Philosophie, sociologie, anthropologie

MYSTICISME ET IDENTITÉ NÉGRO-AFRICAINE ACTIVITÉ POLITIQUE ET PRATIQUES MYSTIQUES

Éthiopiquesn n°90.

Littérature, philosophie et art

Penser et représenter l’ethnie, la région, la nation

1er semestre 2013

 

Lamine NDIAYE [1]

 

INTRODUCTION

 

Parler du mysticisme ou de la mystique revient, dans une certaine mesure, à s’intéresser à une réalité socioculturelle, disons à une « pratique-vérité-croyance ». Cette dernière, si nous nous offrons les moyens d’interroger quelques étapes de l’histoire humaine, semble ne jamais cesser de se montrer, avec une certaine acuité, qu’elle fonde « notre » vie, l’organise, la saisit, la possède jusqu’à « nous » déposséder parfois de la raison. Ainsi, entretient-elle notre rationalité divagante au point que nous puissions penser qu’elle relève de « notre nature » [2] d’adhérer quelquefois aveuglément aux faits sociaux [3], aux « choses », aux « caractères spéciaux » qui « n’acceptent » pas toujours de signer un accord positif avec la rationalité rationnellement sensée.

De ce point de vue, nous devons reconnaître que le fait de décider de cogiter sur l’activité humaine mystique n’est, en définitive, qu’une façon socialement légitime de donner davantage de sens au quotidien [4] ; cette quotidienneté pour laquelle il n’est pas toujours aisé d’exiger, tout le temps, le recours à la raison cartésienne afin d’apporter des solutions aux embarras liés aux conditions, parfois aléatoires et insaisissables, de l’existence de l’homme. Ainsi, nous imposerons-nous cet exercice qui consiste à nous amener à questionner l’insondable, l’ « indémontrable », l’indécelable, l’inaccessible, l’ineffable. C’est-à-dire ce qui, de toute manière, est de l’ordre du caché, du secret, voire du secret caché. La mystique devient, sous ce rapport et aux yeux des êtres humains, l’im-perceptible percevable qui nous tient et nous retient chaque jour. Toutefois, nécessité exige que nous précisions que la plupart des auteurs qui ont travaillé sur les questions relatives à la mystique, en l’occurrence Durkheim, Bastide, semblent vouloir montrer que le mysticisme est une attitude caractéristique des sociétés dites « primitives ».

Par conséquent, il nous semble utile, d’entrée, d’essayer de circonscrire le terme de mystique afin de mieux montrer en quoi et pour quoi la convocation du vocable et l’usage nous placent dans les profondeurs des coins et des recoins de l’imaginaire pulsionnel [5] qui, s’il faut croire aux propos de L.-V. Thomas, tient non pas de la raison mais du « moi profond ». Autrement dit, qu’il est en adéquation avec nos pulsions et, de ce fait, détient le pouvoir exceptionnel d’humaniser nos fantasmes. Nous voulons parler de l’imaginaire qui, en définitive, n’est rien d’autre qu’« un processus vital profondément incrusté dans l’inconscient, qui donne un sens à nos aspirations, à nos désirs, à nos passions, à la violence dominatrice archaïque, et qui nous aide à survivre ». C’est, en fait, cet ensemble d’images et de symboles, mais aussi de croyances, parfois insolites, qui nous intéresse précisément.

Ainsi, sommes-nous saisis par le mystique, la « chose » « mystifiée » ou « mythisée », de sorte qu’il se réalise, en nous, pour nous et sur nous, non pas seulement dans l’espace religieux mais aussi en dehors de ce cadre [6]. Dans cet ordre d’idées, J. Maisonneuve [7] et Cl. Rivière [8] prennent la franc-maçonnerie et le communisme pour des religions « modernes » au moment où J.-Cl. Bologne parle d’un « mysticisme athée » [9]. C’est pour dire que le mysticisme, qu’il soit de l’ordre de la gnostique ou de l’agnostique, a trait au mystérieux et désigne des croyances et des pratiques sociales par le truchement desquelles les êtres humains, de cultures diversifiées et d’obédiences différentes, passent pour être « en contact » avec l’invisible ; autrement dit, avec l’altérité. Par voie de conséquence, il ne peut, semble-t-il, y avoir du « mystiquement sensé » que si trois (3) conditions, fondatrices de l’adhésion au sacré, sont remplies. Il s’agit plus particulièrement du fascinans, du tremendum et du mysterium [10], indices de développement de tout fait voulant faire valoir la foi.

À cet égard, des auteurs, aussi bien « traditionnels » que « modernes », ont réfléchi sur la prégnance socioculturelle des phénomènes mystiques. Songeons aux ouvrages de Freud, L’avenir d’une illusion et Malaise dans la civilisation, aux écrits de R. Rolland (1929) par l’intermédiaire desquels il est question de la mise en évidence d’une « sensation de l’éternel », d’une sorte de « sensation océanique » aux allures d’un contact, individuellement vécue hors de toute sensation sentie et ressentie dans la sphère de la religion, dont le développement se trouve dans les trois (3) volumes de l’Essai sur la mystique et l’action de l’Inde vivante [11]. Dans le même prolongement, des auteurs comme Durkheim dans Les formes élémentaires de la vie religieuse [12], Lévy-Bruhl dans L’expérience mystique et les symboles chez les primitifs [13] et Frazer dans les quatre (4) volumes du Rameau d’or [14] tentent de montrer « scientifiquement » – en se fondant, bien entendu, sur les us et coutumes des sociétés dites « primitives » – la nécessité, que l’on peut d’ailleurs qualifier de vitale, de la pensée et de l’action mystique dans la vie des hommes [15].

