Islam et philosophie

AMEER ALI : LE STATUT DE LA FEMME EN ISLAM

Ethiopiques numéros 66-67

Revue négro-africaine

de littérature et de philosophie

1er et 2ème semestres 2001

« Les musulmans souffrent du « mal du présent », comme la jeunesse romantique européenne souffrait du « mal du siècle ».

Fatima Mernissi Le Harem politique. Le Prophète et les femmes. Albin Michel. Paris 1987.p.23.

Dans son ouvrage The spirit of Islam [1] Ameer Ali consacre un impor­tant chapitre au statut de la femme. On semble, en effet, considérer comme un truisme l’affirmation selon laquelle l’Islam est l’un des plus grands responsables de l’oppression des femmes. Une attitude plus conciliante à l’égard de l’Islam consiste à dire que c’est une certaine interprétation de l’Islamique justifient certains passages du Coran et des Traditions – qui conduit à une attitude discriminatoire à l’encontre des femmes.

N’est-ce pas là, la reconnaissance de l’idée selon laquelle se trou­vent dans le texte coranique, tous les éléments conduisant à la subor­dination de la femme à l’homme, à son exclusion de toutes les sphères de la vie publique ?

Pour Ameer Ali, il ne s’agit pas là d’une interprétation possible, mais bien au contraire d’un contresens véritable reposant sur une incapaci­té à saisir le véritable esprit de l’Islam. Méditer sur l’histoire de cette religion, la personnalité et la démarche de son prophète, c’est lire que sa signification profonde c’est la marche de l’homme vers la libération, c’est-à-dire vers la conquête de soi-même et du monde. Or, celle-ci ne saurait s’effectuer en ayant pour fondement la négation de l’humanité de la femme, et de celle de ceux que l’on considère comme des esclaves. La question essentielle qui a conduit l’auteur à de telles posi­tions est la suivante : qu’est – il arrivé au monde islamique pour que la civilisation musulmane ne connaisse plus, comme le signe de l’univer­salité qui la porte, le rayonnement scientifique qui longtemps fut le sien ? La réponse est évidente : l’Islam n’a pas été diversement inter­prété, il a été atteint dans son esprit même. Cette méconnaissance – qui devient alors trahison – de l’esprit de l’Islam est sensible dans tous les domaines de la vie politique, économique, sociale et religieuse, et par­ticulièrement à travers le sort réservé aux femmes. Ameer Ali se propose de montrer que l’Islam ne légifère pas une fois pour toutes.

La polygamie, la réclusion des femmes, l’esclavage qui concerne la femme autant que l’homme, que les circonstances rendaient néces­saires à la naissance de l’Islam, sont en réalité appelés à être interdits. Cette interdiction est le véritable sens de l’Islam.

L’idée de l’auteur s’exprime clairement à travers les propos suivants :

« Ce serait une erreur que de supposer que quelque chose dans la loi tend à la perpétuation de la coutume ». [2]

En d’autres termes, la « loi » n’a ni la rigidité, ni l’immobilité d’une vérité totalement advenue, et donc peu soucieuse des circonstances historiques dans lesquelles les hommes se meuvent lorsqu’ils se débat­tent avec les questions que ces circonstances posent. Mais si la loi a la souplesse de l’« usage », la religion ne risque t-elle pas de se réduire à une pure et simple casuistique, chacun pouvant considérer comme « dépassé », tout ce qui, dans les textes religieux, contredit ses propres désirs.

En allant plus loin, ne peut-on pas voir dans le texte religieux un simple « usage », une manière de vivre, dont nous devons maintenant nous défaire ? Et porter l’argument « à la limite » mènerait à penser que ce ne serait donc pas telle ou telle loi qui serait dépassée, mais le dis­cours religieux lui-même. Nous nous proposons de montrer comment l’auteur répond à ces objections en tenant ferme l’affirmation du carac­tère indépassable de l’Islam et en donnant à son universalité le sens de la capacité du Texte qui le constitue, tout en demeurant le même, de répondre à des questions qui, elles, ne sont jamais les mêmes, liées qu’elles sont aux époques qui les suscitent.

