Philosophie, sociologie, anthropologie

DE LA NÉGRITUDE SENGHORIENNE À L’IVOIRITÉ : LES LOUVOIEMENTS INQUIÉTANTS D’UNE IDENTITÉ INQUIÈTE

Ethiopiques n°89.

Littérature, philosophie et art

2ème semestre 2012

Les Européens sont venus en Afrique se montrer différents des Africains dans la violence du bruit des armes. Ils installent la douleur du fer, métal malfaisant, dans les chairs nègres. Ils ouvrent de graves blessures métaphysiques dans les esprits, accompagnées de toutes sortes de bousculades morales. Ils encastrent le ressentiment dans le cœur des Africains en leur appliquant toutes les variances de l’humiliation. L’humanité africaine ne rencontre alors l’humanité blanche que dans la douleur différenciante qui refuse toute différence du dissemblable. Pour emprunter à la médecine l’une de ses pratiques raidissantes, l’Africain est soumis à l’épreuve du formol qui le vide de toutes les eaux vivifiantes qui l’irriguent de l’intérieur afin de mieux contrôler sa conservation. Le corps ainsi desséché ne peut plus héberger une identité particularisante. Il est désigné des noms, tous aussi secs que desséchants, de cadavre, de dépouille, de corps. L’individu perd du coup son état civil pour devenir anonyme. Il n’a plus rien qui lui soit propre : ni nom, ni identité. Telle est la situation informe de l’Africain que la négritude et l’ivoirité tentent de réanimer par insufflation d’une identité identifiante dans son être. Restauratrices des identités perdues, la négritude et l’ivoirité sont contemporaines aussi bien dans leurs actes de naissance, dans les aspects pluriels de leurs animateurs que dans leurs idées et objectifs. Coïncidence dans le temps mais aussi concordance des raisons : l’effort de redressement de la dignité de l’Africain en vue d’un développement durable du continent africain. Cependant, si les ambitions plus vastes de la négritude couvrent toute la race noire, celles, plus modestes de l’ivoirité, sont centrées sur le formatage de l’Ivoirien. Pour s’être placées aux confluences du culturel, du politique et de l’économique, la négritude senghorienne et l’ivoirité légitiment un certain nombre d’interrogations : comment la négritude peut-elle se dire comme valeurs raciales spécifiques quand Senghor la pose comme rencontre avec l’universel qui exclut toute spécification ? N’est-ce pas cette même imprécision qui se dit comme louvoiement qui s’observe dans l’ivoirité qui zigzague entre culture et politique avec un foisonnement de sens ? Qu’est-ce que l’ivoirité dit de nouveau ou différemment pour se particulariser dans ce combat qui lui est commun avec la négritude ? Le déroulement de cette problématique s’organise autour de deux grands axes. Le premier se propose de servir de clé pour ouvrir le sens des missions conjointes de la négritude senghorienne et de l’ivoirité. Le second va apprécier les louvoiements qui piègent les résultats attendus de ces deux entités.

  1. LE SENS DES MISSIONS CONJOINTES DE LA NEGRITUDE SENGHORIENNE ET DE L’IVOIRITE

La négritude de Senghor et l’ivoirité rouvrent l’histoire récente de l’Afrique marquée par le tragique de la perte de l’identité qui fait que les Africains ne sont plus eux-mêmes. Ils sont eux-mêmes devenus différents. Leur identité incertaine les conduit à vaciller dans tous les sens où ils se perçoivent le plus souvent en négatif. Procéder à une redéfinition autonome de soi devient une exigence pour lever les doutes plombants afin que l’Africain puisse mieux refléter la multiculturalité qui est la sienne aujourd’hui.

La négritude de Senghor pour la restauration de l’identité nègre déchirée par une histoire incisive

 

Le noble prénom sérère Sédar de Senghor est prédestinal. Il contient dans ses plis les traits de caractères qui vont dessiner les orientations futures de Léopold. Sauf à être sourd au langage silencieux des symboles qui savent parler aux hommes sans dire mot, Sédar disait déjà ce que nous savons aujourd’hui de Senghor dont l’étude occupe d’importantes intelligences de toutes spécialités. En signifiant celui « qu’on ne peut humilier ou qui ne vivra jamais à genoux ; celui qui ne sera jamais couvert de honte, que la bassesse humaine ne traînera jamais dans la fange de la honte », Sédar annonçait aux Sérères son combat futur pour la liberté sans pouvoir leur dire quelle forme il prendra ni quand et où il aura lieu. C’est Léopold, que la mission historique de Sédar a conduit en études de fermentation en France pour l’accomplissement de son destin, qui suggère, sans le dire, que ce combat n’est pas temporaire. Il a lieu toutes les fois qu’il y a des atteintes aux droits et libertés des hommes, comme c’est le cas avec la mise à genoux de toute une race, la race noire. Il n’est donc pas étonnant qu’il soit, avec ses amis Aimé Césaire et Léon Gontran Damas, à la naissance comme à l’approfondissement du mouvement de libération et d’insertion historique du Nègre qu’est la Négritude. En effet, la négritude traduit la réponse exprimée par ces trois personnalités intellectuelles africaines ou de souche africaine face au désespoir d’un horizon illisible avec la menace de dissolution de leur culture d’origine et de leur être distinctif. Ce mot qu’ils ont lancé dans les années 1930 sonne comme une provocation à visée subversive. Il vise à provoquer une révolution avec effet immédiat par le rassemblement des Noirs de tous les horizons du monde dans une communauté de destin d’humiliés pour dire de concert et à haute voix leur être nègre différent qu’ils tiennent à assumer dans la fierté retrouvée. Autrement dit, sous ce concept de négritude se retrouvent tous les Noirs éparpillés de par le monde, mais unis par le même destin. Ces trois penseurs de l’audace se savent des hommes comme tout autre homme. Ils manifestent par conséquent la volonté d’être soi-même et de s’épanouir en tant que soi dans la différence reconnue et respectée. Ainsi ils demandent légitimement à être reconnus comme des Noirs héritiers d’une brillante civilisation. La naissance et l’être de la négritude se fondent ainsi sur l’évidence que toute société a sa civilisation originale et riche de sa différence d’avec les autres. Senghor, qui veut faire briller le Nègre à la face du monde comme du diamant, conçoit la civilisation comme la manière pour un peuple d’aborder les problèmes qu’il rencontre dans son existence en vue de leur apporter les solutions adéquates. On peut ainsi le lire affirmant, dans une allure philosophique, que la civilisation se fonde « sur une métaphysique, sur une ontologie, et sur un esprit (…) Elle est fille de la race, de la géographie et de l’histoire, qui expliquent les façons de sentir, de penser et d’agir de chaque groupe humain » [2]. Cette décantation du sens de la civilisation vise à élaguer les préjugés massifs qui frappent les peuples noirs d’Afrique et les poussent dans les marges de l’humanité consciente. Cette démarche à caractère de réhabilitation aboutit nécessairement à la définition de la négritude chez Senghor comme « l’ensemble des valeurs de civilisation du monde noir telles qu’elles s’expriment dans la vie, les institutions et dans les œuvres des Noirs » [3]. Déjà, dans Liberté 1, le premier de la série des cinq tomes de son œuvre Liberté, un regroupement d’articles, de conférences, de discours autour de l’avenir politique et culturel des nations africaines, dans une sorte d’approfondissement ou d’explicitation du sens du mot, Senghor faisait cette précision :

« Pour nous, notre souci, notre unique souci a été de l’assurer, cette négritude, en la vivant, et, l’ayant vécue, d’en approfondir le sens. Pour la présenter au monde, comme une pierre d’angle dans l’édification de la Civilisation de l’Universel, qui sera l’œuvre commune de toutes les civilisations » [4].

