Art

UN CRI UNIVERSEL

Ethiopiques n°83.

Littérature, philosophie et art

2ème semestre 2009

Iba Ndiaye aurait pu adopter la déclaration d’un artiste du continent africain, Hasan Musa : « On m’invite souvent comme peintre africain. Mais pour moi, peu importe la nationalité de l’art. Je suis peintre avant tout… et j’aimerais être reconnu comme tel » [2]. « Peintre avant tout » pour peindre « l’humaine condition » ainsi que le voulait Montaigne. Peindre l’homme à travers son modeste quotidien comme dans ses plus extrêmes déchirements. Peindre un homme qui ne se met pas à genoux et qui manifeste debout sa force de résistance y compris lorsque l’ultime solution est de crier. A cet égard, une œuvre est révélatrice : Le cri de 1987 [3]. Avec elle, le regardeur souvent impuissant à penser la violence, entend à travers ce cri muet les échos d’une souffrance universelle.

  1. IBA NDIAYE N’EST PAS UN PEINTRE AFRICAIN

Iba Ndiaye disait de lui-même qu’il n’est pas un « peintre africain » mais un « africain peintre » par cette déclaration qui n’est pas qu’un jeu de mot facile, il s’insurgeait contre tous les enfermements. Refus du goût malsain d’exotisme, de pittoresque, d’innocence, de primitivisme, de simplicité, d’authenticité ou de naïveté d’un public blasé qui veut retrouver ce qu’il a perdu. Résistance aux demandes d’un art occidental malade qui a besoin d’une transfusion revitalisante et voit dans l’émergence des artistes africains l’occasion de piocher sans scrupule dans un réservoir de formes, de couleurs et de thèmes qui lui apportera un « goutte-à-goutte » salvateur ; pillage du marché de l’art que deux observateurs de « l’art africain » ont pu décrire :

Pour lui, l’Autre est soit un divertissement, soit un territoire fertile où puiser sans vergogne de nouvelles ressources. Mettre le temps d’une exposition l’art occidental – son musée, son marché – sous perfusion de nouveauté, d’étrangeté, d’innocence (commerciale, supposée) ne participe-t-il pas du plus brutal impérialisme culturel ? [4].

Opposition à la récupération par des groupes, des tendances ou des mouvements artistiques en mal d’uniformisation et d’étiquette communautaire. Rébellion enfin contre les mots d’ordre venant de certains Africains qui décident que les artistes africains ne devraient pas trop s’éloigner de leur africanité, et dans leur recherche d’originalité. « Reste ce que tu es, un Africain avant tout » semblait dire un des commissaires de l’exposition South Meets West, l’Ivoirien Yacouba Touré qui s’inquiétait de la volonté d’assimilation, ou d’imitation du modèle international occidental en s’adressant à un artiste nigérian qui réside à Londres :

Il faut que vos œuvres aient une référence, aussi minime soit-elle, à une tradition, à une mémoire. Je pense qu’il faut un peu trahir l’africanité, mais la trahir au sens propre comme au sens figuré. C’est-à-dire la laisser entrevoir, la traduire ; et aussi la laisser tomber, lui être infidèle [5].

Contre toutes ses injonctions, il s’agissait pour Iba Ndiaye de ne pas céder à la facilité de répondre à la demande stéréotypée d’exotisme du marché international pour partir à la recherche de son identité dans un double mouvement d’émancipation : émancipation par rapport aux multiples contraintes imposées par les Occidentaux et émancipation par rapport aux mots d’ordre des Africains eux-mêmes, comme le montre bien la conscience aiguë qu’il avait des difficultés :

Prenez garde à ceux qui exigent de vous d’être Africains avant d’être peintres ou sculpteurs, à ceux qui, au nom d’une authenticité qui reste à définir, continuent à vouloir nous conserver dans un jardin exotique. Nous ne sommes pas nés plus doués que les autres, la plupart d’entre nous ne sont pas issus de familles d’artistes traditionnels, au sein desquelles le métier se transmettait de génération en génération, mais sont fils de villes africaines, créées pour la plupart à l’époque coloniale, creuset d’une culture originale, dans laquelle suivant les pays, dominent des apports étrangers ou autochtones… Nous devons nous rendre maîtres des techniques qui seules nous permettent de dépasser le stade de l’imagerie enfantine, de nous renouveler et nous donner l’audace d’aborder les thèmes iconographiques de l’Afrique contemporaine, continent éclaté, plus que jamais victime, mais dont les artistes doivent contribuer à donner l’image future d’un continent qui, libéré de contrats léonins, élaborera, une nouvelle africanité [6].

