POESIE ET THEATRE
Ethiopiques n°46-47
Revue trimestrielle de culture négro-africaine
Nouvelle série 3ème et 4ème trimestre 1987-volume 4
Pardonne-nous Afrique pour nos péchés métis
pas ceux de nos sangs mêlés
(le sang mêlé est une richesse)
mais ceux de notre mémoire réduite
car l’oubli est appauvrissement
l’oubli volontaire indigence consentie.
Pardonne-nous d’être d’un pays comme on est d’une ignorance
car ceux qui ont privé nos ancêtres de liberté
nous ont dépouillé du besoin d’identité.
L’identité égarée entre cale et rivage
entre viol et cuissage ;
la dignité perdue entre servage et servilité
conformité et conformisme
à la stratification métis
aux critères créoles
à l’échelle insulaire des valeurs
Amnésiques,
nous sommes amnésiques comme on dit asexués…
et heureux de l’être
dans la quiétude des pères reniés
des griots interdits de parole
culpabilisés.
des élans brimés.
Et pardonne-nous d’avoir prôné
la sécurité dans la dilution.
Ne m’en veux pas d’être né au pays-préjugé
au pays-infirme où Afrique signifiaif rudiment ;
où confronté au témoignage débile de l’épiderme
facile du tégument
on disait Afrique comme on disait main-d’œuvre
comme on disait épave
car le terme déraciné nuirait aux bonnes consciences bien blanches
tout autant qu’aux embusqués de l’appartenance.
On disait Afrique comme on disait épouvantail…
Mais j’ai grandi au pays de l’Afrique nécessaire
utilitaire
(ce qui ne vaut guère mieux).
Les miens, grands voyageurs,
partirent à la découverte du Continent.
Ils revinrent
les valises pleines
… de solidarités rentables
partisans de communautés d’intérêts.
C’était le temps des indépendances factices
tramées sur le dos des peuples
des terres bradées au plus offrant
au plus servile
Au pays des sangs purifiés par l’exclusive
je n’ai pas honte d’égrener mes gouttes de sang négro.
Jetez du lest,
moi je revendique mon poids de sang d’Afrique.
Pardonne-nous douce et puissante Afrique
d’où partent les minces filets de nos capillaires
d’où partent nos capillaires pour aboutir à la mer métisse,
par le biais de nos veines
l’entrelacs de nos artères
le labyrinthe de nos sangs croisés.
Afrique, je t’attendrai aux rapides
aux sources de montagnes
où boivent les bêtes assoiffées
car l’eau est sang de continent
l’eau universelle qui bat dans l’aorte des grands fleuves.
Lente et turbulente Afrique
qui ne s’affole qu’aux chutes,
des fleuves forts coulent dans tes longs vaisseaux.
Un rythme égal règle ton régime :
c’est celui de l’eau ;
et tu ne connais _ de cadences effrénées que pour danser.
le temps s’immobilise sur l’Afrique endormie.
L’Afrique attend son heure près de l’eau
comme le carnage attend sa victime.
Tamtam pouls de l’Afrique engourdie
dans le décor rassurant des coutumes
des rituels
des cultes familiers
Afrique de la peur
des exorcismes
de la fatalité
J’en appelle à toi Afrique des antipodes
Afrique sage et brutale
Afrique du vasselage et de la violence
des esclaves et des tyrans
Afrique soumise et dominatrice
maternelle et hostile
accueillante et secrète
Afrique des griots et des sorciers
des lumières et des ténèbres
du noir de l’ébène
du blanc des déserts
Afrique je t’attends au meilleur de toi-même.
Car en moi sourd l’ascendance macondée,
l’allégeance bambara
Le sang perdu, esseulé, isolé, marron né des woloffs.
Je me réclame
de la douceur souahilie
la fierté ashantie
la sagesse somalie
la noblesse massaïe
la force mandingue
tenues en laisse anneau au nez
entraînées pêle-mêle,
à coups de crosse
vers l’océan du métissage.
Ici Afrique
(Afrique à qui nous devons tant sans savoir à qui nous le devons) nous serons tous congs
mazambiques
hovas
anjouanes
ghanas
ou nous ne le serons pas.
Tous Zambiens
Gambiens
gens bien
portant les stigmates du désert et de l’eau
et le cri morne à midi du jacana par-delà les marais
du jacana haut perché sur l’échalas des pluviers
haut perché et appelant ses petits
à l’autre bout du sang
là où l’origine n’est qu’un mince affluent
– Jacana Jacana
-Bé Bé
-To piti pou moi
-Mais to menti
-A nous parié
– ce qui to vlé…