Poésie

REPONSE A UNE ELEGIE

Ethiopiques numéro 50-51

Revue trimestrielle de culture négro-africaine

Nouvelle série-2ème et 3ème trimestres 1988-volume 5 n°3-4

A Léopold Sédar Senghor

au père,

au poète

A Colette SENGHOR

à la mère

Le ciel était encore nu derrière tes yeux de longue saison

mais ton amitié toujours matinale éveillée pleine douce

Et nous parlions de Poésie

Ta voix était profonde et ta langue parée d’oracles

Et d’un pas sans sommeil soudain

lentement tu es revenu du mur des livres

parmi tes tiroirs

Et voilà que tu me tendais ce poème sorti de ton corps

de tes silences encore inachevés

ELEGIE POUR PHILIPPE MAGUILEN

Et tu me reparlais de Poésie

alors que je dérivais hors de moi

parmi la lourde foule vaste et longue et large

en ce soir où le jour s’était joint à la nuit

la nuit à la nuit

– Ne te le rappelle pas ­

Et la douceur qui gelait les heures

et les paroles qui se cherchaient en rase-mottes

et les prières qui verdissaient verticales

et les pleurs et les plaintes qui mûrissent pêle-mêle

Ha !

 

Et j’ai vu le Christ entrer le pas hagard

chuchotant parmi des Dieux poudreux et repentis

Je n’ai pas regardé un seul parmi eux

je n’ai ni hélé ma foi à relever la tête

ni crié à mon cœur de taire ses voix aveugles

ni hurlé à mes mains osées d’assoupir leurs vains élans

face à ceux qui ont d’un Unique Printemps

givré soudain la fleur la plus belle

et hâté l’hiver d’un automne de sève bleue

Mais il faut que l’Arbre garde ses feuilles et ses fruits de perles

 

Et tu me parlais toujours

alors que je nommais ces Dieux jaloux

et Ils baissaient les yeux…

Et je vous regardais père et mère

mont de douleur et de solitude

courtiser encore tard très tard le miracle inaccompli

Mais vous n’avez pas été seuls sur les sommets maudits

il a aussi laissé son corps et son cœur dehors

dans le froid des peines

votre peuple qui pleure l’Enfant-Peuple

et elle était je sais nuit close la mère Colette

ouverte par nulle étoile intrépide

– Qui rallumera ses mains de mère ­

et pleurent encore les pangols sur Philippe Maguilen de Colette Sédar

Philippe Maguilen de nous tous aimés

Philippe Maguilen par ce Pays adopté chéri

Et nous avons tant prié

prier et non pleurer mais prier

car il est Ange parmi les anges

ce jeune Dieu d’aurore

beau et beau et vert et leste

habillé de rosée et serti de contes bleus

Ha ! que me laisse le Poète-père

chanter l’agneau nourri de pétales rares et broutant jardins odorants

Et sa robe était de miel-soleil

de lumière ses sabots.

car l’enclos était doré tressé de tendresses insoumises

et les grelots qui sonnaient à ses pas fleurissaient

la graine de ses ans et menaient le troupeau des séraphins

Ha !

