Nouvelles de la Fondation - Culture et civilisation

FOIRE DU LIVRE A SAINT-LOUIS : ALLOCUTION D’OUVERTURE AU NOM DU PRESIDENT L.S. SENGHOR PAR LE GENERAL IDRISSA FALL, DIRECTEUR GENERAL DE LA FONDATION L.S.S.

Ethiopiques n°54.

Revue semestrielle de culture négro-africaine

Nouvelle série volume7-2ème semestre 1991

INTRODUCTION

Deux événements majeurs ont contribué à sortir le KAABU de l’anonymat dans lequel l’avaient jusque-là tenu la plupart des historiens modernes. Pourtant le sujet est de nos jours encore amplement traité par nos griots traditionnistes pour lesquels la connaissance du passé Kaabunké constitue une référence importante dans le métier de « jali » (griot). En effet, aucun koriste sénégambien, digne de ce nom, ne peut se passer dans son répertoire de « Ceddo », cette chanson épique, véritable condensé de l’histoire multiséculaire des Nyanthios du KAABU.

Le premier Congrès International sur la Civilisation Mandingue à Londres en 1972 et le Colloque International sur les Traditions orales du KAABU organisé à Dakar en 1980 par la Fondation Léopold Sedar Senghor sont donc les deux grands événements qui ont révélé le KAABU à la curiosité des historiens modernes.

Au cours de ces deux rencontres internationales, les participants avaient pu apprécier la qualité des travaux de deux pionniers en la matière. Ceux de Sékéné-Mody CISSOKHO, qui fut professeur à l’Université de Dakar, et de Bakari SIDIBE, chercheur gambien qui dirige actuellement le Centre de Collecte des Traditions orales de Banjul et qui demeure un des meilleurs spécialistes des traditions historiques mandingues de Sénégambie [1]

Dès lors, l’intérêt de plus en plus porté au KAABU allait se développer et s’amplifier au point d’occuper désormais des dizaines de chercheurs tant en Afrique qu’aux Etats-Unis et en Europe.

Outre les Africains Sékéné-Mody CISSOKHO, Bakary SIDIBE, Djibril Tamsir NIANE, Boubacar BARRY, Mario CISSOKHO, Ibrahima Baba KAKE, nous-même et tant d’autres chercheurs au Mali, en Guinée-Conakry, en Guinée-Bissau, le KAABU intéresse : des Européens tels que Jean BOULEGUE (Sorbonne Paris), le Révérend Père GRAVRAND (France), grand spécialiste des Sérères, Antonio CARREIRA (Portugal) ; des Américains comme Georges E. BROOKS, spécialiste du commerce précolonial sénégambien des Dioulas mandingues, Joye BOWMAN HAWKINS qui a présenté une brillante thèse sur l’hégémonie peule au KAABU après la chute de Kansala (1865).

Comme on le voit, le KAABU est devenu depuis une dizaine d’années un grand sujet d’histoire. Et ce n’est que justice pour qui connaît la richesse et la portée de l’histoire d’au moins six siècles de cette entité. C’est ce que nous tentons d’exposer dans la présente étude.

  1. LES GRANDES ETAPES DE L’EVOLUTION HISTORIQUE

Le KAABU constituait un vaste espace dominé par des Mandingues, s’étendant de la Gambie au Nord jusqu’aux confins de la Guinée Conakry au Sud, en passant par la Guinée-Bissau, la moyenne et haute Casamance. C’était une formation sociale d’envergure sous-régionale, au carrefour de plusieurs voies d’eau (Gambie, Géba, Corubal) reliant la côte atlantique à l’hinterland Ouest-Africain.

Cette vaste étendue, facile d’accès qu’était le KAABU, offrait un débouché naturel à tous les migrants orientaux qui voulaient atteindre la côte atlantique.

De fait, ceux qui fondèrent le KAABU étaient des migrants mandingues venus du Mandé (actuel Mali et une partie de la Guinée-Conakry). Les ancêtres des Guélowars du Sine et du Saloum, sous la conduite de Maysa Wali DIONE (de son vrai nom Mansa Wali MANE) étaient originaires du KAABU [2]

La plupart des Mandingues actuels en Gambie, en Guinée-Bissau, en Casamance (hormis le Pakao) font du KAABU leur mère patrie.

Ces quelques faits invitent à accepter qu’avec le KAABU nous sommes en présence d’un des éléments de notre héritage historique les plus aptes à motiver et à favoriser l’intégration des différents pays de notre sous-région, intégration que, au demeurant, nous appelons de tous nos voeux.

L’occupation mandingue au KAABU est ancienne, puisqu’elle remonte au 13e siècle au moins, du temps de Soundiata KEITA, fondateur de l’empire du Mali.

