Culture et civilisation

RESUME DES COMMUNICATIONS

Ethiopiques numéro 11

revue socialiste

de culture négro-africaine

juillet 1977

NICOLAUS BARBU (Université de Bucarest, ROUMANIE)

La guerre que les Romains ont faite à Jugurtha nous fait voir clairement les valeurs que désiraient obtenir les peuples engagés dans le conflit, Romains Numides, Maures, aussi bien que les instruments employés pour les obtenir. Les affections imposent à l’homme l’obligation de se procurer certaines valeurs, la raison calcule et choisit les instruments propres à les obtenir, la volonté exécute les ordres des affections, éclairée par la raison. A la lumière de ces considérations, Jugurtha nous apparaît comme poussé à agir par un invincible désir d’obtenir la puissance et la gloire. Sa volonté s’est avérée toute aussi forte et indomptable que ses affections, mais sa raison n’a pas su l’acheminer dans la meilleure voie, parce qu’il s’est aventuré à faire la guerre à Rome. Il est vrai que certains Romains se sont laissés corrompre par l’or du roi de Numidie, mais le sénat, le peuple, l’armée et les commandants de l’armée romaine sauf quelques exceptions peu nombreuses, disposaient encore des conditions psychologiques, morales, intellectuelles, et des conditions matérielles nécessaires à l’obtention de la victoire. Bocchus, le roi des Maures, s’est avéré plus sage. Jugurtha nous offre le tragique exemple d’un homme doué de beaucoup de qualité, mais dont la raison n’a pas pu trouver les moyens les plus appropriés à la réalisation de ses desseins.

SILVERIO CERRA-SUAREZ

(Séminaire d’Oviedo, ESPAGNE)

Africa Antiqua in Isidori Hispalensis etymologiarum libris

Quoique les fondements de la recherche géographique dans l’antiquité aient été établis par les penseurs présocratiques, c’est l’agrandissement de l’horizon politique et culturel acquis pendant la période hellénistique qui a conduit la Géographie classique à son riche développement, à sa pleine maturité sous les aspects descriptif et mathématique. Ces progrès ont apporté un enrichissement parallèle des sciences connexes à la Géographie, notamment l’Anthropologie. Les connaissances géographiques et anthropologiques de la période hellénistique ont été recueillies par les savants romains lesquels ont apporté de maigres développements à la science antérieure, sauf dans les aspects descriptifs. Ils ont plutôt commencé une tradition scientifique, dont le caractère compilateur s’accentue au fur et à mesure que sa fin approche.

On peut considérer comme le point culminant de cette tradition la figure encyclopédique d’Isidore de Séville. Il a singulièrement abouti à ramasser dans son chef-d’œuvre, les Etymologiarum sive Originum libri XX, presque toutes les connaissances de l’Antiquité en une synthèse très particulière par ses explications génétiques de caractère philologique.

La Géographie est toujours présente dans les développements et descriptions isidoriens. A travers les Etymologiae on peut offrir un cadre assez complet des connaissances géographiques de l’Antiquité tardive.

L’Afrique, ou la Libye qui était, dans l’expression plus ancienne, une des trois parties du monde, devient continuellement présente tout au long de l’ouvrage d’Isidore, bien que sa connaissance repose sur des points de vue très limités, en se bornant presque exclusivement à l’Afrique du Nord, avec quelques renseignements très rares et fortement imprécis sur l’Afrique subsaharienne. Mais de l’Afrique du Nord, il décrit avec beaucoup de détails le territoire, les accidents géographiques, les conditions climatologiques, la faune et la flore, les divisions politiques, les productions de son agriculture, les travaux de ses habitants, les exploits de ses anciens héros, la situation, l’origine et les traits les plus curieux concernant ses villes.

Le sujet de cette communication prétend mettre en relief, malgré ses limitations et l’hétérogénéité des sources dont Isidore fait usage, la richesse des connaissances africanistes au moment intellectuel le plus haut de la culture wisigothique en Espagne à la fin de l’Age Antique. Elles sont d’autre part devenues un des plus importants points de départ pour les développements ultérieurs géographiques et anthropologiques du Moyen âge européen.

FRANÇOIS-REGIS CHAUMARTIN

(Université de Dakar – SENEGAL) L’Enseignement du Latin au Sénégal et les Auteurs préférés en Afrique.

Les deux principales raisons qui font que l’étude des langues classiques est importante pour les Africains sont d’une part les nombreux éléments de similitude, qui existent entre la civilisation gréco-romaine et les civilisations négro-africaines et d’autre part les nombreuses relations qu’il y a eues à diverses époques entre le monde gréco-romain et l’Afrique.

L’examen attentif de ces questions tient donc une place majeure dans les départements de langues et d’histoire anciennes. Elles ont été largement débattues dans un colloque qui a eu lieu à Dakar en janvier 1976. Des études ont été publiées sur les parallélismes structurels dans les rites de passage et sur le rapport de l’homme au monde dans les dites civilisations. Quant aux textes, on étudie, bien entendu, ceux où il est directement question de relations entre la Grèce ou Rome et l’Afrique, tels que les Histoires d’Hérodote, le roman d’Héliodore intitulé les Ethiopiques ou Théagène et Chariclée, la guerre de Jugurtha de Sallustre, les chants de l’Enéide sur les amours tragiques d’Enée et de Didon, les livres de Tite-Live sur les guerres puniques et les relations de Rome avec les princes Numides. Mais à propos de tout autre texte, on appelle l’attention des étudiants sur les éléments de similitude ou sur la critique des valeurs ancestrales, ce qui permet de nombreux rapprochements avec la littérature africaine d’expression française.

En ce qui concerne l’enseignement, une nouvelle méthode est appliquée dans le second degré depuis quelques années. Elle est au départ entièrement audio-visuelle et durant la première année et la plus grande partie de la deuxième le maître ne se sert que du Latin. L’usage constant du dialogue rend le rapport du maître aux élèves plus chaleureux, des conversations en Latin autour des réalités quotidiennes africaines préparent les élèves à entrer dans la familiarités des Latins. Progressivement ils découvrent de nombreux éléments qui leur sont communs : l’importance de la place publique, les relations de patronat et de clientèle, tel ou tel détail de l’habitation, les métamorphoses d’êtres humains en animaux dont sont nourris maints récits.

Graduellement depuis le troisième trimestre de la deuxième année on passe à la traduction du Latin en Français, dont on fait l’apprentissage méthodique en troisième année. Il est conduit à partir d’explications données entièrement en Latin, sans recours au dictionnaire. La grammaire d’abord implicite prend la forme de synthèses, qui sont complétées au cours des années, sur la manière d’exprimer en Latin telle ou telle notion.

A l’Université les étudiants sont initiés à l’application de la méthode par des cours données entièrement en Latin, par des exercices de traduction faits à partir d’explications en Latin, à l’Ecole Normale Supérieure, où ils entrent après la maîtrise ou la licence, ils y sont préparés directement et effectuent des stages en responsabilité.

JEHAN DESANGES

(Université de Nantes – FRANCE)

Les rapports commerciaux entre l’Afrique romaine et le centre de l’Afrique.

Nous considérons successivement les rapports commerciaux de l’Afrique du Nord romaine (de la Mauritanie à la Cyrénaïque) avec l’Afrique saharienne et subsaharienne et les rapports commerciaux de l’Egypte romaine avec l’Afrique nilotique et érythréenne (au Nord du royaume d’Axoum).

Dans l’aire de l’Afrique du Nord romaine, il est assez difficile de mettre en évidence les importations en provenance du Sud. Aucune expédition navale n’est signalée sur les côtes sahariennes à cette époque. Non seulement il n’existe aucune preuve du trafic de l’or dans l’Afrique atlantique, mais encore il y a des indices importants que ni le Sénégal, ni même le Maroc n’approvisionnaient Rome en or. Il n’y a pas de raison non plus de supposer un trafic d’esclaves noirs, bien que l’iconographie du Noir en Afrique du Nord ne soit pas négligeable. En revanche, des fauves ont dû parvenir du Sud, et nous croyons que l’expédition de Julius Maternus est liée à ce trafic. Mais les éléphants (et l’ivoire) ont pu, au début de l’époque impériale, provenir du Maghreb, ainsi que les autruches (et leurs plumes) pendant toute la période romaine. A l’inverse, il est possible que la trouvaille de quelques monnaies romaines en Mauritanie, à proximité d’une « route des chars » ne soit pas dénuée de signification. Des bronzes et des laitons de Medinet Sbat, en Mauritanie Occidentale, proviennent peut-être d’Afrique du Nord. On ne sait si le cuivre a traversé en sens contraire le Sahara.

