Notes de lecture

INDISPENSABLE AFRIQUE de Jean-Paul BENOIT ED. BERGER-LEVRAULT,179 PAGES

Ethiopiques n°46-47

Revue trimestrielle de culture négro-africaine

Nouvelle série 3ème et 4ème trimestre 1987-volume 4

 

Le livre de Jean Paul Benoît est l’expression d’un sursaut à la fois de lucidité et de patriotisme, s’efforçant d’attirer l’attention de la France sur l’immense enjeu à gagner dans une coopération avec son important empire colonial ; africain en l’occurrence. L’intitulé de l’ouvrage est déjà significatif on ne peut plus : Indispensable Afrique. Ce renouveau d’intérêt pour l’Afrique ne surprend guère, si l’on sait les conséquences fatales qu’aujourd’hui un repli sur soi peut entraîner. En effet, à l’heure des grands ensembles économiques et culturels, à l’heure où les deux super-puissances imputent de façon irréversible le cours de l’histoire, à l’heure enfin du surgissement de l’Orient par son impressionnante tête de pont japonaise, il apparaît urgent, pour qui sait partir à temps, de multiplier les voies et moyens pour assurer sa stabilité économique, non sans l’appui de solides facteurs culturels, diplomatiques etc… Et J. Chaban Delmas d’affirmer avec inquiétude en préfaçant Benoît : « Ce sujet capital pour la France et son rayonnement est en effet curieusement trop absent dans le débat politique actuel. Il était donc, salutaire qu’il soit traité d’une manière à la fois objective et engagée… »

Jean Paul Benoît, qui a dirigé un moment le cabinet du ministère de la coopération à Paris, se fait ainsi le prophète perspicace des futures modalités d’une existence politique, économique et culturelle de la France sur la planète, et cela sans tomber dans un nationalisme exacerbé, ni dans un paternalisme de mépris. Il semble percevoir l’imminence de « mutations importantes » qui enjoignent à la France la reconsidération de ses possibilités d’évolution au-delà d’elle-même, et de constituer en même temps la solide relation de l’Europe à l’Afrique ; étant entendu qu’un enjeu pour la France l’est aussi pour l’Europe et vice-versa. De fait, toute la pensée de l’auteur s’articule autour du solide bloc bipolaire que la France doit faire d’un côté avec l’Europe d’abord, et de l’autre avec l’Afrique.

Cette nouvelle alliance de l’Europe avec l’Afrique doit se faire, selon l’auteur, dans le dépassement d’un certain sentiment ou d’une certaine lecture de l’histoire qui privilégierait des complexes ou des ressentiments stériles qui n’ont de portée que le blocage de la marche du monde.

Benoît reconnaît en toute sincérité que la colonisation française ne fut pas simplement une entreprise de philanthropie, et que dans le mouvement de l’Europe vers l’Afrique, on pouvait compter « des aventuriers, des rançonneurs, mais aussi des savants, des missionnaires, des médecins, des éducateurs et surtout peut-être des administrateurs ayant conscience de remplir leur mission civilisatrice » (p. 16). Au reste, une idée chez Benoît semble résumer l’esprit de la coopération France-Afrique, à savoir que « s’il est quelque chose à réparer », la France doit faire bénéficier de « son action prioritaire » à son empire colonial. Il va sans dire que l’idée de réparation présuppose un tort, ce qui laisse transparaître, en arrière-fond de la pensée de l’auteur, un sentiment de culpabilité difficile à faire taire, un besoin de justification constituant une motivation secrète de son discours.

Ainsi, comme dans la nécessité d’un destin commun, l’Europe et l’Afrique s’appellent l’une l’autre pour l’édification de leur avenir ; au surplus, Benoît ira jusqu’à penser que l’Afrique constitue « un prolongement naturel » de l’Europe, en dépit de la fracture géographique de Gibraltar. Aussi, des réalités urgentes viennent-elles renforcer le déterminisme géographique : « Du point de vue économique, l’Afrique produit en partie ce dont nous avons besoin. C’est vrai pour les productions agricoles, alimentaires ou industrielles. C’est vrai pour les ressources énergétiques, pour les minerais, y compris pour les métaux rares dont la fourniture est la condition de la puissance militaire. En retour, nous pouvons mettre à sa disposition les techniques et les produits qui lui font défaut » (p. 102). Il y a ainsi, selon Benoît, tout un programme de réciprocité de services qui doit animer cette coopération.

Toutefois, cette alliance, Benoît ne la pense pas dans les termes d’un contrat sec, encore moins d’un calcul pernicieux, mais surtout comme un gage, un engagement de fidélité de part et d’autre, fondé sur le sentiment d’une acceptation juste et avantageuse, loin des discours de mépris qui ont déjà obscurci, par le passé, leS réactions de la France avec les pays africains. Benoît écrit en effet que « des actions résolues ont pu convaincre les Africains que la France n’hésitait pas à honorer sa parole. Mais d’autres discours, dans les récentes années, sont venus jeter l’ombre d’un soupçon sur les intentions réelles de notre pays. Le discours tiers-monde, mal connu en Afrique, est de ceux-là. Les Africains n’attendent pas de nous une croisade mondialiste dont ils savent que nous n’avons ni la dimension, ni les moyens de la conduire. Ils attendent davantage de nous et avant tout une fidélité plus exclusive » (p. 108). Cette fidélité, Benoît estime qu’elle est prête à être assumée davantage dans une relation d’entente mutuelle entre l’Afrique et l’Europe qu’entre l’Afrique et tout autre continent, étant donné tout le passé historique et toute l’expérience de coopération déjà existante entre Européens et Africains.

Ce livre semble être écrit sous le signe, à la fois de la franchise, de l’honnêteté et de l’engagement personnel, dans le style d’un franc parler que l’auteur se reconnaît lui-même avec ses interlocuteurs africains depuis son séjour au Ministère de la coopération : « Mon tempérament me porte à être sans détour. J’ai refusé de tomber dans ce système précautionneux à « la coloniale » et dans la démagogie. J’ai utilisé le langage direct de la vérité et de la bonne foi » (p. 55).

Le livre de Benoît est moulé à la fois dans un patriotisme et un lyrisme qui lui confèrent tout son caractère incisif plus évocateur que pédagogique, plus sentimental que scientifique. Le texte, bien que sous-titré à outrance, s’unifie et se consolide autour d’un fil conducteur que le titre lui-même traduit suffisamment clairement.

Par les portraits et annexes qui terminent l’ouvrage, celui-ci quitte le champ de la généralité du jugement et de la personnalisation du sujet, pour donner une idée claire et précise – fût-elle particularisée en quelques exemples – d’une Afrique grandeur-nature de ses leaders et de sa géographie, qui n’est plus le continent touristique de agences de voyages, mais la future aire de coopération que tout français (et par-delà tout Européen) doit connaître. Voilà qui fait du livre de Benoît une véritable propédeutique à toute étude africaine aujourd’hui historienne, politique, culturelle notamment.

Au surplus, il demeure vrai que l’esprit, le vœu de la coopération Sud-sud est aussi « Indispensable Afrique », mais avec cette fois un autre auteur et un autre contenu, car l’Afrique reste aujourd’hui un continent qui a d’abord et avant tout besoin de lui-même, total et identique, résolu et ambitieux, pour mieux faire face aux nations déjà puissantes de l’extérieur qui lui jettent un regard concupiscent, amoureux d’elle, mais seulement dans sa division. Et dans ce sens, l’Histoire se pense aussi du côté de l’Afrique.