Il est même permis maintenant d’affirmer que la présence mandingue en Sénégambie est antérieure à l’avènement de Soundiata. On avance le 12e siècle. Seulement à cette époque-là, les immigrants mandingues étaient encore minoritaires au sein des populations Baynuk et Padjadinka considérées comme les autochtones de la région. Minoritaires au 12e siècle, les Mandingues n’avaient pas non plus le pouvoir politique, car en ces temps-là en Sénégambie gouvernaient des Musu-Manso (reines en mandingues), ce qui dénote l’impact du matriarcat dans le monde kaabunké.

Ainsi, en attendant de se rendre hégémoniques plus tard, les mandingues étaient obligés de composer avec les réalités locales, en s’imprégnant des valeurs socio-culturelles des Baynunk-Padjadinka : alliances matrimoniales, organisation politique morcellée en divers royaumes ou chefferies comme c’était la tradition en pays Baynunk-Padjadinka.

C’est probablement dès cette époque que les fondements de la civilisation kaabunké furent mis en place. Et à coup sûr, cette civilisation est métisse, comme nous le montrera plus loin l’analyse du Nyanthioya et des noms de famille des Mandingues du KAABU. Ce métissage aux origines du KAABU, les traditions orales baynunk-padjakinda l’affirment nettement.

Au 13e siècle, avec la fondation de l’empire du Mali par Soundiata, les immigrants mandingues du KAABU allaient progressivement s’emparer du pouvoir politique, au détriment des autochtones dont les reines étaient une à une évincées au Niomi, au Jaara, au Kombo, au Kiang, au Badiar et un peu partout en Sénégambie où elles gouvernaient.

La révolution politique opérée par les Mandingues s’accompagnait de l’implantation du patriarcat. Cependant, comme le Nyanthioya va nous le montrer, les traces du matriarcat n’avaient pas totalement disparu. Elles allaient résister sous une forme matrilinéaire de transmission du pouvoir politique suprême au KAABU.

D’après la plupart des traditions mandingues de Sénégambie, c’est Tiramakan TRAORE, un des généraux de Soundiatta, qui fit la conquête du KAABU, à la suite d’une expédition qu’il mena, au nom de son souverain, en pays Wolof. Tirimakan y tua le Djolofin Mansa et fit un passage au KAABU où il permit ainsi aux Mandingues de devenir les maîtres incontestés de la région, aux dépens de toutes les autres ethnies qui furent soumises à l’ordre mandingue. Cette version des origines mandingues, du Kaabu est la plus connue aujourd’hui, parce qu’elle est certainement plus commode et plus simple à retenir que d’autres où apparaissent les noms de plusieurs fondateurs plus ou moins anonymes et dont le processus d’implantation au KAABU était pacifique.

En tout les cas, c’est de Tiramakan TRAORE que se réclamait l’aristocratie régnante SANE – MANE du KAABU.

Il est certes difficile de nier le rôle militaire et politique de Tiramakan dans la formation du KAABU. Il n’empêche que, avant et après lui, des vagues d’immigrants mandingues avaient aussi, de façon souvent anonyme et pacifique, oeuvré à la consolidation de l’hégémonie mandingue en Sénégambie.

Pourquoi alors cette insistance des traditions orales sur Tiramakan ?

C’est peut-être parce que les grands événements historiques ont parfois besoin, pour mieux marquer la mémoire collective, de noms-symboles, de grandes figures qui écartent d’autres moins charismatiques, moins captatives. En Tiramakan, les Kaabunké possédaient une référence historique, un mythe d’autant plus puissant qu’il est lié à l’épopée de Soundiata, le roi des rois en Afrique de l’Ouest. Par conséquent, la formation du KAABU ne devrait pas être appréhendée comme une oeuvre collective, mais plutôt comme celle d’un homme exceptionnel. Cela donnerait plus de poids et de considération politique et sociale à l’aristocratie qui s’emparerait du pouvoir [3]

Voilà les mandingues maîtres du KAABU à partir du 13e siècle. Mais il ne suffisait pas d’avoir le pouvoir, il fallait aussi l’organiser, l’entretenir pour le rendre durable. C’est à celà que les mandingues allaient s’atteler pendant des décennies jusqu’à la fin du 13e siècle et au début du 14e siècle ; l’organisation politico-administrative allait passer du mode confédéral entre les douze provinces constitutives du KAABU au mode un peu plus centralisé et personnalisé du Nyanthioya.

Pendant la phase confédérale, chaque province était largement autonome avec son propre chef qui faisait acte d’allégeance à l’empereur du Mali à Niani ou Kangaba, où au demeurant tous les chefs de provinces du KAABU allaient se faire sacrer mansa (rois). Les douze provinces constitutives du KAABU étaient les suivantes : Sama, Jimara, Patiana, Mana, Sankolla, Kolla, Tiagna, Kantora, Niampayo, Toumanna, Propana, Badiar.