Cette expression « une pierre d’angle » contenue dans le discours de Senghor sonne comme une sorte de prophétie dont la lettre se rencontrait déjà dans les Écritures Saintes. Chacun de nous ne connaîtrait-il pas le passage de la Bible où il est écrit que « la pierre dont les maçons ne voulaient pas est maintenant la pierre principale, la pierre de l’angle » [5] ? Commentant cette image biblique, le professeur Dibi Kouadio Augustin montre que

« L’angle a un côté horizontal et un côté vertical. De la sorte, il est un point de rencontre ; il est ce qui, de la discrétion de sa présence et du rien apparent de son poids, supporte la pression de la construction, afin qu’elle ne s’écroule pas » [6].

Pour montrer combien est devenue destinale la pierre d’abord rejetée, le psaume cité ajoute ceci : « Cela vient du Seigneur. Pour nous, c’est une merveille ». Parlant de ce passage des Écritures, le Christ lui-même souligne que « celui qui tombera sur cette pierre s’y brisera » [7]. Cette image architecturale exprime métaphoriquement la destinée culturelle de la négritude. Les Nègres, la pierre d’abord rejetée par les bâtisseurs de civilisation, sont devenus angulaires par la suite pour cette civilisation. Tous ces Nègres que la civilisation européenne exclut hier loin de son horizon, dans l’exil de l’indifférence et de la haine, sont aujourd’hui au cœur de la civilisation du monde comme éléments revitalisants. Celui qui, par réflexe féodal, veut les banaliser se retrouve lui-même banal, c’est-à-dire qu’à son être manque de la profondeur qui fonde tout être. Réduit à sa seule surface, il s’efface de lui-même dans l’indifférence de son propre mépris des autres. À voir l’empressement des uns et des autres à emprunter la destination Afrique pour une raison ou une autre, comment ne pas sentir que la bienveillance amicale du destin fait subtilement signe aux desiderata de la négritude ?

La négritude de Senghor est une révolte contre l’homme blanc, un refus de se laisser assimiler et une affirmation de soi. En un mot, elle est l’affirmation d’une négation, c’est-à-dire le refus de se perdre dans l’Autre qui ne sera véritablement Autre pour moi que s’il me reconnaît et m’accepte comme un Autre que lui. Car le soi ne dit sereinement son soi qu’en face d’un autre soi qui connaît sa valeur de soi. Si Senghor veut se débarrasser de ses « vêtements d’emprunts » pour vivre sa négritude dans son entièreté, il sait cependant qu’il n’est pas tout entier Nègre, qu’il est un mélange de Nègre et de Blanc, de Sénégalais et de Français. Il est conscient que sa négritude n’est pas la négritude des sources où le Noir vivait sans aliénation dans le ‘’Royaume d’enfance’’, époque où il vivait heureux dans son lointain village, hors du contact des Européens [8]. Il est un agrégé en grammaire française, un académicien qui a vécu à Paris, a épousé une Blanche. En même temps que ces déterminations françaises, il est un Sérère de Joal et le président de la République du Sénégal. Il n’est pas que l’une ou l’autre de ces déterminations spatio-culturelles ; il est à la fois le tout de ces déterminations qui définissent son identité. C’est de cela que parle Lilyan Kesteloot évoquant la bi-culturalité de Léopold Sédar Senghor qui revendique de façon égale aussi bien sa négritude que sa francité. Senghor lui-même n’a pas manqué de souligner toute l’énergie qu’il a déployée à la défense conjointe des deux éléments déterminants de son identité culturelle. Il écrit à cet effet : « … pendant les quinze années de mon mandat, renouvelé, j’ai continué de me battre et pour la Négritude, et pour la Francophonie » [9]. La confirmation de l’évidence de l’hybridisme culturel assumé de Senghor est consignée dans les Mémoires d’espoir du général de Gaulle qui consacre quelques lignes à l’homme. Certaines de ces lignes à nous rapportées par le Journal Le Monde révèlent que Senghor « était aussi fier de sa négritude que de sa culture française » [10]. Comme on peut le constater, Senghor est un passeur entre deux cultures. Il est un Africain francophone, imprégné d’autres cultures à la confluence desquelles s’élabore son statut culturel et se renforce sa personnalité politique. Armand Guibert, l’un de ses biographes, écrit à ce propos :

« S’il unit dans une commune admiration Claudel et les griots de son pays, Saint John Perse et les ménestrels américains, c’est qu’il a une conception œcuménique de l’homme et qu’il entend ne laisser aucune richesse tomber en déshérence. De même s’il a toujours su en politique se maintenir à la crête de la vague, c’est au faîte de sa double culture qu’il s’est haussé et qu’il se tient » [11].

Il a assumé toutes ces références avec une telle aisance qu’on a du mal à les dissocier ou à établir entre elles un ordre de prédominance. Il est donc de son siècle dont l’une des réalités irréfutables est la compénétration des peuples et de leurs cultures. À ce titre il sait que pour être véritablement lui-même, il lui faut incarner sa négritude dans les termes dans lesquels le monde d’aujourd’hui se dit. Le prévenant Senghor le sachant inscrit la négritude au programme des civilisations comme possibilité de changement et capacité d’adaptation. C’est ainsi qu’il insiste sur la négritude comme instance universelle, comme « la civilisation du donner et du recevoir » [12] Sa poésie, essentiellement symboliste, est construite sur l’espoir de créer une Civilisation de l’Universel fédérant les cultures par-delà leurs différences. À l’image de son être hybride, sa poésie évoque la complémentarité des valeurs civilisationnelles de tous les peuples du monde, à quelque latitude qu’ils se situent. Bien qu’elle soit un instrument de libération, la négritude ne se donne pas à voir comme un espace d’isolement, d’éloignement des autres cultures. Il n’est pas non plus question pour elle d’ignorer, de haïr ou de mépriser les autres civilisations qui ont autre chose à dire ou qui disent autrement la civilisation de l’universel sans mentir. Elle entre plutôt en relation de courtoisie avec elles pour construire un monde à visage authentiquement humain parce que formé de l’apport de tous les peuples du monde. La négritude, quoique raciale, n’est donc pas un racisme. Senghor le sait bien qui définit sa contribution à la civilisation de l’universel par la rencontre, l’interaction et le métissage des grandes civilisations et non l’affrontement. Ce dessein fédérateur est aussi celui qui anime l’ivoirité qui produira l’effet inverse en partant de la rencontre à la désunion des peuples. L’inquiétante ivoirité face à une identité inquiète

