Stratégie d’intégration des valeurs traditionnelles dans nos systèmes d’éducation (enseignement conventionnel)

VALEURS MORALES ET STRUCTURES TRADITIONNELLES DE JEUNESSE

Ethiopiques numéro 31 revue socialiste

de culture négro-africaine

3e trimestre 1982

 

Valeurs traditionnelles sénégalaises, d’hier à aujourd’hui, influences sociologiques et approche pour une intégration dans nos systèmes modernes d’éducation conventionnelle et non conventionnelle. Telle est, à mon avis, la finalité du colloque qui nous réunit ici.

Il s’agira dès lors, à travers les différentes communications, de procéder à l’inventaire critique des valeurs négro-africaines en général, sénégalaises en particulier, et qui ont déterminé les comportements des individus dans leurs pensées et dans leurs actions au fil de l’histoire.

Cette analyse socio-historique critique doit nous permettre d’établir les influences et l’impact de nos valeurs, tant positifs que négatifs sur nos manières de penser, d’être et d’agir, dans la perspective d’une approche pédagogique qui puisse favoriser une intégration et une redynamisation de certains de ces concepts dans le cadre de nos systèmes d’éducation des temps modernes.

C’est dans cette optique que je me propose de vous livrer la présente communication, qui aura trait à l’étude du phénomène jeunesse à travers les structures traditionnelles et les valeurs morales qui constituaient le soubassement des actions d’éducation et de formation des jeunesses de nos sociétés traditionnelles afin de dégager, avec vous, les orientations susceptibles d’engendrer une dynamique éducative qui intègre nos valeurs positives de civilisation.

Aussi notre démarche s’articulera-t-elle autour de quatre grands axes de réflexion.

Le premier de ces axes de réflexion traitera de quelques notions de sociologie africaine appliquée à l’éducation et à la formation des jeunes dans nos sociétés traditionnelles.

Le second thème abordera le rôle de la jeunesse dans les sociétés traditionnelles africaines.

La troisième partie tentera de cerner la récupération qui aura été faite de la « dynamique-jeunesse » par les mouvements politiques de l’ère des luttes de libération et pendant les premières décennies des indépendances africaines.

Enfin dans la quatrième et dernière partie, nous tenterons de dégager les apports possibles des structures traditionnelles de jeunesse dans l’action éducative des jeunes des temps présents, ainsi que les limites d’intervention.

  1. – Quelques notions de sociologie africaine appliquée à l’éducation et la formation des jeunes

L’organisation de la société africaine n’est pas partout la même. Mais bien qu’elle présente des différences dues à l’histoire, au milieu naturel, au système de valeurs, elle n’en présente pas moins certains traits communs. Dans presque toutes les sociétés africaines, cinq structures sociales se retrouvent généralement avec des niveaux d’évolution différents : la famille, le clan, la tribu, l’ethnie, le royaume.

– La famille est la cellule de base de l’organisation sociale africaine, contrairement à l’Europe où elle se réduit au père à la mère et aux enfants. La famille en Afrique est une famille comprenant non seulement toutes les personnes apparentées vivant sous le même toit, mais également tous les parents éloignés et les alliés. Dans certains cas fréquents au Sénégal, elle comprend jusqu’aux étrangers qu’une longue existence commune a assimilés au groupe de base. C’est pourquoi la parenté en Afrique est beaucoup plus sociale que biologique.

– Le clan est un ensemble plus ou moins étendu de personnes unies par des liens de sang et se considérant comme descendants de même ancêtre.

– La tribu se définit comme un groupe social et politique formé d’hommes et de femmes qui fondent leur solidarité sur une parenté ethnique qui peut être réelle ou supposée. Au Sénégal nous avons l’exemple des Koniagui et des Bassari au Sénégal Oriental.

– L’ethnie se compose d’un ensemble d’hommes et de femmes, en un mot, d’individus unis par un certain nombre de caractères spécifiques de civilisation et de culture, qui peuvent être soit la langue, soit un système de valeurs établies. Au Sénégal, on peut parler d’ethnie wolof, sérère, peul, diola, mandingue, toucouleur, bassari. Mais toutes ces structures sociales africaines sont sous-tendues par des valeurs morales et religieuses, des impératifs économiques, une volonté d’unité politique : devoir de solidarité collective, culte commun à l’ancêtre fondateur, obéissance aux mêmes interdits mais aussi et surtout unité économique du groupe social. Tous les membres sont engagés dans l’exercice d’un travail commun : les champs sont quelquefois collectifs, et lorsqu’il n’en est pas ainsi, leur produit est mis le plus souvent au service de la collectivité tout entière.

Mais si ces unités sociales subissent de plus en plus les modifications que leur impose l’évolution conjuguée des mentalités et des contraintes, si les cellules sociales traditionnelles africaines se diluent le plus souvent dans l’organisation des Etats africains modernes, si, au Sénégal où, contrairement à certains pays africains dans lesquels les particularismes tribaux sont vivaces et ombrageux, il n’existe aucun problème clanique ou tribal préoccupant, tant sont fortes la volonté, l’unité et la conscience nationale, il n’en demeure pas moins vrai que nos sociétés africaines modernes gardent encore l’essentiel de ces structures anciennes c’est-à-dire le sens communautaire dont le fondement aura été le sens élevé du devoir de solidarité collective, de chaleur et de fraternité humaine si caractéristiques du Négro-africain cultivé au fil de l’histoire dans une forme d’éducation où dès le jeune âge l’enfant est habitué à vivre dans une société structurée en classes d’âge ou fraternités d’Age. C’est ainsi que tous les jeunes, garçons et filles, sensiblement du même âge, sont classés dans des catégories séparées et hiérarchisées, qu’on ne franchit qu’après avoir satisfait à des rites d’initiation au cours desquels on fait l’apprentissage de son métier d’homme ou de mère, en même temps qu’on reçoit l’héritage moral et spirituel du groupe social. Cette initiation s’accompagne de manifestations, d’épreuves de valorisation et de mutilations physiques telles que la circoncision ou l’excision par exemple. « En règle générale l’accession de l’enfant au monde des adultes se traduit par une cérémonie particulière : la circoncision des garçons ou l’excision des filles chez certaines ethnies. La circoncision est très ancienne en Afrique puisque Hérodote la signale en Ethiopie 450 ans avant l’ère chrétienne. Quant à l’excision ou clitoridectomie des filles, elle est pratiquée au Sénégal par les toucouleurs, les mandingues, mais inconnue chez les wolofs, assez rare chez les diolas et remplacée chez les sérères par le tatouage des lèvres.