Une organisation politique aussi lâche n’était pas du goût de tout le monde, notamment des partisans d’un pouvoir central fort. Ceux-ci parvinrent à s’imposer à la fin du 13e siècle et au début du 14e siècle en réalisant une grande révolution institutionnelle qui prit le nom de Nyanthioya.

Pour renforcer cette révolution qui excluait du pouvoir central les clans Sonko, Sagna, Mandjan, Djassi, les Sané-Mané instaurèrent la mystique Nyanthio.

Selon cette mystique, les Nyanthios étaient descendants de trois femmes surnaturelles nées dans une grotte au KAABU, d’un père « djin » (génie de la nature) et d’une mère princesse mandingue, Ténemba, qui avait fui la cour de son père, l’empereur du Mali. Quelle ascendance sacrée et prestigieuse ! C’est cette version de l’origine des Nyanthios, véhiculée par la légende, qui persiste de nos jours encore. Les trois femmes qui donnèrent naissance aux premiers nyanthios s’appelaient Balaba Tinkida qui s’installa au Patiana, Ufara qui s’établit au Sama et Kani qui demeura à Jimara. C’est la raison pour laquelle le Patiana, le Sama, le Jimara étaient considérés comme les seules provinces-nyanthios du KAABU, à côte des autres qui étaient des provinces-koring. Les koring constituaient cette partie de l’aristocratie régnante qui venait après les Nyanthios ; ils étaient les chefs de guerre et les gouverneurs de province. C’étaient les Sonko, Sagna, Mandja, Djassi.

Si l’on met entre parenthèses le mythe et la légende, l’on peut s’apercevoir que le Nyanthioya fonde un nouveau pouvoir, d’autant plus puissant qu’il est monopolisé par une minorité. Cette minorité s’était donné une certaine légitimité en se réclamant de deux noms prestigieux dans le Mandé : Tiramakan TRAORE et Ténemba, princesse, fille d’un mansa du Mali. Mieux, pour assurer leur cohésion et garder le pouvoir, les Nyanthios instituèrent le matrilignage qui serait une survivance de l’influence des Musu-Mansa (reines), du temps où les mandingues n’étaient pas encore prépondérants au KAABU [4] . L’on est nyanthio par la mère uniquement, et il faut pour celà porter les noms SANE ET MANE.

Les noms SANE, MANE, SONKO, MANDJAN, DJASSI, SAGNA, existaient bien avant l’implantation du nyanthioya. Avec le nyanthioya tous les autres noms se trouvaient exclus du pouvoir suprême (Mansaya) au KAABU. Même les SANE et MANE qui n’étaient pas de mère nyanthio (et ils étaient la majorité) devenaient seulement des Mansaring [5].

L’avènement du nyanthioya avait donc bouleversé l’organisation et les institutions politiques du KAABU. Même la capitale nationale avait changé de lieu et de nom : KANSALA supplanta MAMPATING. Et le mansaya devenait rotatif à Kansala entre le Sama, le Pathiana et le Jimara qui constituaient les provinces-nyanthios.

Ceux des exclus du nyanthioya qui étaient mécontents de leur sort s’exilèrent vers d’autres régions et peuples.

Il y en eut qui émigrèrent chez les Quinara-Diolas (ou Beafades) et les Balantes, d’autres partirent vers les régions gambiennes (au Niomi, au Jaara, au Kiang, au Badibou). Cette première dispersion des Kaabunké, bien avant celle qui allait se produire au 19e siècle après la chute de Kansala, les avaient conduits un peu partout dans les pays guinéo-gambiens ou les noms Sané, Mané, Sonko, Sagna, Mandjan, Djassi cohabitaient avec des noms locaux comme Diammé, Coly, Nanki, Sadio, Biaye, Diatta, Bodian,etc.

Enfin, une des plus grandes migrations kaabunké par ses conséquences politico-culturelles était celle des ancêtres des Guélowars avec Mansa Wali MANE, alias Maysa Wali DIONE.

De cette épopée, au début du siècle, date la parente historique entre le KAABU, le Sine et le Saloum. Au Sine et au Saloum, du fait du phénomène Guélowar, des MANE et probablement des SONKO, SAGNA et autres s’étaient « sérérisés », tout en y conservant le pouvoir politique. Mansa Wali MANE était parti du BADIAR (au KAABU) en compagnie d’une suite nombreuse, dont sa soeur, Sira Badiar ou Sira Badral que chante le poète SENGHOR, et atteignit, Mbissel au Sine, après une longue pérégrination au Niombato, dans les îles du Saloum, à Joal-Fadiouth. Il mourut au Sine en laissant le pouvoir à la descendance de sa nièce Tening qui se maria avec un lutteur sérère du nom de Djilakh FAYE. On le voit de nouveau, le matrilignage est encore à l’oeuvre : comme les nyanthios du KAABU, le Guélowar du Sine se transmettaient le pouvoir par la voie utérine, d’oncle à neveu, ce dernier devant être de mère Guélowar.