mais veillait comme l’œil ardent d’un aigle

dans la nuit touffue d’hyènes et profonde comme l’envie

le Dieu sombre qui but raide la flamme violente de la sève

et la flamme n’était qu’une

et la sève n’était qu’une

et la fleur n’était qu’une

cette fleur qui ne naît pas toutes les saisons

et qui naît une fois

un Jour

où l’instant d’une grâce partagée

l’Amour visite le cœur de tous les êtres

et sourit d’une rare lumière à toute la planète-terre

Et depuis depuis…

Me voilà face à un jardin bien désolé

tenant le rêve blessé au cœur effrité d’un Poète

Mais tu as chanté

car il te fallait chanter pour dire le désert sans horizon de

ta douleur

et tu as de la chute des branches chanté pleuré le fruit calciné

parlé à l’absence qui te giflait debout

qui te giflait assis

qui te giflait couché

et dans ta solitude de flamme et de givre

parmi un cœur de mère répandu

tu as consolé jusqu’à l’écho rayé des espaces nus

ton âme lasse fatiguée mais allumée

Et le ciel osait encore être bleu avec tant de douleur en nous

les oiseaux chanter avec tant de douleur en nous

la terre tourner toujours autour du soleil…

Je sais que les Dieux sont partis sans dire mot

devant l’Ange inerte et souriant Philippe couché dormant

et face à tes regards pieux de père

Mais vois-tu

le Poète a rendu ses ailes à l’Ange

car son Chant est de résurrection

et son Verbe qui régale l’Eternel

a imprimé le Souvenir dans la mémoire de son peuple

Tu pardonneras veux-tu

tu pardonneras aux lances des Dieux

pour avoir déchiré une aube d’étoiles

L’arène était seulement chaude

les danses ouvertes folles

les filles offertes belles et sucrées

le vin doux doux

et Ils ont péché comme les hommes…

Je jure que nous garderons en nous l’Enfant-Peuple

nous prierons pour lui le jour

prierons pour lui la nuit

nous le chanterons dans les heures qui passent

dans les saisons amicales

dans les hivernages de vent

nous le veillerons en nous parmi nous

le reconnaîtrons parmi nos rêves

nous marcherons avec lui

danserons avec lui

et il demeurera parmi les vagues fraîches du matin

dans le chant lointain des coqs

la joie des moissons

Tu le sais

il est gravé dans les gestes des jeunes filles qui l’aimèrent

et rêvèrent de ce Dieu d’argent et d’or

sitôt né sitôt météore

Et le chœur crevé des nubiles

traîne encore en lambeaux de voix pâles

sur les chemins sans pas des amours qui ne reviendront plus

Nous parlerons à la mère

la noire la blanche Normande sénégalaise

Je sais sa souffrance sans nom

son chagrin repu sa peine touffue

mais je sais sa foi solide

et l’amour du Poète sur elle autour d’elle réveillé tenace

veillé d’incomparable tendresse

Et tu berces encore caché derrière les alizés l’enfant du

miracle-trompeur

et la mère infinie dorlotte encore l’ange

dans le regard lointain du père foudroyé d’automne mûr

Et les nuits ont succédé aux nuits sans le jour

mais d’invite est le ciel

et je voudrais tant rallumer avec vous la route du bonheur jadis

Chaudes sont les étoiles

et je voudrais tant réchauffer avec vous l’âtre glacé des cœurs

Il faudra encore se tenir les mains les yeux

les visages les regards partager les gestes les pas

Revoilà les jardins qui se parent à haut parfum

et chaque fleur belle nomme l’Enfant PHILIPPE

Qu’on veille sur les soirs

car il est là qui revient parmi les divins parfums

caresser vos âges

et face à la mer

debout à vos fronts

il revient toujours faire taire les noirs souvenirs

parler à vos silences

marcher le long de vos longues absences

et balbutier à la pierre tenace de vos mélancolies

l’heure du roulis

pour qu’à doses d’herbes douces renaisse la pelouse des promesses

Je sais que le bel oiseau voltige

dans les fonds bleus des ruisseaux clairs

et que le moineau chante en des nuits fines

Le feu soleillera de vos cœurs qui neigent

et vous reparleront de nouveau les mandolines et les orgues bleues

et je reverrais l’incendie de vos yeux

quand vous réhabiliterez le temps prochain de l’oubli

Seront déjà crevés vos regards longtemps accoudé à la moiteur

des sables

crevé la lumière rouge et noire pareille au sang de ce soir-là

Vous réapprendrez alors à regarder le ciel

à sourire aux fleurs

à croire au jour

à siroter l’amour

Moi

je vous aime à ciel ouvert

et à la mère Colette je voudrais tant rendre le soir laineux des

couchers de soleil et de rosiers parmi le jasmin

et les pas jadis faciles de l’Enfant plus adorant que

la mangue du sud

plus présent que la Terre

Je sais belle et apaisante la voix du Dieu-Enfant

qui savait si doux tirer le rideau du sommeil

sur les paupières tardives de la Normande d’or

Depuis…

que de soleils raides comme des glaives d’argent

labourent le chant lointain de ses yeux…

Et tu as tant veillé

tu as tant veillé toi aussi mon Poète ma préférence

père étonné de douleur massive

pris de doute dévorant

et priant des Dieux qui ont osé

laisser la rose se coucher dans les bras boueux de la mère terre

Moi

hier

ce matin et cet après-midi

encore j’ai dessiné encore une rose

Et il a plu

et la terre était de voix douce

et le ciel facile croustillant d’oiseaux bleus

Alors j’ai prié

pour PHILIPPE MAGUILEN SENGHOR

Lui sera aussi douce que tes mains de mère COLETTE

et tendre comme jamais le regard de SEDAR

la terre sénégalaise…

Amadou Lamine SALL né le 26 mars 1951 à Kaolack, Sénégal Léopold Sédar SENGHOR, présentant l’Anthologie des poètes du Sénégal dit de lui : « (…) Amadou Lamine SALL, le plus doué parmi la deuxième génération des poètes sénégalais de langue française ».

L’auteur a publié en 1979 son premier recueil sous la forme d’un seul et long poème « MANTE DES AURORES ».

Poème réédité en 1984.

Son second recueil paraît en 1982 : «  COMME UN ICEBERG EN FLAMMES ». Ce poème obtient la même année le Second Prix International de Poésie Claude SERNET à Rodez, en France.

Les deux recueils de Amadou Lamine SALL ont été traduits en néerlandais. Ils ont également fait l’objet de plusieurs représentations théâtrales au Sénégal et particulièrement en Belgique. Son second recueil est inscrit au programme de Licence d’expression française au « Départment of Modern Languages FOURAH BA y COLLEGE » de l’Université de Freetown en République de Sierra-Léone. En 1988 paraît son troisième recueil : « LOCATAIRE DU NEANT ».

Ancien élève de l’Institut français de presse à Paris, licencié de Sociologie, titulaire d’une maîtrise en Information et Communication. licencié ès-Lettres, diplômé de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris, Amadou Lamine SALL est conseiller auprès du Ministère de la Culture.

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