En prenant plus de recul vis-à-vis de la vision du monde humaniste des Lumières qui veut opposer « tradition » et « modernité », « primitifs » et « modernes », des gens comme M. Mauss [16] avec le mana (« Essai sur le don » et « Théories sur la magie »), M. Eliade [17], R. Otto [18] et Cl. Lévi-Strauss [19] avec le concept de participation mystique, considèrent la mystique comme un « quelque chose », un « machin » constitutif de notre être, que les partisans d’une société de la « modernité » condamnent sans pour autant arriver à « gommer » sa présence du visage social en ce qu’elle participe de la constitution de notre identité profonde. De ce fait, la mystique se positionne comme un « malaise dans la civilisation », pour reprendre le titre de l’ouvrage de Freud ou bien, tout simplement, comme un « malaise social » qui ne cesse de nous conditionner absolument.

Au regard de ces approches philosophique, psychanalytique, religieuse, historique, sociologique, anthropologique, nous pouvons déduire que la mystique, quel que soit son espace d’expression, se sert de l’introspection pour se frayer un chemin menant vers le transcendant.

Après cet aperçu sur un ensemble d’écrits portant essentiellement sur le mysticisme, nous allons, d’abord, nous focaliser sur le caractère universel de la croyance aux phénomènes mystiques et du recours à la mystique pour, ensuite, axer notre étude sur la place de la mystique africaine, en général, et l’usage qu’en font les politiques sénégalais, en particulier afin de ne pas perdre la face dans l’arène sociopolitique agissante.

 

Aspects méthodologiques

 

Nous précisons que cette étude est rendue possible grâce à la lecture d’ouvrages portant sur les problèmes du rite, de l’initiation, de la mystique et de la politique. Pour mieux comprendre le sens social de certaines pratiques mystiques, mystérieuses, nous avons posé une série de questions à des personnes versées dans l’occultisme musulman, chrétien et animiste, à des individus appartenant aux groupes ethniques sénégalais les plus conservateurs des valeurs ancestrales (Seereer, Lebu et Jóola) et aussi à des étrangers vivant au Sénégal (Gambiens, Maliens, Nigériens, Ivoiriens). Pour la crédibilité du travail, nous avons recouru à des entretiens de type semi-directif, de face-à-face et parfois de groupe. Nos interlocuteurs sont, principalement, des « jeunes », des adultes, des notables des centres urbains et des zones rurales du Pays wolof et des autres régions du Sénégal, d’anciens maîtres initiatiques, des politiques et des non politiques, des gardiens de cimetières, des « marabouts », des devins, des guérisseurs « traditionnels », des magiciens, etc. L’observation à la fois directe et participante, moyen d’investigation incontournable en Anthropologie, nous a été aussi d’un apport incommensurable dans la phase de collecte des données. Nous avons eu recours à une série d’informations recueillies aussi bien dans les données du patrimoine traditionnel oral que dans celles qui sont livrées par les sources écrites, afin de saisir la force des représentations sociales.

 

  1. L’UNIVERSALITÉ DES PHÉNOMÈNES MYSTIQUES

Les mysticismes occidental et oriental

 

S’il faut voyager à travers les époques et les cultures, nous nous rendrons compte que la société grecque antique a, elle-aussi, recouru au mystique pour solutionner quelques préoccupations vitales auxquelles la « raison » n’apportait pas des réponses satisfaisantes. Ainsi, les Grecs se sont-ils livrés, dans le culte de dionysiaque, à des actes de possession rituelle. En guise d’exemple, nous nous référons aux usages propitiatoires du corybantisme qui se réalise au travers de la musique, de l’action sacrificielle offerte par les patients aux dieux et de la danse à laquelle on attendait la participation des déités bienfaisantes [20]. Il suffit tout simplement de lire le Psaume 73/22 pour être convaincu de l’existence de la possession dans la liturgie du mysticisme hébraïque et à la croyance en ces phénomènes surnaturels.

Dans le Christianisme où il est question du primat d’une expérience, personnellement vécue, sur la réflexion, l’Église s’est, en conséquence, autorisée à reconnaître la possibilité, pour les hommes, d’entrer en contact avec les forces du monde de la surnature par la voie de l’extase, de la transe, de la vision, de la révélation, de la prophétie, etc. Ne voyons-nous pas, de nos jours, certains prêtres devenus des spécialistes de la pratique de l’exorcisme thérapeutique dont l’objectif est d’expulser, par le biais de l’activité rituelle, les esprits démoniaques malins ?

Dans le Judaïsme, la pratique de la Kabbale est reconnue pour être le moyen par l’intermédiaire duquel le croyant passe pour se rapprocher du Créateur. Ainsi, convoque-t-on la rencontre spirituelle entre Moïse et Dieu, au mont Sinaï. C’est dans cette perspective d’ailleurs que la mystique juive, en se fondant sur l’ordre kabbalistique, sépare le volet « ésotérique » de la Kabbale, domaine exclusivement réservé aux initiés, de celui qui est de la sphère de l’ « exotérique », moins fermé et ouvert à tout postulant en quête de spiritualité.

En Islam aussi, le mystique réclame ses droits et privilèges. Dans cet ordre d’idées, le soufisme devient la voie que le croyant, en recherche de spiritualité suprême, doit emprunter en vue de se lustrer afin d’atteindre le Tout-puissant et vivre, in principio, dans le monde des secrets divins. La règle serait, de ce point de vue, de rompre avec le mondain, la matière, au point de renier son propre corps et sa personne, voire son identité propre. Le but de ce « jeu », spirituellement sensé, est de se constituer comme une « réalité-force », symbole de l’incarnation à l’Unique.

Devons-nous citer les différentes formes de mystique sans faire allusion, au moins, au mysticisme, dont il faut reconnaître la diversité et la complexité, en Orient. Cette mystique orientale gagne du terrain, depuis les années 1960, en Occident qui semble être, aujourd’hui, en « panne » de spiritualité. Ce faisant, la culture mystique de l’Orient mérite d’être interrogée dans la mesure où elle vient contredire les règles qui conditionnent les modèles d’accès au spirituel proposés par et dans les religions révélées [21]. D’aucuns pensent d’ailleurs que le recours occidental contemporain au mysticisme d’obédience orientale n’est pas l’expression d’une quête de sens d’une existence, mais l’une des manières les plus « modernes » de se réconcilier avec des valeurs identitaires perdues au point de prendre la forme d’une contestation.