Ameer Ali s’insurge contre la dichotomie extériorité/intériorité, privé/public, qui semble devoir gouverner les rapports homme/femme en Islam, la femme semblant destinée à vivre retirée dans l’intimité du foyer. Pour ce faire, l’auteur a recours à des exemples, en rappelant que des femmes, très proches du Prophète Muhammad, n’ont guère été recluses, bien au contraire. Il rappelle ainsi : « La recommandation du Législateur en ce qui concerne la réclusion des femmes est fortement éclairée par la remarquable protection contre l’absence de liberté ou la réclusion dont les membres de sa famille ont toujours joui » [3]

L’auteur rappelle ainsi les différents rôles joués par l’épouse du Prophète, Aïsha, ou sa fille Fâtima, ou encore sa petite fille Zainab. Est­-ce en contradiction avec cette recommandation du Coran :

« Ô Prophète !

Dis à tes épouses, à tes filles

Et aux femmes des croyants

De se couvrir de leurs voiles :

C’est pour elles le meilleur moyen

De se faire connaître

Et de ne pas être offensées.

– Dieu est celui qui pardonne,

– Il est miséricordieux- »

« Dis aux croyantes :

de baisser leurs regards,

d’être chastes,

de ne montrer que l’extérieur de leurs atours,

de rabattre leurs voiles sur leurs poitrines » [4] ?

Selon Ameer Ali, le désordre moral et social qui régnait à l’époque où l’Islam vit le jour rendait nécessaires ces recommandations. La tâche première de l’Islam était d’introduire des normes, un ordre dans la société. Une fois ce but atteint, non seulement il n’est plus nécessaire d’imposer ces signes distinctifs aux musulmanes, mais la société se prive de la capacité de réflexion et d’action des femmes, en les confi­nant à la sphère du privé et des affaires domestiques. Ainsi, Ameer Ali, écrit les propos suivants, dont une partie a été précédemment citée : « Recommandations faciles à comprendre au milieu du chaos social et moral, auquel il essayait, avec l’aide de Dieu, de mettre bon ordre-sages et bénéfiques injonctions ayant pour objectif la promotion de la décence chez les femmes, l’amélioration de leur manière de se vêtir et de se com­porter, et leur protection contre les affronts. C’est donc une erreur que de supposer qu’il y a quelque chose dans la loi qui tend à la perpétuation de cette coutume » . [5]

Il s’agit, non pas de reléguer les femmes au second plan, mais de commencer par le commencement en leur faisant prendre conscience de leur propre dignité. Elles ne sont ni de simples objets, ni des ani­maux vivants parce que leur père ne s’est pas donné la peine de les enterrer à leur naissance. Avec l’Islam, selon Ameer Ali, le statut de la femme devient celui d’un individu à part entière, d’un sujet ayant accès à la possession. Ameer Ali rappelle que, avant, non seulement la femme ne pouvait pas hériter, mais faisait partie de l’héritage [6].

De même qu’elle a désormais des droits, de même elle a des devoirs envers Dieu, elle-même, et la communauté. Tout comme l’homme. C’est d’ailleurs sur ces droits que s’achève ce chapitre qu’Ameer Ali consacre au statut de la femme. Nous pouvons lire : « Le contrat de mariage ne donne pas à l’époux un pouvoir sur la personne de la femme, excédant les limites de la loi, et pas le moindre sur ses biens et propriétés. Ses droits en tant que mère ne dépendent pas pour être reconnus des idio­-syncrasies de tel ou tel juge. Ses gains acquis à la sueur de son front ne sauraient être dilapidés par un mari dépensier, et elle ne saurait non plus être maltraitée impunément par un être brutal. Elle agit, si sui juris, en toute affaire concernant sa personne ou ses biens, en vertu de son droit individuel, sans l’intervention de son mari ou de son père » [7].

C’est l’ignorance de l’esprit de l’Islam qui conduit les hommes à ne pas respecter ces droits. Ameer Ali poursuit :

« Considéré globalement, son statut n’est pas pire que celui de beau­coup d’Européennes, tandis que sous différents aspects, sa position est nettement meilleure. Sa condition relativement inférieure est le résultat d’un manque de culture de la communauté généralement, plutôt que de quelque trait particulier dans les lois des pères » [8].

