Poésie

TEMPS NONPAREILS

Ethiopiques numéro 23

Revue socialiste

de culture négro-africaine

juillet 1980

Temps nonpareil

C’est moi aussi quelque part dans un temps nonpareil

sans fleur, serti de vraies chitines ;

prisonnier de la terre morte, prisonnier

d’images, de sons terrant

le parler fort de la Terre.

Quelque part, le marécage travaille, le sable

pense ; une lagune

érode le roc.

En mon sang se brise, debout,

l’accointance des roses inertes ;

le pays fourbit son arme, endosse

à nouveau son tonnerre.

Tout le pays écoute et rit,

tout le pays se gratte la chair,

sans sommeil et sans étoile.

Casablanca 11 novembre 1979

Toiles

Il faudra te nettoyer les oreilles des toiles

d’araignée qui s’y fabriquent ; mauvais tissage !

Il te faudra oser, toujours oser crever

l’œil trop calme du cyclone…

et construire en toi le miroir où l’on voit

courir en mer le cheval mort de l’éclipse,

sans le courlis roulis d’ailes puissantes

que je porte au soleil mal compté ; sans soleil.

 

La barque, au crépuscule, taille le grégaire nuage

en étincelles, en escarbilles.

Casablanca 11 novembre 1979

Perdition

à Brahim Lehiany

Fauconnier solitaire brandissant ton cœur nu

pour gaver ton oiseau disparu dans la prunelle

ardente des soirs fauves ;

Fauconnier, sans raison, sans musique, tu vas,

tu viens tournant en rond et sans relâche

sur la rocaille où sèche le rêve ;

tu grandis, tu t’amenuises, sifflé

par le haje irrédentiste, le geai rieur…

par ton arme perdue, digérée par le ciel ;

Fauconnier fou, l’amour est un brandon,

un tison que le silence

apaise.

Casablanca 17 novembre 1979

Diaspora

La nuit collait à ma rétine, ne faisait qu’une

avec la pierre en cette mare d’étoiles…

Vieux diamant, l’œil et la danse suppriment

et aveuglent ma nuit au point du jour, au terme

de la vague sans musique, sans oiseau…

Océan, j’entends la diaspora guerrière

et la blancheur du coton noir ;

j’entends les chaînes qui s’entrechoquent…

Au fond des cales, je vois le nègre

gratter ses rides, crier…

Je le sens qui me gratte.

 

Mon amour en allée dans la ténèbre

Je vois l’enfant jaillie des sources.

Tiznit ! Sous le galet se dresse

à nouveau son nuage.

Oiseau, l’abeille n’est pas

au muret… le silence

du torrent pleut cruel.

Mon amour effeuillé fuyant ma fuite

avec les tiers premiers les tiers derniers

quand tout fourmille autour des crampes

d’échos et de veinules… Quand le fucus

éclate,

marcheur !

Mon amour, je flamboie, mortel et sûr,

tectonique et de neutrons ; je rabote

mon cercueil vêtu de peaux

et de tonnerres.

Tiznit, 8 décembre 1979