Nous connaissons beaucoup mieux les rapports entre le monde romain, et plus particulièrement l’Egypte, d’une part, et la Nubie ou les tribus de la mer Rouge, d’autre part. On importait en Nubie du vin ou de l’huile contenus dans des amphores, de la céramique qui a influencé la céramique locale, de la verrerie, de la joaillerie, sans doute aussi des vêtements. Des sculpteurs et des musiciens originaires des pays méditerranéens séjournaient à Méroë. En sens inverse, la Nubie fournissait de l’ivoire, un peu d’or et d’ébène, de l’ocre, des pierres précieuses, divers animaux, des esclaves. Nous savons quels produits l’Empire romain exportait dans les escales de la mer Rouge, grâce aux « archives de Nicanor ». De façon plus générale, le mouvement des échanges maritimes est assez bien connu par le Périple anonyme de la mer Erythrée.

Il n’est pas douteux que le Sahara a constitué une barrière importante et que le régime des vents et des courants a interdit l’usage régulier de l’Océan Atlantique au Sud du Maroc actuel.

En revanche, la voie nilotique, malgré ses difficultés, était plus praticable et la voie de la mer Rouge, antichambre de l’Inde, a été fort utilisée. D’où une dissymétrie dans les échanges, qui sont beaucoup mieux connus et furent certainement beaucoup plus importants à l’extrémité orientale de la zone du continent africain soumise à l’imperium Romanum.

LUCIENNE DESCHAMPS

(Université de Bordeaux III FRANCE)

L’Afrique et les Africains chez les poètes satiriques latins.

Parmi les poètes latins auteurs de satires, Ennius, Lucilius, Varron, Horace ont peu parié de l’Afrique et des Africains. Et lorsqu’ils en ont parié, ils se sont bornés à répéter des formules toutes faites, des lieux communs, des proverbes connus de tous, ou à évoquer dans des « chries » certains épisodes africains de la vie d’hommes célèbres. Cela prouve leur ignorance réelle de l’Afrique et des Africains et le peu d’intérêt qu’ils y portaient, car là n’était pas leur sujet. Seul, Varron a fait quelques remarques plus personnelles, en particulier à propos des cultes égyptiens qui commençaient à connaître un grand succès à Rome à son époque et qu’il désapprouvait.

La situation change avec Juvénal. Ses allusions à l’Afrique et aux Africains sont très nombreuses. Certes, on trouve chez lui les mêmes lieux communs que chez les autres, mais en outre, on sent une connaissance plus grande que chez ses prédécesseurs de certaines réalités africaines, celles qui se sont introduites dans la vie quotidienne romaine de l’époque à la faveur du développement des relations en tous genres entre l’Italie et le continent africain. On rencontre chez lui, comme chez Varron, des réactions personnelles sur les cultes Egyptiens, mais également sur le comportement des Africains et spécialement des Egyptiens dans leur pays et à Rome. Son manque de bienveillance, qui est nouveau par rapport à ses prédécesseurs, s’explique par un ressentiment personnel contre la présence et la réussite de certains Egyptiens de son temps à Rome, situation que n’avaient pas vécue les premiers poètes satiriques latins.

On peut dire cependant que Juvénal n’a pas connu l’Afrique ni les Africains plus réellement que ses prédécesseurs, car il les a vus à travers l’image déformante qu’en donnaient à Rome certains d’entre eux, et il n’a pas cherché à aller au-delà.

CAELESTIS EICHENSEER

(Université de Saarbrücken ALLEMAGNE FEDERALE)

Quid quidam christiani scriptores antiqui referant de Africa

Dans l’Afrique du Nord antique romanisée, il y a un nombre surprenant d’écrivains chrétiens. La majeure partie des œuvres d’environ cinquante auteurs nous est parvenue, bien qu’avec la conquête de Carthage en 698 et de la ville de Ceuta en 709 par les Musulmans et par les Arabes non seulement la civilisation romaine mais encore la religion chrétienne de l’Afrique du Nord aient été effacées.

Le début de la christianisation de l’Afrique romaine (venant probablement de l’Egypte) est dans l’obscurité parce qu’il n’y a ni monuments, ni inscriptions, ni littérature. Mais le dossier des martyrs de Scilli datant de l’année 180 (environ) qui représente une sorte de procès-verbal de justice témoigne déjà d’une large extension de la religion chrétienne.

Tout indique que dans les derniers temps de l’empire, l’Afrique du Nord est au zénith de la production littéraire romaine. Salvien de Marseille (5e siècle) considère l’Afrique comme l’âme de l’empire romain.

L’écrivain chrétien-latin le plus éminent, c’est Augustin (+ 430), et l’œuvre de Tertullien (+ 240), le premier écrivain chrétien-latin, est déjà vaste. Il est un créateur presque inépuisable de termes nouveaux.

Un des écrivains important et universel de l’époque ultérieure est Fulgence de Ruspe (5/6e siècle).

A côté des détails sur les doctrines chrétiennes et affaires chrétiennes, on trouve chez la plupart de ces écrivains chrétiens énormément d’informations sur le pays et les habitants, sur les mœurs et les coutumes et les caractères de la langue et du tempérament des Africains. Malheureusement on ne peut citer que relativement peu d’exemples et de textes, et il est même difficile, de faire un choix, aussi bref que possible, dans la multiplicité des indications et des informations.

AUGUSTIN HEVIA-BALLINA

(Séminaire d’Oviedo, ESPAGNE)

De Novis Latinis vocabulis efformandis Ex JOANNIS CALVETI Aphrodisio expugnato sive Aphrica.

La formation de néologismes latins d’après l’Aphrica de Jean CALVET.

Ce fut avec un grand plaisir que j’ai pu rencontrer, par un hasard très heureux, au Marché aux puces (Rastro) de Madrid, un petit livre très précieux, sur la conquête d’Aphrodisium, une ville de la côte tunisienne, connue des Anciens sous le nom d’Aphrica (Ioannis Christophori Calveti Stellae De Aphrodisio Expugnato, quod vulgo Aphricam vocant, commentarius, cum scholiis Bartholomaei Barrienti Illiberritani. Edition latina VIII. Accendum eiusdem Calveti Carmina varia, Matriti, apud Ant. Perez de Soto, anno MDCC LXXI, 23 hh., 288 pp ; 40 pp).

L’auteur de ce beau livre est le catalan Jean Christophe Calvet, qui a vécu en plein XVIe siècle, et a connu un grand succès attesté par les fréquentes réimpressions de son œuvre.

Je ne sais si, en des circonstances différentes, j’aurais prêté une attention spéciale à ce livre. Quand je le lisais, j’ai dirigé ma pensée vers notre Congrès du Latin Vivant tenu dans un pays de l’Afrique. Cela m’a fait lire l’Aphrica avec un grand profit parce que beaucoup de renseignements sur des choses africaines s’en dégageaient et en même temps j’y trouvais de précieuses tentatives pour aboutir à exprimer en latin les institutions et la situation de l’époque à laquelle l’auteur avait écrit. J’ai découvert là un inestimable témoignage de ce qu’on doit faire pour garder le latin comme une langue toujours vivante.

Je voudrais souligner les deux aspects suivants : la valeur géographique et historique de notre livre, et le bonheur avec lequel l’auteur traduit des mots espagnols surtout techniques en latin de la Renaissance.

Ce sont des faits d’armes que le livre raconte et ce sont surtout les termes militaires qui créent des difficultés pour aboutir à l’expression la plus proche possible du vrai caractère de la langue latine.

Notre principal dessein est l’évocation émue d’un auteur et d’une œuvre témoins vivants de ce qu’on peut faire avec une langue devenue au cours de l’histoire, le moyen de communication scientifique et intellectuel de l’Europe.

AUGUSTIN HEVIA-BALLINA

(Séminaire d’Oviedo, ESPAGNE)

Praecipuae martyrii ad salutem connotationes ex divi caecilli thascii Cypriani carthaginiensis doctrina erutae.

Le martyre et le salut éternel d’après Saint Cyprien de Carthage.

Le martyre, comme expression de l’assimilation du chrétien à la mort du Christ et comme manifestation extérieure du témoignage de la foi des disciples du Seigneur, a constitué pour Cyprien, l’évêque si contesté de Carthage, comme le centre nerveux de sa pensée.

