FEMME- PLUIE
Ethiopiques n°86.
Littérature, philosophie et art
Demain l’Afrique : penser le devenir africain
1er semestre 2011
FEMME- PLUIE [1]
Depuis ton départ
comme si le Désert a changé d’adresse
la sécheresse a commencé
et un Sahara sévit en moi
Le Désert s’est bien installé
Il ne desserre plus ses serres
qui lacèrent et dispersent l’espoir
comme la détresse de nos enfants
cognant à mort de la tête
contre des portes inhospitalières
Le Désert rampe
Crampe des cerveaux
au creux du silence des langues
en attente
d’une volonté de vérité et de travail
d’un espace de germination pour l’esprit
Le Désert avilit tout
Le vice se convertit en vertu
le mensonge en prophétie
Le corps évidé de nos fantômes de sable
s’éparpille à ras de pavé
rase les murs fleuris
pour l’aumône des jours saints
et à prix de pacotille
s’offre à l’entrée des hôtels de passe
quand passe la vie
s’exilant de l’Afrique
qui remet au futur
jamais proche
sa renaissance.
Le Désert ensable tout
et les routes se dérobant en croûtes de latérite
sous nos pieds las englués
et nos roues roulant à vide
dans la pâte noire fuligineuse
les routes hésitant vers la lèpre périphérique des banlieues
et vers le lointain agonie
des régions
que harcèlent les guêpes du soleil
sous la vorace ruée des criquets…
Quand j’étais enfant
j’imaginais que toutes les routes conduisaient
au bien
Mon père m’a dit :
fils il y a des routes qui ne mènent à rien
des routes de déroute
des routes de banqueroute
Routes rectilignes comme la juste loi
routes propres paumes aux lignes claires
ouvertes pour la prière et le travail honnête
routes qui montez et descendez les pentes escarpées
routes qui glissez sous le défi des ponts altiers
routes qui enjambez les cours d’eau
sortez mon peuple de la Rumeur et de la Torpeur
éloignez- le du Désert à la gueule de boa
rapprochez-le de Dieu et de toutes les nations
conduisez-le au trésor enfoui au fond des océans
et faîtes qu’il ne s’enlise point dans une saison
aride
lente à se consumer
telle une éternité de damnation
[1] Dans le recueil de poésie, ce poème est sans titre (note de l’auteur). Marouba FALL, Corp d’Eau, extraits, Poésie, Dakar, Ruba Editions, 2010, p. 20-22).