Le concept d’ivoirité est un pluriel qui se joue du singulier. Il revendique plusieurs actes de naissance portant chacun un nom de géniteur particulier. Au sujet de cette naissance, plusieurs dates sont avancées dont certaines la font contemporaine de la négritude : « Le concept d’ivoirité est apparu en 1945 à Dakar, avec des étudiants ivoiriens » [13]. De façon improbable, la même source dit : « Il semblerait même que le président Senghor l’ait utilisé dans les années 1970, lors d’une visite effectuée auprès de son homologue, le président Houphouët Boigny ». Le contenu de sens que Senghor lui affectait dans son discours en fait une louange du miracle ivoirien issu du brassage, en Côte d’Ivoire, d’éléments issus de toutes les populations de la sous-région, contribuant à créer sur place une situation de melting-pot, sur laquelle bien des sociétés du continent auraient dû prendre exemple. Cette situation contribuait énormément au rayonnement économique du pays en termes de production et de prospérité. Mais l’origine la plus probable du mot est celle qui débute son aventure culturelle avec Niangoranh Porquet, car elle laisse des traces écrites scientifiquement exploitables. « Le mot et l’idée naissent dans les années 70. Pour être plus précis, nous disons que le mot ‘’ivoirité’’ est né en 1974, créé par Pierre Niava parlant de l’œuvre et du projet d’un jeune intellectuel, Niangoranh Porquet » [14]. Ce mot est alors né sous la plume de Pierre Niava et dans la bouche de Niangoranh Porquet. Dans la perception de ce dernier, l’ivoirité est seulement et essentiellement culturelle. Elle est ce que les Ivoiriens proposent comme valeurs spécifiques au rendez-vous du donner et du recevoir convoqué par la négritude de Senghor. Dans cette période d’éveil culturel, il estime normal que les Ivoiriens marquent leur spécificité en suivant les exemples de la théorie de l’authenticité proposée par le Zaïre de Mobutu et du High Life du Ghana de Nkrumah. Pour Niangoranh Porquet, l’ivoirité est la part des Ivoiriens à la construction culturelle de l’Afrique et du monde. Elle s’appuie sur l’idée de promotion des cultures et productions nationales. L’ivoirité est ainsi un mode d’être, de se comporter, de vivre ; une façon de s’habiller, de manger, de danser. Le disant, nous pensons, entre autres, aux maquis qui sont des espaces de restauration et de beuveries à l’ivoirienne ; à l’Attiéké, à l’Alloco qui sont des mets spécifiquement ivoiriens consommés à la première lettre de l’alphabet français ; au Ziglibity, au Zaouly, au Ziguéhi, au Zoblazo, au Zogoda, au Zouglou dans lesquels l’Ivoirien chante et danse en Z ou en dernière lettre. De façon amusante, on pourrait dire que la Côte d’Ivoire se met à table en A et se divertit en Z comme pour amener les deux bouts de l’alphabet français à se communiquer les richesses culturelles dont ils sont porteurs. L’ivoirité apparaît ainsi comme l’expression de la personnalité culturelle originale propre à la Côte d’Ivoire. Elle s’exprime par la voix de la griotique qui est son noyau. Niangoranh Porquet rapporté par Serjona dit ceci :

« Nous voulons à travers la griotique une rencontre à nous, à partir de nos éléments à nous. Universalisme d’accord mais griotisme d’abord…La griotique renferme le griotisme qui est africanité saine, ce qui nous permet d’apporter assurément une voix originale au concert culturel des nations du monde » [15].

La griotique est une expression dramatique dans laquelle s’intègrent, de manière méthodique et harmonieuse, le verbe et le chant, la mimique et le gestuel, la musique et la danse, la littérature et l’histoire des Africains. C’est, en somme, un théâtre total ou un art complet. Elle se dit comme point de convergence de la tradition et de la modernité. L’esthétique de la griotique est inspirée de l’art pratiqué par le griot et est tournée vers tous les genres. Le griot est un conteur, un acteur, un musicien, un chanteur et un danseur. Le griot est le « Djeli » de la langue Bambara, « une de ces belles langues que nous affectionnons tous » [16]. Homme de paradoxes, le griot est le conciliateur des contradictions. Il est le maître des cérémonies civiles, religieuses et militaires. Son importante fonction sociale fait de lui un personnage incontournable. Chargé de transmettre les généalogies et les traditions historiques d’une famille ou d’une dynastie, il contribue à leur renommée en répandant leurs louanges. L’ivoirité promue par la griotique de Niangoranh Porquet est le versant culturel d’une identité soucieuse de participer à une œuvre de création culturelle. En dehors de quelques intérêts universitaires sporadiques, cette ivoirité va être abandonnée à elle-même de 1974 à 1994 avant de recevoir un nouveau souffle avec Henri Konan Bédié en 1995.

Pour de nombreux Ivoiriens et observateurs étrangers, l’ivoirité est un nouveau concept dont le président Bédié est le concepteur. Lui-même, dans ses propos, s’en attribue la paternité par omission du créateur du concept : « Remarquons que H.K. Bédié ne mentionne point le nom de Niangoranh Porquet. Il fait comme si le mot ivoirité ne préexistait pas à sa forge » [17]. En réalité, si le mot ivoirité a une courte histoire qui commence avec Bédié en 1995, il a un long passé qui remonte jusqu’aux étudiants ivoiriens de Dakar en 1945. C’est donc « à tort, par ignorance et peut-être par malveillance politicienne, qu’on fait remonter la naissance de l’ivoirité au président Henri Konan Bédié » (ibid., p.14). Avec le président Bédié, candidat à sa propre succession, l’ivoirité devient politique et sonne comme l’écho endogène de l’ivoirité exprimée par Senghor de façon enveloppée. Dans son discours programme du 26 août 1995 à la convention de son Parti (le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire) à Yamoussoukro, le candidat fait du concept de l’ivoirité le lieu de convergence de tous les enjeux de ses propositions construites autour du « progrès pour tous » et du « bonheur pour chacun ». Et l’enjeu crucial qui s’en dégage est celui de l’articulation de l’identité culturelle ivoirienne avec la nécessité du développement, voire de la survie de la Côte d’Ivoire dans la mondialisation. Posée de cette façon, l’ivoirité signifie participation à un projet de construction d’un État moderne où l’on ne raisonne plus en termes de ressortissants du Nord, du Sud, de l’Est ou de l’Ouest, ni de musulmans, de chrétiens ou de bossonistes, mais simplement en termes d’Ivoiriens. Dans ce sens, il dit : « Je ne serai pas le candidat d’un seul parti, ni d’une ethnie, ni d’une croyance particulière » [18]. Sous cette forme ouverte, l’ivoirité en appelle à la conscience citoyenne des Ivoiriens invités à tisser avec sérieux et patience la personnalité sociale, culturelle et économique d’une Côte d’Ivoire toujours plus ouverte sur le monde. Elle appelle à l’élan national. La systématisation de l’idée d’ivoirité se trouve encore mieux élaborée dans le texte de Les chemins de ma vie, où Bédié fait état d’une synthèse culturelle féconde. Prêtons attention à ses propos

« Lorsque nous avons voulu trouver une formule qui évoque la synthèse culturelle entre les ethnies habitant la Côte d’Ivoire, nous nous sommes référés à la géographie et nous avons forgé l’’’ivoirité’’ qui souligne la qualité de qui est ivoirien, au sens culturel et identitaire. Mais nous aurions pu, tout aussi bien, choisir le mot ‘’ivoiritude’’ » [19].

Il explique, en outre, que les engagements qu’il prend devant le peuple « conduisent aux portes du futur (…) portes que nous devons nécessairement ouvrir » [20]. Mais sur quel ailleurs ouvrent-elles : le paradis ou l’enfer ? En s’en tenant aux projets du candidat, on se porte à croire que si ces portes n’ouvrent pas sur le paradis, elles ferment au moins celles de l’enfer.