Les problèmes suscités par les persécutions contre la communauté carthaginoise et l’action pastorale de l’évêque Cyprien débordèrent bientôt les limites de l’Eglise locale et rencontrèrent des échos même dans l’Eglise de Rome.

L’attitude fortement inhibitive de L’évêque carthaginois face au martyre, se cachant aux moments les plus durs de la persécution contraste bien évidemment avec ses expositions doctrinales.

Cependant l’enseignement de notre évêque est demeuré très précis à chaque persécution, comme une solution pratique aux controverses qui naissaient.

J’essaierai ici de définir le concept de martyre d’après Saint Cyprien, en soulignant les conditions requises pour qu’on puisse parler de martyres Christi.Je veux faire bien remarquer le rôle du martyre comme témoin de l’Evangile, témoin du Christ et témoin de L’Eglise. A la fin, je tâcherai d’en déduire les rapports principaux du martyre et du salut éternel, ainsi que le rayonnement eschatologique de la récompense d’une mort « pro Christi nomine ».

Le martyre conduit le chrétien à reproduire pleinement le mystère de la Mort et de la Résurrection du Christ. C’est bien pour cela que le martyre a fini par être considéré comme un baptême du sang. Tout ce que le baptême réalise chez le chrétien par le signe couronne le témoignage de la foi par la ferme adhésion du martyre à la personne du Christ ; le martyre en arrive à mourir avec le Christ et le corps qui est semé en corruption ressuscitera en incorruption.

A travers les enseignements de l’évêque Cyprien de Carthage, je remarquerai des lignes, pas encore exactement formulées, qui aideront bientôt à la systématisation de la pensée de l’Eglise sur les conséquences pour le salut du martyre chrétien.

JOSEPH IJSEWIJN

(Université de Leuven, BELGIQUE)

Les écrivains latins d’Afrique dans les temps modernes.

Les premiers contacts des navigateurs européens avec les côtes de l’Afrique noire à l’époque des grandes découvertes se sont traduits par des déplacements de population et des échanges culturels.

C’est au XVIe siècle, dans les lettres de Nicolas Clénard, que nous trouvons le premier témoignage de ces échanges. Ce Flamand rapporte comment, lors d’un séjour à Fez (1540-1), il enseigna la langue latine à de petits esclaves, dont trois étaient « Ethiopiens », c’est-à-dire noirs.

Sous le règne de Philippe II, en 1573, paraît à Grenade le recueil des œuvres d’un poète noir, qui se donne à lui-même le nom de Johannes Latinus. La pièce dans laquelle il célèbre la victoire de don Juan d’Autriche à Lépante témoigne, à défaut d’une très grande originalité, d’une maîtrise accomplie des ressources de la poétique latine du temps. La carrière ultérieure de ce poète ne nous est pas connue.

Le XVIIIe siècle est illustré par Antoine-Guillaume Amo, né en 1703 sur les bords du golfe de Guinée, domestique du Duc de Brunswick, auteur du De iure Maurorum, d’un Tractatus de arte sobrie et accurate philosophandi et de la dissertation De humaniste nantis apatheia. Après la mort de son illustre protecteur, il se rendit à Axoum en Ethiopie, puis retourna dans son pays.

Jacques-Elisée Capitein, lui aussi originaire du golfe de Guinée, était esclave.. Converti au christianisme, il prononça à Leyde en 1742 un discours public pour montrer que l’esclavage n’est pas en contradiction avec la liberté chrétienne. Sa connaissance des langues et son érudition frappent les lecteurs d’admiration. Il est également l’auteur de poèmes. Il meurt en 1747, de retour dans son pays. Une biographie lui a été consacrée par A. Eekhof en 1917.

Il est hors de doute que le riche champ des lettres latino-africaines promet encore de nouvelles moissons aux chercheurs.

BERNHARD KYTZLER

(Université de Berlin, ALLEMAGNE FEDERALE)

De Roma aeternae apud sciptores Africanos laudibus (Les échos de la Rome éternelle chez les écrivains africains).

Dans la littérature latine, la voix de l’Afrique retentit avec grand éclat : des œuvres très importantes, des auteurs remarquables sont venus de cette partie de l’Empire Romain. Ainsi donc l’Afrique a contribué beaucoup à la civilisation romaine et européenne.

Quand nous nous concentrons sur un sujet spécial et que nous regardons les éloges de la Rome Eternelle formulés par les auteurs africains, nous rencontrons des noms illustres comme ceux de Saint Augustin et de Tertullien, qui ont traité ce sujet très souvent et avec une éloquence incomparable. Il faut ajouter aussi des écrivains moins connus mais non moins valables comme les poètes Dracontius et Luxorius ou Priscianus. En outre, il n’y a pas que les livres africains qui parlent de la grandeur de la culture romaine, il y a aussi les pierres : par exemple deux inscriptions latines qui proviennent respectivement de la Mauritanie et de la Numidie témoignent des richesses de la civilisation romaine, de la paix et de la justice qu’elle a fait régner.

Ces textes, qu’il s’agisse de poésie ou de prose, montrent grâce aux nombreux témoignages que nous possédons, comment dans une partie de la littérature latine et de la pensée unique, ou de très nombreux traités ou poèmes s’offrent pour une comparaison, l’Afrique parle avec une voix propre et distincte, riche et remarquable.

GIUSEPPINO MINCIONE

(Université « d’Annunzio », ITALIE)

Ammien Marcellin parle aussi de l’Afrique.

Ammien Marcellin, dans les livres d’histoire qui nous restent, traite çà et là, des choses africaines. Parfois, il le fait en passant, parfois au contraire délibérément et en entrant dans le détail ; et de cette façon, il contribue à nous faire connaître des villes, des régions et des peuples de l’Afrique du Nord et même de parties plus intérieures du continent surtout pour la période du IVe siècle après Jésus-Christ.

ANGELA MINICUCCI

(Université de Florence, ITALIE)

De Africa et de Afris quid senserit quid scripserit Franciscus Petrarca.

L’Afrique et les Africains dans l’œuvre de François PETRARQUE.

Dans le poème « l’Afrique » et en d’autres ouvrages surtout historiques, Pétrarque a traité de lieux et de personnages de l’histoire de l’Afrique du Nord, suivant ses sources latines (Tite-live, Lucain, Justin, Florus, Aulu-Gelle, Suétone, Valère Maxime, Pline l’Ancien, Frontin, Pomponius Mela, Solin etc…). Il a tiré beaucoup de renseignements géographiques, mythologiques etc… qui ont rapport à l’Afrique de Cicéron, Lucain, Ovide, Solin, Pline, Pomponius Mela, Isidore etc…

Dans le poème « l’Afrique » Syphax, Sophonisbe, Magon, et même Annibal sont les expressions vivantes du sentiment-essentiel de la spiritualité pétrarquienne de la caducité de toute chose.

Il a senti la grandeur d’Annibal : dans les biographies qu’il écrivit d’Annibal et de son grand ennemi Scipion le premier Africain on remarque un parallélisme. La représentation de Sophonisbe est faite de telle manière qu’elle rappelle Laure. La plainte de Magon la seule pièce connue avant la mort du poète fut beaucoup critiquée pour les sentiments chrétiens prêtés à un païen contre ses censeurs. P. écrivit une lettre à Boccace (Sen. II, I). Il n’accepta pas la légende virgilienne des amours de Didon, la reine étrangère devenue africaine, avec Enée : il suivit l’autre légende transmise par les écrivains africains selon laquelle Didon aurait vécu trois siècles après Enée ; pour garder la foi donnée à Sichée, elle avait préféré mourir.

Il s’intéressa beaucoup à l’Africain Térence. Une de ses plus remarquables entreprises philologiques concerne le poète, qui avait été confondu avec Terentius Culleus. P. corrigea cette erreur qui remontait à Orose.

Saint Augustin fut pour P. le modèle de sa vie intellectuelle et spirituelle. Apulée est avec Martianus Capella un des écrivains qu’il a lu en toute hâte (Fam. XXII 2, II-12). Il l’a cité presque 15 fois. Il a beaucoup puisé dans les œuvres de Macrobe, de Servius, de Lactance. Il a cité Terentianus Maurus et Saint Cyprien. Parmi les poètes géorgiques il mentionne le carthaginois Magon, auteur d’un poème en langue punique (Buc. Carm. X, 170).

