutumance à la facilité.

Dans le branle-bas des événements qui secouent le monde africain, la parole d’Eno Belinga impose un ordre nouveau au déséquilibre qui submerge notre vie errante et nous sommes heureux de saluer en lui l’explorateur d’une réalité à peine entrevue.

 

 

[1] Il s’agit d’un recueil de poèmes d’Eno Belinga actuellement sous presse.

[2] Masques Nègres (1972) ; Ballades et Chansons camerounaises (1974) ; La Prophétie de Joal suivie de Equinoxes (1975). Tous ces livres ont paru aux Editions Clé de Yaoundé.

[3] Soweto : Banlieue de Johannesburg qui s’est tristement rendue célèbre le 18 Juin 1976 lors des émeutes raciales

[4] SWAPO : Organisation du Peuple du Sud-Ouest Africain dont le guide clair voyant est le Namibien Sam NUJOMA.

[5] L’heureuse trouvaille est d’Eno BELINGA. Il s’agit à n’en pas douter, de la traduction littérale de son patois bulu : mbom mvet. Pour toutes informations complémentaires, lire à ce sujet son irremplaçable essai : Littérature et Musique Populaire en Afrique Noire Ed. CUJAS, 1966.

-TECHNIQUE DRAMATIQUE ET AFFIRMATION CULTURELLE DANS LE THÉÂTRE DE BERNARD DADIÉ

-« L’HOMME AUX SEPTS NOMS ET DES POUSSIÈRES »DE XAVIER ORVILLE OU LES AVATARS D’UNE QUÊTE