Notes de lecture

VOGUE LA PIROGUE DES EDITIONS FEU DE BROUSSE

Ethiopiques n°73.

Littérature, philosophie et art

2ème semestre 2004

On ne peut que se réjouir de la collection de poèmes inaugurée par Les Editions Feu de Brousse [2] au Sénégal qui sont impulsées par l’association MAPI et le poète Amadou Lamine Sall. On connaît l’activité intense de Amadou Lamine Sall autour de manifestations sur la poésie dans ce pays. On connaît moins son insertion dans les circuits internationaux à travers l’Unesco notamment.

Mais pour nous son action la plus concrète est cette collection consacrée à la poésie, genre littéraire qui trouve de plus en plus rarement éditeur.

Les NEA, où Senghor avait créé la collection Woï, ont renoncé à ces publications qui se vendent mal, en tout cas moins bien que le roman. Par ailleurs leurs choix des derniers temps étaient douteux. En effet, il semble que depuis vingt ans on sache de moins en moins ce qu’est la poésie, cependant qu’on la vulgarise par des slogans démagogiques du genre « tout Africain est naturellement poète ! »

Du coup nos jeunes saisissent leur plume et rimaillent à qui mieux, ou encore écrivent leurs discours politiques en se contentant d’aller à la ligne tous les quatre ou cinq mots. D’autres se rabattent sur le genre de l’éloge en particulier lors des funérailles d’un grand ou petit personnage… et toutes ces élégies se ressemblent comme des sœurs ! A croire que c’est toujours le même personnage qui nous quitte !

Les journaux de la place les publient, n’ayant visiblement pas d’avis sur la question.

Voilà pourquoi cette collection « Feu de brousse » est bienvenue. Elle réintroduit dans le monde des lettres sénégalaises un avis éclairé sur l’activité poétique. A condition bien sûr qu’on se maintienne au niveau où on a placé la barre.

Car les poèmes de Raphaël Ndiaye, Marouba Fall, Nathalie Fave sont en effet d’une qualité « publiable », si on les soumet au regard d’une critique internationale sans indulgence particulière pour ce qui provient de cette « pauvre » Afrique. Car la seule façon de sauver la poésie dans le pays de Senghor n’est pas l’indulgence, ni la facilité, ni l’imitation. Senghor était pour lui-même et pour les autres très exigeant. En matière de littérature, on ne s’impose que par la qualité. Le copinage, le griotisme, la politique n’y peuvent rien. Contrairement à d’autres domaines.

Nous félicitons donc Lamine Sall pour son initiative. Et nous le mettons en garde contre les dérives susnommées. Que ses choix demeurent dignes des hautes instances auxquelles il appartient désormais, sans tenir compte des sympathies ou des pressions qui ne manqueront pas de s’exercer sur lui, afin de le détourner de son objectif premier : servir la poésie et non pas s’en servir. Dans la droite ligne d’une fidélité au père spirituel dont Lamine se réclame.

[1] IFAN – Université Ch.A. DIOP de Dakar

[2] Titre d’un recueil de Tchicaya U Tam’Si