Pour éviter de divaguer à travers la « philosophie » mystique orientale, nous allons prendre exemple sur la religion hindouiste qui, dans son projet de fusion et de dissolution du postulant dans l’esprit brahmanique, se caractérise par son ouverture non ségrégative pour se hisser, tout simplement, au rang des croyances populaires.

 

Le « mysticisme moderne » : et si les Lumières n’arrivaient pas à imposer totalement « leur vérité » ?

 

Nous savons que l’un des projets majeurs du Siècle des Lumières, époque cruciale de l’histoire d’une humanité européenne, qui étouffe sous le poids du dictat abusif de l’Église [22] et d’une organisation étatique providentialiste, propose une société « nouvelle » de survalorisation de l’usage de la raison. Eu égard à cette situation d’anomie, un mouvement, à la fois, philosophique, culturel et scientifique est né pour s’opposer à une « culture » essentiellement fondée sur des normes de domination, « arbitrairement » choisies et imposées aux « faibles », afin de mieux entretenir un statut social qui ne faisait que trop durer parce que très contraignant.

Sous ce rapport, cette société de la « pensée moderne » et du « comportement branché » devient l’ultime lieu d’exigence, voire de cristallisation du « libertinage érudit » – l’expression est de R. Pintard – mais aussi de mise à mort définitive des préoccupations humaines à tendance superstitieuse. Ainsi, assiste-t-on à une chasse aux sorcières contre les croyances relatives à la « sorcellerie » [23], le mysticisme européen, en général, et le pouvoir excessif et la dictature ecclésiastiques de l’époque. Après sa naissance, la franc-maçonnerie (XVIIIe siècle) qui avait, peut-être, très certainement, pour objectif d’instaurer les règles du jeu d’un modèle de société qui ne devait rester que sous le contrôle de la raison seulement allait s’imposer.

Les loges maçonniques se sont multipliées, à travers les âges, et l’expérience montre que, aujourd’hui, ce mouvement des « temps modernes », qui a, d’ailleurs, toutes les allures d’une religion – on parle même de rites maçonniques – n’est pas parvenu à taire ce besoin humain de se (re)lier, chaque fois que de besoin, au sacré, à la sacralité.

Enfin, nous devons reconnaître que, ni les Lumières, ni la « culture maçonnique », ne sont arrivées à « tuer » la dimension mystique de l’Occident « moderne ». Pour preuve, nous allons nous appuyer sur quelques exemples de pratiques mystiques, et même mystérieuses, contemporaines qui continuent de ponctuer la vie des hommes dans certaines contrées de l’Occident. Le tarentulisme (Sud de l’Italie) contre les piqûres des araignées cause de maladies nombreuses [24], la danse de l’argia (Sardaigne) [25], les prestations du « barreur de feu » et du sourcier, l’efficacité que l’on reconnaît au placebo (médecine), le recours à l’hypnose par certains chirurgiens, les Expériences de Mort Imminente (E.M.I.) ou Near Death Experience (N.D.E.) [26], etc., sont autant d’exemples pour asseoir la « vérité » selon laquelle « l’irréligion de l’avenir » [27] dont parlait É. Durkheim n’est pas pour demain.

Après avoir fait allusion à ces quelques pratiques mystiques nées hors d’Afrique, nous nous appesantissons, sans prétention à l’exhaustivité, sur quelques facettes de la mystique africaine.

 

La mystique africaine : l’animisme à l’œuvre ou l’œuvre de l’animisme

 

En Afrique [28], par exemple, l’adoration et la convocation des puissances surnaturelles demeurent des activités quasi-générales, nécessaires et fondamentales. C’est ce que semble expliquer le statut culturel des rites de possession, de thérapie et de guérison, leur étendue et leurs aspects théâtral, initiatique et formateur des adultes [29]. Nous allons en citer quelques-uns.

Au Nigeria, et plus précisément en terre yoruba, le bori haoussa et le holey songhay se caractérisent par une transe initiatique brutale [30] dont l’objectif est l’octroi d’un équilibre psycho-somatique, individuel et social, perdu, ou bien, tout simplement, désiré. En Éthiopie et chez les Amhara, le Zar a droit à un culte de possession socialement et fantastiquement codifié et théâtralisé [31]. À Madagascar, les populations célèbrent la tromba afin de nier et de s’opposer, à la fois, à la liturgie chrétienne et au pouvoir colonial [32]. En Côte d’Ivoire, le diépri, rite de purification, de renouvellement et d’offrandes, est l’occasion par l’intermédiaire de laquelle les Abidji, dans une cérémonie consacrée, s’éventrent avec une lame et dansent, de manière frénétique, les intestins dans les mains. Après ce rite « extraordinaire », un simple cataplasme est nécessaire pour la cicatrisation de la plaie béante, qui ne dépasse pas trois (3) jours [33].

Ainsi, pour se purifier et se guérir de quelques pathologies, dont les origines sont taxées de surnaturelles, certains Africains, comme les Kongo, groupe ethnique vivant au Bas-Congo (ancien Zaïre), vont se diriger vers les ancêtres, ces « vivants invisibles » tout-puissants, pour avoir de l’aide. De la sorte, les usages rituels d’ « ablution au cimetière », qui consiste à se recueillir devant la tombe de l’ancêtre clanique le plus âgé avec qui il faut dialoguer afin qu’il délivre le membre souffrant de la communauté de ses tourments, et de « chasse au fantôme », activité symbolique permettant au devin-exorciste de combattre, aux cimetières, l’esprit malfaisant qui veut exhaler l’âme de l’un des « enfants du lignage » en le rendant malade [34]. Aussi, le guérisseur jóola de la Casamance (Sénégal) « chasse »-t-il la maladie de son patient, gravement atteint, en la transférant sur une plante qui, au bout de quelques jours, s’assèche, par le recours à un système thérapeutique fondé sur des incantations, des onctions et des frottements corporels.