Le programme présidentiel du candidat Bédié est construit autour de la réponse à cette question perspectiviste fondamentale : « Que sera la Côte d’Ivoire dans trente ans ? » (Frédéric Dorce : 60). De son propre aveu, l’objectif final de son projet de société est « en une génération de réussir la modernisation de nos villages, de nos quartiers et surtout, de nos communautés rurales » (Frédéric Dorce, ibid.). Autrement dit, la Côte d’Ivoire est appelée à devenir autre que ce qu’elle est en ce moment. Elle doit cesser d’être ce qu’elle est pour devenir ce qu’elle pourrait être et qu’elle n’est pas encore, à savoir « une nouvelle société ». La nouveauté de cette société ne se trouve pas dans la superposition d’une autre Côte d’Ivoire de création récente à celle qui existe déjà, mais dans l’amélioration qualitative de la même qui ne sera plus la même désormais. Dans la belle initiative de l’ivoirité, « cette nouvelle société vise à faire de la Côte d’Ivoire une nation unie, plus solidaire et plus homogène » (Frédéric Dorce, ibid.). Les idées de Bédié gagnent encore en précision quand il écrit : « Ce que nous poursuivons, c’est bien évidemment l’affirmation de notre personnalité culturelle, l’épanouissement de l’homme ivoirien dans ce qui fait sa spécificité, ce que l’on peut appeler son ivoirité » [21]. L’ivoirité, telle que déclinée ici, concerne tous les peuples enracinés en Côte d’Ivoire, c’est-à-dire les Ivoiriens eux-mêmes ainsi que tous ceux qui vivent et partagent ses valeurs avec, pour finalité, l’émergence d’une identité nouvelle. À bien lire entre les lignes, on s’aperçoit que l’ivoirité de Bédié se décline comme la reprise systématisée des ivoirités de Senghor et de Niangoranh Porquet. Le surprenant c’est cet épais silence qui a maintenu l’ivoirité culturelle de Niangoranh Porquet dans un long sommeil comateux à une époque marquée par l’affirmation des identités culturelles que l’on voit fleurir un peu partout aux États-Unis, en Europe et même en Afrique. Pourquoi cette ivoirité griotique, née au moment où se posait la question de l’identité culturelle comme facteur de développement, n’a pas retenu l’attention des politiciens ? Pourquoi, à une période où l’Unesco lance la décennie du développement culturel (1988-1997) [22], l’État ivoirien n’a pas fait avec la griotique ce que la Guinée a réussi avec le groupe Bembeya ? Par quelle amnésie paralysante l’ivoirité réveillée en 1995 par Bédié a-t-elle réussi à ne pas garder mémoire de son passé griotique ? Sans aller à la réponse à ces questions, nous relevons que l’ivoirité originelle et culturelle de la griotique, en dehors de quelques débats techniques sur les finalités de l’art et de la culture, n’a pas fait l’objet de critiques dissolvantes. Elle n’a posé de problèmes à personne. En revanche, l’ivoirité louvoyante de Bédié, plus politique que culturelle, « va être à l’origine d’interminables palabres. Elle va être attaquée, souvent injustement, avec des a priori. C’est elle qui est proposée le plus souvent par des intellectuels faisant office d’hommes politiques ou par des hommes politiques se prenant pour des intellectuels » (Boa Thiémélé Ramsès : 15).

De façon récapitulative, nous notons que la négritude de Senghor s’inquiète de l’être de l’identité déchiquetée de l’homme noir humilié à travers le monde. L’ivoirité est inquiète du devenir de l’identité ivoirienne non encore consistante dans un monde déjà constitué. Mais en même temps que cela, la négritude et l’ivoirité inquiètent cette même identité qu’elles veulent asseoir en inquiétant les identités particulières qui doivent la constituer comme richesse raciale ou nationale. Leur inquiétude devient ‘’inquiétance’’, car en s’inquiétant de l’intégrité de la race ou de la nation, elles s’inquiètent désormais d’elles-mêmes parce que menacées de part en part aussi bien par leurs défenseurs que par leurs détracteurs. Autant elles sont inquiètes de leur sort, autant elles sont inquiétantes pour celui des identités qui n’arrivent plus à se différencier sans être soupçonnées de subversion ou d’exclusion. Leurs incessants louvoiements sont à la base d’un tel sabordage qui effrite tout résultat.

  1. LES LOUVOIEMENTS CORROSIFS DE LA NEGRITUDE ET DE L’IVOIRITE

Le terme louvoiement vient du verbe louvoyer. L’expertise du dictionnaire Littré de 1880 remontant aux origines du mot louvoyer le fait voir comme admettant un sens propre et un sens figuré. Au sens propre, ce terme de la marine veut dire « porter le cap d’un côté, et puis revirer de l’autre, pour ménager un vent contraire et ne pas s’éloigner de la route qu’on veut tenir ». Sur ce sens de souche étymologique se lève un autre, figuré, qui le montre comme le fait de « prendre des détours pour arriver à un but où l’on ne peut aller directement ». Dans ce sens connoté comme dans celui dénoté, le verbe louvoyer signifie « aller à la manière des loups » qui consiste à ne pas marcher de façon rectiligne en suivant une ligne droite dans la poursuite d’un but. Il s’agit de prendre une voie indirecte ou détournée pour atteindre un objectif. Le louvoiement consiste ainsi à se déplacer en changeant constamment de direction ou en prenant toujours une nouvelle direction. Il est de ce fait une démarche sécuritaire qui permet de s’écarter du danger ou d’en triompher en évitant de l’aborder frontalement. Mais quel est ce but auquel la négritude et l’ivoirité ne peuvent pas accéder directement sans détours ? Quel est ce vent contraire qui leur impose la nécessité d’une manœuvre qui évite le parcours en ligne droite ? Ces louvoiements ne sont-ils pas l’indice inquiétant qui alerte que quelque chose ne tient pas droit dans leur démarche respective ? Les louvoiements de la négritude et de l’ivoirité ne se disent pas dans les mêmes termes. Si ceux de la négritude portent essentiellement sur la copulation négritude-francité, ceux de l’ivoirité concernent fondamentalement l’articulation du concept à des ambitions politiques de tous ordres qui créent tous les désordres.

Senghor : entre la négritude de Sédar et la francité de Léopold —– Pour ses partisans, Léopold Sédar Senghor est le symbole de la coopération entre la France et ses anciennes colonies. Pour ses détracteurs, en revanche, il est l’incarnation du néo-colonialisme français en Afrique. Les louvoiements ou ambiguïtés de la négritude de Senghor sont nombreuses et portent essentiellement, d’une part, sur sa connivence avouée avec la francité et, d’autre part, sur l’exclusivité nègre de l’émotion. Dans le silence du sévère réquisitoire dressé par Stanislas Adotevi contre la négritude dans Négritude et négrologues que le lecteur connaît assez bien déjà pour qu’on le lui serve encore en réchauffé, nous tentons une autre approche qui ne sera pas nécessairement innovante. Sur le premier point, on note que la mixité culturelle qui fait la force de Senghor est aussi le point par lequel il dit sa faiblesse et se fait fragile. Par ses louvoiements, Senghor donne des bâtons pour se faire battre. Mais afin de permettre au lecteur de comprendre que Senghor ne va pas être battu à tort, nous rappelons en une ligne les éléments cardinaux de sa négritude telle que nous venons de l’exposer. Pour l’essentiel, la négritude senghorienne se dit en trois moments. Elle est d’abord une réconciliation des Nègres avec eux-mêmes à travers le monde ; ensuite une affirmation de leur singularité identitaire ; enfin une reprise en main de leur propre destin. En se définissant comme souci de réveiller le Noir à la grandeur de soi et d’attirer l’attention du monde sur son humanité intrinsèque, la négritude se détermine comme une « arme de combat pour la décolonisation » (Léopold Sédar Senghor, Liberté 3 : 91). Le mot « décolonisation » signale la dimension politique du combat de la négritude. Elle se lit dans la foi inébranlable de Senghor aux vertus progressistes du fédéralisme d’États dont il est un fervent défenseur et qui reste pour lui le seul instrument politique qui puisse permettre la rencontre et le métissage harmonieux des cultures que défend la négritude. Mais si la solution de l’État unitaire a sa préférence, il ne l’envisage pas cependant sur le style intégral de Nkrumah qui penche pour une intégration continentale immédiate. Il se prononce pour une unité progressive, réalisée pas à pas avec les Unions régionales : l’Afrique du nord, l’Afrique occidentale, l’Afrique orientale, en attendant que soit libérée l’Afrique du Sud. C’est dans cet esprit de fédéralisme qu’il s’est engagé à former avec Modibo Keïta l’éphémère fédération du Mali avec l’ancien Soudan français. Senghor poursuit cette politique d’intégration des États par le vaste détour de l’idéal francophone, un espace à la fois politique, social et économique fondé par des politiciens de métier : Hamani Diori, président du Niger, Habib Bourguiba, président de la Tunisie et Nordom Sihanouk, président du Cambodge. Dans l’entendement de Senghor, la francophonie doit être une réalité linguistique plurielle que chaque spécificité culturelle plie à sa volonté créatrice. Langue de culture, le français est soumis à un renouvellement continu par invention ininterrompue des formes d’expression inouïes comme le nouchi en Côte d’Ivoire, qui est une espèce de créole local. Selon Senghor, il est « question de se servir de ce merveilleux outil, trouvé dans les décombres du Régime colonial » qu’est le français pour exprimer notre authenticité de métis culturels et d’hommes du 20ème siècle. Comme on peut le constater, la négritude senghorienne s’est développée dans tous les sens : culturel avec Damas et Césaire, politique avec Modibo Kéita du Mali et politico-socio-économique avec Hamani Diori, Habib Bourguiba de la Tunisie et Nordom Sihanouk. Cette expansion excessive qui rime avec un manque de délimitation des missions de la négritude constitue l’un des points de louvoiement et un élément de critique contre Senghor.

