Poème

DARFOUR

Ethiopiques numéro 75

Littérature, philosophie et art

2ème semestre 2005

C’est un soleil qui saigne dans le vide,

Une plaie plus béante que tous les océans,

C’est une lune basse qui éclaire un charnier,

Un vent mélancolique qui transporte un sanglot

Et qui étouffe un râle…

Darfour,

C’est le regard qui sombre dans la nuit,

Un œil crevé d’enfant qui voit malgré tout

La petite fleur épanouie

Quand la graine a germé entre les lèvres ouvertes

D’une fille d’argile livrée à la terre ;

Darfour,

C’est la parole au tranchant des poignards,

C’est l’oasis de sang en plein cœur du désert

Pour que viennent se désaltérer

Les caravanes de la mort à l’ombre

Des palmiers de souffrance ;

Darfour,

Ce n’est qu’un mot

Prononcé dans le vent à la vitesse de la lumière,

Un mot qui agonise qui déchire et dérange,

Un nom pour maquiller l’indifférence humaine,

Une douleur muette dans les yeux émaciés

D’êtres sans lendemain ;

Darfour,

C’est la folie des marchands de fusil

La déraison des fous et le calvaire des sages,

C’est la souffrance humaine de toute éternité,

C’est une tragédie ;

Darfour,

C’est le mépris de l’homme par l’homme,

C’est la mutilation des mères oubliées,

L’holocauste des martyrs,

C’est l’angoisse des faibles, l’injustice des forts,

C’est la larme de sang qui rougeoie le crépuscule

De l’Afrique oubliée,

La plaie géante parmi toutes les plaies

Que porte un continent torturé par toutes les haines du monde ;

Darfour,

C’est le mot qui n’ose pas frapper

Aux portes de l’Onu,

Aux portes des églises,

Aux portes des palais,

Aux portes des maisons,

Un mot plus solitaire que le mot solitude ;

Darfour,

C’est le rejet ;

Darfour,

C’est le paria,

Un cimetière immense abandonné,

Un simoun de détresse en plein cœur du désert…

Darfour,

C’est un stylo pour briser pour bafouer la parole,

Ce sont des yeux fermés pour cacher la lumière,

Des papiers déchirés pour effacer l’histoire,

C’est un bruit de mitraille, un silence de mort,

Le hurlement perdu d’un chien errant ;

Darfour,

C’est ma blessure, c’est l’Afrique qui agonise

Dans l’indifférence des regards,

C’est la langue coupée pour avorter le cri,

Le sanglot du poète,

C’est la gorge tranchée avec le dernier chant

De justice et de liberté,

C’est le cœur d’un jeune homme qui a cessé de battre

C’est aussi le refus de publier mon chant…