Enfin, le ndëpp wolof-lébu n’est-il pas une danse curative de possession rituelle organisée pour mettre un terme à un ensemble de phénomènes jugés anormaux, de dérégulation psycho-corporellle, socialement connus ? [35]. En tout cas, partout en Afrique noire, le passage à l’acte rituel semble être bénéfique. De fait et en tout état de cause, il permet, ne serait-ce que symboliquement, de sécuriser la communauté et de promouvoir l’ordre social souhaité.

Ce rappel, en nous permettant de naviguer à travers les cultures, nous autorise, dans le même temps, à réinterroger quelques-unes des valeurs culturelles négro-africaines afin de mieux montrer l’ancrage de pratiques mystiques ancestrales.

 

  1. UNE « ETHNIE MYSTIQUE » AUX COMMANDES DES ÉTATS EN AFRIQUE

Si nous nous en tenons aux étymologies, nous pouvons prendre l’adjectif « politique » pour ce qui concerne le citoyen. En conséquence, l’action politique peut être définie comme des faits, des usages, des règles et normes étatiques ou sociales mis en œuvre pour organiser la vie dans la « cité » [36]. Ainsi, en Afrique noire, le désir « inavoué » des hommes de pouvoir de vouloir, à tout prix, dominer le peuple les conduit, semble-t-il, à user de tous les moyens possibles pour se retrouver au sommet de la hiérarchie sociale ou bien pour se hisser pour trouver une place au niveau de la « cour des grands », l’espace de ceux-là qui, par la force des choses, vont disposer du « monopole de la violence légitime » – l’expression est de Bourdieu. De la sorte, demandent-ils aux « maîtres-sondeurs » de la surnature, spécialisés dans la « magie noire » ou dans la « magie blanche », de leur garantir la protection ou de leur éliminer un « adversaire-ennemi » redouté et gênant. Par exemple, au Sénégal, les cérémonies religieuses sont devenues pour les hommes politiques l’occasion de se faire une certaine popularité et aussi de profiter des prières des personnalités religieuses du pays pour perdurer au pouvoir, multiplier les chances de remporter des élections présidentielles ou législatives, être nommé, etc.

Toutefois, nous précisons que cette croyance en l’existence de ces pouvoirs surnaturels dont disposent certains individus, même difficilement vérifiables, est ancrée dans la conscience collective des Africains. C’est ce qui explique le fait que le champ de la « politique négro-africaine » devient le « terrain favorable » à toutes les formes de lutte occulte.

 

Des temps forts de la mystique africaine

 

Une visite du site Koaci.com permet d’avoir une idée sur la mort rapide et mystérieuse du leader politique ivoirien, le candidat du Rassemblement des Républicains (RDR), Gouade Narcisse, six (6) jours avant les élections législatives du 11 décembre 2011, mystiquement tué, dit-on, par les militants de l’Union pour la Démocratie et la Paix en Côte d’Ivoire (UDPCI). Ce politicien actif, qui a eu à gagner la confiance des populations, en prenant de l’envergure aux yeux d’une des personnalités du parti de l’ex-président R. Guei, a été retrouvé mort sans présenter un signe de maladie ; la disparition brutale ayant été, du coup, interprétée comme provenant d’une activité sorcière. Les villages des deux (2) protagonistes étant réputés être des lieux de « règne de la sorcellerie », le village qui a perdu un des siens s’en est pris violemment aux habitants de l’autre localité, militants de l’UDPCI.

Faudrait-il se rappeler, encore une fois de plus, les événements macabres qui se sont déroulés, le 6 avril 1996, dans la capitale du Liberia, Monrovia. De jeunes combattants appartenant à des factions différentes, bardés de « gris-gris, s’entretuaient violemment au point de déconcerter et de traumatiser le peuple qui ne pouvait s’en tenir qu’à son statut de spectateur sidéré par la situation. Ces « guerriers » de fortune déchiraient le ventre de leurs victimes, consommaient leur chair [37] et, en particulier, certains organes symboliques comme le cœur. Pour quelqu’un qui connaît l’histoire du Liberia, ces pratiques ne sont rien d’autre que la transposition, dans une « modernité » saoule, d’usages rituels anciens qui consistent à croire qu’en ingurgitant tout ou partie d’une personne, on s’approprie son énergie et sa force pour ainsi devenir davantage puissant. Ces faits sont la résurgence du rituel traditionnel d’initiation, le poro [38], autorisé aux « prêtres » les plus âgés afin de rehausser leur pouvoir mystérieux. La voie du cannibalisme par le recours au meurtre rituel est ainsi empruntée par les politiques en vue de se maintenir au pouvoir.

Au Mali, dans les zones ceinturant le Fleuve Djoliba, les gens racontent les relations entre un célèbre président de la République et un devin du nom de Karamoko qui, en usant de son pouvoir à « communiquer » avec les génies et avec Dieu, l’a promu, grâce à ses compétences magico-religieuses, chef de l’État.

Concernant la Gambie, tout récemment, à la fin de l’année 2012, l’opinion publique sénégalaise faisait circuler la rumeur selon laquelle les peines capitales perpétrées sont commanditées par le Président Jammeh qui a, semble-t-il, reçu ces directives de ses « propres marabouts sorciers » qui lui ont conseillé de procéder à des sacrifices humains s’il ne veut pas être la proie d’un coup d’État. Même certains journaux de la place, dans leur revue de presse, en ont parlé.

Au regard de ces visions du monde, il ne serait plus difficile de comprendre la prégnance du lien entre mystique et politique qui est tellement de mise, en Afrique, que certains grands hommes politiques du continent sont réputés doués de pouvoirs surnaturels qui leur permettent de mettre au pas leurs gouvernés. Ainsi, est né, dans le continent africain, un « cercle ethnique » politique, socialement redouté dont il faut se méfier si, toutefois, on souhaite rester en paix et en vie.