Mais, partout, des cérémonies particulières avec des épreuves d’endurance à la souffrance attestent de l’entrée de l’enfant dans le monde des hommes. Ainsi chez les wolofs du Sénégal (36 % de la population) une semaine à l’avance, le postulant subit la flagellation mutuelle le « ngomar ». Puis le forgeron l’ampute de son prépuce, enfin, pendant trois ou quatre mois, le jeune circoncis de 15 ans (Ndiouly) fait retraite avec ses camarades du même Age, dans un camp de brousse (Mbaar) où il doit s’entraîner à supporter la souffrance, les coups, l’humiliation. Il est placé sous l’autorité d’un responsable (Bootal), la direction d’un jeune homme déjà circoncis (Selbé) armé de deux bâtons et soumis à la fantaisie du « benjamin » (Tokho). Une triple formation physique, intellectuelle et morale lui est dispensée, surtout au cours des veillées nocturnes (Kassak). On s’efforce alors de lui aiguiser l’esprit au moyen de devinettes, d’allusions, de contes.

Les sanctions sont implacables, l’obéissance aveugle est exigée, l’amour propre et l’orgueil sont combattus. Ainsi, on enseigne aux jeunes le sens de la sociabilité avec ce que cela comporte de sacrifices, de courage, d’humilité, de solidarité et de fraternité humaines dans une société essentiellement communautaire. On devinera aisément que ces camarades de camp, les « Boke Mbaar » seront unis, pour la vie, par des liens de solidarité indissoluble. Comme l’écrit Birago Diop, « une solidarité plus forte que l’amour fraternel, plus tyrannique que l’amour paternel ».

C’est pourquoi, marqué par cette éducation, l’Africain est généralement considéré comme un socialiste par nature. Les sociologues et les ethnologues qui se sont penchés sur la société africaine ont mis l’accent sur ce trait dominant des sociétés africaines. L’individu ne se définit pas en dehors du groupe. Le groupe et l’individu ne sont pas deux réalités distinctes, mais une seule et même réalité. L’individu se définit dans et par le groupe auquel il appartient, le R.P. Temples et le Pr. Marcel Griaule, en particulier, ont essayé d’expliquer ce phénomène qui plonge ses racines dans la philosophie négro-africaine.

Le socialisme négro-africain ou le sens communautaire négro-africain repose sur une cosmogonie, une explication de l’Univers selon laquelle l’être n’est pas individuel, n’est pas une réalité irréductible, mais constitue l’élément d’un ensemble dans lequel il s’insère et qui lui donne sa force et sa vie. Donc un phénomène communautaire et non collectiviste sur le plan social.

C’est là sans doute que le socialisme africain diffère du socialisme européen, qui est conquête de la société sur l’individu tandis que notre socialisme est essentiellement accord et harmonie, complémentarité, symbiose, un phénomène naturel. Tandis que le socialisme européen a une structure dichotomique élaborée à partir de constructions doctrinales, le nôtre est une insertion qui est participation de l’individu au groupe social, le socialisme européen est une technique reposant sur des lois, une réglementation et des institutions écrites.

Ainsi s’expliquent la richesse, la variété et la permanence de la vie associative dans les sociétés africaines, singulièrement chez les jeunes, ce qui est une forme élaborée de l’exercice de la démocratie.

Ainsi, à travers l’histoire de nos sociétés les jeunes ont toujours joué le rôle de premier plan, dans le cadre d’associations naturelles, du processus de développement et de transformation de nos pays, livrant sans retenue leur force, leur vigueur, leur disponibilité mais aussi et surtout leur esprit sain, terrain en friche propice à la culture d’idées nouvelles.

 

II.-Le rôle de la jeunesse dans les sociétés traditionnelles africaines

La structure sociale traditionnelle de l’Afrique, comme nous l’avons dit plus haut, met surtout l’accent sur le sens communautaire. Ainsi, les groupements sociaux sont régis par des règles immuables et sacrées de solidarité collective où l’individu ne se sent jamais comme un élément à part mais comme une partie d’un tout qui est sa seule raison d’être. Pour ce faire, la société africaine traditionnelle, au niveau du clan, de la tribu ou de l’ethnie est caractérisée par une organisation sociale qui privilégie, divinise même cette notion de solidarité du groupe.

Comme le souligne Georges Balandier dans son livre « Sociologie actuelle de l’Afrique noire », « Autrefois le système d’éducation donnait très tôt, au jeune, la connaissance précise de sa généalogie. En connaissant les termes de sa lignée paternelle, l’individu sait à quels groupements de base il appartient. L’unité de ces groupements se manifestait par une dénomination, une devise, un tatouage et des symboles particuliers ».

En outre la société est divisée en associations par groupes de génération (adultes hommes, adultes femmes, jeunes hommes et jeunes filles) avec aussi une division du travail collectif au sein du groupe. Le passage d’une génération à une autre devait faire l’objet d’une éducation, d’une formation (initiation) qui mettait au-dessus de tout l’intérêt collectif et le respect scrupuleux des règles communautaires du groupe. Mais cette éducation et cette formation débouchaient aussi sur une fraternité d’âge et une solidarité à toute épreuve entre les membres d’une même génération ayant subi ensemble les épreuves de l’initiation.

Et dans ces sociétés traditionnelles africaines, les jeunes, en tant qu’entité associative distincte des autres, hiérarchisée avec un leader à la tête, ont toujours joué un rôle de premier plan dans les activités qui leur étaient dévolues par le groupe social. Les jeunes étaient d’abord considérés comme la relève de demain qu’il fallait donc préparer à ce futur rôle.

Ainsi au niveau des diverses instances d’administration et de gestion de la collectivité, la représentation des jeunes était effective. Toute décision de la communauté était transmise à la société des jeunes par le biais de leurs représentants aux organes de direction. Mais toute initiative des jeunes en matière d’organisation de leur groupement était préalablement soumise, discutée et approuvée par les adultes. Force vive et disponible, les jeunes ont surtout joué un rôle d’appoint, de soutien toujours apprécié à l’ensemble des activités économiques, culturelles et sociales du groupe. Pour ce faire, les jeunes cultivent en commun le champ collectif de l’association dont le produit servira aux besoins de la collectivité et aussi des jeunes eux-mêmes.

Mais ce qui est surtout remarquable dans l’organisation des jeunes des sociétés traditionnelles africaines, c’est leur grande disponibilité mise entièrement au service des adultes, leurs conseillers et chefs.