ETTORE PARATORE

(Université de Rome, ITALIE)

Les témoignages de César (les siens dans le deuxième livre du De bello civili, ceux d’un de ses lieutenants dans le Bellum Africum) et de Salluste (dans le Bellum Jugurthinum) sur l’Afrique ont leur origine dans l’expérience personnelle que les deux écrivains et hommes politiques ont eue de la région. Salluste est lui-même un des personnages du Bellum Africum et a gouverné la région après la victoire de César. César et Salluste nous présentent tous les deux l’Afrique comme une région foisonnante d’inconvénients, désastreuse pour des armées qui doivent faire la guerre, parce que le ravitaillement et la recherche de l’eau sont très difficiles. Mais cependant la région apparaît dans leurs pages riche aussi en ressources, dont les habitants sont les premiers à profiter pour faire triompher leur tactique particulière.

BOSLESLAUS POVSIC,

(Bowling Green State University, Ohio, ETATS-UNIS)

La Grammaire Latine.

Plusieurs erreurs sont à dénoncer dans l’enseignement de la grammaire latine :

– Faire apprendre des séries de mots sans lien, sans contexte, accompagnés de la traduction dans la langue maternelle de l’élève.

– Enseigner uniquement des règles de grammaire, illustrées d’un petit nombre d’exemples : ce qui donne une idée artificielle et fausse de la langue. C’est la grammaire qui est issue de la langue et non pas l’inverse, la grammaire n’a pas à être enseignée pour la grammaire.

– S’appuyer essentiellement sur des traductions dans la langue maternelle des élèves. Elles sont inaptes à donner une idée du mécanisme de la langue latine, et des notions institutionnelles et culturelles.

– La grammaire latine doit être enseignée en même temps que la langue. Il y a une excellente méthode : celle de J. Oerberg. Pour qu’une méthode, si bonne soit-elle, réussisse, il faut chez les élèves un grand désir d’apprendre et chez les maîtres beaucoup de patience et de persévérance, car dans le monde actuel, les obstacles sont nombreux.

Les principes directeurs sont les suivantes :

– Une bonne prononciation est essentielle. On part de courtes fables qui puissent être facilement comprises en latin par les élèves. Des illustrations aident à l’explication. On extrait de ces courts récits des phrases à partir desquelles on montre le fonctionnement du code oral et du code écrit de la langue. On ne s’arrête pas sur les points qui demandent des explications longues et érudites, inutiles et même nuisibles au niveau d’un enseignement élémentaire. On évite au moins dans les débuts de l’attarder sur les termes abstraits.

– On met à contribution les auxiliaires audio-visuels : disques, bandes magnétiques, carte de l’Empire romain.

– On enseigne les structures grammaticales à partir d’exemples en situation ; en pratiquant dans toute la mesure du possible le jeu des questions et des réponses.

Au cours de l’exposé sont donnés des exemples sur la manière d’enseigner la syntaxe des temps et des compléments de lieu.

MICHEL RAMBAUD

(Université de Lyon, FRANCE)

De Afrorum personis atque ueterum Romanorum imaginibus

(imaginibus)

Les masques africains et les portraits d’ancêtres romains.

Les analogies sont nombreuses entre l’usage des masques en Afrique Occidentale et les plus anciennes coutumes des Romains. Les fêtes rustiques en l’honneur de Bacchus, avec leurs porteurs de masques d’écorce ou leur acteurs barbouillés de lie de vin, sont comparables aux danses masquées de l’Afrique et aux peintures de la face qui sont des équivalents du masque. La différence formelle des styles artistiques ne doit pas dissimuler ces analogies profondes : les Européens sont aptes à sentir l’art abstrait – Picasso l’a tiré précisément de l’art africain et les Celtes, déjà, pratiquaient l’abstraction en art. Réciproquement, la culture d’Ifé montre qu’à très haute époque, les Africains goûtaient et pratiquaient un art figuratif comparable à celui des Grecs et des Romains. La fonction du masque est double : mutation et permanence. Mutation, car le masque permet de devenir autre et finit par incarner un personnage, un numen ou un être divin. Permanence, car il permet de fixer l’apparence humaine et même d’en maintenir la mémoire au-delà de la mort. Les Romains ont même tiré de l’usage du masque, persona, la notion de personne. Mais la permanence se reconnaît surtout dans les cultes d’ancêtres. Même souci de la permanence dans le culte des Biéri chez les Bakota et dans tant de rites similaires des Africains comme dans la vénération des images maiorum chez les Patriciens. Ce rapprochement aide à comprendre la propension des poètes latins pour les apparitions, qui rendent vie à un défunt, et celle des historiens pour les portraits. Masques et imagines sont pareillement liés aux cultes chtoniens et à la possession d’une terre ; seuls, dans la cité romaine, les patriciens jouirent d’abord du ius imaginum parce que, seuls, les Patres avaient un lien familial avec une Terra Patria.

Masques et imagines répondent également chez les Africains et chez les Romains à un besoin fondamental de la nature humaine : préserver la mémoire et la permanence contre la fuite du temps, relier l’homme à ses ancêtres, sentiment qu’exprime la poésie de L.S. Senghor.

ROBERT SCHILLING

(Université de Strasbourg, FRANCE)

L’Afrique dans la Littérature romaine.

Que représente l’Afrique pour les Romains ? Si l’on consulte Pline l’Ancien (N. H., III, 3), Africa est le terme qui, s’appliquant à une des trois parties du monde, désigne le continent tout entier. Il est même surprenant de constater qu’un Pomponius Méla (écrivant sous Tibère et Claude) a pu présenter un tableau assez fidèle des dimensions et de la configuration du continent africain.

Toutefois, les Romains n’entendaient en général, sous le nom d’Africa, que la partie septentrionale, quitte à désigner l’intérieur du continent par le terme d’Aethiopia. Leurs connaissances de l’intérieur reposaient sur des récits de voyageurs ainsi que sur les résultats de quelques expéditions qui avaient été entreprises en particulier sous les règnes d’Auguste et de Néron.

Le nom Aethiopes (calqué sur le grec Aithiopes) « au visage brûlé ») avait une valeur générique : divers noms de peuplades sont mentionnés, parmi lesquelles on peut signaler les Nasamones, les Caramantes, les Trogodytae, les Nigritae. On se doute que ces noms soulèvent souvent des discussions qui ne sont pas closes : ainsi, où convient il de situer exactement les Nigritae ? Où faut-il localiser le flumen Nigris ?

Quoi qu’il en soit, les Noirs étaient bien connus des Romains, au moins depuis le IIIe siècle avant J.-c.- Plaute nous en fournit un témoignage précis : Poenulus, 1239-1291 (je ne retiendrai pas, en revanche, un texte de sens incertain, Ibidem) 1110-1113). Plusieurs allusions peuvent être relevées chez les auteurs latins. Une description particulièrement suggestive d’une africaine se trouve dans l’Appendix Vergiliana (Moretum) 31-35).

L’Afrique Noire a passé pour une terre mystérieuse qui se prêtait à des récits fabuleux qui ont été recueillis par prédilection par Pline l’Ancien : ainsi cet auteur présente le catoblépas comme un monstre pernicieux, capable de faire expirer sur le champ les hommes qui auraient eu le malheur de rencontrer son regard (N.B.) VIII, 77). Inversement, l’Afrique s’est également prêtée aux rêves merveilleux. C’est près de la côte atlantique du continent africain, en face du mont Atlas, que Pomponius Méla situe les Iles Fortunées.

Quels ont été, en général, les sentiments des Romains envers les Africains ? Signalons qu’un préjugé aux dépens de la couleur noire aurait pu jouer, à la faveur du symbolisme privilégiant le blanc dans les effets de contraste ( ainsi Pline l’Acien N.H.,VII,131 , signale la coutume des Thraces de comptabiliser les jours heureux par cailloux blancs). En fait, Ce préjugé est exceptionnel (cf. Florus, 2, 17, 7) et apparaît surtout chez les auteurs chrétiens en raison de la représentation démoniaque : cf. le diabolus in figura Aethiopis taetri (Cassianus, Collatio 1, 21, 1).

Les Romains n’ont pas nourri de sentiments de racisme (voir Sénèque, De ira, III, 26, 3). Le teint basané des Africains a fourni à Ovide un développement pittoresque pour son récit (M. 2, 230) de la légende de Phaéton qui a voulu conduire, sans aucune expérience, le char du Soleil… Le Noir est entré dans l’art romain aussi bien dans la peinture que dans la sculpture.