 

De quelques personnalités mystiques africaines célèbres

 

L’imaginaire populaire attribue à Modibo Keïta du Mali le pouvoir de disposer d’une puissance mystique redoutable, acquis après avoir inhumé plusieurs albinos. C’est, peut-être, ce qui explique le fait que, en périodes électorales, partout en Afrique noire, on déplore des disparitions ou des meurtres d’albinos. Au Sénégal, les déplacements fréquents de Senghor, voire ses « retraites », dans la résidence de Popenguine, étaient interprétés comme le moment le plus opportun pour communiquer avec les ancêtres et les djinns, puissances de la surnature, débiteurs et « attributeurs » de forces excellentes. Ainsi, était-il considéré comme possédant un don d’ubiquité. Qui ne se rappelle pas des rumeurs selon lesquelles Houphouët Boigny appartenait à une communauté cannibale et était très versé dans des pratiques mystiques. Il en est de même du cannibalisme de Bokassa qui a défrayé la chronique en son temps. Et Sékou Touré ? N’était-il pas craint par son peuple parce qu’il était censé être porteur d’un pouvoir mystique le rendant invulnérable et omniscient. Par la croyance en ce pouvoir symbolique, même après son décès, les Guinéens sont restés longtemps sans croire véritablement à sa disparition.

La lecture des thèses portant sur la vie de Mobutu permet de comprendre l’attachement de ce « maréchal » dictateur aux pratiques mystiques ; il est un habitué des cimetières où il se procurerait des ossements de cadavre. L’imaginaire négro-africain ne lui a-t-il pas donné la capacité de se transfigurer. C’est, dit-on, ce qui explique le port de son bonnet tacheté à la peau du léopard. Pour ce qui est de l’ex-président togolais Gnassimbé Eyadema, son pouvoir mystique résidait, aux yeux des Africains, dans sa capacité à se transformer, chaque fois que de besoin, en mouchoir ou en papillon. Kérékou du Bénin était redouté pour être le symbole des pratiques occultes. Son palais, « centre d’un mysticisme noir » exacerbé, fut simplement fermé à cause de la peur de ces successeurs d’occuper les lieux. Face à ces croyances collées à la peau de ce dernier, nous pouvons aisément saisir le sens du repentir de Soglo, victime d’une maladie brutale, grave et « inexpliquée ». Enfin, le Président gambien Yahyia Jammeh se prend et est pris pour être le « président-marabout-guérisseur » au pouvoir multiple qui, non seulement, ne peut être « atteint », mais aussi, en sus, peut sortir, mystiquement, « ses gouvernés » de l’ornière. Ainsi, pour jouer le jeu de la mystique, impressionne-t-il par son bonnet, son boubou et sa canne.

Ce voyage planétaire ne doit pas nous amener à penser et à croire que le mysticisme est l’affaire des autres. Le recours, par les politiques, au pouvoir magique de certaines personnes appartenant à des régions et à des groupes ethniques particuliers est bien connu.

 

  1. MYSTICISME ET POUVOIR POLITIQUE AU SÉNÉGAL

Au Sénégal, la pratique et le recours au mystique ne se limitent pas seulement aux lutteurs qui mettent en scène l’usage. L’arène politique est aussi le champ, par excellence, de l’action mystique. La pratique est tellement importante qu’il existe un champ lexical riche de mots et d’expressions appartenant au jargon de la mystique locale.

 

Pour une terminologie [39]de l’activité mystique

 

Le langage n’étant pas seulement un outil de communication, une gamme de termes et de circonlocutions est employé par les Sénégalais et, en particulier, par les Wolof [40], groupe ethnique majoritaire, afin de circonscrire verbalement l’environnement de la mystique. Il s’agit des vocables wolof suivants que nous essayerons de traduire :

 

– « defaru » (se préparer, se prémunir de, s’apprêter,…) ;

– « aaru » (se protéger, se barricader, se défendre) ;

– « fegu » (prévenir, se mettre à l’abri de…) ;

– « ngembu » (se couvrir, couvrir et cacher ses parties intimes) ;

– « takku » (porter beaucoup de gris-gris) ;

– « sàngu » (se baigner, prendre un bain ou une toilette mystique) ;

– « diwu » (se masser le corps, s’enduire d’eau bénite) ;

– « Leketu kese naxuti bëy » (« une calebasse vide ne peut tromper des chèvres »). Cette expression est utilisée pour dire que l’invulnérabilité d’une personne dépend, dans une grande mesure, de son degré de protection mystique ;

– « jog sa bopp » (prendre soin de soi) : prendre les dispositions nécessaires afin de ne pas être pris, mystiquement, au dépourvu ;

– « ku takkul aaru ba dee, dangaa xaru » (« quiconque meurt pour absence de protection, s’est suicidé »). En fait, cette expression signifie que, en milieu négro-africain, c’est de prendre de gros risques que de ne pas solliciter le pouvoir d’ « un maître de la mystique » pour se garantir une protection ;

– « am gaalaaj » : « avoir des gris-gris » pour signifier qu’on est mystiquement protégé. C’est, sans doute, ce qui explique le fait que la majorité des politiques, faute de pouvoir porter ou mettre des talismans et autres objets à visée protectrice pouvant être visibles, utilisent des « liquides magiques » parfumés avec des essences importées de l’Inde qu’ils frottent sur le corps ; objets lourds ou indiscrets étant gardés quelque part dans la maison, à un endroit sûr, loin des regards indiscrets ;

– « am dombal tànk » (« disposer d’un pouvoir »). L’expression met en évidence le pouvoir dont dispose un individu mais, au-delà cette idée, elle signifie que le pouvoir est mystiquement acquis ;

– « am wéeru waay » ou « kuñu jappale » (« avoir quelqu’un à qui s’adresser, « avoir un intercesseur »). C’est-à-dire avoir quelqu’un qui s’occupe mystiquement de nos affaires ;

– « ku xeep xarfafuufa, xarfafuufa nila fuuf » (« quiconque ne craint pas la magie noire sera un jour ou l’autre la victime de cette pratique »). Ce proverbe wolof, construit sur la base d’un jeu de mots, n’est, en définitive, rien d’autre qu’un appel pour se prémunir par tous les moyens censés protéger contre les forces obscures ;

