Développement et sociétés

PARTICIPATION ET REFORME ADMINISTRATIVE SENEGALAISE

Ethiopiques numéro 18

Revue socialiste

de culture négro-africaine

avril 1979

 

Si la participation est un thème qui connaît actuellement une grande fortune, c’est parce qu’elle correspond à un approfondissement et à un élargissement de la démocratie.

Pendant la période coloniale, l’administration était un instrument de contrainte. Bien sûr, l’administration coloniale n’est pas restée jusqu’à la fin ce qu’elle était à l’origine. En effet, à mesure que la prise de conscience les populations colonisées grandissait, le colonisateur se trouvait amené à plus de prudence et à moins de rigidité par crainte de réactions longtemps contenues.

Les Sénégalais n’ont cessé de lutter, en utilisant les armes dont ils pouvaient disposer, pour faire respecter leur droit de conduire leur propre destin. C’est en 1960 que cette longue lutte, sans répit, devait aboutir à l’Indépendance. Le système colonial d’administration devait alors être mo­difié.

Il a d’abord été mis en place une administration dite de développement.

En 1972, une administration dite de développement et de participation a été installée.

Développement et participation : chacun reconnaît là deux aspects essentiels de la démocratie.

On sait ce que signifie le développement qui est « la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître cumulativement et durablement son produit réel global » [1]. Pour préciser son option, le socialiste ajoute à ces éléments de définition le partage équitable, du produit ainsi accru, entre les membres de la société.

Quant à la participation, si elle est considérée comme une exigence de la démocratie, elle n’a pas partout la même dimension élargie qui lui est attribuée au Sénégal.

Il ne s’agit pas, dans cet exposé, d’étudier tous les aspects de la démocratie, ni même les aspects de la participation, au Sénégal.

Il s’agit d’examiner, d’une part, la participation dans sa généralité et, d’autre part, comment elle est organisée et pratiquée au sein des structures créées par la Réforme administrative. Il est nécessaire, par ailleurs, d’expliquer comment, dans l’application des principes, la réalité contraignante a imposé des adaptations.

le sens de la participation

Un grand intérêt peut être accordé à telle ou telle forme de participation : ainsi, la participation des travailleurs au sein de l’entreprise. Cependant, pour généraliser, c’est la participation du citoyen qui doit être envisagée. La participation se définit alors comme le droit de chaque citoyen d’avoir part à l’élaboration et à l’application des décisions qui le concernent.

Quand le nombre des citoyens concernés est restreint, la participation est directe mais quand le grand nombre ne permet pas matériellement la participation directe, les intéressés désignent des représentants au moyen d’élections.

Au Sénégal, la participation est qualifiée ; il y est question, fort justement, de participation responsable [2], c’est-à-dire consciente et volontaire.

La participation consciente

En effet, la participation doit être responsable et la pleine responsabilité suppose la conscience. A cet égard, la formation et l’information ont une grande importance.

L’ignorance, on le sait, est l’un des facteurs les plus puissants qui s’opposent à l’exercice réel de la démocratie, donc de la participation.

Quand on parle de formation, il ne s’agit pas seulement de l’instruction scolaire. D’autres méthodes de formation existent. L’essentiel est de fournir les connaissances nécessaires et que celles-ci soient assimilées.

Bien entendu la formation suppose des formateurs. S’agit-il nécessairement de formateurs professionnels ? La méthode pédagogique à utiliser est-elle nécessairement uniforme ?

Il suffit que les formateurs aient la maîtrise des connaissances à transmettre. Quant à la méthode pédagogique, elle est fonction des catégories en formation, du milieu de formation, du domaine de formation et des moyens disponibles pour la formation.

Sans doute est-il souhaitable que des professionnels assurent la formation parce qu’ils ont une bonne maîtrise des connaissances à transmettre et de la méthode pédagogique à utiliser.

Dans tous les cas la formation initiale n’est jamais complète et suffisante. La formation doit être permanente et aussi diversifiée que possible sans être diffuse et verser dans l’imprécision et l’approximation.

Au total, la formation est essentiellement une formation civique devant permettre au citoyen de connaître ses droits et ses devoirs vis-à-vis de la société, de connaître les lois au sens juridique mais aussi au sens de la morale, de la sociologie, de l’économie. Elle doit également intégrer les valeurs culturelles. En un met, elle porte sur les structures et le fonctionnement de la société.

Il ne faut donc pas entendre la formation du citoyen uniquement comme une exigence du savoir-faire professionnel bien que cet aspect important ne soit pas à dissocier du sens général qui l’englobe.

Dans certains pays, il n’est pas encore possible d’assurer la formation scolaire de base à tous. Il s’agit, dans ces pays, d’un droit théorique par la force des choses, mais que l’on peut chercher à démocratiser en offrant à tous les mêmes chances d’accéder à la formation scolaire initiale. Ainsi, par exemple, dans un pays où la capacité d’accueil des structures scolaires ne permet pas à tous les enfants d’âge scolaire de jouir de leur droit d’être scolarisés, les premiers qui se présentent, jusqu’à concurrence des places disponibles, sont accueillis sans qu’il soit tenu compte d’autres critères que ceux valables pour tous.

Les réalités sociologiques font ce­pendant que les chances ne sont absolument égales pour tous dans aucun pays, mais on peut parfaitement parler de démocratisation dans un grand nombre de pays en matière d’enseignement.

Il est de la formation professionnelle comme de la formation scolaire de base.

Dans de nombreux pays par contre, la formation en vue de la participation est encore incomplète, insuffisante, voire n’est même pas organisée.

Mais même si la formation est bien conduite et s’étend à tous, elle ne permet pas de se passer de l’information.

La formation a une acception si large que dans de nombreux esprits, il est courant que soient confondues information et formation. S’il est juste de considérer l’information comme un mode de formation dans la mesure où l’information est l’acquisition ou l’actualisation de connaissances, il est également juste de considérer l’information en tant que concept auto­nome. L’information est alors la diffusion, pour porter leur existence à la connaissance des intéressés, de faits, événements et idées.

L’information peut être commentée ou simplement expliquée. Le commentaire doit être objectif. Le danger que constitue le manque d’objectivité du commentaire est cependant d’autant moins grave que dans le milieu de diffusion de l’information, les individus ont un plus haut niveau de formation.

L’information peut être expliquée en même temps qu’elle est livrée. Les explications seront d’autant moins nécessaires et d’autant moins détaillées que le niveau de formation des destinataires de l’information est élevé.