Revenons au KAABU pour noter que ces vagues de dissidents qui s’exilèrent n’amoindrirent en rien le pouvoir nyanthio, au contraire, celui-ci érigea une puissance militaire au service de l’expansion politique et de l’influence culturelle des Mandingues en Sénégambie. Devenus les « gendarmes » de la zone, les nyanthios apportaient fréquemment leur concours militaire à presque tous les royaumes gambiens : Niomi, Kombo, Jaara, Badibou, Kiang, Niani, Wouli, etc.

Par ce biais, le KAABU était parvenu à introduire ses clans princiers au sein de la quasi-totalité des aristocraties régnantes de Sénégambie : des Mané et Sonko au Niomi, des Sagna au Kiang et au Jaara ; des Sané au Niani et au Wouli. On pourrait multiplier les exemples, tant ils étaient nombreux et significatifs de la façon dont s’était progressivement forgé un vaste espace politico-culturel mandingue que nous désignons par « Monde Kaabunké », avec comme centre de gravité politique et militaire l’Etat des nyanthios dont le siège était Kansala (aujourd’hui situé en Guinée-Bissau).

C’est ce contexte qu’allaient décrire, à partir des 15e et 16e siècles, les voyageurs européens, surtout portugais, qui, dans leurs différentes chroniques, reconnaissaient la réalité politique du fait mandingue en Sénégambie méridionale. Deux d’entre ces voyageurs européens, les Portugais Alvares d’ALMADA et André DONNELHA avaient même confirmé la souveraineté que le KAABU exerçait sur toute la zone. Ils désignaient le roi du KAABU de l’expression générique de FARINKAABU, c’est-à-dire le chef suprême de la région, selon l’acception du mot Farin qui, dans la titulature politique mandingue, signifiait Gouverneur de province. De fait, jusqu’à la révolution politique du nyanthioya, les rois mandingues sénégambiens, dont celui du KAABU, étaient des vassaux ou gouverneurs de province de l’empereur du Mali.

D’où le titre de Farin qu’ils portaient et que les premiers voyageurs portugais mentionnaient dans leurs écrits aux 15e, 16e et même 17e siècles. Cependant, il importe de noter que les Européens n’avaient jamais eu la possibilité de rencontrer directement un souverain de l’Etat du KAABU. Les seuls renseignements qu’ils obtenaient sur KANSALA leur venaient des dioulas (marchands africains ambulants) qui sillonnaient toute la région jusqu’au coeur du KAABU.

C’est parce que, fondée sur la bravoure et la valeur militaire, la mystique royale Nyanthio méprisait l’activité commerciale jugée dégradante et bassement matérielle.

Les Européens venaient pour le commerce et c’est pourquoi ils étaient ignorés des Nyanthios qui préféraient laisser leurs vassaux de la côte atlantique (Kombo, Niomi, Fogny, Royaumes Beafadas, Royaume de Kasa) traiter avec ces conquérants étrangers du « Nafulo » (richesse matérielle en mandingue). Cet état de fait explique aussi pourquoi les écrits européens sont pauvres en informations précises sur le KAABU, notamment en ce qui concerne la chronologie des évènements, les noms des souverains, la délimitation de l’espace kaabunké, la description géographique de l’Etat kaabunké et tant d’autres aspects.

Tout celà est enfin à l’origine de nos difficultés aujourd’hui pour mieux cerner Révolution historique du KAABU.

On peut donc comprendre le grand recours qui est fait aux traditions orales, malgré leur imprécision et leur goût du merveilleux, pour écrire le passé kaabunké.

Ces traditions orales nous ont permis de savoir, entre autres faits, que le KAABU des nyanthios était le centre politique de tous les Mandingues de Sénégambie dont les classes régnantes y venaient parfaire leur formation politique en matière de mansaya (royauté) et d’art militaire.

Les mêmes traditions nous citent des souverains kaabunké de renom, dont Souman Koliba, Sarafa Nyaling Jenung, Mankotoba Sané, Faran Sankulé, Dianké Wali Sané qui marquèrent tous l’évolution du KAABU. Pour entrer un peu dans les détails, signalons seulement que c’est Mankotoba Sané qui accueillit sous son règne les Konté venus du Sangaran (Mali) pour fonder le Kombo (en Gambie) où ils finirent par prendre le patronyme BODIAN en lieu et place de Konté ; mais le souvenir du Sangaran (ou Sankaran) est resté dans leur devise : « Bodian Sankaranka » = « Bodian originaire du Sankaran ».