Leur promptitude à sauvegarder les acquis économiques et culturels du groupe a toujours été un gage pour la cohésion, l’entente, l’unité et la solidarité effective de la collectivité. L’association des jeunes devait veiller sur un ensemble de règlements régissant la société : maintien et renforcement de la sécurité de l’ordre au sein du groupe, organisation des manifestations culturelles, des festivités périodiques sous la conduite des adultes, assainissement des lieux publics (place publique, cimetière, etc. ainsi que des actions ponctuelles et conjoncturelles dans le cadre de la vie du groupe comme la maîtrise d’un incendie, la poursuite et la neutralisation d’un malfaiteur ou d’un groupe de malfaiteurs.

Il était aussi courant de voir des jeunes, cette fois-ci à l’insu des adultes, dans un geste de solidarité agissante, se livrer spontanément au labour du champ du chef de village ou de tout autre vieillard en proie à des difficultés pour venir à bout de ses préoccupations rurales. Si d’aventure le puits du village tarissait du fait d’un ensablement, c’était aux jeunes de s’organiser sous la conduite des adultes, en journées de travail gratuit pour recreuser le puits et apporter ainsi à la collectivité l’eau nécessaire à la vie quotidienne.

On pourrait multiplier les exemples pour apporter la preuve du rôle combien important des jeunes dans les sociétés africaines traditionnelles. Et ces actions ainsi décrites au niveau des garçons se réalisaient aussi au niveau des filles dans les domaines qui étaient les leurs. Ainsi, les structures sociales africaines, malgré l’acculturation née de la période coloniale et malgré une évolution marquée des mentalités, restent toujours, heureusement, largement empreintes de l’organisation et du système d’éducation hérités de nos traditions ancestrales. C’est le moment plus que jamais de cultiver et de raffermir ces vertus sociales que bon nombre de pays ont perdues, à leur grand dam, et qui font aujourd’hui l’admiration et l’estime des peuples africains de la part de certains milieux de la vieille Europe.

A l’époque des mouvements de libération, des années 45 aux années 60, les leaders politiques africains s’emploieront à mettre au profit de leur lutte politique cette disponibilité des jeunes et leur sens de la solidarité au service du groupe. C’est ce que nous tentons d’expliquer dans les lignes qui vont suivre.

III. – La jeunesse africaine et les mouvements politiques d’indépendance

Nourrie à la source de la vie communautaire africaine, la jeunesse africaine toujours disponible, constitue dans la lutte de la libération politique du continent une force potentielle que les leaders des partis politiques africains vont s’employer à utiliser à leurs fins dans le cadre de leurs activités politiques. Parce que la jeunesse est sensible à la nouveauté et qu’elle a le goût de l’initiative, qu’elle possède de solides qualités comme l’amour de la justice et de la vérité. Ces qualités se manifesteront avec force devant l’assurance et la ferme détermination des partis politiques à tout consacrer à la lutte pour les peuples et leur société. Les jeunes ne seront jamais en reste et constitueront les fers de lance de ces mouvements politiques. Ils furent ainsi organisés pour exercer un poids considérable dans les luttes de libération : jeunes étudiants, mais aussi jeunes ruraux et jeunes travailleurs firent ainsi l’apprentissage de la vie politique. Ils furent ensuite un des éléments prépondérants de la mobilisation populaire dans l’action politique des partis.

En effet l’avènement de la conscience politique africaine se fera au lendemain de la 2e guerre mondiale et, pour les pays de l’Afrique de l’Ouest, après les résultats obtenus à la Conférence de Brazzaville en 1945.

Dès après cette conférence créant l’Union Française, l’élite africaine prit conscience de plus en plus, tant et si bien que des formations politiques, avec pour objectif majeur la libération nationale, devaient voir le jour. Ainsi à Bamako, en 1946 naissait le Rassemblement Démocratique Africain, grand rassemblement s’il en fut, qui regroupait Houphouët Boigny, Hamani Diori, Modibo Keita, Sékou Touré Maurice Yaméogo, Hubert Maga, entre autres qui s’assignaient pour dessein la libération des colonies françaises. Au Sénégal le Bloc Démocratique sous la direction de Léopold Sédar Senghor alors qu’existait déjà la section Française de l’Internationale Ouvrière (S.F.I.O.) avec pour guide Lamine Guèye.

Djibo Bakary du Niger procédait à la création de la SAWABA d’obédience marxiste-léniniste. Toutes ces formations politiques vont s’employer à organiser une jeunesse à leur dévotion soit par la redynamisation des structures traditionnelles existantes comme la SAMARIA au Niger, les MBotaye au Sénégal, l’organisation traditionnelle des jeunesses Mossi, soit par la création de structures inspirées des partis politiques européens. Mais l’importance était de faire jouer à la jeunesse son rôle d’avant-garde de ces partis et c’est ce qu’elle fit avec la générosité qui la caractérise. En effet à travers l’histoire politique de nos mouvements de libération nationale, les jeunesses africaines ont eu à remplir avec détermination et désintéressement des missions à la fois délicates et périlleuses, motivées par les objectifs combien nobles d’indépendance nationale. Ainsi les jeunesses des partis africains s’assignaient pour rôle dans le cadre de la lutte de libération du continent, entre autres tâches :

– une mission de diffusion et de propagande des mots d’ordre des partis ;

-la constitution des comités d’action pour des opérations ponctuelles de commandos : graffiti, affichage clandestin, inscription de slogans prohibés par l’autorité coloniale de l’époque ;

-constitution de brigades de choc lors des manifestations interdites, porteurs invétérés de pancartes, police bénévole des partis à l’occasion des manifestations ; formation et animation de cellule au sein des organisations de masse et des unités industrielles coloniales.

Bon nombre de ces jeunes ont bravé les tortures, la prison, les privations de toutes sortes jusqu’au sacrifice suprême. A cet égard les jeunesses patriotiques de l’Algérie au sein du FLN ont montré plus d’une fois lors de la guerre d’Algérie combien elles étaient militantes, responsables et déterminées pour la cause de leur nation.

Ainsi la jeunesse africaine formée et aguerrie par les luttes politiques des différents partis africains pendant la période de libération, entendait, maintenant consciente de sa force, jouer un rôle prépondérant au moment des indépendances des années 1960.