– « fegoo gën faju » (« mieux vaut prévenir que guérir »). Ce dicton proverbial, souvent employé dans le cadre de la santé, signifie aussi qu’il vaut mieux se protéger sur le plan mystique que de se laisser ensorceler pour ensuite tenter de s’en débarrasser ;

– « kala aj, kala aajjée ko man » (« celui qui t’a fait descendre et plus efficace que celui qui t’a fait monter »). Aux yeux des Wolof, il ne suffit pas seulement de se protéger, il faut surtout se rapprocher des meilleurs spécialistes des pratiques occultes pour s’offrir une protection solide, voire impeccable ;

– « ku ñeme dañu laa déey » (« qui ne craint rien a été informé »). Cette expression wolof, qui colle à la bouche des lutteurs, personnages bien versés dans le mysticisme, signifie que le courage du lutteur dépend des promesses de victoire qu’il tient de son « marabout ». N’oublions pas que les hommes politiques se trouvent dans un espace symbolique de lutte pour la conquête du pouvoir. De cette sorte, ceux parmi eux qui s’exposent facilement au public sans avoir à craindre ni les êtres à la « langue dangereuse », ni les personnes dont le regard est fatal, sont socialement vus et pris pour être des individus à l’abri des attaques des puissances extérieures néfastes ;

– « takkoo, sanguwoo, cat la » (« si quelqu’un refuse de “porter” ou de se “baigner” », c’est qu’il est « atteint » par le verbe malfaisant). Ainsi, au vu de ces croyances, il est vivement recommandé de se protéger si, toutefois, on veut échapper aux assauts négatifs provenant de « forces méchantes », difficilement domptables ;

– « boo bërewul, ñu bëre daanu ci sa kaw » (« même si tu ne luttes pas, les autres lutteurs vont lutter et s’écrouler sur toi ». Ce qui veut dire que « le fait de refuser d’aller au front ne signifie pas qu’on est à l’abri des attaques des combattants ». Sous ce rapport, le refus, conscient ou inconscient, de se protéger expose à tous les dangers ;

– « door “missile” ». Cette expression est un mélange de wolof et de français qui peut littéralement être traduit par « envoyer un missile » à quelqu’un. Dans ce contexte, la force du « phénomène » mystique renvoie, sous l’angle symbolique, à l’image de la puissance d’un missile jeté sur un individu, etc.

 

Toutefois, nous précisons que les politiciens sénégalais d’aujourd’hui ont tendance à mépriser et même à minimiser le pouvoir mystique des « religieux » qui les courtisent et que, eux, en retour, fréquentent pour être en possession de leurs fidèles à « acheter ». Ainsi, se confient-ils, spirituellement, aux « spécialistes de la « magie noire » (xoy, gissaanekat, kortkat, xërëmkat, tariyaax), etc. qui semblent être dotés d’un « pouvoir satanique », peut-être, plus prompt à « décider » rapidement. À ce propos, nous devons méditer sur le sens de cette expression consacrée des Wolof : « Sunguf la, fas la, reen la » qui renvoie au « recours à la poudre, au nœud et aux racines » pour agir négativement sur l’adversaire ou sur le concurrent politique que l’on veut éliminer ou bien dont on souhaite réduire, anéantir la popularité. Il suffit de se rapprocher du « laboratoire » des hommes politiques, chambre réservée aux pratiques mystiques – aussi lieu de retraite mystique ou xalwa – où on garde les « secrets » (talismans, amulettes, poudres, encens, eaux spéciales et gris-gris de toutes sortes). Par exemple, les déboires de Moustapha Niasse, actuel président de l’Assemblée nationale du Sénégal, pendant la campagne électorale de 2012, étaient interprétés par certains Sénégalais comme étant le produit de pratiques mystiques réussies (accident de la circulation qui s’est soldé par des morts d’hommes et des militants blessées). Il semble aussi qu’un célèbre homme politique sénégalais décédé, qui fut un fervent opposant, faisait ses bains rituels assis sur une carapace de tortue.

 

Le mysticisme, pour quoi faire en politique ?

 

Se protéger, répondent les « férus » de politiques. D’ailleurs, les « poids lourds politiques » sénégalais disposent presque tous d’un staff composé de militants « chasseurs » de « grands buxaaba » [41], « sondeurs » chevronnés et achevés de destin. Ce faisant, pour la réussite de leurs activités au fondement syncrétique incontestable, ces derniers deviennent, par l’autorité et par l’autorisation de leur chef de parti, les adeptes irrésistibles des dons sacrificiels. Ainsi, leur recommande-t-on de sacrifier un bœuf, un mouton ou une chèvre, de faire des offrandes en tenant, de préférence, compte des chiffres 3, 5 et 7 [42], c’est-à-dire en multipliant la chose donnée par 3, par 5 ou par 7 (riz, mil, sucre, pain, viande rouge, lait caillé, cola, bougie, pièces de monnaie, percal, glace…) et d’employer du linceul blanc, du sable de sépulture, de la peau de lion, de chacal, d’hyène, de chat noir, du sang de chien, etc., pour l’efficacité de leurs différentes manœuvres. Un des militants d’un grand parti nous raconte avoir assisté, pour les besoins de la suprématie de son organisation politique, à l’enterrement, vivant, d’un chameau dont les membres sont noués par des morceaux de tissu sur lesquels sont inscrits des versets coraniques. Toutefois, aucun de nos interviewés ne reconnaît avoir vu ou participé à des sacrifices humains, ce qui n’exclut pas le fait que certains politiciens puissent passer à l’acte. En 2011, un (1) an avant l’élection présidentielle sénégalaise, un mendiant aveugle recevait d’un homme, descendu d’une voiture « 4-4 », un sac contenant un serpent vivant. Par cet acte humainement inexplicable, l’identité de l’auteur du fait n’ayant pas été découverte, les politiciens et les francs-maçons ont été mis sur la sellette. Ce qui est indiscutable, c’est que, depuis quelques années, dans les périodes électorales aux enjeux multiples, les médias font état de disparition d’enfants, d’albinos, de découverte de corps mutilés. Au regard de ces pratiques qui caractérisent l’atmosphère politique sénégalaise, les accros de ce monde « pas comme les autres » se distinguent aussi par leur accoutrement et par leurs comportements parfois insolites. Ainsi, existe-t-il, actuellement, au Sénégal, une cartographie de la mystique politique rendue possible grâce à la place réservée au mystique et au rôle qu’il joue dans l’espace politique sénégalais. Des horizons, des aires géographiques, se dessinent, qui charment les hommes politiques. Il s’agit de la Basse-Casamance (Oussouye, Bignona, Ziguinchor), habitée essentiellement par les Jóola qui sont réputés être de grands spécialistes de la magie noire, de Kolda, de Vélingara, de Sédhiou, contrées des Pël, maîtres en matière de pratiques mystiques syncrétiques et, tout récemment avec l’avènement du Président Macky Sall [43] à la magistrature suprême, du Fouta, foyer traditionnel des érudits du Coran (au Nord), pour la mystique musulmane (magie blanche).