En se penchant avec sérénité sur le discours négritudien de Senghor, on peut remarquer qu’il est fait de cartésianisme et de bergsonisme, marque de sa francité. Sa forme tient de Descartes et son contenu relève de Bergson. En posant la négritude à la fois comme enracinement dans les valeurs africaines du passé et contribution au monde de l’universel, Senghor reconnaît que le Nègre est un homme comme n’importe lequel des hommes que l’on pourrait rencontrer dans quelque partie du monde que ce soit. Comme Descartes ouvrant son Discours de la méthode, il admet que

« le bon sens est la chose du monde la mieux partagée, car chacun pense en être si bien pourvu que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont » [23].

Pour rappel, le bon sens dont l’autre nom est la raison chez Descartes est la lumière naturelle qui permet à l’homme de voir et d’apprécier en rendant visible ce qu’il y a à voir. C’est pourquoi il l’investit de sa confiance dans le procès de connaissance des êtres et des choses. Tout comme le révolutionnaire Descartes qui pense que l’on peut trouver une philosophie pratique

« par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, (…), nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la Nature » (René Descartes, Discours de la méthode : 73).

Senghor se place dans une perspective révolutionnaire en faisant de la négritude la synthèse harmonieuse de la civilisation ancestrale et des apports étrangers, particulièrement technoscientifiques, qui permettront à l’Afrique de s’adapter au monde moderne en globalisation. De Descartes à Senghor, il y a un même idéal de modernisation des savoirs, par la science pour le premier et par le métissage culturel pour le second.

Mais si Descartes et Senghor reconnaissent que la raison est une dans son être, ils la savent aussi plurielle dans son application, car les expériences humaines qu’elle structure sont solidaires de la culture de chaque société. Et c’est à ce niveau que la teneur bergsonienne du message de Senghor se perçoit mieux. En effet, l’inspiration bergsonienne de Senghor se manifeste dans plusieurs de ses déclarations, à commencer par la plus critiquée d’entre toutes : « La raison est hellène et l’émotion est nègre ». En avouant ne pas savoir rendre compte de la spécificité du Nègre autrement que par l’émotion, Senghor semble confirmer les gardiens de la doxa occidentale comme Hegel, Heidegger, Lévy Brühl qui font de la raison le partage exclusif de l’Occident impérialiste. Si cette compréhension n’est pas à éluder, une autre qui rapproche Senghor de Bergson veut voir dans l’émotion le mode privilégié d’accès à la connaissance directe qui efface entre le sujet connaissant et l’objet à connaître l’interposition asséchante et falsificatrice des mots. L’émotion qu’évoque Senghor comme trait fondamental des rapports du Nègre avec le monde a reçu un traitement philosophique avec Bergson. Avec ce philosophe, « l’émotion originale et unique, née d’une coïncidence entre l’auteur et son sujet, c’est-à-dire une intuition » [24] peut expliquer le réel en parcourant toutes ses composantes. L’intuition, selon Bergson, est la coïncidence entre le connaissant et le connu, ce qui exclut toute forme d’intermédiaire. Elle cherche à être fidèle aux faits avec, pour souci majeur, de progresser de la probabilité à la certitude. Une écoute attentive de cette intuition permet de comprendre qu’elle a sa source dans une émotion particulière dite émotion créatrice. Mot par mot, Bergson indique que « création signifie, avant tout, émotion » (Henri Bergson : 42). La création est le fait d’un être qui ‘’donne’’ ou qui fait être une existence, comme le font les artistes dans l’âme desquels surgit l’émotion qui les guide dans la production des œuvres. Mais si Bergson caractérise cette intuition d’émotion créatrice, c’est pour la distinguer de l’émotion sentimentale avec laquelle elle a tendance à se confondre. Alors que l’émotion sentimentale est une émotion sensible, l’émotion créatrice est intelligence et donc rationnelle. On peut ainsi comprendre facilement que ceux des critiques qui se sont attaqués à l’émotion de Senghor s’en sont tenus visiblement à l’émotion sentimentale. Dans la logique de l’émotion créatrice de Bergson, l’émotion comme catégorie essentielle de connaissance chez Senghor se lit avec netteté dans Liberté 2 :

« Au contraire de l’Européen classique, le Négro-africain ne se distingue de l’objet, il ne le tient pas à distance, il ne le regarde pas, il ne l’analyse pas (…). Il le touche, il le palpe, il le sent. Le Négro-africain est un de ces vers du troisième jour, un pur champ de sensations. C’est dans sa subjectivité, au bout de ses organes sensoriels, de ses antennes d’insecte, qu’il découvre l’autre (…). Il n’assimile pas, il s’assimile » [25].

En parlant de la sorte, Senghor relève que le Nègre ne se satisfait pas des spéculations métaphysiques. Il apprend bien et communique mieux, non pas par la monstration ou par la démonstration, mais plus efficacement encore par la sensation. Cette modalité particulière de connaissance par l’émotion que Senghor veut rendre explicite au lecteur par la métaphore de l’insecte permet ainsi au Nègre de dépasser l’intellectualisme de l’Européen classique pour s’ouvrir davantage à l’intuition afin de saisir le sens véritable des choses. Ce particularisme nègre est cependant lourd d’inquiétudes de divers ordres. Les idées, le vocabulaire qui les expriment, l’allusion au règne animal sont solidaires pour faire entendre autre chose que le message qui est censé véhiculer. On pourrait même se demander quel est l’impensé de l’opposition faite entre « l’Européen classique » et le « Négro-africain’’ dans un contexte de dépréciation du Nègre. Aurait-on affaire à deux humanités sans commune mesure ? Senghor n’est-il pas, volontairement ou involontairement, en train de louvoyer et de ruiner les idées de grandeur du Négro-africain qu’il se propose de promouvoir à travers la Négritude ? Que reste-t-il de Négritude à la démarche ou aux idées de Senghor ?