C’est cette ignorance qui maintient une pratique qu’en réalité l’Islam interdit : la polygamie.

Si l’immobilité, voire l’immobilisme, devait caractériser le monde musulman, il serait inévitable que la grandeur de la civilisation isla­mique se conjugue exclusivement au passé.

La modernité serait pour elle, non pas un défi intellectuel et scienti­fique à relever, mais une menace pour l’ « ordre » établi une fois pour toutes. Comme si ni le présent, ni le futur n’étaient aussi le présent et le futur de Dieu.

Telle est la position d’Iqbal comme le montre Souleymane Bachir Diagne dans son ouvrage intitulé Islam et société ouverte. La fidélité et le mouvement dans la pensée de Muhammad Iqbal. Pour Iqbal la fidé­lité au texte coranique est dans le mouvement. Le mouvement, montre S.B. Diagne, « n’est donc pas un éloignement des principes et une déper­dition fatale de leur sens premier mais un déploiement créateur de leur signification et, pour ainsi dire, leur approfondissement continu… Contre la conception d’un âge d’or dont le devenir constitue la perte progressive et inéluctable selon l’échelle descendante des générations,…dans la pen­sée d’Iqbal … se rencontre le …refus de penser l’être sur le mode de la nostalgie » (p.94-95).

La nature de l’homme n’est pas figée. Comme dirait Pascal [9], l’hom­me est fait pour l’infinité. Seul l’animal est ce qu’il est une fois pour toutes. Depuis des millénaires, nous dit Pascal, les abeilles construi­sent leurs ruches exactement de la même manière. L’homme en revanche, est inscrit dans le progrès, il se construit dans et par le temps. Ainsi la religion ne parlerait qu’à un homme abstrait, n’existant nulle part, si elle s’adressait au-delà du temps, à un homme supra ou extra temporel. En tenant compte de cela, on comprend qu’aucune loi religieuse n’est établie une fois pour toutes. Et même, une loi peut contenir sa propre interdiction, lorsque celle-ci sera exigée par de nou­velles circonstances. Ainsi, Ameer Ali écrit : « Avec les progrès de la pen­sée, avec les conditions sans cesse changeantes du monde, la nécessité de la polygamie disparaît et sa pratique est abandonnée de manière taci­te ou interdite expressément. Ainsi désormais, dans les pays musulmans dans lesquels sont en train de disparaître les circonstances qui avaient rendu la polygamie nécessaire, avoir plusieurs femmes doit être considéré comme un vice, et comme une institution contraire aux ensei­gnements du Prophète ». [10]

En effet, les circonstances qui avaient rendu nécessaire le maintien de la polygamie avec l’introduction de nouvelles normes, sont de diffé­rents ordres : la supériorité numérique des femmes, la nécessité d’as­surer leur entretien économique… Ce qui explique pourquoi, là où ces circonstances existent, qu’il s’agisse d’une communauté musulmane ou non, la polygamie va nécessairement exister. Ameer Ali n’hésite pas à passer longuement en revue, toutes les contrées dans lesquelles a régné la polygamie [11] : « Eastern nations of Antiquity, Hindus, ancient Medes, Babylonians, Assyrians, Persians, Hebreus, western parts of Europes… » L’Islam n’est donc pas l’inventeur de la polygamie ; il a introduit de l’ordre dans une pratique qui ne dépendait que du bon plaisir des hommes. Et qui saisit l’esprit de l’Islam, comprend que l’introduction de normes dans cette tradition, revient à une interdiction de cette pratique.

Ameer Ali en effet, insiste sur la clause du texte coranique « Epousez, comme il vous plaira, deux, trois ou quatre femmes. Mais si vous craignez de n’être pas équitable, prenez une seule femme ». [12]

Et l’auteur d’analyser le mot « adl » employé pour désigner l’« équité » dans le traitement des épouses. Il souligne le fait qu’« adl » ne désigne pas seulement le traitement équitable du point de vue matériel (habille­ment, logement, etc…) mais aussi celui du cœur, de l’amour, des sen­timents. Or, n’est-il pas impossible d’être équitable en amour ? Un polygame n’a t- il pas toujours sa « préférée » ? Ainsi Ameer Ali conclut de manière catégorique : « Comme une justice sans faille est impossible ? dans le domaine des sentiments, la prescription du Coran équivaut en réalité à une interdiction » [13].