L’information est véhiculée soit par la parole, soit par l’image, soit encore par l’écriture. Il est sans doute possible de discuter sur la question de savoir quel est le véhicule le plus adéquat. La position à prendre sur cette question dépend de la nature de l’information et du niveau de formation dans le milieu de diffusion. L’important est d’informer le plus grand nombre d’intéressés. Un autre critère d’efficacité du véhicule de l’information est la possibilité qu’il offre au receveur de fixer celle-ci. Ce critère n’est pas non plus indépendant du niveau de formation dans le milieu de réception.

La formation et l’information peuvent se confondre. Il est toutefois souvent utile de les distinguer.

Ainsi, même si le citoyen est bien formé, il lui faut être informé. Plus le niveau de formation est élevé, mieux les informations sont reçues. Réciproquement, mieux les informations sont reçues, plus le niveau de formation s’élève.

La participation en pleine connaissance de cause, lucide, responsable, suppose la formation et l’information des citoyens. La formation initiale et sa poursuite, dans le système d’enseignement scolaire, ne peuvent être garanties à tous dans certains pays du fait de l’insuffisance des moyens. Dans ces pays, et même dans ceux où les moyens permettent d’étendre la formation scolaire à tous les citoyens, il est nécessaire d’organiser la formation et l’information continues des citoyens en vue de leur participation à la conduite des affaires publiques et de toutes les affaires qui les concernent.

Pour être responsable, la participation ne doit pas seulement être consciente. Elle doit également être volontaire.

La participation volontaire

Si la volonté de participation peut se manifester de plusieurs façons et se mesurer à différents niveaux selon différents critères, elle exprime toujours le refus de laisser conduire son destin en dehors de soi, par d’autres. De compter parmi les moutons d’un troupeau. C’est donc la manifestation d’un esprit critique quels que soient les moyens intellectuels dont on dispose à cet effet.

Cette volonté écarte l’indifférence et la résignation. Elle est d’autant plus forte que le but, les objectifs et les orientations retenus ont emporté l’adhésion des citoyens.

A cet égard, on constate que tous les pays proclament poursuivre l’instauration et la consolidation de la démocratie.

Si certains pays ne se déclarent pas explicitement socialistes, tous retiennent cependant comme but l’augmentation du niveau de vie et la réduction des disparités de ce niveau de vie dans la société.

En d’autres termes, la profession de foi démocratique et socialiste est devenue universelle malgré les oppositions idéologiques et doctrinales.

Si le but est partout le même, les objectifs et les orientations, au contraire, sont souvent bien différents, sinon opposés, d’un pays à l’autre. C’est à ce niveau que l’on reconnaît la sincérité de la profession de foi. Ainsi, une société ne peut être considérée comme démocratique si quelques uns de ses membres seulement décident pour l’ensemble sans que les autres aient la possibilité d’intervenir dans les débats qui portent sur les aspects fondamentaux des structures et du fonctionnement de la société.

De la même façon, une société ne peut être considérée comme socialiste si la richesse dans cette société est concentrée entre les mains d’un petit nombre de ses membres et si les écarts de richesses et de savoir sont trop grands.

Objectifs et orientations, pour mieux emporter l’adhésion, doivent être clairement définis et largement expliqués, ce qui ramène à la forma­tion et à l’information.

La participation, même consciente et volontaire, est plus ou moins aisée selon la taille de l’unité de parti­cipation.

  1. L’unité de participation

Il est évident que tous les citoyens d’une nation ne peuvent être consultés individuellement sur toutes les décisions. Il s’agit là d’une impossibilité matérielle. Cependant, tous les citoyens seront consultés à l’occasion des décisions les plus importantes. Pour les décisions des hiérarchies suivantes, les citoyens seront consultés par l’intermédiaire des représentants qu’ils auront préalablement tous ensemble désignés.

En tout état de cause, il est nécessaire que chaque citoyen puisse se prononcer et se faire entendre sur les décisions qui l’intéressent.

Au sein de la nation considérée comme unité de participation, les échéances électorales pour le choix des représentants ou à l’occasion des décisions fondamentales permettent aux citoyens de s’exprimer. Le recours juridictionnel est également un autre moyen de se faire entendre.

Cependant, il existe dans la nation des entités collectives qui ont des intérêts qui leur sont propres bien qu’étant situés et allant dans le sens de l’intérêt national. La participation au sein de ces groupes n’est pas moins importante, bien qu’elle ne soit pas plus déterminante. Elle est en tout cas très digne d’attention puisqu’elle porte sur des domaines souvent plus concrets et sur les intérêts les plus immédiats des citoyens. Quelle est la taille optimale de ces groupes consi­dérés comme unités de participation ?

Territorialement, c’est-à-dire du point de vue de la distance géographique, la taille doit être telle que les membres de l’unité de participation se sentent unis par un lien de solidarité résultant du voisinage. Il est à noter également que la solidarité du lien des intérêts communs n’est pas indépendante de la taille de l’unité de participation. Toutefois, l’unité de participation ne doit pas être de trop petite taille au risque d’aboutir à l’affrontement fréquent d’intérêts individuels et, à la limite, à la défense des intérêts d’un seul individu. La taille de l’unité de participation doit également être envisagée du point de vue de la distance sociale. En effet, qu’il s’agisse d’une entitée territoriale ou non, les disparités sociales au sein de l’unité de participation ne doivent pas être trop sensibles ce qui pourrait inhiber ou même annihiler la participation des membres appartenant aux couches sociales inférieures.

Si l’on retient que la participation doit être consciente et volontaire au sein d’une unité de taille optimale, on peut, en résumé, dire que c’est la liberté de participer qu’il faut assurer. Est-ce à dire que la liberté exclut toute contrainte ?

Liberté et contrainte, d’un certain point de vue, ne s’excluent pas. Leur antinomie n’est souvent qu’apparente car la liberté sans limite n’existe pas. Au sein de l’unité de participation il faut qu’il y ait une certaine autorité. Par ailleurs l’unanimité n’est pas toujours réalisable et la règle majoritaire est alors à respecter.

Cependant, il ne faut pas que la majorité écrase la minorité et d’une manière générale le groupe ne doit pas écraser l’individu. Réciproquement, l’individu ne doit pas être prépondérant par rapport au groupe.

La contrainte est nécessaire dans tout groupe, mais elle connaît des limites et chaque fois que cela est possible, on doit lui préférer la persuasion par le dialogue.

Au total, il n’y a pas de démocratie sans participation. Mais la participation doit être responsable ce qu’elle ne saurait être sans la conscience et la volonté de participer. Il est à retenir toutefois que cette conscience et cette volonté peuvent être suscitées, on doit se garder des manipulations tout en assurant à la participation l’éclairage nécessaire.

Il y a ainsi toute une série d’équilibres à chercher au sein de l’unité de participation. Ces équilibres sont nécessairement précaires du fait du caractère dynamique du groupe. Les ruptures de ces équilibres seront plus ou moins fréquentes selon que le groupe sera plus ou moins dynamique. Mais ces équilibres ne doivent pas être instables, ce qui veut dire que chaque fois qu’un équilibre est rompu, il doit se retrouver de lui-même.