Très vite Iba Ndiaye a perçu l’exigence de se « rendre maîtres des techniques » pour se trouver soi-même. Lors de son premier séjour en France en 1948, à l’occasion de manifestations anticolonialistes, Iba Ndiaye prend conscience que jusqu’alors il était dans un carcan : peu à peu, dit-il, « j’ai vraiment réalisé que j’avais une identité propre. Il me fallait acquérir les moyens d’exprimer cette identité par le langage artistique » [7]. Recherche d’identité que l’on peut mieux cerner en s’aidant de la distinction mise en place par le philosophe Paul Ricœur, entre « mêmeté » et « ipséité ». Lorsqu’il s’agit de l’identité d’une personne, il existe deux modalités de permanence dans le temps qui correspondent respectivement à la mêmeté et à l’ipséité, la « perpétuation du même » et le « maintien de soi ». La « perpétuation du même » relève du semblable, de l’identifiable et de l’invariance dans une sorte d’identité répétitive, alors que le « maintien de soi » s’inscrit dans une volonté de la continuité de la personne, et dans le choix d’une fidélité à soi dans une identité toujours en construction. C’est cette revendication d’une identité en construction que l’on voit à l’œuvre chez Iba Ndiaye : comme tout artiste quelle que soit son appartenance géographique, il joue avec ses invariants personnels – caractère, aire de naissance, éducation, histoire personnelle – tout en assimilant l’altérité dans une fidélité profonde à ce qu’il est. L’injonction à suivre – non reçue de l’extérieur mais choisie par lui-même – n’est plus alors « reste l’africain que tu es » mais « deviens l’humain que tu peux être ». Finalement Iba Ndiaye aurait pu dire, à la manière de Paul Ricœur qui proclamait, refusant une étiquette réductrice, « je ne suis pas un philosophe chrétien, je suis un philosophe avec une sensibilité chrétienne », « je ne suis pas un peintre africain, je suis un peintre avec une sensibilité africaine ». Son africanité n’est pas un poids ou des œillères, c’est une composante de sa personnalité, seulement une sensibilité qui lui est propre. Tout est dit. Iba Ndiaye est d’abord peintre – même s’il est un Africain né dans un contexte colonial – par conséquent la découverte de soi-même doit passer par ce qui fait sa spécificité de peintre : le langage artistique. Il faut donc en acquérir les outils, apprendre son métier de peintre, maîtriser les techniques picturales et graphiques auprès des grands maîtres : Degas, Poussin, Goya, Rembrandt, Ruysdael, Ingres, les Fauves, Picasso et bien d’autres encore. Le pinceau ne connaît pas de frontière, il peut prendre toutes les couleurs.

Je cherchais et je continue à chercher à exprimer ce que je sens, comme je le sens. Je cherche dans ce que les artistes d’Europe et d’autres continents ont fait ce qui me convient pour en tirer le maximum et me trouver moi-même [8].

C’est donc dans cet équilibre harmonieux, dans ce dialogue et ce métissage réussis de racines africaines et d’acquisition de techniques internationales que Iba Ndiaye peut à la fois toucher l’Afrique et l’Occident. On peut rappeler ici la remarque décisive du commissaire de la biennale de Dakar 2006, Yacouba Konaté, pour qui l’art des artistes issus d’Afrique est celui des hommes qui interpellent l’Afrique et l’Occident en évitant les écueils des logiques colonialistes, ségrégationnistes, nationalistes ou internationalistes.

Pour interpeller l’Afrique, on n’est pas obligé de faire africain. De même pour faire universel, on peut faire profondément africain. L’identité africaine n’est pas une essence de type ontologique, suspendue hors du temps. C’est un produit de l’histoire des rapports complexes entre les identités collectives et les singularités personnelles. Les œuvres d’Art conjuguent ces deux registres sans se fermer aux appels de l’international [9].

