CONTES BAMBARA DU MALI DE VERONIKA GÖRÖG P.U.F., PARIS, 1979
Ethiopiques n° 42
Revue trimestrielle de culture négro-africaine
3e trimestre 1985 volume III n°3
Voici deux ouvrages ou plutôt trois (car l’édition PUF est doublée d’une autre en version bambara qui voyage seule) consacrée au corpus des contes bambara oraux qui sont innombrables. Ceci n’est donc qu’un échantillon, mais déjà exemplaire du genre du n’siriin (leeb en ouolof, Tinndol en Peul) si populaire dans les veillées villageoises.
Il faut savoir gré aux auteurs d’avoir recueilli ces récits chez des « mères », alors qu’à Bamako ils eussent pu être tentés d’enregistrer plutôt un griot prestigieux comme Baba Cissoko, véritable vedette, qui s’est approprié ces contes, les rallonge et les farcit d’extrapolations pour les grands délices des auditeurs de la radio.
Se méfiant de ces manipulations brillantes, Madame Görög a préféré des femmes dont c’est traditionnellement l’apanage et qui lui ont restitué ces récits avec une authenticité et une simplicité toutes rurales – Le père Meyer lui aussi s’est adressé à des anonymes de ces campagnes de Sikasso, de Tambacounda (Sénégal), et si l’on ne distingue point de hiatus entre le corpus de la ville et celui des champs, cela est dû je pense au niveau de culture sensiblement identique des locuteurs, quelque soit leur lieu de résidence. Cela est dû ensuite à la grande unité de la culture bambara. Signalons tout de même qu’il existe dans les traditions de conteurs professionnels. « Tale dala » qui sillonnent le pays bambara et qu’une recherche plus approfondie aurait pu découvrir.
Une première chose nous frappe en feuilletant ces pages, c’est la forme des récits : assez courts de deux à six pages, mais entrecoupés de refrains fréquents qui les apparentent à ce que Bélinga identifie aux « chante-fables » chez les Bulu. De plus ces récits sont scandés ; le locuteur bambara les martèle, de telle façon que le transcripteur peut aisément découper la phrase en tronçons inégaux certes mais qui produisent un effet de rythme agréable. Nous avions remarqué le même phénomène dans l’épopée bambara de Ségou [1].
Ici le rythme du refrain et le rythme du récit sont différents et animent tout le texte par leur alternance.
La même forme du conte existe en wolof et en sérère. Mais il nous semble que le chant est plus constamment présent dans ces contes bambara, au point que rares sont les textes qui en sont dépourvus. Alors que dans les récits bedik ou bassari [2], le conte n’est ni rythmé ni chanté.
Deuxième remarque : une sensation de déjà vu. Beaucoup de ces récits brodent sur des thèmes très familiers et les versions du conte des deux filles, des alliés animaux, la fille capricieuse, de l’époux ou de l’épouse génie, du père qui refuse de marier sa fille, de l’enfant artificiel (enfant-igname ou enfant de beurre) qui se promènent dans tout le domaine mandingue, peul et wolof.
D’autres plus rares comme l’Amitié de Mamadi le Noble et Mamadi l’Esclave, et même celui du chasseur abusif et de ses chiens, nous en avons trouvé des doubles en pays wolof comme le conte des deux amis ou encore ce mythe de la chasse et du passage à l’agriculture.
Enfin Sabunyaman qui cultive avec l’aide ambiguë des génies, est aussi un conte sérère très populaire [3]. La mère retrouvée a son doublet plus développé en diola.
Plus spécifiques nous ont paru le Bilakoro et le lionceau, les yeux empruntés, le Héron et le paralytique, les orphelins chassés, les coépouses et les génies de l’eau, les coépouses chienne et poule, et surtout la compétition de beauté.
Qu’est-ce-à-dire sinon que voilà prouvé ce que nous savions déjà : à savoir que les contes voyagent d’une ethnie à l’autre, et qu’il est bien difficile pour certains de déceler leur patrie d’origine.
Mais pourquoi ne sont-ils pas tous voyageurs ? Car enfin ce ne semble pas une question d’intérêt ni de qualité. Ainsi un des plus beaux contes wolof, les deux Saala Ndiaye et la Pintade ne semblent pas avoir d’équivalent dans les ethnies voisines ; de même, ce récit sérère plein de symbolisme sur les messages « chiffrés » que s’envoient l’homme très intelligent et la femme très intelligente. On peut en dire autant de la vengeance de Nguilane et la fille du badolo [4], récits hauts en couleur et certes aussi attrayants que la fille capricieuse.
Mais peut-être notre question est-elle prématurée ? Peut-être pour y répondre faut-il attendre : a) des éditions de contes plus nombreux et systématiquement recueillis afin de couvrir non plus un échantillon mais le gros [5] du corpus ; b) une étude comparative sur les récits ayant des doublets dans les ethnies voisines, et ceux qui n’en n’ont pas ; c) une étude sur les particularités des contes de chaque ethnie, qui n’ont pas voyagé.
On découvrirait peut-être alors les raisons profondes, pour lesquelles ces récits n’ont pas franchi les limites de leur langue et leur culture d’origine. Bref un travail pour l’instant irréalisable.
La troisième remarque que nous ferons sur les jolis récits traduits par V. Görög et le père Meyer, est d’ordre moral. Nous sommes en effet frappés par leur cruauté. L’orphelin brimé ou chassé, l’aveugle volé et tué, la fille dévorée par l’hyène vorace, la famille décimée par le lionceau, l’homme mort dont les femmes se réjouissent, la hargne meurtrière des coépouses, l’abandon du frère infirme par sa sœur aînée… autant d’histoires terribles dites sur un ton léger. L’homme des contes est bien mauvais, à la réflexion, et la moitié de ces récits, plus qu’une morale enseignent la rudesse de l’existence, l’absence de pitié pour le faible, la loi du plus fort triomphante.
Ces contes merveilleux sont en réalité excessivement réalistes, et s’ils éduquent, c’est plus à l’auto-défense qu’à la charité.
N’est-ce pas d’ailleurs une conclusion que fait tout chercheur qui a exploré un grand nombre de contes, et ne s’est pas arrêté à l’orée de cette forêt trompeuse et souriante ?
[1] éd. Nathan, éd. Armand Colin, et Bulletin IFAN 1979.
[2] M. P. Ferry, « Les dits de la nuit », éd. Khartala.
[3] Voir Demb ak tey n° 2, transcrit et traduit par Raphaël Ndiaye.
[4] Contes et Mythes Wolof – éd. N.E.A. Dakar.
[5] éd. Nathan, éd. Armand Colin, et Bulletin IFAN 1979.