La participation doit être le fait de tous les citoyens, chacun dans chaque cellule sociale où se prennent et s’appliquent des décisions le concernant.

La participation au sein de l’unité de participation qu’est la nation à l’occasion des échéances électorales et des grands choix est essentielle mais elle ne représente pas la seule forme de participation.

Elle permet à la base populaire de désigner périodiquement ses représentants aux instances nationales de délibération et d’exécution. Cette forme de participation est pratiquée depuis la naissance de l’Etat sénégalais au moyen de suffrage universel. Mais la participation de la base au sommet doit se doubler d’une participation de la base à son propre niveau. C’est cette seconde forme de participation que la Réforme de 1972 a renouvelée, approfondie et élargie.

L’administration de participation créée par la réforme

Dès l’indépendance, par la loi N° 60-15 du 13 janvier 1960, l’organisation coloniale de l’administration territoriale fut modifiée. Le territoire était divisé en cercles, chaque cercle en subdivisions et chaque subdivision en cantons. Ces circonscriptions étaient dirigées respectivement par des commandants de cercle, des commandants de subdivision et des chefs de canton. La loi N° 60-15 les a remplacées, dans l’ordre, par des régions, des cercles et des arrondissements administrés respectivement par des gouverneurs de région, des commandants de cercle et des chefs d’arrondissement. Le gouverneur, inspecteur régional de l’Administration avait une fonction d’animation, de contrôle et de coordination. Mais le représentant réel de l’autorité centrale était le commandant de cercle. Le chef d’arrondissement était le représentant du commandant de cercle.

En 1964, le décret N° 64-282 du 3 avril substitue le département et le préfet au cercle et au commandant de cercle. Il donne au gouverneur une véritable autorité sur le préfet. Le niveau de recrutement du chef d’arrondissement devient plus élevé ce qui a permis de renouveler un personnel dont un grand nombre des membres étaient fortement marqués par la mentalité et les méthodes coloniales.

Sous le régime colonial, il existait une certaine politique de création de communes. Après l’indépendance, le régime municipal a également été réformé.

 

Dans chacune de ces réformes, le souci de base a été la décolonisation des structures et des mentalités. En même temps, les pouvoirs publics ont cherché à renforcer l’unité nationale par un découpage des circonscriptions administratives transcendant les problèmes relatifs aux ethnies et aux anciennes provinces.

L’animation rurale et urbaine, pendant tout ce temps, a sensibilisé les masses et a créé en leur sein une attitude critique vis-à-vis de l’administration et de l’autorité administrative qui ne devait plus être qu’un fonctionnaire, d’autorité certes, mais pas plus.

La participation, durant toute cette période, n’a jamais été absente mais le maître mot était le développement, et la participation, au niveau local, était une participation au développement à travers des structures extra-administratives.

Avec la Réforme de 1972, on passe de l’administration de développement à l’administration de développement et de participation.

La Réforme de la loi N° 72-02 du 1er février 1972 relative à l’organisation de l’administration territoriale est entrée en vigueur : dans la région de Thiès le 1er juillet 1972 [3], dans la région du Cap-Vert le 1er décembre 1972, dans la région du Sine­Saloum le 1er juillet 1974, dans les régions de Diourbel et Louga le 1er juillet 1976, dans la région de la Casamance le 1er juillet 1978. Sur les huit régions que compte la République [4], six ont été réformées. Les deux autres, les régions du Fleuve et du Sénégal oriental seront, en principe, réformées avant la fin de l’année 1982 [5].

Quand toutes les régions auront été réformées, tout citoyen sénégalais sera soit membre d’une communauté rurale, soit membre d’une commune.

La loi N° 72-02, en effet, divise le territoire de la République en régions. Chaque région, à l’exception de celle du Cap- Vert qui est dotée d’un statut particulier, est divisée en départements. Chaque département est divisé en communes d’une part et en arrondissements d’autre part. Chaque arrondissement est divisé en communautés rurales.

La région du Cap-Vert est entièrement communalisée c’est-à-dire que le territoire de la commune de Dakar et celui de la région du Cap-Vert coïncident. C’est le décret N° 72-895 du 21 juillet 1972, qui fixe l’organisation administrative de la région du Cap-Vert. Il divise cette région, non en départements, mais en circonscriptions urbaines.

C’est cette organisation qui constitue l’assise des deux principes de la Réforme :

La déconcentration

La déconcentration est un aménagement du pouvoir d’Etat sans création d’autre personne morale. Elle se réalise par la délégation de pouvoirs à des subordonnés sur lesquels s’exerce le contrôle hiérarchique.

La déconcentration est dite verticale ou technique ou encore par service quand elle concerne un secteur déterminé et une activité spécialisée. Elle est dite horizontale ou territoriale quand elle concerne les chefs des circonscriptions administratives.

La région est administrée par un gouverneur. A la tête du département, ou la circonscription urbaine, se trouve un préfet. L’arrondissement est administré par un sous-préfet [6]. La loi N° 72-02 fait des gouverneurs, préfets et sous-préfets, dans leur circonscription, les délégués du Président de la République et les représentants du Premier Ministre et de chacun des ministres. Mais la délégation de pouvoirs ne peut être générale et doit être précisée dans chaque domaine. Déjà avant la Réforme, par le décret N° 71-1259 du 2 novembre 1971, d’importants pouvoirs du Ministre chargé de l’Intérieur étaient délégués aux gouverneurs et préfets. En 1972, le décret N° 72-636 du 29 mai précise la loi N° 72-01 en ce qui concerne les pouvoirs des gouverneurs, préfets et sous-préfets. D’autres pouvoirs ministériels sont délégués aux gouverneurs et préfets par le décret N° 76-147 du 5 février 1976.

Pour les autorités administratives de la région du Cap-Vert, où il n’existe pas de sous-préfets, le décret N°72-895 précise les dispositions de la loi N° 72-02.

Le gouverneur, le préfet et le sous­préfet détiennent un pouvoir réglementaire. Chacun d’eux, dans sa circonscription, est le supérieur hiérarchique de tous les fonctionnaires et agents de l’Etat qui y sont en service, le responsable du développement économique et social, de l’exécution de la politique du gouvernement, de l’application des lois et règlements, du maintien et du rétablissement de l’ordre public. Ils exercent certains pouvoirs de tutelle sur les personnes morales de droit public de leur circonscription.