Bien plus, les Romains soupçonnaient un foisonnement extraordinaire d’animaux et d’hommes dans cette Afrique qui était plus proche du feu créateur de toute vie (cf. Pline, N.B.) VI, 187). Cette intuition est remarquable si l’on songe qu’aujourd’hui un squelette d’un australopithèque datant de plus de trois millions d’années a été trouvé précisément à Hadar, en Ethiopie.

ELEXANDER STUCCHI

(Université de Rome, ITALIE)

Un prédécesseur de Caton le Jeune dans la traversée du désert des Syrtes : Ophéllas contre Carthage en 308 avant J.-C.

L’auteur présente une stèle avec une série de noms de commandants militaires divisés en différentes spécialités à l’intérieur d’une armée. Une partie de la stèle était déjà connue après les fouilles de Smith et Porcher, d’autres fragments ont été maintenant ajoutés, de sorte qu’on a la totalité de l’inscription. En reconstruisant le nombre de militaires à l’aide des listes de commandants des différentes spécialités, il résulte qu’il y a une identité avec les forces de l’armée d’Ophellas qui en 308 a. J.-C. traversa le désert Syrtique de Cyrène jusqu’à Carthage, d’après la narration de Diodore.

JEAN-GEORGES TEXIER

(Université de Dakar, SENEGAL)

La représentation des Africains dans Tite-Live.

Le but de cette contribution est de tenter de dégager et d’analyser la vision que l’historien romain a voulu donner des habitants de l’Afrique, d’en expliquer l’origine et d’en préciser la signification.

Désignés tantôt par le terme général Africain, tantôt par un terme plus précis (Carthoginois, Libyphénicien, Maure, Numide), les habitants de l’Afrique sont également qualifiés, très souvent de Barbares.

Si, pour Tite-Live, les Africains ne sont nullement dépourvus de qualités physiques (beauté, vivacité, vigueur, bravoure), ils se caractérisent, en revanche, sur le plan psychologique et moral par de nombreux et graves défauts que traduit leur comportement (manque d’unité et de cohésion, désordre, manque de persévérance, perfidie et inconstance, cruauté et avidité, absence de réflexion et d’éducation, incapacité à réfréner leurs passions). La vision que donne Tite-Live est donc péjorative, dévalorisante. Les Africains apparaissent comme la négation vivante des valeurs de la Romanité. Ils constituent une incarnation de la Barbarie qui s’oppose à la Civilisation que représente l’Urbs.

A ce stade de l’analyse il faut noter :

– que les Africains ne sont pas les seuls à être l’objet d’un tel traitement de la part de Tite-Live (cf. les Gaulois) ;

– que Tite-Live n’est pas le premier à présenter ainsi les habitants des régions périphériques du monde méditerranéen (cf. les descriptions polybiennes).

Cependant, il faut remarquer que, jusqu’au Ve siècle, les auteurs anciens (Homère, Hérodote) sont loin de présenter les Barbares de façon péjorative. Ce n’est, semble-t-il, qu’à partir du IVe et, surtout, du IIe siècle que se produit l’évolution.

Ce changement d’attitude s’explique par les conditions de production des discours de Polybe et de Tite-Live (qui en ce domaine comme en bien d’autres apparaît comme l’héritier direct de l’historien mégalopolitain).

Le développement de l’impérialisme romain, le traumatisme causé par l’invasion hannibalique, donc l’existence d’une situation conflictuelle, expliquent le parti pris de Tite-Live, comme l’explique aussi l’idéologie augustéenne qui prévalait à l’époque où l’auteur écrivit son Histoire.

La fonction sociale de l’historien Tite-Live paraît donc avoir été de justifier et d’exalter l’œuvre des ancêtres, fût-ce au prix d’un manque d’objectivité, ou, à tout le moins, d’une absence du sens de la relativité. Ce faisant, il nous a fourni une œuvre entachée de notations incontestablement racistes.

ANNE-MARIE TUPET

(Université de Lille III, FRANCE)

Despectvs Iarbas.

Virgile, au livre IV de l’Enéide, donne au roi africain Iarbas, le prétendant évincé par Didon, un rôle important qui n’a pas été assez mis en lumière. Fils de Jupiter Hammom et de la nymphe Garamantis, il représente, comme roi légendaire, tous les peuples autochtones de l’Afrique avec leurs différentes races, et il règne sur d’immenses territoires. C’est lui qui, en suppliant Jupiter, permet aux destins des peuples de reprendre leurs cours, un moment interrompu et détourné par le roman entre Didon et Enée. La reine, en refusant le mariage et l’alliance politique que Iarbas lui avait proposés, n’avait pas l’excuse de vouloir échapper à une union avec un barbare car Virgile, s’écartant de la tradition historique, dépeint le souverain africain comme un roi pieux et civilisateur. En recherchant l’alliance d’Enée, Didon a fait le malheur de son peuple sur lequel elle a amené l’anéantissement des guerres puniques, parce qu’elle a tourné vers le monde méditerranéen un pays dont les alliances naturelles se trouvaient sur la terre d’Afrique. En faisant de Iarbas l’ancêtre des nations africaines, Virgile l’a mis sur un pied d’égalité avec Enée, fondateur de la race romaine et avec Didon, fondatrice de Carthage. A travers lui, il a illustré les origines de l’Afrique.

PIERRE GRIMAL

(Université de Paris Sorbonne, FRANCE)

Virgile chez les Dogons.

Rappelons d’abord que les Dogons sont un peuple établi dans la région de Bandiagara, non loin de la boucle du Niger, au Mali. Ils ont été étudiés par l’ethnologue français Marcel Griaule et son école, qui ont publié sur eux de nombreux ouvrages. Nous utilisons ici le livre de Marcel Griaule intitulé Masques Dogon, Paris 1963, 28 édition. Cet ouvrage expose d’abord les mythes fondamentaux des Dogons, c’est-à-dire leur système du monde, cosmogonie et anthropologie ; il montre ensuite comment les masques de Dogons et les fêtes, notamment les rites accompagnant les funérailles, et ceux de la fête du Sigui, qui est comparable à celle des Jeux Séculaires, à Rome, s’expliquent par référence à ces mythes fondamentaux, qui constituent un mode de pensée clos.

Or, il se trouve qu’un certain nombre de détails dans le rituel résultant des mythes, correspondent à des faits religieux qui apparaissent dans l’Enéide, en particulier au livre V. D’abord la croyance que les âmes des morts continuent de vivre, sous certaines conditions, en prenant la forme de grands serpents, qui viennent prendre leur part des mets préparés par les hommes (En. V, 84-96 = Griaule. Masques ; p. 47 et suiv.). Ensuite, le rituel des funérailles comporte des combats simulés et des jeux, en particulier un concours de tir à l’arc, d’abord contre des cibles, ensuite avec pour but une poule attachée en haut d’un mât (Griaule, Masques, P. 282 = En. V, 485 et suiv.).

Dépassant ce que l’on trouve dans l’Enéide, on rencontre d’autres similitudes dignes d’attention. D’abord la fonction des masques, qui rappelle de fort près la coutume des imagines, et permet d’en proposer une interprétation nouvelle : le masque est une défense contre la mort, destinée à loger son nyama, la force impérissable qui réside dans tous les êtres et parfois dans les choses. Les rapports entre le monde des vivants et celui des morts consistent, chez les Dogons, comme à Rome, en offrandes de nourriture et en cérémonies destinées à éloigner les défunts.

Un cas particulier de ces rapports est fourni par la coutume d’encastrer dans la maçonnerie de l’autel le crâne de l’animal qui y a été sacrifié. On pense aux bucrânes, et autres, analogues, des autels romains, aussi bien qu’à l’autel d’Artémis, avec les offrandes de crânes.

Plus haut encore, on rencontre le mythe du « forgeron divin » descendant du ciel par une chaîne ( détail qui figure dans le mythe pythagorisant classique) et enseignant aux hommes les techniques, notamment celle du feu. Ce forgeron (qui évoque Prométhée) a apporté, entre autres présents, le mil – la graine par excellence – et, au moment où les êtres vivants ont été tous détruits, sauf un, par un cataclysme céleste, c’est le mil qui créa la nouvelle génération humaine : le nyama du mil fait vivre l’homme. Ce qui suggère un rapprochement avec Cérès la « créatrice ». Le mil est réservé aux vivants : il est interdit d’en semer dans les champs possédés par les morts, alors qu’on leur offre des haricots, du sésame, etc.

Terminons par la comparaison entre la fête du Sigui et les Jeux séculaires : ici comme là, il s’agit d’une purification, au moment où commence une nouvelle génération. Et, dans les deux rituels, l’importance des divinités infernales est significative.