Cette déclaration de Yacouba Konaté éclairera en filigrane toutes les analyses qui suivent, analyses centrées sur une seule œuvre de Ndiaye qui en cela est emblématique, Le cri de 1987. Ce cri appartient à une série dans laquelle Iba Ndiaye s’attache plus particulièrement aux problèmes de son continent et notamment celui de l’homme noir dans un monde dominé par les blancs. Mais l’axe révélera plus largement la résonance universelle du cri, même s’il est enraciné sur un territoire marqué par une histoire qui lui est propre.

  1. LE CRI UNIVERSEL DE LA SOUFFRANCE

L’histoire des arts est jalonnée de visages déformés par la terreur, aux bouches distendues par un cri. De la sculpture hellénistique du Titan Alcyoné de l’autel de Pergame aux personnages fantomatiques de Wuzz, la bande dessinée contemporaine de Philippe Druillet, en passant par la Tête de femme hurlant du Corrège, La peur de Gustave Moreau, certains masques du royaume Bangwa du Cameroun ou le gros plan du cinéma muet de la nourrice lâchant le landau dans Le Cuirassé Potemkine de Serguei Eisenstein, des personnages hurlent, pétrifiés sur place ou dans une dernière gesticulation frénétique. Cri du Nazaréen en croix qui expire dans la Crucifixion du retable d’Issenheim de Matthias Grünewald [10], cris de la mère et de l’enfant du Massacre des Innocents de Nicolas Poussin, cri expulsé dans un visage aux allures de tête de mort du personnage figé par l’angoisse d’Edvard Munch [11], cris des victimes de Guernica et cris des papes qui hurlent dans leurs cages de Francis Bacon. Autant de cris peints qui n’en finissent pas de retentir dans un assourdissant silence. Tous ces humains crient mais tous ne crient pas la même chose. Chez Grünewald ou Poussin, l’horreur est sur la toile, chez Munch ou Bacon l’horreur est hors scène, invisible. Un monde sépare, par exemple, le pape qui hurle de Francis Bacon [12] dans sa cage ou derrière une sorte de voile qui l’enferme et lui cache le spectacle du monde et les cris du Massacre des Innocents [13]. Chez Poussin, l’horreur est étalée : à l’avant scène un meurtre est en train de s’accomplir. Un soldat lève son glaive pour exécuter un enfant qu’il écrase au sol de son pied tandis qu’une femme s’efforce d’en arrêter le bras en hurlant. Trois bouches ouvertes qui hurlent : cri d’effort et de haine du soldat romain, cri de souffrance et de panique de l’enfant et cri de terreur et de supplication de la mère. Le spectateur comprend immédiatement pourquoi ces êtres crient comme il le savait devant le spectacle du cri d’agonie du Christ supplicié. Rien de tel chez Iba Ndiaye, pas de violence, pas d’arme, pas de sang, pas de larme, seulement une femme réduite au seul visage, avec une bouche immense en proie à une horreur sans nom qui la fait hurler en silence.

Comme Bacon avant lui, Iba Ndiaye ne peint pas l’horreur, il peint le cri. Ou plus exactement il peint l’horreur qui fait pousser le cri, il donne à voir cette force invisible qui fait crier et qui est absente du tableau. Ce cri provient de la vie qui habite encore celui qui ne se laisse pas terrasser par l’impuissance, qui ne se laisse pas murer dans le silence. Crier c’est lutter contre l’abîme qui s’ouvre en soi et hors de soi, crier c’est lutter pour s’arracher au vide qui menace d’engloutir. La souffrance que Iba Ndiaye désire évoquer ou plus justement faire ressentir au spectateur en le touchant au cœur de son être, est d’abord celle de l’exil. Iba Ndiaye a voulu l’exil, pour vivre sa passion d’artiste sans contrainte et posséder son métier de peintre. Même si c’est un choix, il connaît les déchirements de celui qui est éloigné de sa terre natale ; il peut parler de l’exil et de tout ce qui lui ressemble : bannissement, expulsion, proscription, relégation, déportation ou émigration en masse, exode et fuite. Quelles que soient les raisons – guerre, persécutions politiques, persécutions religieuses, causes économiques, causes climatiques – l’exil s’accompagne d’un cortège d’arrachement et de perte d’identité. Où qu’il soit l’exilé est dans ce que Heidegger appelle le « ne pas être chez soi » ou comme le dit justement Fethi Beslama en créant un néologisme : « La souffrance de l’exil est donc cet étrangement de soi à soi, par lequel l’exilé est hors de son exil, exilé de l’exil » [14]. L’« étrangement » étant cette étrangeté de soi à soi où l’exilé ne reconnaît plus son existence comme sienne.