En matière de déconcentration, la Réforme se caractérise par un renforcement des pouvoirs délégués. Une autre caractéristique est le remplacement du chef d’arrondissement par le sous-préfet. Le premier était le représentant du préfet alors que le second est le délégué du Président de la République et le représentant du Premier Ministre et de chacun des ministres. Le sous-préfet n’est pas, comme l’était le chef d’arrondissement, officier de police judiciaire parce qu’en vertu de la séparation des pouvoirs, il ne peut être à la fois représentant de l’exécutif et dépendre du pouvoir judiciaire. Il est toutefois officier de l’état civil.

Les pouvoirs du sous-préfet étant plus importants et ses fonctions plus complexes, son niveau de recrutement a été très sensiblement relevé par rapport à celui du chef d’arrondissement.

Délégataire de pouvoirs importants, l’autorité administrative qui demeure le relais entre les administrés et le pouvoir central, ne transmet plus tous les dossiers aux ministères. La déconcentration ainsi opérée ne comporte pas seulement l’avantage de désencombrer l’administration centrale. Elle procure aux citoyens ce que l’on peut bien appeler une plus grande sécurité administrative. Elle raccourcit les circuits, permet de tenir compte des réalités locales dans l’application des mesures générales, rend les autorités plus accessibles. En réduisant la distance géographique qui sépare l’administration de l’administré, elle réduit en même temps, au profit de celui-ci, le coût d’accès à l’administration.

D’une manière générale, la déconcentration rapproche l’administration des administrés, c’est-à-dire du peuple.

Mais pourquoi la déconcentration occupe-t-elle une place importante dans la Réforme puisque celle-ci cherche surtout à instaurer la participation par la décentralisation ?

D’abord parce que la participation n’exclut pas l’autorité de l’Etat même si elle permet d’éviter l’intervention d’autorité. Il faut également que l’Etat puisse garantir ses intérêts vis-à-vis des groupes décentralisés. Les collectivités locales instituées par la Réforme sont des lieux d’apprentissage de la gestion de la chose publique aussi faut-il assurer aux édiles une assistance et une formation. Toutes ces fonctions sont dévolues à l’autorité déconcentrée.

La déconcentration n’est qu’une des modalités de la redistribution des pouvoirs de l’Etat. La décentralisation en est une autre.

La décentralisation

La décentralisation consiste en un transfert de pouvoirs de l’autorité représentative de l’Etat à d’autres personnes morales de droit public jouissant de l’autonomie financière. Elle est dite verticale ou technique ou par service quand elle concerne une activité spécialisée. Ainsi les établissements publics à caractère industriel ou commercial. Elle est dite horizontale ou territoriale quand il s’agit des collectivités locales (communes et communautés rurales au Sénégal). C’est cette seconde forme qu’il est surtout intéressant d’examiner à travers la Réforme.

La décentralisation permet aux membres d’une collectivité de gérer les affaires qui leur sont propres au sein de la communauté nationale mais sans contrarier les intérêts de la nation. Elle ne conduit pas à un démembrement de l’Etat aussi s’exerce-t-elle dans le cadre fixé par la loi. Elle constitue essentiellement un moyen d’aménager la participation.

Jusqu’en 1960, il n’existait au Sénégal que 24 communes dont 8 seulement étaient de plein exercice, les autres étant des communes de moyen exercice et des communes mixtes. Après l’indépendance, le nombre des communes a été accru et le régime municipal harmonisé et amélioré. Il existe actuellement 34 communes [7]

Cependant, jusqu’en 1972, la décentralisation ne concernait que les citadins. Avec la Réforme, la décentralisation est étendue à la campagne par l’institution des communautés rurales.

La commune

La commune, personne morale de droit public jouissant de l’autonomie financière, est « le groupement des habitants d’une même localité unis par une solidarité résultant du voisinage, désireux de traiter de leurs propres intérêts et capables de trouver les ressources nécessaires à une action qui leur soit particulière au sein de la communauté nationale et dans le sens des intérêts de la nation ».

Le régime général des communes est fixé par la loi N° 66-64 du 30 juin 1966 portant Code de l’Administration communale (modifiée par les lois N° 69-36, N° 70-10 et N° 72­64).

Les organes de la commune sont le Conseil municipal et le Maire. Le Conseil municipal se compose de conseillers élus au suffrage universel et de conseillers représentant les groupements à caractère économique ou social. Le nombre de conseillers varie selon l’importance de la population.

Le nombre de conseillers issus du suffrage universel varie de 13 pour les communes de 1.000 à 2.000 habitants à 37 pour les communes de plus de 60.000 habitants. Le nombre de conseillers représentant les groupements à caractère économique varie de 2 pour les communes de 1.000 à 2.000 habitants à 6 pour les communes de plus de 60.000 habitants [8]. Cette composition permet la représentation de toutes les populations et des intérêts essentiels ainsi que l’introduction de compétences techniques au sein du Conseil municipal.

Sont éligibles au Conseil municipal les Sénégalais des deux sexes, âgés d’au moins 21 ans, régulièrement inscrits sur les listes électorales de la commune et ne tombant dans aucun des cas d’incapacité et d’inéligibilité prévus par la loi.

Les fonctionnaires d’autorité, les magistrats, les agents de certains corps de contrôle, les principaux responsables du Trésor ne peuvent être conseillers municipaux durant l’exercice de leurs fonctions.

Les ascendants et les descendants, les conjoints, les frères et alliés, au premier degré, ne peuvent être simultanément membres d’un même Conseil municipal.

Les délibérations du Conseil municipal sont prises à la majorité des votants. Les séances sont publiques.

Les comptes rendus de séance sont publiés et tout citoyen peut attaquer une délibération qui le léserait. Il s’adresse alors à l’autorité de tutelle d’abord puis à la Cour suprême s’il n’obtenait pas satisfaction.

D’une manière générale, le Conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune. Il donne des avis et émet des vœux adressés à l’Etat sur des questions intéressant la commune.

Le Maire organe exécutif du Conseil municipal, est élu par et parmi les Conseillers issus du suffrage universel. Il est officier de l’état civil. C’est lui qui prépare le budget et l’exécute après son vote. Il est le chef de l’administration municipale. Il dispose d’un pouvoir réglementaire. Il exerce ses attributions sous le contrôle du Conseil municipal et de l’autorité de tutelle.

En 1972, des régimes particuliers ont été mis en place par la Réforme. Il s’agit du statut des communes chefs-lieux de région autres que Dakar d’une part et du statut de la commune de Dakar d’autre part.

