Notes

« P.S-PC » ROBERT VERDIER SEGHERS -331 PAGES

Ethiopiques numéro 9

revue socialiste

de culture négro-africaine, 1977

Il est toujours difficile d’évoquer un ouvrage quand son auteur est un ami personnel et qu’on a été, parfois, acteur ou témoin des faits relatés par son discours. Est-on laudateur ? On sera suspect de complaisance. Neutre ? On ne sera point sincère. Critique ? En contradiction avec ses sentiments. Je dirai simplement en préambule qu’en retraçant l’histoire tumultueuse des relations des socialistes et des communistes en France depuis 1920, Robert Verdier, qui fut à Louis-Le-Grand le condisciple de L.S. Senghor, a réalisé un travail dont on peut s’étonner que nul ne l’ait effectué avant lui.

En ouvrant le livre de Robert Verdier, dirigeant du parti socialiste clandestin pendant la guerre, adjoint de Léon Blum, député SFIO du Quartier Latin, fondateur du Parti Socialiste Automne en 1958, et aujourd’hui président du Comité Directeur du Parti Socialiste, je m’attendais, non à une démarche manichéenne (l’homme est trop politique, et trop respectueux de l’autre) mais enfin, malgré tout, à quelque plaidoyer pro-domo. Rien de cela.

Ce qui frappe donc, d’abord, chez cet homme de parti, c’est l’absolue honnêteté intellectuelle. Sans doute un historien de métier aurait-il abordé les choses autrement, mais rien a priori, ou presque, ne permet de dire, si l’on ne connaît l’auteur, de quel côté vont ses choix fondamentaux, où se trouve son option, à quel instant il approuve ou désavoue. Le scrupule est tel qu’il semble même, ici ou là, se retourner contre Verdier, le contraignant à la pure exposition des faits, comme si toute analyse historique, ou mise en perspective de situation concrète risquait à ses yeux d’être fatalement entachée de partialité.

On remarquera ensuite la masse de documents, articles, motions, discours, textes divers que l’auteur se sera vu contraint de compulser et, par voie de conséquence, l’esprit de synthèse de celui-ci, qui lui permet de nous présenter en quelques trois cents pages un tableau complet et précis de ce que furent, durant les cinquante six dernières années, les rapports entre les deux grandes formations de la Gauche française.

Voici le Congrès de Tours, le désastre de 1920 qui scinda le mouvement ouvrier sur la base des vingt et une conditions édictées par la 3ème Internationale. Désormais, les deux Partis vont voguer vers leur destin respectif, tantôt en se rapprochant (1934, 1945, 1956, 1965, 1972), tantôt au contraire en s’opposant violemment (1928, 1932, 1939, 1948, 1958), jusqu’à la signature de l’actuel Programme Commun qui, depuis quatre ans et demi, scelle solidement l’Union de la Gauche et marque indubitablement un renouveau dans les relations des organisations concernées. Pour définir cette longue et souvent orageuse co-existence, Verdier use d’ailleurs d’une bien jolie formule : « Une lutte pour l’entente ». Tant il est vrai que le vieil espoir, souvent enfoui mais jamais mort, d’un contre Congrès de Tours, autrement dit d’une réunification du socialisme français n’a cessé de hanter les esprits. Mais ici, on pourra cependant regretter deux choses :

– que l’auteur, qui fut aussi président du Groupe Parlementaire SFIO au plus fort de la guerre d’Algérie, puis l’un des leaders du Parti Socialiste Autonome, issu en 1958 d’une scission à gauche de la SFIO, s’efface derrière son sujet au point de n’apporter à aucun moment son témoignage sur les importants événements auxquels il a été directement mêlé.

– que le livre, justement parce qu’il veille à ne pas franchir les limites du constat, s’abstienne totalement de tirer un enseignement d’une aussi riche expérience politique et d’ouvrir une fenêtre sur l’avenir.

« P.S.-P.C., n’est pas pourtant sans soulever bien des problèmes, par exemple celui-ci, essentiel : à qui profite donc l’unité ? Au P.C., semble répondre Robert Verdier qui, s’il montre bien comment le Front Populaire a permis aux communistes de « revenir de loin », c’est-à-dire de l’état de secte où ils étaient pratiquement tombés vers 1930, ne m’a pas autant convaincu pour ce qui concerne la période de l’aussitôt après-guerre. Je crois en effet que l’« explosion » du P.C. en 1945 est davantage due à la dynamique née de son action dans la Résistance et au sacrifice de ses militants ou à la victoire militaire soviétique qu’à son alliance, d’ailleurs bien éphémère, avec les socialistes. J’ajouterai qu’aujourd’hui encore l’Union de la Gauche paraît rapporter le gros des bénéfices aux socialistes qui ne cessent, au moins électoralement, de progresser alors qu’au contraire les communistes assistent à un tassement léger mais continu de leurs voix et de leur influence.

N’empêche : le livre est captivant, et même s’il ne peut rendre compte de l’extraordinaire atmosphère populaire qui a accompagné certains des événements évoqués, même s’il n’épuise pas un sujet qui couvre en fait un demi-siècle d’Histoire, il a le mérite de commencer à défricher avec sérieux et rigueur. Souhaitons qu’après Robert Verdier d’autres viennent bientôt, militants ou chercheurs, qui continuent à jeter la lumière sur ce qui constitue l’une des périodes les plus denses de la vie du mouvement socialiste et ouvrier français.