Tout se passe comme si nous trouvions dans le rituel et les croyances romaines des débris d’un système de pensée mythique, conservé entier chez les Dogons. Ce qui ne signifie nullement qu’il y ait eu des rapports historiques réels entre les deux civilisations, mais invite à s’interroger sur la portée et les limites des méthodes comparatistes.

PIETRO ROMANELLI

(Directeur de l’Istituto di Studi Romani, Rome, ITALIE)

Mon rapport est divisé en deux parties : la première la plus large, est consacrée aux expéditions qui intéressaient l’Afrique à l’Ouest de la vallée du Nil, c’est-à-dire l’Afrique des Libyens, de la Cyrénaïque jusqu’à l’Océan Atlantique ; la seconde à l’Egypte. Avant tout je crois devoir faire une observation : en parlant des expéditions des Romains je veux parler, non seulement des expéditions entreprises par les Romains, mais de toutes les expéditions qui furent faites du temps des Romains, c’est-à-dire depuis que ceux-ci commencèrent à prendre possession de l’Afrique méditerranéenne (146 a. Ch.).

Ces expéditions peuvent se répartir en trois catégories : dans la première figurent les expéditions de caractère surtout scientifique, c’est-à-dire celles qui avaient pour but de découvrir des régions et des peuples encore inconnus ou peu connus, telles les expéditions de Polybe le long des Côtes de l’Atlantique ou celles, organisées par Juba II vers les Iles Fortunées (Les Canaries) et dans l’intérieur de la Mauritanie à la recherche des présumées sources du Nil.

La seconde catégorie comprend les expéditions de caractère politico-militaire destinées à assurer la paix dans les régions romanisées de l’Afrique méditerranéenne, au Sud de la Numidie, de l’Afrique proconsulaire, de la Tripolitaine, de la Cyrénaïque jusqu’au pays des Garamantes et des Marmarides : telle l’expédition de Cornelius Balbus, en 21-20 a. J. Ch., ou celles de C. Suetanius Paulinus et de Ch. Hosidius Geta en Maurétanie sous le règne de Claude.

Enfin dans la troisième catégorie toutes les expéditions de caractère commercial : telles les expéditions de Sueblius Flaccus et de Julius Maternus à la fin du 10e siècle ou au commencement du IIe, qui seules, semble-t-il, pénétrèrent au-delà du Sahara dans l’Afrique centrale. Pour chaque expédition j’ai cherché à préciser, autant que possible, la durée, le parcours, les résultats pour la connaissance et l’histoire de l’Afrique. La seconde partie de mon exposé se rapporte à l’Egypte : il a été rédigé par Mille Anna Maria Demicheli qui a récemment publié un volume sur : Rapporti di pace e di guerra dell’Egitto romano con le popolazioni dei deserti africani. Il concentre les campagnes de Cornelius Gallus et de Petronius contre les Ethiopiens du royaume de Meroe, l’organisation de la Triakontaschoinos, les expéditions du temps de Néron, dont parlent Sénèque et Pline, les rapports entre l’Egypte romaine et les royaumes de Meroe et d’Ascum et les relations commerciales entre le monde romain, l’Arabie et l’Orient, par les ports de la Mer Rouge. Ces rapports changent dans la seconde moitié du IIIe siècle, avec l’apparition sur les frontières méridionales de l’Egypte des populations barbares des Blemmes et des Noubades.

PAOLO BREZZI

(Université de Rome, ITALIE)

La paix romaine dans la Méditerranée, prélude à l’universalisme chrétien et exemple pour notre époque d’une coexistence pacifique du Monde entier

L’attitude de Saint Augustin d’Hippone envers l’histoire de Rome et de l’Empire universel auquel cette ville arriva à travers des guerres et des violences, ne fut guère indulgente (peut être à cause de l’origine carthaginoise d’Augustin ?), mais l’auteur reconnaît lui-même certains mérites aux différents protagonistes et à l’ensemble de l’institution politique romaine ; des premiers, il dit qu’ils possédaient une sorte de vertu naturelle qui pouvait devenir un exemple et un avertissement pour les chrétiens eux-mêmes ; de la seconde, il dit qu’elle avait assumé l’importante fonction de préparer la catholicité chrétienne. Par conséquent, les uns « receperunt mercedem suam » avec la victoire et le pouvoir obtenus, et pour l’autre il admet : «  utimur et nos pace Babylonis » parce que la « pax romana » est une « ordinata imperandi atque obediendi concordia civium ».

Il n’en reste pas moins qu’en utilisant ces critères d’interprétation, Augustin faisait sien le jugement historique et indiquait aux chrétiens la contribution qu’ils pouvaient apporter à la « civitas terrena  », la possibilité d’une collaboration féconde entre la société civile et la communauté ecclésiale afin de permettre un progrès effectif, une coexistence humaine fondée sur le respect des diverses cultures et sur l’autonomie des multiples contributions apportées par les différents peuples. Cette proposition peut être reprise aujourd’hui dans une perspective plus large, plus consciemment vécue de justice sociale et collaboration pacifique universelle.

GODO LIEBERG

(Université de Bochum, République Fédérale d’ALLEMAGNE)

Les Muses chez Virgile.

Dans toutes les œuvres de Virgile nous trouvons l’invocation aux Muses, traditionnelle, à partir d’Homère, dans la poésie ancienne. Elle est employée pour assurer au poète l’inspiration des déesses : adspirate canenti (En. IX, 525). Ainsi il demande aux Muses siciliennes de l’aider dans son effort pour réaliser une bucolique digne du consul Pollio (IV, 1-3). Ailleurs il s’adresse à Aréthuse, la Nymphe-Muse de Sicile, afin qu’elle lui concède la réussite dans l’élaboration de son poème pour Gallus (X, 1). Au début des Géorgiques, pour la première fois, semble-t-il, dans l’Antiquité, l’invocation aux Muses est totalement remplacée par une invocation à l’empereur : Octavien est prié de permettre au poète l’entreprise du poème didactique. Dans l’Enéide il y a des invocations aux Muses au début de chaque moitié de l’œuvre. Au commencement du chant, c’est à la Muse qu’on demande de rappeler les causes qui ont suscité la colère de Junon contre le pieux Enée. La mosaïque de Sousse en Tunisie nous y renvoie en montrant, entre Melpomène et Clio, Virgile tenant dans la main le papyrus de son poème, ouvert au passage indiqué. Puis, au septième livre, le poète invoque Erato, probablement en visant son caractère érotique, avant de commencer le récit du conflit entre Enée et Turnus. Dans le sixième livre Musée, le Chanteur type, tient la place des Muses, parce que c’est lui qui est prié par la Sibylle de révéler la région des Enfers où habite Anchise. Dans les Eglogues, Virgile nous présente la scène de l’investiture de poète, motif connu dès Hésiode. Ainsi, par l’intermédiaire de Linos, les Muses transmettent les chalumeaux d’Hésiode à Gallus. L’investiture de poète semble impliquée aussi dans la septième Eglogue où le berger Corydon s’adresse aux Nymphes de la Libèthrie pour en obtenir le don du carmen.

L’aide que les Muses accordent aux poètes ne figure pas seulement dans les invocations. Il est dit, par exemple, d’Orphée qu’il est assisté par sa mère Calliope (48 Buc.). Dans la septième Eglogue, Mélibée est capable de réciter le chant amébée de Corydon et Thyrsis, parce que les Muses ont voulu qu’il s’en souvienne. La dernière pièce du recueil encore parle de cette aide : les Naïades-Muses sont en train d’assister Gallus. En somme, le poète est chéri par la Muse et il devient, en revanche, son fidèle compagnon (En. IX, 774775).

Le rapport entre les deux peut aussi assumer la forme d’une collaboration très étroite dans laquelle la Muse est priée de commencer le chant que le poète continue. Ou bien l’esprit poétique est ressenti à l’instar d’une Muse. Il s’en suit que le résultat du processus créateur, que ce soit un chant particulier ou tout un genre de poésie, peut être également appelé du nom de Muse. Ce processus se présente à l’esprit de Virgile sous l’image d’un mouvement dans les paysages mythiques des Muses. C’est ainsi qu’au début du troisième livre des Géorgiques le poète déclare son intention de ramener les Muses, du sommet aonien, dans sa patrie. Ou bien Virgile se sent entraîné à travers les escarpements du Parnasse.