C’est la loi N° 72-63 du 26 juillet 1972 qui fixe le régime municipal des communes chefs-lieux de région autres que la commune de Dakar. Le régime municipal de Dakar est fixé par la loi N° 72-26 du 19 avril 1972. L’innovation introduite est l’institution de l’administrateur municipal à Dakar et dans les autres communes chefs-lieux de régions. L’administrateur municipal remplace le Maire de droit commun dans toutes ses attributions sauf en ce qui concerne les fonctions d’officiers de l’état civil et la présidence du Conseil municipal. Dans ces communes, le Maire reçoit le titre de Président du Conseil municipal. Par ailleurs, le Conseil municipal, dans ces communes, délibère sur des matières limitativement énumérées par la loi : A Dakar, le gouverneur de la région du Cap-Vert est l’administrateur municipal. Dans les autres communes chefs lieux de région, l’administrateur municipal est distinct du gouverneur. L’administrateur municipal exerce ses fonctions sous le contrôle du Conseil municipal et de l’autorité de tutelle.

En matière de décentralisation l’innovation majeure introduite par la Réforme est constituée par : les communautés rurales. Elles sont organisées par la loi N° 72-25 du 19 avril 1972. Pourquoi des communautés rurales ?

LA communauté rurale

La loi N° 66-64 stipule qu’aucune commune ne pourra être instituée qui ne comprenne une population groupée d’au moins 1.000 habitants. Elle dispose par ailleurs que ne peuvent être constituées en communes que les localités ayant un développement suffisant pour pouvoir disposer des ressources propres nécessaires à l’équilibre de leur budget. La loi ne fait que définir les conditions de viabilité d’une commune. Les agglomérations remplissant ces conditions ont été érigées en communes. Pour étendre la décentralisation et la participation à l’ensemble du territoire, les communautés rurales ont été créées [9].

La communauté rurale, personne morale de droit public jouissant de l’autorité financière, « est constituée par un certain nombre de villages appartenant au même terroir, unis par une solidarité résultant notamment du voisinage, possédant des intérêts communs et capables de trouver les ressources nécessaires à leur développe­ment ».

Au lieu d’être constituée par une agglomération comme la commune, la communauté rurale est un groupe de villages.

Les organes de la communauté rurale sont le Conseil rural et le Président du Conseil rural.

Le Conseil rural est l’organe délibérant. Il est composé de 12 à 21 membres selon l’importance de la population. Les 2/3 des conseillers ruraux sont élus au suffrage universel.

L’autre 1/3 est constitué par des membres désignés par les organismes coopératifs représentant les intérêts économiques majeurs du milieu.

Sont électeurs et éligibles les Sénégalais des deux sexes âgés d’au moins 21 ans, inscrits sur la liste électorale de la communauté rurale et qui ne sont dans aucun des cas d’incapacité et d’inéligibilité prévus par la loi.

Deux membres d’une même famille, parents ou alliés au premier degré, ne peuvent être simultanément membre d’un même Conseil rural.

Les fonctionnaires et agents de l’Etat, des collectivités locales et des établissements publics ne peuvent être conseillers ruraux.

D’une manière générale, le Conseil rural délibère sur les questions intéressant la communauté rurale. Les séances sont publiques. Les délibérations sont publiées et peuvent être attaquées devant l’autorité de tutelle d’abord puis devant la Cour suprême.

Ces délibérations sont prises à la majorité des votants.

Outre les décisions qu’il prend, le Conseil rural donne des avis sur les mesures envisagées par l’Etat et intéressant la communauté rurale. Il peut émettre des vœux de voir l’autorité compétente prendre certaines mesures ou décisions.

Le Président du Conseil rural est élu par et parmi les Conseillers issus du suffrage universel. Sont écartés des fonctions de Président du Conseil rural les présidents de coopérative, les chefs de village et d’une manière générale tous les conseillers n’exerçant pas une activité rurale à titre principal.

Le Président du Conseil rural est officier de l’état civil. Il a un pouvoir réglementaire. Il est l’organe exécutif du Conseil rural sauf en matière de budget. En effet, le budget est préparé et, après son vote par le Conseil rural, ordonnancé par le sous-préfet. Ce dernier se trouve alors sous le contrôle du Conseil rural, de ses supérieurs hiérarchiques et de l’autorité de tutelle.

La région, le département, la circonscription urbaine et l’arrondissement ne sont pas des personnes morales mais de simples circonscriptions administratives relevant du pouvoir déconcentré. Ce sont les communes et les communautés rurales qui sont des personnes morales relevant de la décentralisation. La Réforme a créé d’autres structures de participation sans personnalité morale.

Autres structures de participation

Il s’agit des conseils régionaux, des conseils départementaux et des conseils d’arrondissement prévus par la loi N° 72-27 du 26 mai 1972. Leurs membres sont désignés, pour 2/3, par les conseils municipaux et ruraux parmi les élus au suffrage universel et, pour 1/3, par les organismes à caractère économique ou social les plus représentatifs.

Chaque Conseil rural désigne deux représentants au Conseil d’arrondissement. Chaque Conseil d’arrondissement désigne deux représentants au Conseil départemental et chaque Conseil municipal y désigne deux représentants. Chaque Conseil départemental désigne 3 représentants au Conseil régional à raison de 2 conseillers ruraux et d’un conseiller municipal.

Dans les régions réformées, à l’exception du Cap-Vert, le Conseil régional, le Conseil départemental et le Conseil d’arrondissement, au niveau des circonscriptions administratives correspondantes, donnent des avis sur les questions à caractère économique ou social intéressant leur ressort territorial. Sur de nombreuses questions, ces avis sont obligatoirement recueillis. Ils peuvent émettre des vœux de voir l’autorité compétente prendre certaines mesures ou décisions.

 

Le Conseil régional, le Conseil départemental et le Conseil d’arrondissement sont essentiellement consultatifs. C’est toutefois le Conseil départemental qui fixe, par délibération, le taux de la taxe rurale [10] applicable dans l’ensemble du département.

Deux ou plusieurs communautés rurales peuvent s’associer et constituer un groupement rural pour la gestion de biens d’équipement ou de certaines ressources. Deux ou plusieurs communautés rurales peuvent s’associer à une commune et constituer un groupement d’intérêt rural pour la gestion des terres du domaine national. La gestion des terres du domaine national a connu un grand regain d’intérêt avec la Réforme et nous y reviendrons.

Dans la région du Cap-Vert, il n’existe pas de communautés rurales ni non plus les structures prévues par la loi N° 72-27. Région et commune à la fois, le territoire du Cap-Vert est une unité de participation de grande taille aussi a-t-il été prévu, en son sein, d’autres unités de participation sans personnalité morale toutefois : les sections urbaines et les sections rurales avec comme organes des comités, et des présidents de comité, urbains et ruraux. Les sections urbaines et les sections rurales ont pour but d’assurer la coopération et la participation de leurs habitants.

Par décret N° 74-945 du 19 septembre 1974, trois sections rurales ont été créées dans la commune de Dakar [11] dans les zones non urbanisées et ne devant pas faire l’objet d’une urbanisation dans un délai rapproché.

