Notes

DANGER PROTECTIONNISME par Christian Megrelis

Ethiopiques numéro 21

revue socialiste

de culture négro-africaine

janvier 1980

Contrairement à ce que le titre du livre pourrait laisser supposer, l’on ne trouve pas ici une défense inconditionnelle du libre-échange.

L’auteur estime que « l’idée a trouvé refuge dans la poussière des bibliothèques où des scolastes l’ont transformée en un jeu mathématique stimulant ».

Ni libre-échange donc, ni non plus protectionnisme : l’un comme l’autre ont pu constituer, à des époques différentes, une solution à un problème limité : le libre-échange a été le support du développement de la puissance britannique au XIX. siècle ; il était d’ailleurs fondé pour l’essentiel sur l’échange inégal. Le protectionnisme, quant à lui, a permis à ceux que l’on appelle aujourd’hui les « néo-industrialisés » (Mexique, Argentine, Brésil) d’entamer, un siècle après l’Europe et l’Amérique, leur processus d’industrialisation.

Enfin la création de la Communauté Economique Européenne a su se fonder sur un dosage subtil des deux notions à savoir un libre-échange entre les pays de la zone stimulée par la protection que constituait, au moins à l’origine, le tarif extérieur commun.

Aujourd’hui l’organisation des relations économiques internationales ne saurait, pour peu que l’on raisonne de façon globale, relever exclusivement de l’une ou l’autre notion. De nouveaux concepts et de nouveaux schémas d’organisation doivent en réalité être mis en forme et être à la mesure de la complexité – assez nouvelle des relations économiques internationales.

La complexité de ces relations est engendrée par l’émergence de nouvelles parties prenantes et par le fait que les échanges ne portent plus seulement sur des marchandises mais aussi sur des flux monétaires et financiers et des transferts technologiques.

L’émergence de nouvelles parties prenantes est le fait majeur des années 1960-1970 : il s’agit tout d’abord du rôle décisif que les pays producteurs de pétrole appelés ici « bloc saoudien » sont appelés à jouer : si les pays industriels doivent s’efforcer de ne pas reporter sur les pays en voie de développement ou les pays nouvellement industrialisés les déficits engendrés chez eux par la facture pétrolière, il revient également au bloc saoudien de « recycler » ses excédents en faisant en sorte que les profits tirés du pétrole ne soient pas seulement placés à court terme dans les banques occidentales mais aussi réinvestis à moyen terme dans des projets industriels situés notamment dans les pays du Tiers-Monde.

Les nouvelles parties prenantes, ce sont aussi les pays néo-industriels (Brésil, Mexique, Asie du Sud-Est) qui, pour conforter un tissu industriel encore fragile, ont un besoin vital d’exporter et se heurtent souvent dans leur effort au protectionnisme vigilant des pays industriels, comme d’ailleurs, des pays en voie de développement.

Ainsi la partie ne se joue plus seulement à deux (pays industriels et pays en voie de développement) mais à quatre. L’évolution récente de la Chine et la dépendance financière et technologique croissante, vis-à-vis de l’occident, du bloc socialiste, justifient d’ailleurs que l’on mentionne un cinquième, voire un sixième partenaire.

Le second facteur de complexité des relations économiques internationales réside dans le fait que les échanges commerciaux sont de plus en plus liés au contexte monétaire, à l’organisation des flux financiers ainsi qu’aux transferts de technologie.

C’est en se fondant sur cette interdépendance que des schémas d’organisation des échanges pour le futur doivent être recherchés.

Il s’agit tout d’abord, et l’auteur a raison de le souligner, de rendre les pays en voie de développement plus solvables : le meilleur moyen d’atteindre cet objectif est de payer leurs matières premières au juste prix. Cette proposition, notons le, est d’autant plus méritoire que l’auteur a, au niveau de l’analyse, tendance à sous estimer les effets de la détérioration des termes de l’échange.

Il s’agit ensuite de corriger les flux financiers révélateurs des déséquilibres actuels : modérer le déficit chronique de la balance commerciale américaine générateur à terme d’une crise monétaire mondiale, recycler dans une optique productive les « pétro-dollars ».

Il s’agit enfin de limiter, essentiellement au niveau des pays industrialisés, les tentations d’un néo-prote,ctionnisme afin de laisser la place qui leur revient aux pays nouvellement industrialisés.

L’auteur a raison de souligner que la Convention de Lomé, qui règle à la fois les échanges commerciaux, les conditions de l’aide au développement et la stabilisation des prix des matières premières, constitue un bon exemple de ce qui peut être fait et préfigure ce que pourrait être une « communauté de développement » associant pays industriels, néo-industriels et en voie de développement.

Excellente introduction technique aux problèmes des relations économiques internationales, cet ouvrage présente toutefois, pour l’essentiel, le point de vue d’un représentant – certes ouvert – du monde occidental et industriel : ainsi l’égalisation des niveaux des vies entre les habitants des différentes parties de la planète apparaît-elle moins comme un objectif que comme une conséquence souhaitable du développement des échanges. Ainsi la division actuelle du monde entre riches et pauvres apparaît-elle ici comme un fait de civilisation, les effets du processus colonial sur l’économie des pays dominés apparaissent en dernière analyse comme secondaires.