Les Muses donnent à notre poète le chant qui lui est congénial. Mais il souhaite qu’elles lui concèdent aussi la grandeur de la poésie exposant les lois éternelles de la nature. En effet, dans un fameux passage des Géorgiques (II, 475 et suiv.) Virgile les prie de lui montrer caeli vias et sidera. Peut-être cette prière révèle-t-elle la connaissance du rôle cosmique et, spécialement, astronomique attribué aux Muses par certains courants de la philosophie grecque, notamment par le stoïcisme éclectique de Posidonius.

Un motif tout particulier à Virgile c’est son ardent amour pour les Muses. Plusieurs fois, en les appelant dulces, il parle expressément de l’amor par lequel il se sent attiré vers ses protectrices. C’est à juste titre que Mlle Desport a pu affirmer que cet amour « fait le fond de son âme et de sa poésie ». S’il en est ainsi – et j’en suis convaincu – M. Snell a tort en affirmant que chez Virgile, les Muses et les autres divinités de la poésie ont presque valeur d’allégories. En effet, on ne peut aimer des allégories.

MARIA COSTANZA DE LUCA (d’Ancona, ITALIE)

De L. Apuleio Madaurensi et de Africa.

La personnalité, si riche d’intérêts, d’Apulée a toujours contribué à attirer l’attention sur l’Afrique de son temps et en exalter les caractères ; cela a un relief tout particulier aujourd’hui où les études socio-ambiantes se sont très répandues.

Improprement Apulée se définit lui-même « seminumidam et semigaetulum », semblant vouloir ainsi accentuer les caractères africains plus que les caractères puniques liés aux valeurs hellénistiques et romaines.

Un illustre savant moderne dans ses intéressantes fouilles archéologiques a pu parler de centres indigènes où, paraît-il, de nombreuses villes de l’Afrique du Nord auraient surgi, comme Madaura, selon le témoignage d’Apulée.

Après il a vécu à Carthage, à Dea, à Sabrathe, les documents archéologiques plus récents confirment surtout à Sabrathe le substrat d’une vie culturelle, sociale et artistique que le procès « De Magia », célébré dans cette ville, a mis en évidence. Les données, tirées justement du procès, ont permis de définir quelques aspects fondamentaux de la vie économique de cette époque, ainsi que du droit et de l’administration ; les notices sur la médecine, sur les animaux, sur les plantes et sur leur manipulation fournissent des indications suggestives.

La récitation des poésies confirme le goût érotique, qui n’a pas appartenu seulement à Apulée, comme il est prouvé d’ailleurs par le tableau de mœurs corrompues, que ses œuvres principales nous offrent.

La constatation d’une décadence des anciennes divinités n’est pas dans les œuvres d’Apulée une critique stérile, mais plutôt elle conduit à son salut et à celui des autres, parce qu’il montre, en l’opposant à l’antique Olympe, la nouvelle religion d’Isis, dont l’initiation, bien décrite par lui, est restée comme source principale des études suivantes.

Apulée est le représentant d’une époque pénétrée de doctrines mediumniques et le medium enfant, qu’il emploie, a fait penser à plusieurs savants que dans le tempérament ou dans la tradition culturelle d’ Afrique du Nord il y avait quelque chose de particulièrement favorable aux états de dissociation.

A côté de ses ferments on remarque chez Apulée l’attraction pour le monde démoniaque de dérivation platonique pythagoricienne. Ces caractéristiques nouvelles expliquent aussi la diffusion du Christianisme en Afrique, où se développent les Apologistes et où émergera, parmi les Pères de l’Eglise, Saint Augustin.

L’ancien culte officiel païen est vu par Apulée comme appartenant désormais au monde de la littérature, n’étant plus apte à satisfaire les exigences spirituelles de son temps ; mais les œuvres les plus littéraires sont aussi des documents d’histoire et l’héritage intellectuel du monde classique reste toutefois dans les écoles philosophiques et de rhétoriques, dont le siècle est plein. Presque tous les plus importants grammairiens de la latinité sont africains ; parmi les « causidici » dont l’Afrique est« nutricula », Septime Sévère, grand-père de l’Empereur, et Cornèle Fronton et surtout Apulée représentant le courant africain.

Et la langue d’Apulée ? Dans quelle mesure s’est marquée l’action du pays, où il est né et où sa personnalité s’est développée ? Sa couleur enflée réfléchit certainement l’ardent soleil du pays ! Elle est composée d’éléments hétérogènes ; a dû satisfaire néanmoins l’auditoire composé de personnes cultivées, mais aussi des foules, qui accouraient entendre ses discours. Son style, différent dans ses œuvres, se règle dans l’Apologie souvent sur le modèle cicéronien en ce qui concerne le lexique, la syntaxe, partiellement les clauses, et même les formules expressives et la formation des périodes, autant que quelques corrections et stabilisations du texte ont été faites sur des comparaisons avec les textes cicéroniens.

Or, si cet auteur du IIe siècle a senti si profondément l’attraction de Rome classique, on ne doit pas s’étonner que même aujourd’hui, dans cet humus culturel, cette attraction soit sentie sincèrement jusqu’au point qu’elle présente des savants si fermement liés au monde classique, avec un autre des grands Africains, Térence, ils peuvent dire : « homo sum, humani nihil a me Alienum putti ».

Son Excellence Monseigneur

PIERRE SAGNA,

évêque de Saint-Louis du Sénégal.

Il peut paraître paradoxal que dans un pays tenaillé par la faim du sous développement, on se préoccupe surtout de Culture et de Civilisation de l’Universel…

Il peut paraître paradoxal que dans une Eglise balayée par le souffle de l’authenticité, et de l’indigénisation, on se préoccupe encore de latinité…

Eh bien, au risque de cultiver le paradoxe, je soutiens d’une part, que les peuples, tout comme l’homme, ne vivent pas « seulement de pain, mais de toute parole sortie de la bouche de Dieu » et traduite en valeurs de civilisation ; et d’autre part que pour retrouver son identité authentique, il ne suffit pas de se contempler dans un miroir, en extase narcissique, mais, il est nécessaire de reconnaître ses ancêtres et de les accepter comme tels. Mon propos dans cette communication sera donc double :

– constater d’abord, avec vous, que l’Afriquechrétienne n’a pas inventé son christianisme ;

– affirmer ensuite, avec vous, que pour être authentiquement du Christ, l’Afrique, comme le reste du monde, a besoin de ses sources latines, et romaines, plus précisément. _L’Afrique chrétienne n’a pas inventé son christianisme, c’est l’évidence même. On peut admettre en effet historiquement que les tous premiers disciples du Seigneur sont venus directement prêcher la bonne nouvelle en terre africaine…

Mais c’est bien sous la latinité que le christianisme s’est développé en Afrique, avec les noms prestigieux d’un Tertullien à Carthage, d’un Origène à Alexandrie, d’un Augustin à Hippone… Cette première chrétienté a été certes supplantée par la foi islamique. Mais la seconde floraison de la religion chrétienne en Afrique a été assurée par des missionnaires issus de la même civilisation latine.

Nos ancêtres dans la foi, sont de tradition et de culture romaines.

Nous pouvons assurément, nous autres Africains regretter de n’avoir pas reçu l’Evangile des chrétiens de l’Orient. Notre tempérament tropical et équatorial se fût sans doute mieux accommodé du caractère oriental et de ses traditions moins rigides : fastes et couleurs de la liturgie, chants et encens, luminaires et processions, discipline ecclésiastique plus souple. Mais nous savons qu’une main prévenante conduit nos destinées, et elle porte pour nous le doux nom de Providence. Il était peut-être meilleur pour nous d’être affrontés à la rigueur et à la froideur occidentales pour nous affermir, nous, d’une part, et pour les assouplir, eux, d’autre part : « Contraria contrariis curantur ! »

Les choses étant donc ce qu’elles sont, nous ne pouvons renier nos sources latines si nous voulons vivre en plénitude. J’écarterais d’emblée une objection : « Pourquoi, dans ce cas, ne pas remonter aux Grecs, aux Hébreux et aux Egyptiens, et mieux encore aux Babyloniens et aux Sumériens ?… D’abord pour la simple raison que « Anagké stenai » il faut s’arrêter. A remonter indéfiniment ses origines, on finit par se retrouver comme le pauvre Melchisédech sans père ni mère, sans patrie et sans aïeux… Et puis au demeurant, l’Evangile que nous voulons vivre n’a pas retenti, que je sache sous Sennachérib ou Aménophis IV Akhénaton, mais bien « l’an 15 du principat de Tibère César, Ponce Pilate étant gouverneur de Judée », selon la chronologie du savant médecin de l’Apôtre Paul.