Quant à l’Islam au KAABU, il s’y était établi relativement tôt, à une période qui peut être situé avant l’apparition du nyanthioya. Les premières familles musulmanes du KAABU étaient nées autour de deux grandes figures maraboutiques : Sanoba et Fatiba qui, dit-on, étaient les compagnons des premiers immigrants mandingues animistes venus du Mandé. Beaucoup plus tard, aux 16e-17e siècles, au coeur même du KAABU , à Bijine (actuelle Guinée-Bissau) allait s’installer une autre branche maraboutique venue de Tombouctou, d’après les traditions mandingues recueillies par Bakari SIDIBE déjà cité, ce sont les Bayo (déformation kaabunké de Bagayogo) renforcés par les Sama, les Gassama.

Mais il convient de préciser que jusqu’au 19e siècle, les morikunda (lieu d’implantation des familles musulmanes) étaient encore minoritaires et seulement tolérés dans le monde kaabunké.

Car l’islam pour le kaabunké animiste ne pouvait être qu’une religion d’appoint au culte ancestral exercé dans le bois sacré et souvent protégé par le « Bida », le serpent sacré.

Le plus célèbre des lieux de culte traditionnel de nyanthios du KAABU s’appelait TAMBA-DIBBI, situé non loin de la capitale Kansala.

Pour terminer ce chapitre sur l’evulution historique, nous évoquerons le déclin de l’Etat nyanthios qui s’amorça à partir du début du 19e siècle. Des contradictions de tous ordres liées tant à des facteurs internes qu’à des causes externes avaient précipité la chute du KAABU. Parmi les causes de déstabilisation socio-politique et économique du monde kaabunké, nous mentionnerons : le commerce européen atlantique qui, orienté, très tôt sur la traite négrière, avait progressivement bouleversé les circuits traditionnels du commerce sénégambien, tout en donnant aux états vassaux côtiers du KAABU davantage de moyens de se rendre autonomes et jaloux les uns des autres ; la montée de l’islam qui ouvrit de nouvelles perspectives socio-politiques aux masses qui supportaient de plus en plus mal le joug nyanthio. A quoi, il faut ajouter les rivalités entre provinces nyanthios, en particulier entre le Sama et la Pathiana.

C’est dans ce contexte de rivalité entre provinces nyanthios que survint la mort du plus célèbre des chefs de guerre du KAABU au 19e siècle, Ghalen SONKO, un koring de Sankolla- Bérékolon.

Cette mort, d’après les traditions mandingues, joua pour beaucoup dans l’affaiblissement du système de défense nationale du KAABU face à son voisin le plus menaçant : la théocratie musulmane du Fouta Djalon, au Sud- Est de KAABU, et qui depuis sa formation au 18e siècle n’avait cessé de faire de la chute des nyanthios l’un des axes de sa politique de conquête territoriale.

A partir du milieu du 19e siècle, toutes les conditions semblaient réunies pour que le Fouta Djalon attaquât le KAABU en une série de guerres et de batailles qui aboutirent vers 1865 à la chute et aàla destruction de la capitale Kansala, sous le règne du dernier souverain mandingue du KAABU, le célèbre Dianké Wali Sané. Celui-ci organisa une résistance si héroïque que la victoire du Fouta fut une victoire à la Pyrrhus : l’hécatombe de Kansala, connue sous l’expression « Tourban-Kansala », le fut aussi bien pour les Mandingues vaincus que pour les Peuls du Fouta qui subirent de lourdes pertes humaines.

Malgré tout, pour les traditions mandingues, Tourban-Kansala est symbole de courage, de puissance, de résistance et d’attachement à l’intégrité territoriale de la patrie kaabunké sacrée.

La chute de Kansala mit aussitôt en branle le processus de libération des Peuls du KAABU, assujettis depuis longtemps à l’ordre mandingue. Cette libération nationale des Peuls du KAABU, sous la direction de Molo Eggué devenu Alfa Molo, donna naissance au Fouladou, c’est-à-dire l’ensemble des provinces peules liberées du joug mandingue et placées sous la tutelle des Molo.

Alfa Molo, le libérateur, mourut vers 1881 à Dandu (Guinée-Bissau). Et c’est son fils, Moussa Molo, qui tenta de parachever son oeuvre. Mais déjà s’annonçait à cette date l’ère coloniale européenne qui allait transformer Moussa Molo en grand résistant qui, vaincu, finira ses jours en 1931 en Gambie, à Kessérékunda précisément où un mausolée à sa mémoire est aujourd’hui édifié par l’Etat du Sénégal.

  1. ASPECTS DES RELATIONS INTERETHNIQUES AU SEIN DU MONDE KAABUNKE ET L’IRREDENTISME PEUL

Le monde kaabunké, en dépit de la prépondérance mandingue, constituait au plan ethnique une réalité complexe faite de brassages, mais aussi d’exclusions.

En effet, outre les mandingues, on y notait la présence de plusieurs groupes ethniques considérés comme les autochtones de la région. Nous avons, dans ce sens, déjà parlé des Baynunk- Padjadinkas auxquels il faut ajouter les Diolas, Balantes, Papels, Brames, Manjaks, Beafadas. Quant aux Peuls, ils sont allogènes comme les Mandingues, et leur présence au KAABU remonterait aux 14e-15e siècles.