Ces différentes interrogations visent à faire ressortir que ce n’est pas toujours ce qu’on veut sauver qui est défendu dans ce qu’on dit. Sinon on a véritablement du mal à saisir Senghor, surtout quand du constat de la différence entre les civilisations européenne et négro-africaine, il conclut à la stérilité et à la fixité de la dernière :

« Le défaut majeur de l’Afrique, du moins du Négro-africain, est d’accorder plus de place à l’intuition qu’à la raison discursive, plus à l’intention qu’à l’acte, plus au présent et au passé qu’à l’avenir. Sa faiblesse est d’être émotion, élan d’amour plus que volonté réfléchie (…) mais aussi sa répugnance au progrès, sa stagnation dans un univers intemporel (…) ce qui frappe l’observateur européen, c’est combien la civilisation négro-africaine est indifférente au succès » (Senghor, Léopold Sédar, Liberté 2 :150-151).

Avec Senghor, le Nègre semble avoir une essence particulière et définitive. Ainsi, la Négritude de Senghor devient l’indépassable philosophie de la temporalité du Nègre, ce qui valide Towa dont la critique fait de la Négritude senghorienne l’idéologie officielle du néocolonialisme. Loin de promouvoir l’épanouissement du Négro-africain, Senghor en devient le bourreau assermenté. Pour Towa, la démarche de Senghor autorise tous les comportements préjudiciables à la dignité et à la liberté des Africains de la part des Africains eux-mêmes. « C’est au nom de notre être distinctif, de la négritude senghorienne que sont organisés un peu partout en Afrique des régimes ‘’ démocratiques’’ où un seul est libre et décide de tout selon son bon plaisir, des régimes où règne la ‘’ liberté ‘’, mais sans possibilité de contestation » (ibid. : 55). Cette négritude particularisante fonde des comportements spécifiques dits « africains ». On en repère facilement un dans l’attitude dommageable des responsables politiques du continent, tous formés en Occident, qui éprouvent le besoin, comme cela se faisait dans les cours royales africaines, de s’entourer de leurs proches parents jusqu’à la limite du népotisme, si ce n’est le népotisme lui-même déjà. Ils s’en accommodent bien dans la gestion du pouvoir d’État, même si cela est en totale contradiction avec les principes démocratiques qu’ils affirment et proclament tout haut. Dans la conception de ces Africains négritisés à la façon de Senghor, le chef, image de l’autorité, est appelé à s’octroyer toutes les richesses du pays. La fin de son règne est déterminée par la fin de sa vie : il meurt nécessairement au pouvoir. À ce niveau Senghor a montré du génie politique en partant du pouvoir d’État sénégalais avec élégance, au moment où ses collègues présidents se mettent encore sur starting-block pour des mandats anachroniques. Sagesse africaine du Sérère ou lucidité hellène du Français ? Avec Senghor, la gérontocratie, valeur de civilisation nègre, aura su aller au- delà de soi. En disant la civilisation de l’universel par l’exemple, la négritude senghorienne pourrait adopter comme slogan : « Apprendre à se dépasser, c’est la seule course qui ne finit jamais ». Et même mort, Senghor n’a pas encore cessé de courir avec la négritude qui prend des formes et des tons dans le temps.

Senghor aurait certainement eu l’intuition assez tôt, ce qui était difficilement accessible en son temps, que la négritude est le meilleur moyen de sauver le Nègre de la mort culturelle qui guette avec la mondialisation à laquelle nous sommes soumis de gré ou de force. Si elle est diversement perçue, c’est certainement parce qu’elle pose un pont facile et fragile entre la France et le Nègre et entre le culturel et le politique, comme c’est le cas de l’ivoirité qui se pose en métaphysique de la différence de l’Ivoirien.

Les mauvaises ruses de l’ivoirité avec elle-même et avec la Côte d‘Ivoire

Tout comme la négritude, la naissance de l’ivoirité est suscitée par un contexte de fragilité culturelle. Culturelle à l’origine avec Niangoranh Porquet, l’ivoirité connut une version politique très controversée avec Bédié et qui est évoquée de façon récurrente comme la source de tous les malheurs qui menacent de dissoudre l’être de la Côte d’Ivoire. Ainsi, parler avec profondeur de l’ivoirité nécessite qu’on relève certaines ambiguïtés. Dans cet ordre, nous entendons entrer dans le désordre conceptuel créé par les louvoiements de cette idéologie de spécification culturelle et d’identification politique pour faire la part des choses. Cela est d’ailleurs recommandé par la philosophie à laquelle nous sommes redevables d’admettre la recevabilité de notre propos dans son champ, car elle est un discours qui se donne comme exigence première la clarté du dire. Cette exigence de clarté réclamée par la philosophie nous somme de clarifier les termes porteurs de l’essentiel du sens de notre discours. Suivant cette consigne de clarification qui confère à tout discours sa recevabilité, nous convoquons la notion d’ivoirité pour lui demander d’exposer sur son vrai sens et justifier par la même occasion le sens de ses louvoiements. Dans cet exercice de vérité, rien n’échappera à notre vigilance critique. Nous rappelons que si le mot ivoirité est un, il est cependant traversé par diverses sortes d’esprits animés par des intentions toutes aussi diverses. Ainsi, il est facile de constater que l’être, tout comme l’extrait de naissance de l’ivoirité, fait problème. L’ivoirité politique de Bédié se veut un concept fédérateur qui fait un du divers qui, s’il reste un divers inorganisé, risque de menacer la cohésion nationale par la méconnaissance de la richesse contenue dans la diversité. Mais elle surgit dans un contexte surchargé d’intentions polémiques et belliqueuses dans lequel chaque acteur politique tient des discours pour s’embellir et enlaidir l’adversaire, ce que regrette Boa Thiémélé qui relève que

« Le développement politique de l’ivoirité est contemporain de plusieurs débats et de certains événements sociaux qui vont rejaillir sur la nature même du concept. La réception de la version politique de l’ivoirité a lieu dans un contexte particulièrement idéologique, voire démagogique : l’entrée d’Alassane Dramane Ouattara sur la scène politique, puis les questions sur ses origines et sa nationalité à partir de 1990 ; le problème du vote des étrangers. En 1994, le Pdci-Rda cède aux revendications des partis de l’opposition et la loi n°94-642 du 13 décembre 1994 portant Code électoral réserve les élections aux seuls Ivoiriens ; l’instauration de la carte de séjour par Alassane Dramane Ouattara, alors premier ministre, et son exploitation par des policiers et des éléments des forces de sécurité véreux, avides d’argent mal acquis. Ils vont faire la chasse aux étrangers » [26].

Voilà les ingrédients explosifs sur lesquels chacun des principaux acteurs politiques nationaux va vouloir surfer avec succès. Il s’agit de Bédié, Gbagbo et Ouattara qui poussent l’ivoirité à ruser dangereusement avec elle-même et avec la vie de la nation ivoirienne.

