Djibril Tamsir NIANE
Notes

YEHUDI MENUHIM : VOYAGE INACHEVE, Autobiographie – Seuil 1977

Ethiopiques n°17

revue socialiste

de culture négro-africaine

janvier 1979

Se raconter et être intéressant n’est pas donné à tous ; cependant dans le genre autobiographique l’ouvrage de Menuhim, virtuose du violon, est une réussite.

Cet ouvrage de près de 400 pages est un merveilleux voyage à travers l’existence d’un témoin privilégié de notre siècle.

Un destin exceptionnel. Oui cela éclate d’abord dans le nom même de l’auteur. Ses parents lui donnèrent un nom qui « proclamait sa race à la face du monde », « Yehudi » le « juif ». Il est des noms prédestinés serait-on tenté d’écrire. Yehudi Menuhim a passé le plus clair de sa carrière de musicien à voyager non pas à la manière du « juif errant » mais d’une célébrité qu’on accueille et fête partout.

Cette autobiographie est savamment construite, l’auteur use aussi bien de la présentation analytique des faits – au fil des ans des mois et des jours – que de l’approche synthétique qui lui permet des va et vient à travers une carrière si riche.

Né aux USA en 1916 de parents juifs, sa vocation pour la musique se précise très tôt. Ses parents attentifs à ses goûts l’encouragent ; ce couple équilibré, entièrement consacré à l’éducation de ses enfants, crée autour du jeune Menuhim une ambiance de paradis et dès l’âge de 11 ans, l’enfant entre de plain-pied dans la gloire. A 20 ans commence pour lui le grand voyage à travers les métropoles d’Amérique, d’Europe et d’Asie.

Partout c’est le triomphe. Il joue à Sydney, en Australie, en Inde, en Afrique ; la France devient pour lui une seconde patrie.

Menuhim a la chance de côtoyer plusieurs grandes figures de ce siècle : en Angleterre il fait la connaissance de Charles de Gaulle alors chef de la résistance française ; une amitié qui ne s’est jamais embarrassée de protocole la lia à l’homme du 18 juin 1940. En Inde, Menuhim est accueilli par Nehru qui lui donne une leçon de yoga. L’Inde, pays de haute spiritualité, le conquiert ; il y revient six fois. En Afrique du Sud, à Johannesburg il se fait l’agréable devoir de rendre visite à Alan Paton auteur célèbre de « Pleure ô mon pays bien aimé ». Il joue pour les élèves du grand romancier noir. Mais les autorités lui font comprendre que son contrat ne lui permet guère de jouer pour des Noirs ! Menuhin fait de la sorte connaissance avec l’apartheid ; il est d’autant plus sensible aux malheurs des Noirs de cette région que sa « race » elle même souffre de ségrégation. Il écrit « Le régime sud africain est toujours en place et n’a pas varié d’un iota ; mais pour combien de temps ? » Cœur sensible, homme du juste milieu, ce juif qui est contre le sionisme, partout où il va, s’attache à comprendre l’Autre ; la culture de l’Autre.

Fin observateur, Menuhim a des notations psychologiques très justes, il réfléchit sur sa vie, sur son métier de musicien ; il s’analyse et arrive à la conclusion que l’hérédité détermine pour une large part le caractère de l’individu.

A travers les 17 chapitres de son autobiographie, il n’exalte pas son « moi », par contre c’est tout un siècle qu’il fait revivre. Apôtre de la paix, il fuit les extrémistes ; il est partout accepté. Sa vie est comme le mouvement d’une vaste symphonie, aérienne et pure. Cependant Menuhin n’est pas indifférent au drame du Proche-Orient. Il reste lucide : « les Juifs de l’extérieur aussi bien que ceux de l’intérieur doivent s’identifier à un Etat, assurer sa défense par la politique et la force militaire. Par suite il ne nous a fallu que trente ans pour décourager les bonnes volontés et devenir les boucs émissaires du monde », (souligné par nous). On comprend le déchirement du grand musicien solidaire des autres juifs mais réservé quant aux moyens brandis par les uns et les autres.

Le grand musicien n’est pas un politique.

Voyage inachevé… Oui puisque l’auteur poursuit sa prodigieuse carrière. Disons aussi que le musicien trouve largement son compte dans ce beau livre où Menuhim analyse son métier de musicien et présente avec minutie sa méthode de travail. Expérience d’un homme qui a fait de la musique l’objet de sa plus grande passion.