  1. d) La jeunesse africaine dans la vie politique des Etats indépendants d’Afrique

Comme le constate le document 18/71 intitulé :

« Rapport sur la situation de la Jeunesse », document ayant trait aux points 15-17 de l’ordre du jour de la 18e session de la conférence générale l’UNESCO (Octobre – Novembre 1974 à Paris) qui stipule : « les années 60 ont été marquées par une série de mouvements, de contestations, parfois violentes, qui ont opposé, du moins au début, une partie importante du monde étudiant à l’autorité publique ». Les années 60 constituaient ainsi le premier jalon d’une ère nouvelle où, pour la première fois, la jeunesse manifestait, d’une manière inattendue et violente, son désir de participer à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques gouvernementales. C’était dès lors une forme d’expression des aspirations mais aussi des inquiétudes de la jeunesse face à des sociétés de plus en plus secouées par des crises.

Telles sont, nous semble-t-il, les motivations profondes qui ont habité et continuent d’habiter la jeunesse dans son ensemble. Aussi convenait-il de se poser bon nombre de questions, afin de trouver les solutions les mieux appropriées « aux problèmes et aux attitudes de la jeunesse contemporaine, notamment en ce qui concerne l’éducation, sa rénovation et sa relation avec l’emploi, l’ouverture des moyens d’information de masse à l’expression des préoccupations et des aspirations des jeunes » mais aussi à leur formation où les jeunes seront à la fois la cible et le support. Et le rapport cité plus haut, dans une analyse objective de la situation de la jeunesse des pays en voie de développement, constate avec nous : « les problèmes posés par les jeunes dans les pays en voie de développement sont évidemment liés à la dynamique de leurs sociétés. Depuis la mise en place des stratégies de développement, qui coïncident, pour beaucoup de pays, à la phase de décolonisation du début des années 60, l’évolution institutionnelle a été extrêmement rapide.

Cette période a beaucoup influencé le développement psychosociologique des peuples, à fortiori, celui des jeunes qui représentent le groupe le plus important. En effet, le développement du système éducatif, la transformation des structures rurales et agricoles, la construction d’un ensemble politique administratif qui permette d’organiser la vie nationale sur la base d’objectifs à long terme, devaient permettre l’accès d’une jeunesse nombreuse à la vie active dans les meilleures conditions possibles » .

A cet égard la jeunesse a été la cible de nombreuses sollicitations politiques. « Des campagnes ont été lancées sur le thème de la participation de la jeunesse au développement. L’alphabétisation, l’organisation agricole,… la lutte contre la pauvreté, l’industrialisation ont été au tant de grands thèmes où l’on a fait appel à elle. Mais de nombreux jeunes ont progressivement modifié leur attitude vis-à-vis des modèles de développement que leur pays avait entrepris de mettre en place.

A la recherche d’une identité nationale forte, ils ont analysé souvent sévèrement les relations entre leurs pays et le monde développé, comme les évolutions internes de leurs sociétés. Certains ont en particulier dénoncé l’exploitation et la domination néo-coloniale qui caractérisent selon eux les rapports entre leurs nations et les pays riches. Ils se sont alors opposés à la mainmise des sociétés des pays riches sur leurs ressources naturelles, à l’implantation de structures socio-économiques qui, à leurs yeux, contribuent davantage à déraciner les populations qu’à assurer un véritable développement, à l’effet d’imitation qui commençait à se faire sentir dans les structures officielles aussi bien que dans la vie socio-culturelles de leur pays.

Le même état d’esprit a conduit nombre d’entre eux à remettre en question de manière fondamentale le rôle de l’institution scolaire dans les pays en voie de développement. Conçue par les pays riches, en fonction de leurs besoins, l’école « importée » dans les pays du Tiers-Monde est, la plupart du temps, étrangère aux modes de pensée de ces pays comme à leurs besoins réels en fonction des situations économiques. Cette inadaptation profonde a entraîné la passivité des jeunes. Ils attendent beaucoup de l’école, mais celle-ci ne peut répondre à leurs aspirations ».

Les activités extra-scolaires dans les pays en voie de développement pendant la période des années 60 (passée l’euphorie de l’évènement des indépendances nationales), ont été aussi l’objet de sévères critiques de la part des jeunes qui ont observé une passivité vis-à-vis de ces institutions socio-culturelles et les ont volontairement désertées pour marquer leur désapprobation. Les mouvements de jeunesse ont connu une baisse d’influence tandis que les institutions à caractère culturel (clubs, maisons de jeunes, foyers) mis en place pour attirer la masse des jeunes qui ne souhaitaient pas entrer dans les organisations traditionnelles de jeunesse, ont connu, malgré leur développement, un certain échec.

Aussi l’animation de la jeunesse, en évolution permanente, reste-t-il toujours un problème pour bon nombre de nos pays. Au Sénégal, pays en voie de développement et nouvellement indépendant, l’on devait aboutir aux mêmes constatations. En effet, peu avant l’indépendance de notre pays, des institutions d’animation de la jeunesse y avaient été introduites : les centres culturels et les maisons de la jeunesse. Dès 1953, le Gouverneur du Sénégal, sur les instructions du Haut-Commissaire de l’AOF, mit en place des centres culturels dont le cheminement et la mission étaient précisés par la circulaire n° 144/CAB du 23 février 1954 du Haut-Commissaire adressée aux chefs de territoires. Ces maisons de la jeunesse, pendant la période de l’autonomie interne (1956-1959) constitueront pour les jeunes les lieux privilégiés pour la diffusion des mots d’ordre des partis politiques dans le cadre de la lutte pour l’indépendance et contribueront ainsi, dans une large mesure, à la formation politique des jeunes. Conférences et cercles d’études, présentation de pièces de théâtre révolutionnaires, retour aux sources de la Négritude…, diffusion de tracts, entre autres actions, avaient pour « PC » la Maison des Jeunes.

Mais après l’indépendance de notre pays, ces institutions n’ont pas pu opérer la mutation indispensable par le passage de statut de pays colonisé à celui de pays souverain. Elles furent après le référendum du 28 novembre 1958, l’objet de luttes internes entre les fractions politiques du pays qui avaient perçu l’impact de ces institutions sur le milieu jeune et le rôle combien déterminant qu’elles pouvaient jouer comme véhicules privilégiés des idéologies des partis en présence. Dès lors ce fut le point de départ d’une bataille qui avait pour enjeu le contrôle exclusif des Maisons de jeunes et de la culture, comme, au demeurant, de toutes les organisations de masse du pays. En effet, dès le lendemain de notre indépendance, parti majoritaire et partis minoritaires se disputèrent ces organisations. Le parti dominant cherchait à les rallier à sa cause et les utiliser comme « média » tandis que les partis d’opposition voulaient en faire des foyers de diffusion de leurs mots d’ordre et d’actions à mener contre le régime mis en place par le suffrage populaire. Aussi les syndicats, les associations d’étudiants, le conseil de la jeunesse du Sénégal et, naturellement, l’Union Sénégalaise des foyers et Maisons de jeunes et de la culture ainsi que des institutions annexes furent-ils l’objet de sollicitations multiples, de démarches courtisanes de la part des partis politiques. C’est ainsi donc que dès 1960, le mouvement des jeunes de l’UPS, parti dominant et au pouvoir, s’empara de l’Union des foyers et maisons de jeunes et de la culture qu’il baptisa « Fédération » et à la tête de laquelle il plaça des camarades dits « politiquement engagés ».