Toutefois, pendant près de trois siècles (du 16e au milieu du 19e siècle), les kabunké étaient parvenus à donner une harmonie à ce morcellement ethnique et à établir une certaine stabilité politique et culturelle qui leur étaient, bien entendu, favorables.

A ce sujet, nous avons bénéficié d’une excellente étude de A. Teixeira de Mota présentée au Colloque international de Dakar sur le KAABU [6].

1.) Considérations générales sur la politique régionale du KAABU et sa stratégie de « Mandinguisation »

Cette politique était axée sur l’établissement d’un ordre culturel au service de l’hégémonie mandingue, depuis la Gambie nord jusqu’aux confins du pays nalou au sud, en Guinée-Conakry.

Les kabunké n’étaient pas les seuls Mandingues de Sénégambie, parmi lesquels il faut compter les Kombonké (Kombo), le Niominka (Niomi), les Badikunké (Badidou), les Woyinké (Woy), les Pakawnké (Pakao).

Dans un tel contexte ethnique, le KAABU des Nyanthios avait mis en oeuvre une stratégie à deux axes : accorder une large autonomie politique aux royaumes vassaux mandingues et mettre l’accent sur la « mandinguisation » des autres peules. Les kaabunké avaient peut-être compris que l’un des moyens efficaces d’assurer leur hégémonie politique passait par la domination culturelle.

De fait, des royaumes comme le Niomi, le Kombo, le Kiang, le Jaara, le Badibou, le Niani, le Wouli et tant d’autres le long du fleuve Gambie bénéficiaient d’une large autonomie d’action qui leur permettait d’intégrer le commerce européen atlantique, en abritant des comptoirs de commerce, en organisant à leur guise l’espace économique qui leur était commun. Du reste, ces contacts étroits avec les Européens ont fait qu’aujourd’hui nous sommes mieux renseignés sur ces royaumes vassaux que sur le KAABU même.

La « mandinguisation » allait donc s’appliquer aux autres peuples.

D’après les renseignements fournis par des sources portugaises des 16e et 17e siècles [7], c’est le Birassu qui, mandaté par le Kaabu, avait dominé et mandinguisé les royaumes Baynuk du Kasa (d’où est venu le mot Casamance = Kasa Mansa = roi du Kasa) et de Jassine sur le Soungrougou (un affluent de la Casamance).

La même action fut opérée par le Birassu auprès des Balantes. Pour confirmer l’influence mandingue sur les Balantes, E. Bertrand-Bocande [8] avait mentionné le nom MANE que la plupart de ces derniers portent de nos jours encore et qui, on le sait, est d’origine kaabunké. Les Balantes-Mané, avant leur mandinguisation, portaient les patronymes « Saminanko », « Samikan », « Dingol ».

La vague assimilationniste mandingue avait aussi touché les Padjadinka, et les Beafadas localisés en royaumes entre le Rio Géba et le Rio Grandé (Guinée-Bissau). Ils avaient été mandinguisés à la fois par le Birassu et le Kaabu. Le Birassu avait également influencé le Woy dont la majeure partie du peuple, de Balante à l’origine, avait fini par s’assumer Mandingue en prenant le nom de Woyinké.

S’agissant des Manjaks, Papels, Mankagnes (ou Brames) et un grand nombre de sous-groupes diolas, nous n’avons noté aucune mention de leur mandinguisation. De fait, aujourd’hui encore, ils demeurent des peuples très peu touchés par l’influence mandingue.

Pour l’expliquer, l’on pourrait remarquer que Papels, Manjaks, Mankagnes étaient des groupes minoritaires vivant à la périphérie de l’aire culturelle kaabunké.

D’où, peut-être, le faible intérêt sociopolitique qu’ils suscitaient chez leurs voisins mandingues.

Au vrai, confinés dans leurs terroirs autour du Rio Gaba, ils n’avaient jamais constitué un danger politique pour l’Etat du KAABU.

Une dernière remarque sur la « mandinguisation » des peuples sénégambiens : elle fut rarement violente ; elle était davantage pacifique. Le succès de la « mandinguisation » était-il lié à cet état de fait ? N’était-il pas dû à la faible résistance culturelle des dominés ou à leur volonté d’ouverture à une culture majoritaire dont la langue était l’une des grandes langues de communication de l’Afrique de l’Ouest ? Des recherches ultérieures nous permettrons d’éclaircir ces questions de grande importance pour l’histoire sociale du KAABU.

Evoquons enfin un symbole de la mandinguisation, qui était en même temps une figure légendaire du KAABU : Kéléfa SANE, de père Kaabunké et de mère Beafada et qui mourut en guerrier, enterré à Baya en Gambie. Kéléfa SANE incarnait ainsi le monde Kaabunké aussi bien dans son métissage culturel que dans son envergure militaire sous-régionale en Sénégambie.