Pour amener le peuple à adhérer à son projet de société, le candidat Bédié joue délibérément sur la fibre nationaliste. Pour s’innocenter, il s’appuie sur le nouveau code électoral endossé par le Front Populaire Ivoirien de Laurent Gbagbo qui donne à l’ivoirité une consécration constitutionnelle et la carte de séjour instaurée par Alassane Ouattara qui lui sert de quitus politique. Ces deux figures politiques citées sont les plus farouches opposants à son régime. Il se sert de leurs initiatives respectives pour les salir d’abord et les détruire ensuite. Mais qui est l’étranger visé par le code électoral et la carte de séjour pour des populations ayant une ‘’conscience tribale’’ forte, pour des peuples qui voient leur ethnicité avant leur nationalité ? Dans un contexte où la mauvaise foi est salutaire, l’étranger devient difficile à appréhender. Selon l’esprit des textes, c’est le non-Ivoirien. Pour les individus à la compréhension des subtilités juridiques réduite, c’est l’allochtone et pour les « puristes » d’entre les tenants de l’ivoirité, c’est celui qui n’est pas de mon bord politique. Dans une telle imprécision conceptuelle, en 1995,

« Des Ivoiriens ont été empêchés de voter dans certaines régions où, ayant fait une interprétation très large de l’étranger, les autochtones y ont inclus les Ivoiriens venus des autres régions. Pis encore, certaines populations ont dû abandonner leurs régions d’accueil pour retourner à leur région natale » [27]. En des termes affirmatifs, Séri Bailly veut dire par là que l’ivoirité est ordonnée à la mise à l’écart de ceux contre qui on ne veut pas compétir. Ce rejet facilité par la « méfiance identitaire » ajoute à une différence ethnique une différence de religion. Il aboutit à un sentiment d’exclusion des populations du nord, notamment les Malinkés dont Alassane Ouattara se fait le souffre-douleur. En 1999, il déclare dans des médias internationaux, pour en récolter les retombées politiques, qu’il est en butte à des problèmes d’éligibilité à cause de sa religion musulmane : « On ne veut pas que je sois président parce que je suis musulman et nordiste ». La dimension religieuse de l’ivoirité est ainsi apparue avec l’ancien Premier ministre Alassane Dramane Ouattara qui cristallise, « à son corps défendant autour de sa personne à la fois les Ivoiriens du nord de la Côte d’Ivoire et la plupart des musulmans » [28]. Cette identification est d’autant plus facile qu’il ya « un transfert réciproque de sentiments de persécution entre le candidat Ado, des musulmans et des nordistes. Cet amalgame mêlait malheureusement des éléments inflammables comme la religion, l’ethnie et la politique » [29]. Victime présumée de l’ivoirité, Alassane Ouattara s’en sert à son tour, à travers le mécanisme du chantage émotionnel, pour s’allier et s’aliéner les populations du Nord et les musulmans en quête d’un leader charismatique pour rétablir leur citoyenneté dégradée. Dans sa dangerosité supposée, l’ivoirité n’est pas étrangère à la naissance de la rébellion venue du nord le 19 septembre 2002. C’est donc un concept à manier avec délicatesse, car il est très ancré dans les consciences individuelles et collectives.

Pour accentuer le trouble du jeu des sorciers autour de l’ivoirité, Laurent Gbagbo, au pouvoir en 2001, applique sans restriction ce code électoral litigieux qui conduit à éliminer Alasane Ouattara des élections législatives. Il se blanchit avec l’argument que ce code est adopté « par une Assemblée aux ordres (elle ne compte qu’une vingtaine des députés de l’opposition… » [30] et issue du PDCI de Konan Bédié. La rédaction de la nouvelle Constitution sous la transition militaire du général Robert Guéi en 2000 montrera que la thèse de l’ivoirité est savamment exploitée par le FPI de Laurent Gbagbo. Ses cadres qui siègent dans les commissions font du lobbying de proximité pour le maintien de tous les alinéas de l’article 35 portant élection à la présidence de la République. Le FPI les sait litigieux et Laurent Gbagbo les qualifiera en 2010 de confligènes et se propose de les soumettre à modification après sa réélection. Stratégie de campagne ou réalisme politique ? Pourquoi attendre de faire après réélection ce que l’élection de 2000 aurait pu permettre de faire ? Les aliénas 5 et 7 disent respectivement : le candidat « doit être Ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes Ivoiriens d’origine ; Il ne doit s’être jamais prévalu d’une autre nationalité ». Lors du Forum pour la réconciliation nationale en 2001, Laurent Gbagbo avouera que cet article avait été mis dans la Constitution pour régler le cas Ouattara. Le président du RDR sera tout naturellement privé de présidentielle en octobre 2000 et de législatives en 2001. Désormais, pour avoir le droit de prétendre à la carte nationale d`identité, il faut retourner dans son village où tout le monde n’est pas sûr d’être connu par les villageois, car il y a de nombreuses personnes qui sont nées hors de chez ‘’elles’’ sans y mettre le pied une seule fois. Elles considèrent à juste titre ce village comme celui de papa ou de maman, jamais le leur. En février 2010, au cours de l’élaboration des listes électorales, la famille politique de Gbagbo ordonne la radiation de plusieurs électeurs présumés étrangers. Ces 430.000 personnes aux origines « douteuses » seraient insidieusement inscrites sur la liste que la Commission Électorale Indépendante est en train d’établir pour les élections prévues pour la fin de l’année. La duplicité des politiciens est ainsi assez claire : tous veulent recueillir les dividendes de l’ivoirité, mais personne ne la revendique comme pourvoyeuse de bien-être personnel. Alors que l’ivoirité est indexée comme un loup qui se présente sous les traits d’un être innocent et inoffensif, « dans un moment de lucidité propre à ceux qui sont au seuil de la mort, le FPI a produit un merveilleux opus de vérité » [42] (Boa Thiémélé Ramsès, L’ivoirité et l’unité de la Côte d’Ivoire, inédit, p.42) qui dédouane le concept du signe indien dont on l’affuble. Ce texte produit dans l’objectivité du secret de l’écrit avoue :

« Qu’il s’agisse du code de la nationalité, du statut des étrangers, du processus d’identification des personnes, de la question de l’éligibilité à la présidence de la République ou encore de la loi sur le foncier rural, rien ne permet d’affirmer l’existence d’un quelconque lien avec le concept d’ivoirité » [43] (Mémorandum du Front Populaire Ivoirien présenté à la Table Ronde de Paris-Marcoussis tenue du 15 au 24 janvier 2003 in Le Nouveau Réveil du vendredi 14 novembre 2003, p.3).

Pourtant, devant ses militants et les médias, le FPI ne manque pas de soutenir que l’ivoirité participe à la fragilisation du tissu social du pays par l’exclusion de certains Ivoiriens du jeu politique. Sous ce double langage se perçoit la politique de la dissimulation de la vérité et de l’information qui prospère aussi bien au PDCI qu’au RDR. En privé on tient un discours de vérité et en public un autre, à usage électoral, est servi au peuple. C’est la pratique du camouflage qui maintient volontairement le peuple dans l’ignorance pour mieux l’abuser.

Tous les politiciens de tous les bords ont abusé du concept de l’ivoirité pour en tirer parti. Seul le peuple en est véritablement l’unique et grande victime. Henri Konan Bédié, qui dit l’avoir conçue, connaît bien l’objectif culturel fédérateur qu’il lui a assigné, mais il l’a détournée politiquement pour en tirer profit. Au bilan, il eut le pouvoir d’État en 1995, après avoir poussé hors bord ses deux adversaires, et connut la disgrâce en 1999 suite au coup d’État du général Gueï Robert. Alassane Ouattara, qui pourrait bien connaître l’objectif unificateur de l’ivoirité, l’a aussi manipulée dans un sens discriminatoire en vue d’en récolter les dividendes politiques avec un résultat mitigé : il connut les pires humiliations depuis 1995 et recueillit le pouvoir d’État en 2010. Laurent Gbagbo pourrait bien connaître les missions intégratives de l’ivoirité ; mais en politicien stratège, il a rusé avec elle pour s’attirer ses faveurs. Au bout du compte, il s’installe au pouvoir en 2000 après avoir accepté d’aller aux élections avec seulement le putschiste général Guéi pour connaître enfin la déchéance en 2010 suite à des élections ouvertes. Chacun a louvoyé avec l’ivoirité et l’ivoirité a donné à chacun son onction et sa sanction négative. Les seuls perdants sont la Côte d’Ivoire et son peuple qui attendaient de se réconcilier avec eux-mêmes grâce aux vertus purificatrices et unificatrices de l’ivoirité. Malheureusement, le pays à genoux en 1995 se retrouve couché en 2000 pour être finalement détruit dans son corps et dans son âme en 2010. Ce qui en reste de peuple se retrouve en lambeaux sans âme. Mais les politiciens ont-ils seulement tiré les leçons de leurs manœuvres pour atteindre un objectif politique qui peut bien se passer de manœuvres ou louvoiements ?

