ELEGIE POUR TCHICAYA U TAM’SI
Ethiopiques numéro 50-51
Revue trimestrielle de culture négro-africaine
Nouvelle série-2ème et 3ème trimestres 1988 – volume 5 n°3-4
Ce matin
Du Congo en son linceul de brume
De ton visage de masque d’ébène :
la voix du tam-tam étouffée
comme l’amer cri des trompettes bouchées de Harlem
la civilisation au seuil de la nuit
l’angoisse au creux du crépuscule
le signe d’agonie dans l’espace
l’empreinte du deuil sur le dos du temps
le siècle frappé d’anathèmes
le silence des masques à l’ombre des arbres séculaires
les prières stériles à l’ombre des sanctuaires
les cœurs meurtris en tarissement de sagesse
des nuages de corbeaux
l’augure des espoirs morts
de la floraison
des buissons d’épines
la montée des famines
dans les voix
sans accords
sans échos
des poètes en larmes
des tribuns des ténèbres
des prophètes d’artifices
des visionnaires d’illusions
l’horizon encore lointain de la GRANDE AUBE AFRICAINE !
Ce matin
Du Congo en son linceul de brume
De ton visage de masque d’ébène
De ta voix-oracle
Les signes que peuvent traduire :
le firmament d’étoiles dans l’espace muet
le perpétuel clignotement des lucioles dans la nuit noire
le silence des lacs au cœur des vieilles brousses
les mugissements des eaux du Zambèze sous les palétuviers hantés
les calmes termitières sous le soleil au zénith
le sommeil des volcans
de l’immuable Mayombe
des baobabs millénaires
les montagnes en érosion
les grondements de tonnerre
la crécelle des cauris autour des calebasses
le désordre des cauris dans le van
Ce matin
Du Congo en son linceul de brume
De ton visage de masque d’ébène
De ta voix-oracle :
une patrie-proue pour les peuples de cinq continents
la splendeur du soleil de l’esprit dans le rejaillissement de la vie
l’offrande lyrique des chœurs en liesse
l’Afrique des jours écarlates
les rires-lotus sur les lèvres des enfants
la sève des générations-prodiges
l’aube brillante des nations en allégresse
l’essor viril des hommes tenaces vers des printemps neufs
dans le triomphe des volontés d’acier
dans l’ivresse des fêtes des moissons abondantes
la liberté à tout vent semé
le chant de l’aimé
à tout jamais dansé
à tout jamais tissé
à tout jamais retissé
à tout jamais chanté
par l’initié du clan
par le patriarche à barbe fleurie de sagesse
par des jeunes filles aux cœurs en liesse
Toi :
Zulu parmi les amazulu en procession
Maître des épopées des marches solennelles
Sceptre et pyramide des peuples bantu
Force ébénique ouverte au soleil de mémoire
O TCHICAYA U TAM’SI !