Les conséquences immédiates de l’accaparement, par le MJUPS, de Maisons de jeunes et de la culture et de leur fédération ont été, entre autres, leur désertion par tous les jeunes ne se réclamant pas de l’UPS et l’observation par eux, d’une attitude de non coopération et même de refus de participation aux activités de ces institutions.

De même les nouveaux promus, n’ayant pas été préparés aux tâches nouvelles et ne possédant pas, pour la plupart, la formation requise, assistèrent, impuissants, à la mort lente des institutions dont ils avaient arrachéla direction pour des desseins politiques de récupération de la masse des jeunes pour l’assouvissement des ambitions politiques de leur parti.

Telles sont les raisons profondes qui ont été à la base de l’échec de la mission assignée aux maisons des jeunes et à leur fédération.

Mais cette attitude de contestation décrite plus haut au Sénégal et analysé à une échelle plus grande par le document 18/c/71 de l’UNESCO ne peut être isolée de l’ensemble du contexte politique et social qui secoue le monde.

Elle est au contraire parmi les signes annonciateurs des évolutions qui affectent la société tout entière. Ce que la jeunesse pense et fait la concerne ; inversement, la séparation classique entre jeune et adulte disparaît partiellement au profit d’une interrogation plus vaste au cœur de laquelle se trouvent les jeunes. Ainsi au Sénégal, après plus d’une décennie d’expériences au cours desquelles toutes les tentatives de redressement se sont révélées sans succès, l’on a noté une volonté soutenue auprès du ministère de la Jeunesse et des Sports pour redéfinir les institutions socio-éducatives afin de les amener à assumer leur rôle de formation des cadres des populations juvéniles et d’incitation à la participation des jeunes au développement. C’est l’objet de l’instauration, à la place des Maisons de jeunes, des centres départementaux d’éducation populaire et sportive (CDEPS).

  1. – Apports potentiels des structures traditionnelles de Jeunesse dans l’action éducative des Jeunes et limites d’intervention

Par structures traditionnelles de jeunesse, nous comprenons, toutes les cellules éducatives africaines originelles qui, en sus de la famille, régissaient, réglementaient, conduisaient la vie publique et privée des jeunes, garçons et filles, en vue de leur formation.

Selon le type de structure traditionnelle, cette formation se voulait, intellectuelle, physique, morale, civique, religieuse, sociale, culturelle ou tout cela à la fois.

Pour mieux cerner le problème, notre analyse partira de quatre notions :

  1. Sur le plan structurel, nous nous emploierons à recenser, par tant des dimensions de ces structures, les domaines où elles plongent leurs racines.
  2. Au plan organisationnel, nous étudierons le mécanisme de fonctionnement de ces structures tout en nous posant la question de savoir s’il est à la dimension de l’attente de nos préoccupations actuelles en matière d’éducation de jeunesse.
  3. Au plan psycho-sociologique, nous répondrons à la question :

Qu’est-ce que peuvent nous apporter ces structures ? 4. Au plan pédagogique enfin, nous tenterons de dégager la manière de conduire cette action éducative des jeunes pour l’acquisition des notions à dispenser et l’adhésion à des actions culturelles, économiques, sociales que l’on veut promouvoir en direction des jeunes.

Nous savons, nous appuyant sur nos origines diverses, notre diversité d’ethnies, que la plupart des structures traditionnelles au Sud du Sahara se constituent en général à partir :

– de l’âge ;

– des catégories de sexe basées sur l’opposition mais aussi sur la complémentarité homme/ femme. Mbootay de jeunes hommes, Mbootay de jeunes femmes, Mbootay de jeunes hommes et femmes ;

– des générations ;

– des villages ;

– des quartiers ;

– des classes d’âge qui sont des fraternités, ouvertes à tous sans distinction de classe et qui regroupaient tous ceux qui étaient approximativement nés à la même époque. Elles constituent des écoles de formation civique, sociale, religieuse, des sociétés initiatiques et des associations de secours mutuel, d’entraide. (Le Feddé en milieu soninké) ;

– des castes s’appuyant sur une stratification sociale : les griots (Guewel), les forgerons (Tëgg), les bûcherons (Laobés) etc. ;

– des ethnies : wolof, pulaar, naar, diolas etc. Toutefois il existait ou existe encore d’autres entités associatives à caractère économique, culturel voire sportif : regroupement de jeunes pour des travaux d’investissement humain ou champs collectifs ; regroupement de jeunes hommes et jeunes femmes dans des troupes de ndawrabine, mbootay de goumbé, yaaba (danses traditionnelles) etc. ; regroupement de jeunes lutteurs d’un même quartier, d’un même village, d’une même localité qui affrontaient, après les récoltes, surtout lorsque celles-ci avaient été bonnes, ceux des autres quartiers, villages, localités.

Dans tous les cas, tous les jeunes hommes, parfois les jeunes filles selon l’ethnie, feront le Mbaar ou camp de brousse des circoncis où ils doivent s’entraîner à supporter la souffrance, les coups, l’humiliation. Ils sont placés sous l’autorité d’un responsable appelé Bootal qui est le gestionnaire du Mbaar au plan humain, matériel, financier. De jeunes hommes déjà circoncis en assurent la direction. Le Mbaar est livré aux caprices du benjamin, le Tokh leur porte-parole, en matière de divertissements. C’est une sorte de mascotte du Mbaar, désigné en fonction de son âge, sa fragilité et les esprits veillent sur lui.

Dans le Mbaar, une triple formation physique, intellectuelle et morale est dispensée aux circoncis surtout au cours des veillées nocturnes (Kassak) par lesquelles on aiguise leur esprit au moyen de devinettes (Passines), d’allusions, de contes. Ici, les sanctions sont implacables, l’obéissance aveugle, l’amour propre et l’orgueil combattus. Au-dessus, plane le khumakh qui assure la sécurité du camp, jour et nuit, par des moyens mystiques.

Nous constatons ainsi, dans toutes ces structures traditionnelles de jeunes, la notion de leader de hiérarchisation, de répartition des tâches, le principe de la cooptation.