C’est donc de Rome que Jésus Christ nous a été annoncé et ses messagers ne pouvaient le raconter qu’à travers « leur voir, leur dire et leur faire » pour employer la terminologie chère à mon frère de Ségou. Notre devoir aujourd’hui c’est de reconnaître nos sources latines, d’y boire à longs traits de sorte qu’elles deviennent des fleuves d’eau vive jaillissant en vie éternelle. A nous le beau travail de l’assimilation…

Je me souviens qu’arrivant en République de Guinée en 1967 Mgr Tchidimbo nous avait fait l’obligation de reprendre au séminaire Jean XXIII de Kindia, les chants liturgiques grégoriens, et surtout l’étude du latin dans toutes les classes. Première réaction de notre équipe sacerdotale : « ça y est, nous voilà affectés à l’arrière-garde ». Mais à la réflexion, il avait mille fois raison, le vigilant Archevêque de Conakry, féru de prospective. Comment voulez-vous qu’une église dont le clergé ignore le latin reste viscéralement attachée à Rome ? Nous nous en apercevons dans les traductions des textes de la liturgie, dans l’étude de la théologie et dans les mille et une révolutions idéologiques de notre Temps.

Nos traductions pour la Messe en Casamance partaient de la Vulgate et non de la Bible de Jérusalem, la langue réaliste et concrète de St Jérôme étant plus proche des nôtres que les abstractions et adaptations de la langue française. On ne peut donner au Peuple de Dieu, même s’il est broussard, des textes de seconde ou de troisième main.

Et que dire de nos jeunes théologiens de Sébikotane s’ils ne sont pas capables de lire St Augustin ou St Thomas dans le texte ? La maîtrise de la langue est indispensable, mais aussi la connaissance de la civilisation de l’époque. Ils ne peuvent en faire l’économie, s’ils veulent vraiment dégager « l’Evangile fondamentale » comme le cherchent de nos jours certains anthropologistes chrétiens…

Et enfin, comme le dit Mgr Benelli : « Dans la dramatique exigence culturelle d’une écologie spirituelle, ressentie tant autant que celle relative à la défense naturelle du milieu et de l’environnement, on éprouve le besoin, chez ceux qui se préoccupent de l’avenir de la civilisation, de retourner aux sources de l’humanisme classique et chrétien, on éprouve le besoin de se sentir uni par cette civilisation même qui a servi de matrice commune à l’histoire de l’Europe »… et j’ajouterais de la chrétienté occidentale ou occidentalisée.

« Il importe, continue le Substitut, de favoriser le retour à ces sources en les rapprochant des jeunes, des hommes de culture, des artisans de la « polis » en encourageant toutes ces activités culturelles, éditoriales, professorales et autres, qui peuvent faire aimer l’emploi de la langue latine ». (G.R. n° 3 (1414) du 18-1-77).

C’est pourquoi, chers amis, me paraît bien venir à son heure, la fondation « Latinitas » constituée le 30 juin dernier par la lettre « Romani Sermonis » du Pape Paul VI. Elle a pour but, dit la lettre, de promouvoir :

  1. a) l’emploi de la langue latine entre hommes d’expressions diverses en vue de l’élaboration de travaux scientifiques principalement en relation avec la culture ecclésiastique – dans les universités catholiques et les séminaires diocésains !
  2. b) l’étude de la langue et de la littérature latine classique autant que médiévale. ..

C’est donc lorsque le monde jouissait de la « Pax Romana », que le Fils de Dieu est venu nous interpeller. Ses hérauts ont profité de ces valeurs de civilisation pour propager le message et depuis, l’Eglise Romaine a fait sienne, la langue de Virgile et de Cicéron, de St Léon le Grand et de St Augustin « l’utilisant comme instrument d’unification et de communication universelle, de fusion des différents génies des peuples croyants, comme elle en a fait l’expression de son âme en prière dans la liturgie latine » (Mgr Benelli, Ibid.).

Les dons de Dieu sont sans repentance, c’est par le monde romain que nous est parvenu le message du salut, c’est à travers la latinité que ce message se diffusera, s’épanouira et se gardera vivant et universel. « Je crois en l’Eglise une, sainte, catholique, apostolique et Romaine ».

GIRARD JEAN-LOUIS

L’Afrique, terre des charmes.

Aux yeux de l’Européen, l’Afrique est la terre des esprits et des charmes. En dépit de l’éloignement des temps et de la pauvreté des renseignements, il est permis de conjecturer que le Romain ne jugeait pas autrement, d’après certaines allusions. La première figure peut-être dans le Carthaginois de Plaute, mais elle reste très obscure. Indiscutable est la tradition que nous rapporte Pline l’Ancien, dans son septième livre, sur les jeteurs de sorts africains. De même, l’Apologie d’Apulée témoigne à la fois d’influences africaines et de la façon dont elles se sont dégradées dans des buts de magie utilitaire. Un épisode de la Vie d’Apollonios de Tyane nous permet d’apprécier avec toute l’exactitude voulue le mélange d’intérêt et de réserve qui définit la position des Romains instruits sur les croyances africaines.

O.A.W. DILKE (Université de Leeds, GRANDE-BRETAGNE)

Le développement de la connaissance de l’Afrique parmi les Romains, de celle de l’Europe parmi les Africains jusqu’à l’époque de Domitien.

Il y a eu toute une série de savants qui de l’âge d’Augustin jusqu’à celui de Domitien ont amélioré la connaissance de l’Afrique parmi les Romains et celle de l’Europe parmi les Africains. Cette tendance a commencé avec la traduction, ordonnée par le Sénat, de l’Agriculture de Magon de Carthage. Nous apprenons que cette traduction fut faite quand le Sénat a présenté des bibliothèques aux princes africains, ce qui nous montre que, lorsqu’il n’y avait que peu de bibliothèques à Rome, les Romains voulaient répandre la culture en Afrique. Malgré leur haine pour les Carthaginois, ils étaient près à apprendre l’agriculture de cet écrivain.

Parmi ces livres quelques-uns étaient sans doute en grec, car le roi Juba II a écrit en grec au moins 52 livres avec 9 titres. Nous regrettons que son œuvre sur la Libye n’existe plus. Pline l’Ancien semble avoir lu très attentivement ses œuvres géographiques.

Tandis que Virgile, dans l’Enéide, décrit le paysage de Carthage comme s’il envisageait les Alpes maritimes, puisqu’il l’avait emprunté de l’Odyssée, Lucain, né à Cordoue, décrit assez bien la géographie de l’Afrique du Nord. Il prédit même que les Syrtes deviendront bientôt terre ferme, ce qui semble être arrivé. Il maintient que, si on suit les vents et le ciel, on dira que la Libye fait partie de l’Europe. Les Africains, nous assure-t-il, ne sont pas cupides de l’or ou du bronze. Les vents dans le Sahara, dit-il, peuvent enlever les huttes des Garamantes et couvrir de sable les soldats romains. Il ne veut pas se prononcer sur la question de savoir si les parties méridionales de l’Afrique sont habitables.

Même si Lucain avait pu apprendre quelque chose du voyage d’Hannon, au moins ne nous parle-t-il pas de tribus fabuleuses comme celles de Pline l’Ancien, par exemple les Bemmyes qui n’ont pas de tête ! Mais ne croyons pas que Pline ait toujours été crédule, car il écrit de la Maurétanie : « Les hommes de haute position (c’est-à-dire equites Romani), puisqu’ils sont trop paresseux pour chercher la vérité, n’ont pas honte de mentir ». Silius Italicus, contemporain de Pline l’Ancien, a si clairement expliqué la géographie des régions de l’Afrique où la deuxième guerre punique a eu lieu, que, comme dit Cellarius, beaucoup de détails géographiques auraient été obscurs si nous n’avions pas son poème épique. Il a bien étudié non seulement les historiens mais aussi Lucain.

Espérons que cette connaissance réciproque aura mené à un esprit de coopération et de tolérance. Stace, dans son poème dédié à Septime Sévère, peut-être le grand-père de l’Empereur, écrit : « Ni ta langue ni tes mœurs ni ton esprit ne sont puniques : tu es Italien, vraiment Italien ». Même si l’esclavage menait à quelques abus, même si les Africains préféraient vénérer leurs propres dieux, on pouvait bien dire, comme un soldat de Caton chez Lucain : « Je ne me plains point ni de l’Afrique ni de la Nature ».