Il nous faut à présent examiner les rapports entre les Mandingues et leurs sujets peuls au KAABU.

2) L’irrédentisme peul

Les Peuls sont d’anciens cohabitants des kaabunké en Sénégambie. Ils y étaient arrivés au cours des 14e-15e siècles. Accueillis en étrangers au KAABU, leurs tuteurs mandingues les aidèrent à se sédentariser avec leur bétail, en leur attribuant des localités à part appelées du terme mandingue de « Fulakunda ». En contrepartie de leur installation et du libre exercice de leurs activités agro-pastorales, les peuls étaient tenus de verser un tribut annuel en nature à leurs hôtes. Voilà le statut sociopolitique des peuls, au sein du monde Kaabunké, statut qu’ils avaient rarement tenté, jusqu’au début du 19e siècle, de remettre en question, malgré son caractère oppressif.

Cette situation de dominés n’avait cependant pas entamé l’attachement des Peuls à leurs traditions culturelles restées vivaces. Soumis à leurs maîtres mandingues au plan politique, ils faisaient malgré tout preuve d’une résistance tenace au plan socio-culturel : continuation des activités pastorales en dépit de la sédentarisation ; pratique de l’endogamie et de la langue peule ; en un mot, préservation de tout ce qui renforce l’identité socio-culturelle d’un peuple.

Cette dignité, doublée d’une grande fierté de s’assumer peul, était difficilement acceptée des Mandingues qui intensifiaient brimades, humiliations, exactions de toute sorte pour tenter de dépersonnaliser le peuple peul. Ces faits sont, du reste, abondamment rapportés par les traditions mandingues.

Ainsi, piller un troupeau ou saccager les récoltes des Peuls demeurait presque toujours impuni ; de fréquentes révoltes peules à la fin du 18e et au début du 19e siècle étaient matées dans le sang.

La résistance culturelle peule était d’autant plus inadmissible aux Nyanthios qu’elle était presque unique au sein de tous les autres peuples dominés par le KAABU ; de plus, elle se déroulait au coeur même des places fortes de l’Etat Kaabunké : Kansala, Bérékolon, Sumakunda, Nyantior, Kabendou, Pirada abritaient d’importants fulakundas.

Comme on le voit, au contraire des autres peuples dominés vivant à la périphérie du KAABU, les Peuls menaient leur existence au sein de leurs maîtres mandingues avec lesquels ils partageaient le même espace. C’est pourquoi, l’on est en droit de considérer le comportement des peuls au KAABU comme un irrédentisme culturel vivace qui, au 19e siècle, hâta le déclin politique de l’Etat kaabunké à Tourban-Kansala en 1865.

III. QUELQUES LECONS A TIRER DE L’EXPERIENCE HISTORIQUE DU KAABU

Un paradoxe apparaît après l’analyse des relations du KAABU avec ses peuples dominés : la « mandinguisation » s’est réalisée beaucoup plus aisément avec les groupes ethniques localisés dans les zones périphériques du KAABU, tandis qu’avec les Peuls qui vivaient au sein même de l’ordre dominant Kaabunké, non seulement l’assimilation n’a pas réussi, mais encore les rapports sont demeurés tendus débouchant sur les nombreuses révoltes peules du 19e siècle incarnées par un chef charismatique : Alfa Molo, dit Molo Eggué.

Au cours de ce siècle en effet, les Peuls avec le concours actif de leurs congénères du Fouta Djallon avaient réussi leur libération totale de la domination kaabunké.

Mais le déclin politique du KAABU n’a pas entrainé l’affaiblissement culturel mandingue. La civilisation mandingue a survécu à l’Etat Kaabuké. Cette survie tient en grande partie d’un côté à l’impact de la politique de « mandinguisation », et de l’autre à la forte unité culturelle mandingue qui a pu être préservée, au cours des siècles, dans les régions gambiennes du monde kaabunké.

Les royaumes gambiens avaient connu de grands remous politico-religieux marqués de sceau de l’islam [9] . Mais tous, ces bouleversements étaient intervenus à l’intérieur du giron mandingue : le prosélytisme des Jakhanké autant que les Djihads de Fodé Kaba Doumbouya et de Fodé Kombo Sylla participaient, entre autres, du renforcement de la prépondérance culturelle mandingue en Sénégambie.