Au niveau des Mbootaay, le Yaayi Mbootaay ou Baayi Mbootaay supervisait. Ce sont des personnes cooptées ès-qualités compte tenu de leur expérience.

A la tête du Faddé, classe d’âge du milieu soninké, se trouve le plus âgé des nobles, la classe dominante. La répartition des tâches est fonction des castes, le chef étant secondé par le représentant de chaque caste.

Dans tous les cas, faisant référence à la stratification sociale, à l’âge, il y a, au sein de ces structures, toute une théorie de la préséance, du pouvoir, du savoir… la hiérarchisation en castes est conséquence de prédominance, de dépendance et l’âge, source de sagesse et d’expérience. Les vieux sont respectés, sollicités, reconnus par la jeunesse parce que l’âge est la mesure la plus sûre en matière de mentalité, d’expérience.

Nous découvrons au plan de la structure psychosociologique, que les structures traditionnelles de jeunesse, fondées sur le principe de l’acceptation, ont enseigné aux jeunes le sens élevé de la sociabilité et de l’intérêt collectif.

« Ce commun vouloir de vie commune » qui exigeait sacrifices, courage, humilité, était surtout bâti autour de liens de solidarité, de fraternité. L’individu ne se définit pas en dehors du groupe mais individu et groupe font un. Ainsi, ne sommes-nous pas amenés à dégager, sur le plan pédagogique, la notion de groupe qui prévaut sur les autres initiatives, la notion d’adhésion et d’exécution. Il était courant de voir les jeunes, dans un geste de solidarité agissante, se livrer spontanément à la tâche. De même motivation et démocratie étaient toujours présentes dans la manière de conduire toute action. En effet, toute initiative était préalablement soumise, discutée et la prépondérance de la voix du « Njïit » Président ne se faisait prévaloir qu’en cas de litige, de contentieux. Fort de cette analyse, il s’agit de voir comment les associations à but d’éducation populaire, sportif, culturel, politique de jeunesse actuelle peuvent tirer profit des structures traditionnelles de jeunesse.

Dans les apports potentiels dans l’action éducative des jeunes, nous pouvons emprunter à ces structures, dans toute la générosité qui les caractérisait :

– le sens communautaire, l’esprit d’entraide doivent être développés davantage ;

– la palabre peut être réinterprétée sous ses aspects de tolérance, de confrontation patiente des points de vue au niveau de tous les mouvements de jeunesse au lieu des votes qui frustrent ;

– par l’actualité de normes et coutumes, les collectivités éducatives peuvent être des « Mbaars » modernes où le sens ancestral de la dignité, du sacrifice, du courage, de la discrétion, de la modération, de la modestie, de la mesure, de la tolérance, la patience, la discipline, le respect du bien public doit être inculqué aux jeunes à travers devinettes, allusions, contes, mythes ;

– au niveau de ces communautés de base, nous devons, de même, amener les jeunes vers une forme quasi collective de la jouissance des biens produits, forme qui extirpe bien sûr, le partage exclusif des bénéfices ;

-les troupes théâtrales pourront, à travers pièces, ballets, préserver certains acquis culturels, les redynamiser, les réactualiser en puisant dans les contes, mythes, légendes, danses etc. ;

-la cooptation doit tenir compte beaucoup plus de l’expérience qu’à l’appel à des membres d’honneur nantis, fortunés ;

-le respect du plus âgé, le soutien aux plus jeunes, aux plus fragiles pourront s’observer au sein des associations, des mouvements sans altérer la démocratie.

Certes, dans ces structures, autoritarisme, dogmatisme, directivité ont aussi guidé l’action pédagogique et nous conduisent à entrevoir les limites d’intervention de ces formes traditionnelles d’éducation.

En effet, à l’époque de la mixité, le sexe n’est plus déterminant, qui avait entraîné une stricte division dans les activités de production, le travail, les responsabilités. Les filles comme les garçons doivent être des levains de développement et doivent participer, ensemble, aux activités de tous ordres.

De même, s’il faut admettre que le respect de l’aîné doit être rétabli, il n’en reste pas moins vrai que sagesse, moralité, expérience, intelligence ne sont plus l’apanage des plus âgés.

Les progrès scientifiques, la technologie font que les connaissances sont vite obsolètes. Et dans cette mise à jour perpétuelle des connaissances, le benjamin comme l’aîné a son mot à dire dans un monde d’échanges.

Bien sûr, les regroupements ethniques ont façonné l’attachement aux ancêtres mais actuellement devons-nous admettre de tels regroupements au risque de cultiver le tribalisme ?

Dans le passé les corporations en castes « Mbootaayi xalleli : geweayi, tëggyi » etc. ont aidé à préserver les acquis culturels.

Mais à l’heure actuelle, l’ancienne stratification sociale s’est disloquée au profit des catégories socio-professionnelles qui obligent les jeunes à valoriser leurs fonctions dans les syndicats, amicales.

Actuellement, la répartition des tâches ne peut être fonction des castes. Elle sera basée sur les aptitudes, les compétences, le savoir-faire, la disponibilité ; il en est de même de la désignation des membres du comité directeur.

En réalité, à l’heure de la non-directivité, des méthodes d’éducation active, nous ne pouvons plus exiger cette obéissance aveugle, combattre l’amour-propre, l’orgueil, aux moyens de châtiments corporels et de pratiques qui défient les règles de l’hygiène. Et, au risque de voir la collectivité éducative, les associations s’émietter, s’effondrer, la vie quotidienne ne peut pas être réglementée suivant un dogmatisme anachronique.

Il s’agit d’adapter les structures traditionnelles aux exigences du monde moderne et du développement socio-économique de nos jeunes Etats. L’avantage de l’actualisation des structures traditionnelles est surtout la notion dynamique de la pédagogie active qui privilégie l’intérêt de l’enseigné qui doit être le soubassement de toute acquisition, toute action d’éducation et de formation. Il s’agira alors, dans toute action d’éducation et de formation, de tenir compte de la réalité des structures traditionnelles si elles existent, de partir de leurs acquis pour finaliser ensuite l’action éducative, la rationaliser pour faire coller ces acquis aux préoccupations de la cellule formatrice : préoccupations culturelles, sociales, économiques, civiques…

– Exemple d’une action socio-économique (champ collectif etc.) ;

– Exemple d’une activité culturelle : partir des manifestations culturelles existantes etc.

En définitive, il ne s’agit point de rejeter les structures traditionnelles dans la mesure où tout n’a pas été négatif ; il ne s’agit pas, non plus, d’une application systématique car tout n’a pas été positif.