Ameer Ali rappelle que très vite, d’ailleurs, les Mu’tazilite l’ont compris, et ont considéré que le Coran interdit la polygamie et recomman­de la monogamie. Et, de même qu’on ne saurait arrêter la mer avec ses bras, l’évolution historique, de manière nécessaire, va rendre la poly­gamie caduque. Lorsque, du point de vue économique, les femmes pourront s’assumer pleinement, la polygamie perdra son sens. Si l’ignorance des masses assure la survie de cette pratique, seule la force dissuasive d’une loi pourra l’éradiquer. Ameer Ali met ainsi en place l’idée importante selon laquelle les lois ne sont pas une négation de la liberté des hommes, puisqu’elles ne sont en réalité que l’expression des exigences de l’époque. Le législateur ne serait-il pas une sorte de « grand homme » hégélien en qui se réalise l’esprit du temps sous sa forme juridico-politique ?

Si donc l’esprit de l’Islam, en ce qui concerne la polygamie, c’est sa suppression pure et simple, peut-on considérer le prophète Muhammad, polygame, comme un modèle universel pour tout musul­man, quel que soit son siècle ou sa société ? Ne serait-ce pas la porte ouverte à la prolifération d’individus s’autoproclamant les prophètes de leur temps ? Enfin, le Prophète Muhammad n’apparaîtrait-il pas comme un anti-modèle, si la polygamie est considérée maintenant comme une barbarie ?

Ameer Ali ne pouvait ignorer ces questions : « Nous abordons main­tenant la question des mariages de Mahowmed, qui aux yeux de plusieurs personnes ignorantes des faits, ou qui ne font pas preuve de suffisam­ment d’honnêteté dans leur appréciation des faits, semblent offrir un bon motif pour jeter l’opprobre sur le Prophète de l’Islam » [14].

L’auteur rappelle que les Chrétiens parlaient de la « faiblesse de carac­tère » du Prophète [15]. N’a-t-il pas, en épousant plusieurs femmes, légitimé à tout jamais la polygamie et « démontré » l’infériorité et le statut d’objet de la femme ? Le penseur pakistanais nous invite à nous souvenir du fait que Khadidja fut la première épouse du Prophète, et que jusqu’à la mort de Khadidja, le Prophète ne prit aucune autre épouse. Bien des mois après, le Prophète épousa Sauda, la veuve d’un musulman mort en exil et que seul le mariage pouvait protéger de ses poursuivants idolâtres.

Ameer Ali poursuit ainsi l’analyse des différents mariages du Prophète de l’Islam, montrant à chaque fois les circonstances qui les ont déterminés : qu’il s’agisse de protéger une musulmane, ou d’éviter des bains de sang en apaisant par les liens du mariage des tribus rivales…

Le dernier message du Prophète aux musulmans ne les invitait-il pas à veiller sur les femmes ? Ce qui semble montrer que le Prophète avait accompli un grand pas en faveur de la promotion (au sens éty­mologique du terme) des femmes, mais que les fidèles devraient aller plus loin, à la faveur des circonstances. Il ne faut donc ni condamner, ni approuver une pratique sans tenir compte de son inscription dans un contexte historique bien précis. Ce qu’Ameer Ali résume ainsi : « Le mal est un terme relatif. Un acte ou un usage peut être dans les premiers temps assez en accord avec les conceptions morales des sociétés et des individus ; mais les progrès des idées et les changements dans la condi­tion d’un peuple peuvent en faire un mal par leur manière d’agir, et, avec le temps, l’Etat va le déclarer illégal ». [16]

La casuistique ne serait donc qu’une méconnaissance de l’esprit de l’Islam. De même, vouloir pousser la position d’Ameer Ali, au point de la faire basculer dans son contraire, à savoir l’affirmation de la mort de Dieu, relèverait d’un contresens sur la pensée de notre auteur. En effet, soutenir que les idées changent, progressent avec les circonstances, peut sembler autoriser à penser que les circonstances pourront un jour être telles, que c’est le discours religieux lui-même et la foi en l’exis­tence de Dieu qui seront d’un autre âge, en un mot, « dépassés ».