La déconcentration et la décentralisation sont au service de la participation. Quand toutes les régions auront été réformées, chaque citoyen pourra se faire entendre sur les questions d’intérêt local qui sont celles qui le préoccupent le plus directement.

Portée de la réforme et adaptation des principes

En élargissant la décentralisation et en approfondissant la participation, la Réforme a créé une situation nouvelle en particulier au regard d’un des moyens de production les plus importants dans un pays comme le Sénégal : la terre. En effet, avec l’entrée en vigueur de la loi N° 72-02, la loi sur le domaine national trouve sa pleine signification.

La gestion des terres du domaine national

Avant la Réforme, les terres avaient été nationalisées dans une proportion de 95 % par la loi N° 64-46 du 17 juin 1964. Il faut savoir que l’agriculture occupe une place importante dans l’économie du Sénégal et que la population du pays est rurale à plus de 70 % pour mesurer la portée socialiste de la loi N° 64-46 qui abolit le droit de propriété sur les terres qu’elle concerne. Quelles sont ces terres ?

Selon la loi 64-46, les terres du domaine national sont constituées de plein droit par toutes les terres non classées dans le domaine public, non immatriculées et dont la propriété n’a pas été transcrite à la conservation des hypothèques à la date d’entrée en vigueur de la loi. Ne font pas partie, non plus, de plein droit du domaine national les terres qui, à la date d’entrée en vigueur de la loi, faisaient l’objet d’une procédure d’immatriculation au nom d’une personne autre que l’Etat.

Les terres du domaine national ne peuvent être immatriculées qu’au nom de l’Etat. Toutefois, le droit de requérir l’immatriculation a été reconnu aux occupants qui, à la date d’entrée en vigueur de la loi, avaient réalisé des constructions, installations et aménagements constituant une mise en valeur à caractère permanent. L’existence de ces conditions devait être constatée par décision administrative à la demande de l’intéressé et dans les dix mois à compter de la date de publication du décret d’application de la loi, c’est-à-dire du décret N° 64-573 du 30 juillet 1964.

La loi sur le domaine national divise les terres sur lesquelles elle étend son régime en zones pionnières, zones classées, zones urbaines et zones du terroir. Les zones pionnières sont celles qui font l’objet d’aménagements spécifiques. Les zones classées sont celles occupées par des forêts classées ou des sites de protection. Les zones urbaines sont les terres du domaine national situées dans le territoire des communes. Les zones du terroir sont les terres d’habitation, de culture et d’élevage situées dans le territoire des communautés rurales.

Le décret N° 66-858 du 7 novembre 1966 fixe les conditions d’administration des terres du domaine national à vocation agricole situées dans les zones urbaines. Cette administration est confiée aux comités ruraux des sections rurales en ce qui con­cerne l’exercice de certains droits d’usage.

Il faut préciser que la section rurale est constituée par un ensemble homogène de terres nécessaires au développement du ou des villages qui y sont implantés et qui y ont des intérêts communs.

Quant aux terres des zones du terroir, elles sont gérées par le Conseil rural dans les conditions définies par le décret N° 72-1288 du 27 octobre 1972. L’affectation et la désaffectation des terres de ces zones sont décidées par le Président du Conseil rural sur avis conforme du Conseil rural.

Les terres du domaine national dans les sections rurales et dans les zones de terroir sont affectées à titre personnel pour leur occupation ou leur exploitation. L’affectation ne confère qu’un droit d’usage qui ne peut être transféré. La superficie affectée est fonction des capacités personnelles, ou avec l’aide de la famille, de mise en valeurs seuls les membres de la communauté rurale peuvent être affectataires.

La terre est ainsi remise entre les mains de ceux qui la travaillent et qui, collectivement, décident de son utilisation, ce qui a fait disparaître les latifundia appelés lamanats.

La gestion des terres du domaine national illustre bien la réalité de la participation.

De quelques adaptations

Les principes ne sont pas appliqués universellement de façon uniforme. Leur application, dans chaque pays, exige une adaptation aux réalités. Il est nécessaire d’expliquer ces adaptations.

Les explications portent sur le rôle de l’administrateur municipal, du sous­ préfet ordonnateur du budget de la commune rurale et, d’une manière plus générale, sur la tutelle.

Partout les collectivités locales sont considérées comme des lieux d’apprentissage de la gestion de la chose publique. C’est ainsi que l’on a pu parler du passage du baccalauréat municipal à l’agrégation législative [12].

L’institution de l’administrateur municipal trouve son explication dans l’histoire des communes. Les communes ont souvent été utilisées par le colonisateur comme instrument de division. Elles ont été fortement politisées. On sait que la commune est politique par nature mais la politisation dont il s’agit est l’utilisation des moyens et des pouvoirs municipaux à des fins politiques personnelles ou partisanes. Cette politisation, particulièrement sensible dans les anciennes communes de plein exercice, avait persisté dans les communes chefs-lieux de région et conduisait à des gaspillages contre lesquels le maire pouvait difficilement lutter. Des maires avaient pu réussir un certain redressement mais le législateur a voulu, d’une manière générale, mettre fin à cette situation dans les communes chefs-lieux de région où les conséquences étaient d’autant plus graves que les moyens de ces communes étaient relativement importants.

Le législateur a ainsi institué l’administrateur municipal, agent que l’Etat met à la disposition des communes chefs-lieux de région pour l’exécution des volontés des populations exprimées par les conseillers municipaux qui les représentent.

En ce qui concerne l’ordonnancement du budget de la communauté rurale par le sous-préfet, l’explication tient à l’inexistence de compétences techniques au sein du Conseil rural. En effet, la volonté du législateur a été de laisser la gestion des affaires de la communauté rurale à ceux qui exercent des activités rurales à titre principal. Dans la situation actuelle, ceux qui exercent des activités rurales à titre principal n’ont pas la formation requise pour la préparation et l’exécution du budget selon les nécessaires règles administratives et financières en vigueur en matière de comptabilité publique. La formation requise faisant défaut en général au Président du Conseil rural, la loi a confié au sous-préfet la préparation et l’ordonnancement du budget de la communauté rurale.

On peut penser, pour ce qui concerne le sous-préfet ordonnateur du budget de la communauté rurale, qu’il s’agit simplement d’une situation transitoire. Quand le Président du Conseil rural aura acquis la formation et la compétence technique nécessaire, le législateur pourrait bien lui confier le budget de la communauté rurale. Dans les communes chefs-lieux de région, un net redressement a été enregistré mais le retard à rattraper est considérable et il faudra sans doute poursuivre la remise en ordre.

En tout état de cause, l’administrateur municipal et le sous-préfet en tant qu’ordonnateur du budget de la communauté rurale, qui sont nommés par le pouvoir central, exercent leurs attributions sous le contrôle des élus locaux, de leurs supérieurs hiérarchiques, et de l’autorité de tutelle. Il faut mentionner les corps de contrôle spécialisés.