 

De quelques signes distinctifs

 

Au Sénégal, il est des habitudes des politiques que de se comporter différemment des autres. Ils portent des chaussures jaunes parce que, pensent-ils, par rapport à la symbolique des couleurs, le jaune a quelque chose de mystique. Ainsi, un de mes interlocuteurs nous disait, en guise de justification, que, « avant sa disparition, le Prophète de l’Islam a fait son dernier adieu en portant un habit ou un foulard de couleur jaune ».

Aussi, bon nombre de politiciens sénégalais refusent de saluer en donnant entièrement la main droite. En sortant de leur domicile, ils n’acceptent souvent pas, dans les premières minutes qui suivent, de saluer quelqu’un. Si, à l’occasion, ils sont obligés, par respect aux règles sociales de civilité, de tendre la main à un interlocuteur, ils ont l’habitude de lui donner que la moitié de la main. Car, pour ces derniers, le fait de donner tout et non pas une partie de la main est un moyen assuré de perdre ses forces qui vont être transférées à l’autre. Il semble que le troisième chef de l’État sénégalais refusait de serrer la main à ceux qui portaient, à la veille d’un remaniement ministériel, des bagues spéciales ou des « bracelets “or-argent” ». C’est pour signaler que les hommes politiques, en « perdant quelquefois la raison », se singularisent par le port de grosses bagues « magiques » et par l’utilisation d’un cure-dents long. La bague est proposée par les « marabouts » musulmans alors que le cure-dents est l’affaire du « magicien animiste ». L’emploi des encens venus d’Inde ou des pays arabes n’est pas en reste. Ce qui signifie que le mysticisme, importé d’Inde et d’Arabie, gagne, de plus en plus, du terrain en Afrique.

 

Enfin, pour conclure, nous disons que le monde des politiques est devenu, par la force des choses et en fonction des représentations populaires, un univers des pratiques mystiques « dangereuses ». À cet effet, cet espace, qui semble être celui de la lutte pour la survie, s’impose comme le lieu d’exercice d’une violence [44] d’ordre surtout symbolique. C’est ce qui explique, dans une large mesure, la retenue de certains citoyens qui, par crainte d’être tout simplement « écrasés », refusent de s’engager dans l’action politique. « Dina matt ak du matt, bul jox sa loxo » (« Que la bête soit en mesure de vous mordre le doigt ou pas, le plus sûr, c’est de ne pas essayer en lui tendant la main »), disent les Wolof. En analysant ce dicton, on peut être tenté de penser que la politique n’est, en aucune façon, un jeu auquel tout bon citoyen peut, à tout moment, s’adonner. Par rapport à une telle vision du monde, nous pouvons nous autoriser à croire que le fait de s’intéresser à la politique revient, en quelque sorte, à s’engager, tel un parieur, dans une incertitude, c’est-à-dire dans une nuit dont on n’est pas très sûr qu’elle mène au jour. Une symbologie socioculturelle négativement orientée est ainsi présentée qui incarne, aux yeux de la majorité des Sénégalais, la politique de style sénégalais.

 

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[1] Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sénégal

 

[2] Nous entendons par identité ce sur quoi et pour quoi nous nous sentons exister et nous reconnaissons comme doués d’une existence à la fois individuelle et sociale.

Dans ce contexte précis, nous donnons à « nature » le sens de pratique culturelle fortement ancrée dans les traditions.

 

[3] Selon DURKHEIM, É., les faits sociaux « consistent en des manières d’agir, de penser et de sentir, extérieures à l’individu, et qui sont doués d’un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s’imposent à lui. Par suite, ils ne sauraient se confondre avec les phénomènes organiques, puisqu’ils consistent en représentations et en actions ; ni avec les phénomènes psychiques, lesquels n’ont d’existence que dans la conscience individuelle et par elle ». (Les règles de la méthode sociologique, Paris, Quadrige / P.U.F., 1937, p. 5).

 

[4] Concernant les travaux sur le mysticisme, des auteurs comme FRAZER, DURKHEIM, MAUSS, ELIADE, BASTIDE, LAPASSADE, LÉVI-STRAUSS, FAVRE-SARDA méritent d’être lus.

 

[5] Voir, à ce propos, THOMAS, L.V., Les chairs de la mort, Paris, Sanofi-Synthélabo, 2000, p. 47 ; Anthropologie de la mort, Paris, Payot, 1975 ; THOMAS, L.-V. et LUNEAU, R., La terre africaine et ses religions. Traditions et changements, Paris, Larousse, 1974, p. 107 ; NDIAYE, L., « Imaginaire et société wolof : tradition et modernité », in Éthiopiques, n°79, 2ème semestre, 2007, p. 269-279.