Autres conséquences du déclin politique kaabunké, cette fois-ci dans les régions méridionales : l’éclatement de conflits ethniques peu fréquents avant la chute de Kansala. C’est ainsi que le peuple Balante par exemple, longtemps contenu par la domination kaabunké, profita, au début du 19e siècle, du désordre politique existant pour se lancer dans des guerres de conquête contre certains de ses voisins non mandingues. En moyenne Casamance, les Balantes étaient parvenus à supplanter en partie les Mandingues et à y établir vers 1830 leur hégémonie sur le royaume baynuk du Kasa dont ils s’emparèrent de la capitale Birkama. C’est la naissance du Balantakunda qui n’est pas un royaume [10], mais une zone d’occupation et de domination balante arrachée aux Baynunk et située sur la rive gauche de la moyenne Casamance, le long de la frontière avec la Guinée-Bissau actuelle.

Nous avons parlé plus haut de la survie du fait culturel mandingue en Sénégambie. Toutefois, par les effets combinés de l’irrédentisme peul et de la révolution balante au 19e siècle, la suprématie culturelle mandingue cesse dorénavant de se manifester par sa solide unité d’antan.

Le renforcement du fait mandingue semble actuellement aller de pair avec le retour des différents peuples mandingues à leur particularisme que la longue domination Kaabunké avait contribué à réduire.

Aujourd’hui les Mandingues de Sénégambie aiment à se désigner par des termes qui reflètent et leur diversité et la fin de leur ancienne solidarité bâtie dans le monde kaabunké : Kaabunké, Birassunké, Pakawnké, Kombonké, Niominka, Woynké, Badibunké, etc… sont devenus les vocables par lesquels s’exprime la réalité mandingue dans les pays guinéo-gambiens. Il convient cependant de préciser que cette diversité oeuvre à la tolérance mutuelle et au sentiment d’appartenance commune à une même civilisation, la civilisation mandingue du Tilidji (l’Occident du Mandé, Occident pris ici dans son sens strictement géographique).

Parmi les caractéristiques civilisationnelles du Tilidji, nous pouvons indiquer le Kankourang, masque mystique apparaissant lors des cérémonies de circoncision ; la kora, cet instrument cordophone aujourd’hui célèbre dans le monde entier et qui fut inventé au KAABU ; le dimbaya que des associations de femmes en mal de fécondité ou en butte à la mortalité infantile pratiquent autour de valeurs qui ont noms humilité, solidarité, amour maternel, le tout dans une ambiance de gaieté et de danse comme savent le faire les Africaines.

La conclusion que nous voulons servir à cet exposé sur le KAABU sera la définition de quelques directions de recherches qui permettraient un meilleur approfondissement de quelques questions encore en suspens :

. Périodisation de l’évolution historique ;

. Liste des différents souverains ;

. Liste précise des provinces du KAABU aux différentes étapes de son histoire ;

. Processus et période d’établissement des Peuls au KAABU

. L’origine et la signification des patronymes kabunké SANE, MANE, SONKO, SAGNA, MANDJAN, DJASSI, introuvables dans les autres parties du monde mandingue Ouest-Africain.

Les origines du Nyanthioya et une étude comparative avec le phénomène Guélowar au Sine et au Saloum ;

. Les fondements baynunk-padjadika de la civilisation kabunké etc.

[1] Voir à ce sujet notre étude intitulée « Contribution à l’histoire du KAABU, des origines au XXe siècle » BIFAN, Série B, Tome 40, n° 1, Janvier 1978 – DAKAR

[2] Cf. R.P. GRAVRAND, Cosaan Sereer, NEA, DAKAR, 1983.

[3] Sur cette question, cf. notre communication au Colloque précité sur le KAABU, publiée dans la revue Ethiopiques n° 20 Spécial, Octobre 1981, Dakar.

[4] Voir supra

[5] C’est par un abus de langage que l’on veut faire de tous les SANE et MANE des nyanthios. Le terme nyanthio, élargi aujourd’hui, était beaucoup plus restrictif du temps de la grandeur kaabunké

[6] A. Teixeira da Mota : les relations de l’ancien Cabou avec quelques Etats et peuples voisins (communication au colloque sur le KAABU, in Ethiopiques n° 28 Spécial Octobre 1981, Dakar)

[7] Voir A. Teixeira da Mota, op. cit.

 

[8] Cité par A. Teixeira da Mota, Bertrand-Bocandé était un traitant français, résidant à Karabane et qui avait parcouru toute la Sénégambie méridionale au milieu du 19e siècle.

[9] Voir L. Ousman SANNEH : The history of the Jakhanke people of Senegambie (school of oriental an African studies, Londres, 1974) ; Ch. A. Quinn ; Mandingo Kingdoms of the Senegambie, Evanston USA, 1972

[10] Les balantes, comme les diolas, mankagnes et autres forment des sociétés sans structures étatiques centralisées et fortes.

-LE KAABU, UNE DES GRANDES ENTITES DU PATRIMOINE HISTORIQUE GUINEO-SENE-GAMBIEN

-LES DRAMATURGES NEGRO-AFRICAINS ET L’HISTOIRE

-4.POUR UNE CIVILISATION DE « CREATEURS »