Finalement, c’est un problème de formation qui se pose. Au Sénégal, la démocratisation de l’enseignement est réelle mais les moyens ne permettent pas une scolarisation totale. Pour résoudre ce problème de formation, d’information et de sensibilisation, plusieurs organismes fonctionnent : les Services du Secrétariat d’Etat à la Promotion humaine, en particulier la Direction de l’Animation rurale et urbaine, les Centres d’Expansion rurale, des Services du ministère de l’Intérieur… Au niveau régional et local, des structures ont été créées pour suivre et animer la formation sous la responsabilité des autorités administratives.

Il s’agit cependant d’une tâche considérable car même s’il est possible de parler du baccalauréat municipal, il faudrait retenir un niveau beaucoup moins élevé en ce qui concerne les conseillers ruraux. Le retour à la terre des scolarisés, l’exé­cution en cours du programme d’alphabétisation dans les langues nationales et l’extension de l’enseignement moyen pratique en milieu rural permettant aux jeunes ruraux de s’y fixer sont de nature à compléter les efforts de formation actuellement déployés en direction des élus locaux et des populations.

En tout cas la volonté de participation existe. C’est un paysan qui a dit que la Réforme est ressentie en milieu rural comme une seconde indépendance. Son idée est que si l’accession à l’Indépendance nationale a donné naissance à un Etat sénégalais libre de ses décisions, c’est la Réforme qui a permis aux ruraux de décider librement de leurs propres affaires au sein des communautés rurales.

La volonté de participer est confortée par l’adhésion au socialisme qui est proposé et dans le cadre duquel la terre a été nationalisée à 95 % pour que sa gestion soit confiée à ceux qui la travaillent.

La taille des unités de participation n’est pas déterminée sans critère. Ainsi, les communautés rurales, avant leur découpage, font l’objet d’études socio-économiques et le chef-lieu, appelé le village centre, est déterminé après des études de polarisation. La composition des organes délibérants est telle que la participation est libre. Ainsi deux parents ou alliés au premier degré ne peuvent être simultanément membres d’un même Conseil municipal ou d’un même Conseil rural ce qui permet d’éviter la main­mise d’une famille sur la collectivité locale.

Les fonctionnaires et agents de l’Etat, des collectivités locales et des établissements publics ne peuvent être membres du Conseil rural pour que la composition sociologique de cet organe de la communauté rurale ne soit pas trop hétérogène. Sont écartés des fonctions de Président du Conseil rural ceux qui n’exercent pas des activités rurales à titre principal afin que d’autres intérêts ne dominent les intérêts de la majorité constituée par les ruraux.

De toute façon, est écarté d’une délibération le Conseiller municipal ou rural qui serait, personnellement, ou en tant que mandataire, intéressé à l’affaire qui fait l’objet de la délibération.

La volonté de participer s’est manifestée dans les communautés rurales et dans les communes autres que les chefs-lieux de région. Elle est cependant moins évidente dans les communes chefs-lieux de région. Le cosmopolitisme de ces villes explique en partie ce phénomène. Il ne s’agit pas à proprement parler d’indifférence. Les préoccupations et sollicitations de la vie urbaine constituent un autre élément d’explication. La taille de ces unités de participation est souvent trop grande aussi faut-il y accorder beaucoup d’importance aux sections urbaines et rurales. A l’échelon de ces unités intermédiaires de participation, le lien de solidarité résultant du voisinage est plus étroit et les intérêts communs plus immédiats.

La tutelle est une autre question qui ne peut manquer de retenir l’attention [13]. La règle en matière de décentralisation est la liberté de la collectivité locale mais dans le cadre de la loi et sans contrariété pour l’intérêt national. Il n’y a pas de participation sans contrainte. Cette contrainte découle de la loi.

La contrainte majoritaire également s’impose. Si cette règle ne jouait plus, il en résulterait un blocage du fonctionnement des organes de participation entraînant la dissolution de ces organes pour permettre un arbitrage de l’ensemble des membres de la collectivité locale.

Dans la réforme d’ailleurs, la tutelle est moins de contrôle que d’assistance. En effet, pour l’essentiel, les pouvoirs de tutelle sont délégués aux chefs des circonscriptions administratives. Ces derniers ont une importante fonction de formation des élus locaux. L’assistance qu’ils fournissent aux collectivités locales est d’ailleurs multiforme.

Du reste, il n’y a pas de tutelle sans textes : la tutelle est légale. Les collectivités locales peuvent exercer un recours, hiérarchique puis juridictionnel, contre les décisions de l’autorité de tutelle estimées mal fondées.

Un autre problème important est celui des ressources des collectivités locales. Même dans les pays développés, les collectivités locales ne cessent de se plaindre de l’insuffisance de leurs ressources à plus forte raison dans un pays sous-développé. Il n’empêche que dans ces derniers pays l’Etat doit abandonner certaines de ses recettes aux collectivités locales et prendre en charge certaines de leurs dépenses. Au Sénégal, si les communes chefs-lieux de région sont relativement bien dotées, il n’en est pas de même des autres communes ni surtout des communautés rurales. Ayant perçu cette difficulté, l’Etat a consenti le transfert au profit des collectivités locales de nombreux postes de recettes.

Toutes les collectivités locales ne sont pas d’un égal développement et les écarts sont surtout sensibles entre les communautés rurales. Un fonds de solidarité entre les communautés rurales a été créé pour corriger les inégalités de ressources provenant des inégalités de développement. Chaque communauté rurale verse 25 % de ses ressources au fonds et l’ensemble est ensuite réparti selon une clé permettant aux communautés rurales les plus riches d’aider les moins riches.

Des subventions et fonds de concours sont aussi accordés par l’Etat aux collectivités locales.

En outre, un fonds de développement des collectivités locales permet à l’Etat de prêter à celles-ci ou de garantir leurs emprunts auprès des or­ganismes financiers.

Il reste à faire sans doute. Des efforts supplémentaires peuvent être attendus selon les possibilités offertes par le développement économique national.

Il faut d’ailleurs lier la Réforme et le développement. Le développement est un des objets de la Réforme d’une part. D’autre part la Réforme se consolide et permet de progresser vers la participation idéale à mesure que le niveau de développement s’élève.

« La Réforme et le développement régional » pourrait constituer un excellent sujet d’étude. Comme on le sait, le développement régional est en même temps lié à la déconcentration et à la décentralisation. C’est pourquoi les conseils régionaux, départementaux et d’arrondissement sont obligatoirement consultés sur les programmes et actions de développement qui concernent les territoires de leur compétence. Les communes et les communautés rurales ont obligatoirement un programme de développement.