Il nous appartient, à nous animateurs, éducateurs, par un dosage, une réinterprétation judicieuse, une adaptation raisonnée aux plans structurel, organisationnel, psycho-sociologique, pédagogique, de rechercher dans les structures de jeunesse de naguère, les valeurs qui feront l’unité, la discipline, la cohésion, le respect, le sacrifice dans la vie associative d’aujourd’hui afin de redonner à certaines de nos valeurs morales, par l’entremise de nos systèmes d’éducation, la dimension véritable de leur impact sur le comportement des individus.

de leur parti.

Telles sont les raisons profondes qui ont été à la base de l’échec de la mission assignée aux maisons des jeunes et à leur fédération.

Mais cette attitude de contestation décrite plus haut au Sénégal et analysé à une échelle plus grande par le document 18/c/71 de l’UNESCO ne peut être isolée de l’ensemble du contexte politique et social qui secoue le monde. Elle est au contraire parmi les signes annonciateurs des évolutions qui affectent la société tout entière. Ce que la jeunesse pense et fait la concerne ; inversement, la séparation classique entre jeune et adulte disparaît partiellement au profit d’une interrogation plus vaste, au cœur de laquelle se trouvent les jeunes. Ainsi au Sénégal, après plus d’une décennie d’expériences au cours desquelles toutes les tentatives de redressement se sont révélées sans succès, l’on a noté une volonté soutenue auprès du ministère de la Jeunesse et des Sports pour redéfinir les institutions socio-éducatives afin de les amener à assumer leur rôle de formation des cadres des populations juvéniles et d’incitation à la participation des jeunes au développement. C’est l’objet de l’instauration, à la place des Maisons de jeunes, des centres départementaux d’éducation populaire et sportive (CDEPS).

  1. – Apports potentiels des structures traditionnelles de Jeunesse dans l’action éducative des Jeunes et limites d’intervention

Par structures traditionnelles de jeunesse, nous comprenons, toutes les cellules éducatives africaines originelles qui, en sus de la famille, régissaient, réglementaient, conduisaient la vie publique et privée des jeunes, garçons et filles, en vue de leur formation.

Selon le type de structure traditionnelle, cette formation se voulait, intellectuelle, physique, morale, civique, religieuse, sociale, culturelle ou tout cela à la fois.

Pour mieux cerner le problème, notre analyse partira de quatre notions :

  1. Sur le plan structurel, nous nous emploierons à recenser, par tant des dimensions de ces structures, les domaines où elles plongent leurs racines.
  2. Au plan organisationnel, nous étudierons le mécanisme de fonctionnement de ces structures tout en nous posant la question de savoir s’il est à la dimension de l’attente de nos préoccupations actuelles en matière d’éducation de jeunesse.
  3. Au plan psycho-sociologique, nous répondrons à la question :

Qu’est-ce que peuvent nous apporter ces structures ? 4. Au plan pédagogique enfin, nous tenterons de dégager la manière de conduire cette action éducative des jeunes pour l’acquisition des notions à dispenser et l’adhésion à des actions culturelles, économiques, sociales que l’on veut promouvoir en direction des jeunes.

Nous savons, nous appuyant sur nos origines diverses, notre diversité d’ethnies, que la plupart des structures traditionnelles au Sud du Sahara se constituent en général à partir :

– de l’âge ;

– des catégories de sexe basées sur l’opposition mais aussi sur la complémentarité homme/ femme. Mbootay de jeunes hommes, Mbootay de jeunes femmes, Mbootay de jeunes hommes et femmes ;

– des générations ;

– des villages ;

– des quartiers ;

– des classes d’âge qui sont des fraternités, ouvertes à tous sans distinction de classe et qui regroupaient tous ceux qui étaient approximativement nés à la même époque. Elles constituent des écoles de formation civique, sociale, religieuse, des sociétés initiatiques et des associations de secours mutuel, d’entraide. (Le Feddé en milieu soninké) ;

– des castes s’appuyant sur une stratification sociale : les griots (Guewel), les forgerons (Tëgg), les bûcherons (Laobés) etc. ;

– des ethnies : wolof, pulaar, naar, diolas etc. Toutefois il existait ou existe encore d’autres entités associatives à caractère économique, culturel voire sportif : regroupement de jeunes pour des travaux d’investissement humain ou champs collectifs ; regroupement de jeunes hommes et jeunes femmes dans des troupes de ndawrabine, mbootay de goumbé, yaaba (danses traditionnelles) etc. ; regroupement de jeunes lutteurs d’un même quartier, d’un même village, d’une même localité qui affrontaient, après les récoltes, surtout lorsque celles-ci avaient été bonnes, ceux des autres quartiers, villages, localités.

Dans tous les cas, tous les jeunes hommes, parfois les jeunes filles selon l’ethnie, feront le Mbaar ou camp de brousse des circoncis où ils doivent s’entraîner à supporter la souffrance, les coups, l’humiliation. Ils sont placés sous l’autorité d’un responsable appelé Bootal qui est le gestionnaire du Mbaar au plan humain, matériel, financier. De jeunes hommes déjà circoncis en assurent la direction. Le Mbaar est livré aux caprices du benjamin, le Tokh leur porte-parole, en matière de divertissements. C’est une sorte de mascotte du Mbaar, désigné en fonction de son âge, sa fragilité et les esprits veillent sur lui.

Dans le Mbaar, une triple formation physique, intellectuelle et morale est dispensée aux circoncis surtout au cours des veillées nocturnes (Kassak) par lesquelles on aiguise leur esprit au moyen de devinettes (Passines), d’allusions, de contes. Ici, les sanctions sont implacables, l’obéissance aveugle, l’amour propre et l’orgueil combattus. Au-dessus, plane le khumakh qui assure la sécurité du camp, jour et nuit, par des moyens mystiques.

Nous constatons ainsi, dans toutes ces structures traditionnelles de jeunes, la notion de leader de hiérarchisation, de répartition des tâches, le principe de la cooptation.

Au niveau des Mbootaay, le Yaayi Mbootaay ou Baayi Mbootaay supervisait. Ce sont des personnes cooptées ès-qualités compte tenu de leur expérience.

A la tête du Faddé, classe d’âge du milieu soninké, se trouve le plus âgé des nobles, la classe dominante. La répartition des tâches est fonction des castes, le chef étant secondé par le représentant de chaque caste.