Si nous pouvons parler de dépassement, ce n’est pas le discours reli­gieux lui-même qui peut être dépassé, mais les questions que les hommes lui posent. Encore faut-il prendre garde de ne pas surdéter­miner négativement la notion de « dépassement ». En effet, un homme ne peut poser que les questions de son époque, dictées, déterminées par les circonstances. En ce sens, les questions d’une société plus avancée qu’une autre du point de vue économique, politique, juridique etc., peuvent être considérées comme dépassant celles d’une société moins avancée. Le degré d’avancement d’une société devant se mesu­rer à sa capacité à réaliser la liberté de ses membres, l’esprit de l’Islam étant précisément de conduire l’homme à sa propre libération. Ainsi, même si les questions changent sans cesse, le texte religieux demeure identique, mais porte en lui la capacité à répondre différemment à des questions différentes. C’est ce qui fait son universalité (« universel », dit ainsi Michel Serres, est ce qui « unique, verse pourtant dans tous les sens ») dans tous les sens du terme, et confirme son origine divine.

Toutes ces analyses permettent de dire que le discours religieux est indépassable.

Ce texte d’Ameer Ali nous convie ainsi à penser ensemble l’histoire et la religion.

Et ce, d’une manière différente de celle que propose la démarche hégélienne. Il ne s’agit pas, en effet, de penser l’histoire de la religion, afin de montrer comment, dans et par la nécessité de la dialectique universelle, la Religion- dépassement de l’Art – sera dépassée (Aufhebung) par et dans la Philosophie. Si Ameer Ali pense ensemble la religion islamique et l’histoire, c’est pour démontrer le profond ancrage de la religion dans le progrès, donc dans un processus historique devant conduire à la liberté. Le sens de l’histoire est donc une marche vers le meilleur. Les changements dans les lois religieuses ne sont ni signe d’hérésie, ni signe de décadence, mais expression des exigences d’une époque.

Dans La Préface au traité du vide, Pascal s’interroge sur le respect qu’on doit avoir pour les différentes matières. Il considère que la théo­logie figure au nombre des matières dans lesquelles l’autorité des Anciens est si décisive, qu’il ne faut y apporter aucun changement. Pascal écrit : « Dans les matières où l’on recherche seulement de savoir ce que les auteurs ont écrit, comme dans l’histoire, la géographie,… et surtout dans la théologie, et enfin dans toutes celles qui ont pour princi­pe, ou le fait simple, ou l’institution divine ou humaine, il faut nécessai­rement recourir à leurs livres, puisque tout ce que l’on en peut savoir y est contenu : d’où il est évident que l’on peut en avoir la connaissance entière, et qu’il n’est pas possible d’y rien ajouter ». [17]

Ce reproche que Pascal adresse aux novateurs en religion, ne s’adresse pas à la démarche moderniste d’Ameer Ali dans la mesure où, justement, il ne s’agit ni d’ajouter, ni de retrancher quoi que ce soit au texte. Il s’agit de voir que l’esprit qui l’anime ne cesse de souffler à tra­vers la lettre, pour nous donner, à travers les siècles, les réponses à nos questions. Et cette recherche de l’esprit, Pascal n’est-il pas au nombre de ceux qui en ont fait le nerf de toute leur démarche, lui qui écrit : « Quand la parole de Dieu qui est véritable est fausse littéralement elle est vraie spirituellement… Sede a dextris meis : cela est faux littéralement, donc cela est vrai spirituellement… » [18]

[1] The Spirit of Islam. A History of the Evolution and Ideals of Islâm . With a life of the Prophet. London, Christophers, 1923. p.222 à 257. Ameer Ali est l’un des modernistes indiens les plus connus. Dans son ouvrage d’Histoire de la Philosophie islamique, Majid Fakhry parle d’« un libéralisme romantique d’Ameer Ali ».Il analyse la pensée d’Ameer Ali en disant que celui-ci cherche à montrer que la religion musulmane « est en accord complet avec les tendances de progrès ». (Majid Fakhry. Histoire de la philosophie islamique traduit de l’anglais par Marwan Nasr, éd du Cerf, Paris 1989, p 377.)