Les budgets des communes sont consacrés dans des proportions de plus en plus importantes aux investissements. Quant au budget de la communauté rurale, il est essentiellement un budget d’investissement. Il n’admet de dépenses de fonctionnement que celles destinées à l’entretien des investissements déjà réalisés et celles destinées à couvrir les charges de perception de certaines recettes.

La mise en application de la Réforme a révélé que l’Etat, occupé aux grandes tâches de développement ajoutées à ses missions traditionnelles, pouvait bien ne pas percevoir nettement certains besoins relativement mineurs des populations. La Réforme met entre les mains des populations les moyens de satisfaire ces besoins et offre au pouvoir central une meilleure approche de ces besoins.

Par ailleurs, la décentralisation administrative donne une réelle portée à la décentralisation du plan de développement économique et social. Le système de planification est maintenant un système à la fois sectoriel et régional. Sectorielle au niveau national, la planification permet de déterminer les stratégies et le calcul des grandes variables. Régionale, la planification permet de tenir compte des besoins des populations exprimés par leurs représentants au niveau des différentes structures de participation mises en place par la Réforme. Il est ensuite procédé aux ajustements nécessaires dans les différents secteurs pour aboutir au plan national auquel viennent s’articuler les plans régionaux qui contiennent les programmes des collectivités locales.

Pour conclure on retient qu’il apparaît que les principales mesures d’adaptation sont liées au problème de la formation qui est au premier rang des priorités du gouvernement. Cette formation, qui nécessite des moyens considérables que l’on a commencé de dégager, non seulement rendra la participation encore plus consciente mais permettra de réaliser la pleine auto-administration locale. En particulier, ces édiles de type nouveau que sont les Conseillers ruraux pourront, une foislaformation nécessaire acquise prendre en charge la préparation et l’exécution du budget de la communauté rurale.

La sensibilisation et l’information sont réalisées. La formation a déjà atteint un niveau qui permet la participation responsable.

Le Sénégal a opté pour le socialisme. La loi sur le domaine national n’est que l’une des mesures qui indiquent le mieux la réalité de cette option. Il s’agit de l’appropriation collective de cet important moyen de production qu’est la terre dans un pays agricole à 70 %.

La voie démocratique est celle que le Sénégal entend suivre. La participation instaurée par la Réforme est expressive de sa volonté de suivre cette voie.

L’on sait, comme l’a dit Rousseau, que la parfaite démocratie ne convient pas à des hommes mais à un peuple de dieux. Autrement dit, la démocratie parfaite est un idéal et le jugement à faire sur une démocratie humaine doit porter sur le chemin parcouru en direction de cet idéal.

Pour le Sénégal, on cite la séparation des trois pouvoirs : législatif, exécutif et judiciaire ; l’indépendance du pouvoir judiciaire ; l’existence de plusieurs partis politiques. Le peuple y prend régulièrement la parole. En plus, la Réforme permet la démocratie du quotidien et du concret et c’est pourquoi l’on a pu dire qu’elle est révolutionnaire. A mesure que s’élèvera le niveau de formation, son caractère révolutionnaire sera plus sensible.

 

[1] François Perroux : « Qu’est-ce que le développement ? Etudes, Janvier 1961, p 16-33. P. 16.

 

[2] Cf. Rapport du Chef de l’Etat, Secrétaire général du parti gouvernemental au VIIe Congrès du parti, le 30 décembre 1969 sur « La participation responsable comme moteur du développement ».

 

[3] La région du Cap-Vert relevant d’un statut particulier, la région de Thiès était parmi les autres régions, la plus proche des techniciens de l’administration centrale. Elle est de surcroît peu étendue. Elle offrait les meilleures conditions pour l’expérimentation de la Réforme et fut donc retenue.

 

[4] La loi de 1972 divisait le territoire en 7 régions. Elle a été modifiée en 1976 par la loi N° 76-61 du 26 juin portant à 8 le nombre de régions en ajoutant la région de Louga. C’est l’ancienne région de Diourbel qui a été scindée pour créer l’actuelle région de Diourbel et la région de Louga.

 

[5] L’application progressive de la Réforme est justifiée par au moins deux raisons : l’application d’emblée à toutes les régions nécessiterait des moyens (humains, matériels, financiers) trop considérables. Par ailleurs l’application progressive permet, dans chaque région, de tenir compte de l’expérience dans les autres régions déjà réformées.

 

[6] Il ne faut pas confondre sous-préfecture et arrondissement. La sous-préfecture est constituée par les bureaux et services du sous-préfet alors que l’arrondissement est la circonscription administrative dirigée par le sous-préfet. De la même façon, pour la gouvernance et la région ainsi que pour la préfecture et le département.

 

[7] Ces communes sont les suivantes : pour la région du Cap-Vert : Dakar pour la région de la Casamance : Bignona, Kolda, Oussouye, Sédhiou Vélingara, Ziguinchor, pour la région de Diourbel : Bambey, Diourbel, Mbacké ; pour la région du Fleuve : Dagana, Matam, Podor, Saint-Louis, pour la région de Louga : Kébémer, Linguère, Louga, pour la région du Sénégal-Oriental : Bakel, Kédougou, Tambaounda, pour la région du Sine-Saloum : Fatick, Foundiougne, Gossas, Guinguinéo, Kaffrine, Kaolack, Nioro du Rip, Sokone ; pour la région de Thiès : Joal Fadiouth, Khombole, Mbour, Mékhé, Thiès, Tivaouane. Le nom des communes chefs-lieux de région est souligné.

 

[8] Le Conseil municipal de la commune de Dakar compte toutefois 100 conseillers dont 75 élus au suffrage universel et 25 représentants des groupements à caractère économique et social.

 

[9] 256 communautés rurales ont été créées : Casamance 68 ; Diourbel 33 ; Louga 48 ; Sine-Saloum 76 ; Thiès 31 ; Rappelons qu’il n’existe pas de communautés rurales dans la région du Cap-Vert et que les régions du Fleuve et du Sénégal-Oriental ne sont pas encore réformées et qu’il n’y existe donc pas encore de communautés rurales.

 

[10] La taxe rurale perçue par la communauté rurale, constitue l’essentiel des recettes du budget de celle-ci. Elle a été instituée par la loi n° 72-59 du 12 juin 1972.

 

[11] Il s’agit des sections rurales de Bambilor, Sangalcam, Sébikotane et Yène dans la 3e circonscription urbaine (Rufisque).

 

[12] Club Jean Moulin. « L’Etat et le citoyen » Editions du Seuil, Paris 1961 p. 327.

 

[13] La tutelle des collectivités locales re­lève du Ministère de l’Intérieur et les chefs des circonscriptions administratives sont rattachés à ce Ministère.