Dans tous les cas, faisant référence à la stratification sociale, à l’âge, il y a, au sein de ces structures, toute une théorie de la préséance, du pouvoir, du savoir… la hiérarchisation en castes est conséquence de prédominance, de dépendance et l’âge, source de sagesse et d’expérience. Les vieux sont respectés, sollicités, reconnus par la jeunesse parce que l’âge est la mesure la plus sûre en matière de mentalité, d’expérience.

Nous découvrons, au plan de la structure psychosociologique, que les structures traditionnelles de jeunesse, fondées sur le principe de l’acceptation, ont enseigné aux jeunes le sens élevé de la sociabilité et de l’intérêt collectif.

« Ce commun vouloir de vie commune » qui exigeait sacrifices, courage, humilité, était surtout bâti autour de liens de solidarité, de fraternité. L’individu ne se définit pas en dehors du groupe mais individu et groupe font un.

Ainsi, ne sommes-nous pas amenés à dégager, sur le plan pédagogique, la notion de groupe qui prévaut sur les autres initiatives, la notion d’adhésion et d’exécution. Il était courant de voir les jeunes, dans un geste de solidarité agissante, se livrer spontanément à la tâche. De même motivation et démocratie étaient toujours présentes dans la manière de conduire toute action. En effet, toute initiative était préalablement soumise, discutée et la prépondérance de la voix du « Njïit » Président ne se faisait prévaloir qu’en cas de litige, de contentieux. Fort de cette analyse, il s’agit de voir comment les associations à but d’éducation populaire, sportif, culturel, politique de jeunesse actuelle peuvent tirer profit des structures traditionnelles de jeunesse.

Dans les apports potentiels dans l’action éducative des jeunes, nous pouvons emprunter à ces structures, dans toute la générosité qui les caractérisait :

– le sens communautaire, l’esprit d’entraide doivent être développés davantage ;

– la palabre peut être réinterprétée sous ses aspects de tolérance, de confrontation patiente des points de vue au niveau de tous les mouvements de jeunesse au lieu des votes qui frustrent ;

– par l’actualité de normes et coutumes, les collectivités éducatives peuvent être des « Mbaars »modernes où le sens ancestral de la dignité, du sacrifice, du courage, de la discrétion, de la modération, de la modestie, de la mesure, de la tolérance, la patience, la discipline, le respect du bien public doit être inculqué aux jeunes à travers devinettes, allusions, contes, mythes ;

– au niveau de ces communautés de base, nous devons, de même, amener les jeunes vers une forme quasi collective de la jouissance des biens produits, forme qui extirpe bien sûr, le partage exclusif des bénéfices ;

– les troupes théâtrales pourront, à travers pièces, ballets, préserver certains acquis culturels, les redynamiser, les réactualiser en puisant dans les contes, mythes, légendes, danses etc. ;

– la cooptation doit tenir compte beaucoup plus de l’expérience qu’à l’appel à des membres d’honneur nantis, fortunés ;

– le respect du plus âgé, le soutien aux plus jeunes, aux plus fragiles pourront s’observer au sein des associations, des mouvements sans altérer la démocratie.

Certes, dans ces structures, autoritarisme, dogmatisme, directivité ont aussi guidé l’action pédagogique et nous conduisent à entrevoir les limites d’intervention de ces formes traditionnelles d’éducation.

En effet, à l’époque de la mixité, le sexe n’est plus déterminant, qui avait entraîné une stricte division dans les activités de production, le travail, les responsabilités. Les filles comme les garçons doivent être des levains de développement et doivent participer, ensemble, aux activités de tous ordres.

De même, s’il faut admettre que le respect de l’aîné doit être rétabli, il n’en reste pas moins vrai que sagesse, moralité, expérience, intelligence ne sont plus l’apanage des plus âgés.

Les progrès scientifiques, la technologie font que les connaissances sont vite obsolètes. Et dans cette mise à jour perpétuelle des connaissances, le benjamin comme l’aîné a son mot à dire dans un monde d’échanges.

Bien sûr, les regroupements ethniques ont façonné l’attachement aux ancêtres mais actuellement devons-nous admettre de tels regroupements au risque de cultiver le tribalisme ?

Dans le passé les corporations en castes « Mbootaayi xalleli : geweayi, tëggyi » etc. ont aidé à préserver les acquis culturels.

Mais à l’heure actuelle, l’ancienne stratification sociale s’est disloquée au profit des catégories socio-professionnelles qui obligent les jeunes à valoriser leurs fonctions dans les syndicats, amicales.

Actuellement, la répartition des tâches ne peut être fonction des castes. Elle sera basée sur les aptitudes, les compétences, le savoir faire, la disponibilité ; il en est de même de la désignation des membres du comité directeur.

En réalité, à l’heure de la non-directivité, des méthodes d’éducation active, nous ne pouvons plus exiger cette obéissance aveugle, combattre l’amour-propre, l’orgueil, aux moyens de châtiments corporels et de pratiques qui défient les règles de l’hygiène. Et, au risque de voir la collectivité éducative, les associations s’émietter, s’effondrer, la vie quotidienne ne peut pas être réglementée suivant un dogmatisme anachronique.

II s’agit d’adapter les structures traditionnelles aux exigences du monde moderne et du développement socio-économique de nos jeunes Etats. L’avantage de l’actualisation des structures traditionnelles est surtout la notion dynamique de la pédagogie active qui privilégie l’intérêt de l’enseigné qui doit être le soubassement de toute acquisition, toute action d’éducation et de formation. II s’agira alors, dans toute action d’éducation et de formation, de tenir compte de la réalité des structures traditionnelles si elles existent, de partir de leurs acquis pour finaliser ensuite l’action éducative. La rationaliser pour faire coller ces acquis aux préoccupations de la cellule formatrice : préoccupations culturelles, sociales, économiques, civiques…

– Exemple d’une action socio-économique (champ collectif etc.) ;

– Exemple d’une activité culturelle : partir des manifestations culturelles existantes etc.

En définitive, il ne s’agit point de rejeter les structures traditionnelles dans la mesure où tout n’a pas été négatif ; il ne s’agit pas, non plus, d’une application systématique car tout n’a pas été positif.

II nous appartient, à nous animateurs, éducateurs, par un dosage, une réinterprétation judicieuse, une adaptation raisonnée aux plans structurel, organisationnel, psycho-sociologique, pédagogique, de rechercher dans les structures de jeunesse de naguère, les valeurs qui feront l’unité, la discipline, la cohésion, le respect, le sacrifice dans la vie associative d’aujourd’hui afin de redonner à certaines de nos valeurs morales, par l’entremise de nos systèmes d’éducation, la dimension véritable de leur impact sur le comportement des individus.