Pour permettre de ressentir ce cri de l’exilé, Iba Ndiaye invente des solutions picturales qui donnent l’équivalent plastique du cri : ici le lavis d’encre sur papier. Dans Le Cri, Iba Ndiaye ne part pas d’un croquis préalable mais de photographies qui inspirent ensuite le lavis : ce cri est une transposition de photographies. N’oublions pas que Ndiaye fut à ses débuts peintre d’affiche de films pour des cinémas de sa ville natale, Saint-Louis du Sénégal. Dans un entretien avec Franz-W Kaiser, Iba Ndiaye cite son interlocuteur pour décrire la technique employée :

La transposition des photographies en posters exigeait d’accentuer les contrastes et de condenser en lignes individuelles les différents tons de gris qui modèlent les formes. D’autre part, cette activité conduisit Iba Ndiaye à imiter les effets produits par l’exposition d’une pellicule à une source de lumière intense en mouvement, reproduisant simultanément les positions successives de cette source de lumière. Cet effet est typique de la photographie, mais peu habituel en peinture : cela semblait le moyen idéal pour suggérer l’idée de mouvement sur une image fixe [15].

On pourrait ajouter que la photographie prend à l’improviste et presque par effraction une posture que l’œil n’est pas toujours capable d’isoler. Mais la peinture, ou ici le lavis d’encre, permet de parvenir à une intensité et une vie qu’aucun autre art, aucun matériau ne peut atteindre. Iba Ndiaye aurait certainement partagé cette déclaration de Francis Bacon, cet autre spécialiste du cri : « Je pense que, maintenant que l’on dispose de moyens mécaniques d’enregistrement tels que le cinéma et l’appareil photo et le magnétophone, on doit en peinture s’enfoncer jusqu’à quelque chose de plus élémentaire et fondamental » [16]. Un interprète et ami de Bacon, David Sylvester [17], ajoutait que le peintre saisissait ses personnages à des « moments de crise », à des instants de « conscience aiguë » ou lorsqu’ils « reconnaissent ce qu’on pourrait appeler des vérités élémentaires sur eux-mêmes ». Ces vérités humaines fondamentales, qui se révèlent à l’homme dans ces phases aiguës, apparaissent dans et par la peinture d’Iba Ndiaye.

Sur un fond blanc qui ne dit rien de la situation dans un lieu reconnaissable, l’image très forte d’une tête en gros plan envahit entièrement l’espace pictural. Le lavis d’encre, comme la photographie en noir et blanc, permet toutes les nuances de gris entre le noir de l’encre et le blanc du papier qui sculptent les volumes d’un visage africain surgi de nulle part. Le regard n’est jamais arrêté par des détails parasites colorés, il se focalise sur le centre de l’œuvre. Le mouvement engendré par les traces courbes du pinceau propulse toute la tête en avant dans la tension de l’expulsion du cri. La forme noire sur la gauche, à peine esquissée, ressemble dans son abstraction à une griffe ou une main décharnée qui accentue la terreur inconnue à laquelle la femme est en proie. L’émotion, qui avait traversé l’artiste à la naissance de l’œuvre, guide la main savante dans la plus grande liberté de son expression.