CONCLUSION

Le destin de la négritude et de l’ivoirité est celui d’une idée grandiose qui n’a pas réussi à concrétiser les intentions positives de leurs créateurs. Il est également le destin d’une idée mal comprise parce que mal présentée. Leurs propres louvoiements ne sont pas étrangers au sort en ballotage qui est le leur. Ces louvoiements ont fortement contribué à les discréditer en tant que concepts culturels et fédérateurs. Mais la logique de ces deux entités n’est pas à inscrire sur le même plan horizontal. Senghor refuse de faire de la négritude un ghetto culturel en l’envisageant comme une digestion réussie des apports étrangers par le Nègre. Aussi place-t-il la culture avant la politique dans le déploiement de la négritude. C’est l’inverse qui s’observe avec l’ivoirité qui place la politique avant la culture. C’est la raison pour laquelle elle a été sortie du cadre culturel de son créateur Niangoranh Porquet et articulée à des visées politiques par le candidat-président Henri Konan Bédié. Devenue politique, elle est livrée à la manipulation de tous les hommes politiques aux intentions diverses dans un milieu malsain. L’ivoirité qui devrait unir les Ivoiriens les a au contraire divisés et, par-delà eux, l’Afrique et le monde, car la récente grave crise postélectorale qu’a connue la Côte d’Ivoire et qui trouve en elle l’une de ces causes a fortement contribué à agrandir les fissures déjà nombreuses de l’Union Africaine et à accroître les dissensions internes de l’ONU.

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[1] Université de Bouaké, Côte d’Ivoire.

[2] SENGHOR, Léopold Sédar, Liberté 3 : Négritude et civilisation de l’universel, discours, conférences, Paris, Seuil, 1977, p.90.

[3] SENGHOR, Léopold Sédar, Liberté 3.

[4] SENGHOR, Léopold Sédar, Liberté1 : Négritude et humanisme, discours, conférences, Paris, Seuil, 1964.

[5] La Sainte Bible, Psaume 117, 22.

[6] AUGUSTIN, Dibi Kouadio, « La pierre rejetée par les bâtisseurs, devenue angulaire », inédit, p.2.

[7] La Sainte Bible, Mathieu 21, 43-44.

[8] KESTELOOT, Lilyan, Césaire et Senghor. Un pont sur l’Atlantique, Paris, L’Harmattan, 2006.

[9] SENGHOR, Léopold Sédar, Ce que je crois : Négritude, francité et civilisation de l’universel, Paris, Grasset, 1988, p.162.

[10] Le Général DE GAULLE in Le monde, Éditorial, « Leçon de Senghor », 23 décembre 2001.

[11] GUIBERT, Armand, L. S. Senghor, Coll. Poètes d’aujourd’Hui, Paris, Seghers, 1969, p.104.

[12] SENGHOR, Léopold Sédar, Liberté 3, p.90.

[13] Cf. le site http://fr.wikipedia.org/wiki/Ivoiri…. Dernière modification de cette page le 17 avril 2011 à 18 :01.

[14] NIAVA, Pierre, « De la griotique à l’ivoirité », in Fraternité Matin du 21 novembre 1974, p.14.

[15] SERJONA, « Niangoranh Porquet, créateur d’un concept », interview in Fraternité Matin du 17 janvier 1974, p.13.

[16] Niangoranh, S. Porquet, Mariam et griopèmes, Paris, Éditions Pierre Jean Oswald, 1978, p.15.

[17] BOA, Thiémélé Ramsès, L’ivoirité et l’unité de la Côte d’Ivoire, inédit, p.17.

[18] TALLA, Blaise-Pascal, « Henri Konan Bédié, Les artisans de la victoire », in Jeune Afrique Economie : Album, novembre 1995, p.10.

[19] BEDIE, Henri Konan, Les chemins de ma vie, Paris, Plon, 1999, p.44.

[20] DORCE, Frédéric, « Vent de réformes en Côte d’Ivoire », in Jeune Afrique Economie, n°203 du 18 septembre 1995, p.61.

[21] BEDIE, Henri Konan, Le progrès pour tous, le bonheur pour chacun. Oui nous le pouvons. Discours programme. Abidjan, Editions non précisées, 1995, p.38.

[22] UNESCO, L’affirmation de l’identité culturelle et la formation de la conscience nationale dans l’Afrique contemporaine, Paris, Unesco, 1982, 236p.

[23] DESCARTES, René, Discours de la méthode, première partie, Paris, Éditions Fernand Nathan, 1981, p.34.

[24] BERGSON, Henri, Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, PUF, 1995, p.43.

[25] Liberté 2, Nations et voies africaines du socialisme, Paris, Seuil, 1971, p.288.

[26] BOA, Thiémélé Ramsès, L’ivoirité et l’unité de la Côte d’Ivoire, inédit, p.29.

[27] Ibid.].

Injecté dans le débat politique, le vaccin ‘’’ivoirité’’ censé guérir la nation de ses maux sert finalement à régler des problèmes fonciers récurrents avec les allogènes et les allochtones. Il sert aussi à justifier un harcèlement administratif dont sont essentiellement victimes les non-nationaux et les Ivoiriens du nord dont les noms deviennent des éléments de reconnaissance qui exposent à des humiliations pour « nationalité douteuse ». Certains corps habillés, très nombreux du reste, à qui l’ivoirité n’est certainement pas bien expliquée, arrachent et détruisent des pièces d’identité validée par leur hiérarchie. Est-ce une escroquerie ‘’officiellement’’ programmée ou l’option individuelle d’une vaste escroquerie échappant à l’autorité hiérarchique ? Si on peut parler de brebis galeuses, c’est à craindre que la gale ne soit l’habit de l’administration ivoirienne tant les pratiques déviationnistes de ces agents de sécurité sont visibles et couvertes par le silence approbateur de toute la hiérarchie, si elle n’en n’est pas elle-même bénéficiaire. De plus en plus, on parle ouvertement de dérive ethniciste. Ce discours prend corps quand, en 1995 avec Bédié et en 2000 sous le Général Guéi, l’ancien premier ministre Alassane Ouattara, originaire du nord musulman, va être écarté de la présidentielle pour « nationalité douteuse ». Alors qu’en 1995 le président-candidat Bédié affirme la main sur le cœur que l’ivoirité n’est dirigée contre personne, le professeur Séri Bailly, un membre influent du FPI, rapporté par le journal Le Libéral, ironise : « Si l’ivoirité ne vise personne, force est de reconnaître qu’elle va atteindre des gens. Si l’on peut atteindre sans viser, n’est-ce pas là une preuve d’adresse ? »[[NIMAGA, Bakary, « De Daoukro à Kumasi, la marche à reculons de l’ivoirité », in Le Libéral, n°324, jeudi 15 avril 1999, p.6.

[28] BOA, Thiémélé Ramsès, L’ivoirité et l’unité de la Côte d’Ivoire, p.24.

[29] KOUASSI, Pascal Z, « La responsabilité des héritiers d’Houphouët », in Le Jour, n°1773 du 18 janvier 2001, p.2.

[30] DUTEIL, Mireille, « Côte d’Ivoire, le gâchis », in Le Point, Hebdomadaire d’information, Samedi 7 octobre 1995, n°1203, p.16.