[2] The Spirit of Islam. p. 250.

« It is a mistake, therefore, to suppose there is anything in the law which tends to the perpetuation of the custom ».

[3] Considerable light is thrown on the Lawgiver’s recommendation for female privacy, by the remarkable immunity from restraint or seclusion which the members of his family always enjoyed, p.250.

[4] Ibidem. Ô Prophet ! speak to they wives and to they daughters, and to the wives of the Faithful, that they let their wrappers fall low. Thus will they more easily be known, and they will not be affronted. God is indulgent, merciful… And speak to the believing women , that they refrain their looks and observe continence ; and that they display not their ornaments except those which are external, and that they draw their kerchiefs over their bosoms…

[5] Ibidem

« Directions easy to understand in the midst of the social and moral chaos from which he was endeavouring, under God’s guidance, to evolve order’- wise and beneficient injunctions having for their object the promo­tion of decency among women, the improvement of their dress and demeanour, and their protection from insult, it is a mistake, therefore, to suppose there is anything in the law which tends to the perpetuation of the custom »,

[6] Idem,p.227-228.

« Among the settled pagan Arabs, who were mostly influenced by the corrupt and effete civilisation of the neighbouring empires, a woman was considered a mere chattel ; she formed an integral pari of the estate of her husband or her father ; and the widows of a man descended to his son or sons by right of inheritance, as any other portion of his patrimony »

[7] « The contract of marriage gives the man no power over the woman’s person, beyond what the law defines, and none whatever upon her goods and property. Her rights as a mother do not depend for their recogni­tion upon the idiosyncrasies of individual judges. Her earnings acquired by her own exertions cannot be wasted by a prodigal husband, nor can she be ill-treated with impunity by one who is brutal. She acts, if sui juris, in all matters which relate to herself and her property in her own individual right, without the intervention of husband or father ».

[8] Ibidem, « Taken as a whole, her status is not more unfavourable than that of many European women, whil­st in many respects she occupies a decidedly better position. Her comparatively backward condition is the result of a want of culture among the community generally, rather than of any special feature in the laws of the fathers. »

[9] Pascal, Préface au Traité du vide, in Pascal. Œuvres Complètes, Paris, Seuil 1963, p. 231. .. Les ruches des abeilles étaient aussi bien mesurées il y a mille ans qu’aujourd’hui, et chacune d’elles forme cet hexagone aussi exactement la première fois que la dernière. Il n’en est pas de même de l’homme, qui n’est produit que pour l’infinité. Il est dans l’Ignorance au premier âge de sa vie ; mais il s’instruit sans cesse dans son pro­grès…

[10] The Spirit of Islâm p. 230. « With the progress of thought, with the ever-changing conditions of the world, the necessity for polygamy disappears, and its practice is tacitly abandoned or expressly forbidden. And hence it is, that in those Moslem countries where the circumstances which made its existence at first necessary are disappearing, plurality of wives has to be regarded as an evil, and as an institution opposed to the teachings of the Prophet… ».

[11] Idem. cf p.222-228.

[12] Idem. p229. « but If you cannot deal equitably and justly with all, you shall marry only one », Sourate IV Verset3

[13] Ibidem, « As absolute justice in matters of feeling is impossible, the Koranic prescription amounts in reality to a prohibition »

[14] Idem p.232, « We now turn to the subject of Mahommed’s marriages, which to many minds not cognisant of the facts, or not honest enough to appreciate them, seem to offer a fair ground of reproach against the Prophet of Islam ».

[15] Idem p.238-239. Ameer Ali insiste sur le fait que contrairement à l’Islam, le christianisme déprécie le mariage, en raison de l’exemple que le Christ a donné par sa propre vie.

[16] Idem p238 « Evills a relative tenu. An act or usage may be primarily quite in accordance with the moral conceptions of societies and individuals ; but progress of ideas and changes in the condition of a people may make it evil in its tendency, and , in process of time it may be made by the State, illégal ».

[17] Pascal, Préface au traité du vide, Œuvres complètes, Paris Seuil, 1963. Lafuma, p.230.

[18] Pascal, Oeuvres complètes (cf. note précédente), Les Pensées, Pensée 272-687. p.535.