Ce personnage aux traits déformés ou mal équarris, aux yeux mi-clos, aux mâchoires puissantes vocifère dans l’ombre. Toute la composition du visage est organisée autour du cri, tout converge vers la bouche. Les dents proéminentes et irrégulières, souvent absentes dans la peinture des cris – pensons néanmoins au Christ de Grünewald, ou au cri de Méduse du Caravage [18] – accentuent la férocité de l’horreur qui fait pousser le cri. De nombreuses œuvres de Ndiaye attestent de son intérêt pour la visibilité de la bouche au cœur du visage : pour mémoire Le Cri /Tête d’une Statuette Djem Nigeria [19], La femme qui crie [20], ou Etude d’après un masque wé [21]. Sa série sur le Jazz, notamment Jazz à Manhattan [22], dans une toute autre perspective, insiste sur la bouche des chanteurs qui devient le centre des toiles pour rendre quasiment perceptibles les sons et le rythme. Le sculpteur Henry Moore [23] observait qu’un trou dans un bloc de pierre empiète sur lui, le dévore presque et en devient le centre, au point de n’être que « la carcasse d’un trou ». De la même manière, les bouches, qui trouent les tableaux de Ndiaye, réduisent les visages et parfois même les corps entiers à n’être que « la carcasse d’un trou », d’une bouche ouverte sur le vide. Ndiaye concentre tout le corps à cette bouche aveugle, immense synecdoque de la personne terrassée par l’angoisse. Cet être tétanisé expulse le cri d’un vivant dans une situation extrême : le son même de la vie dans son expression la plus tragique, peut-être le dernier appel avant la mort. Dernier soubresaut pour refuser le silence fataliste ou complice de l’acceptation muette. Dans une autre série, celle des moutons, par exemple, avec La ronde à qui le tour ? [24] Iba Ndiaye met en scène des moutons qui attendent docilement leur tour pour être abattu. Il ne faudrait pas seulement voir dans cette scène un épisode de la vie quotidienne africaine dans tout son exotisme : nous sommes tous des moutons en puissance chaque fois que nous nous soumettons à l’autorité, que nous sommes indifférents face à l’injustice et que nous ne nous révoltons pas contre la violence. Il n’y a pas que les moutons qu’on égorge !

Ce cri, réduit à sa plus élémentaire dimension, devient le prototype de la clameur universelle et silencieuse de l’humanité. Par les moyens picturaux qui lui sont propres, Iba Ndiaye produit chez le spectateur une anticipation de la qualité du son, une tension des muscles et une crispation du corps et cette appréhension de l’horreur qui lui ferait pousser un tel cri. D’une certaine manière, il perçoit l’intensité du cri peint dans l’écho physique qu’il ressent. Et à ce moment le cri n’est plus seulement celui de l’exilé qui a peut-être été à l’origine de cette œuvre particulière, il est le cri devant toutes les menaces et les dangers, le cri devant tout ce qui entraîne la dépossession de soi : oppression, mort, séparation, torture, violence, viol, carnage, guerre ou solitude. Ecoutons ce que disait Iba Ndiaye Diadji de ce cri en lavis d’encre.

Par cette œuvre majeure, le cri devient une réalité palpable dans sa férocité et dans sa puissance rendue par toute la place faite à la bouche et à la gorge du personnage dont la tête en gros plan occupe tout l’espace pictural. C’est un cri de révolte de toute l’Afrique dont les fils sont victimes de racisme, de discrimination, de mépris [25] .

En cela Iba Ndiaye est bien africain : il évoque les problèmes des hommes de son continent à l’instar de compatriotes tel Viyé Diba qui parle des massacres du Congo dans Ere-Pré-Pygmée : messe-nue [26] ou Ndary Lo [27] qui dans Les Os de mes ancêtres [28] fait mémoire de l’esclavage. Mais, à chaque fois, c’est aussi le cri de la planète qui frappe pour tous les hommes.

CONCLUSION

Ainsi Iba Ndiaye, ce peintre qui se voulait peintre avant tout, a atteint le but qu’il se proposait : parler des drames du monde grâce à l’acquisition magistrale des techniques de la peinture : « Je pensais qu’en possédant ce métier, je pourrais exprimer certains thèmes – les drames du monde qui me concernaient, par exemple -, affirmer ma position devant des situations que je voulais dénoncer. Et je ne pourrais le faire que grâce à ce métier » [29]. Cette modestie de l’artisan qui n’en appelle pas au génie, au talent ou à l’inspiration, mais au patient travail de la main est justement la marque des grands artistes qui touchent universellement le cœur des hommes en transcendant toute particularité. En cela Iba Ndiaye est un révélateur de ce qui peut relier les humains.