 

[6] Voir BRISSAUD, A., « Une nouvelle dimension religieuse », in Planète, n°38, 1968, p. 72-85. Dans le même prolongement, M. ELIADE dit, dans son ouvrage Le sacré et le profane, que « la grande majorité des “ sans-religions” ne sont pas à proprement parler libérés des comportements religieux, des théologies et des mythologies. Ils sont parfois encombrés de tout un fratras magico-religieux, mais dégradé jusqu’à la caricature, et pour cette raison difficilement reconnaissable. Le processus de la désacralisation de l’existence humaine a abouti plus d’une fois à des formes hybrides de basse magie et religiosité simiesque ».1965, Paris, Gallimard.

 

[7] Les conduites rituelles, Paris, P.U.F., 1999, p. 64.

 

[8] Les liturgies politiques, Paris, P.U.F. 1988 ; Les rites profanes, Paris, P.U.F. 1995 ; « L’initiation en procès », in Mort et Vie. Hommage au professeur D. Zahan, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 201-221.

 

[9] Le mysticisme athée, Paris, Rocher, 1996.

 

[10] OTTO, R., Le sacré. L’élément non-rationnel dans l’idée du divin et sa relation avec le rationnel, Paris, Payot, 1969.

 

[11] « […]. L’un de ces hommes éminents se déclare dans ses lettres mon ami. Je lui avais adressé le petit livre où je traite la religion d’illusion ; il me répondit qu’il serait entièrement d’accord avec moi s’il ne devait regretter que je n’eusse tenu aucun compte de la source réelle de la religiosité. Celle-ci résiderait, à ses yeux, dans un sentiment particulier dont lui-même était constamment animé, dont beaucoup d’autres lui avaient confirmé la réalité, dont enfin il était en droit de supposer l’existence chez des millions d’êtres humains. Ce sentiment, il l’appellerait volontiers la sensation de l’éternité, il y verrait le sentiment de quelque chose d’illimité, d’infini, en un mot : d’ « océanique ». Il en ferait ainsi une donnée purement subjective, et nullement un article de foi. Aucune promesse de survie personnelle ne s’y rattacherait. Et pourtant, telle serait la source de l’énergie religieuse, source captée par les diverses Eglises ou les multiples systèmes religieux, par eux canalisée dans certaines voies, et même tarie aussi. Enfin, la seule existence de ce sentiment océanique autoriserait à se déclarer religieux, alors même qu’on répudierait toute croyance ou toute illusion ». Voir FREUD, S., Malaise dans la civilisation, Paris, P.U.F., 1971, p. 5-6.

 

[12] Paris, P.U.F., 1968, 647 p.

 

[13] Paris, Alcan, 1938, 314 p.

 

[14] Paris, Laffont, coll. « bouquins », 1984.

 

[15] D’après GIRARD, R., « On ne peut pas concevoir que l’homme perde tout lien avec le sacré », in Le Monde du 4 Sept. 1980.

 

[16] « Si éloignés que nous pensions être de la magie, nous en sommes encore mal dégagés. Par exemple, les idées de chance et de malchance, de quintessence, qui nous sont encore familières, sont bien proches de l’idée de magie elle-même. Ni les techniques, ni les sciences, ni même les principes directeurs de notre raison ne sont encore lavés de leur tache originelle », Sociologie et anthropologie, Paris, Quadrige / P.U.F., 1950, p.137.

 

[17] Voir, à ce propos, Polarité du symbole, Paris, Desclée de Brouwer, 1960 ; Le sacré et le profane, 1965, op. cit., Initiations, rites, sociétés secrètes, Paris, Gallimard, 1965 ; Mythes, rêves et mystères, Paris, Gallimard, 1976 ; « Sciences, idéalisme et phénomènes paranormaux », in Critique, 1983, 23, 1948, p. 315-323.

 

[18] Op. cit., 1969.

 

[19] Les structures élémentaires de la parenté, Paris, Mouton & Co, 1967 ; La pensée sauvage, Paris, Plon, 1985a ; Le totémisme aujourd’hui, Paris, P.U.F., 1985b. Il faut se rappeler qu’il a appartenu à LÉVI-STRAUSS de dire, dans Anthropologie structurale : « Peut-être découvrons-nous un jour que la même logique est à l’œuvre dans la pensée mythique et dans la pensée scientifique et que l’homme a toujours pensé aussi bien », 1958, Paris, Plon.

 

[20] DODDS, E. R., L’irrationnel chez les Grecs, 1965, cité par LAPASSADE, G., La transe, Paris, P.U.F. 1990, p. 65.

 

[21] Dans un entretien avec Le Monde, Philosophies n°4, GIRARD, R. disait ceci : « Aujourd’hui, face à la mort de la philosophie et l’échec des sciences humaines, toutes les formes de christianisme sont en train de reparaître ». Voir LAVIGNE, C., Des citations modernes, Paris, Retz, 1986, p. 139.

 

[22] Lire TILLICH, P., Le courage d’être, Paris, Casterman, 1972a et Théologie de la culture, Paris, Planète, 1972b.

 

[23] Il faut se rappeler qu’au Moyen-âge, pour protéger un terroir ou chasser les mauvais esprits, il fallait se diriger vers les sorciers, spécialistes de la surnature ayant fini par devenir démoniaques, dangereux et négatifs, aux yeux de l’Église. Les inquisitions en sont des preuves concrètes.

 

[24] MARTINO, E. De, La terre des remords, Paris, Gallimard, 1966.

 

[25] GALLINI, C., Lagrasse, Verdier, 1988.

 

[26] Voir, à ce propos, MOODY, R., Lumières nouvelles sur la Vie après la Vie, Paris, France Loisirs, 1977a ; La vie après la vie, Paris, Laffont, 1977b ; Rencontres, Paris, Laffont, 1994.

 

[27] « De l’irréligion de l’avenir », 1887Extrait de la Revue philosophique, 23, p. 299-311. Reproduit in DURKHEIM, Émile, Textes. 2, Religion, morale, anomie, p. 149-165, Paris, Minuit, 1975, 508 p.

 

[28] Nous tenons à préciser que, pour ce qui est de la mystique africaine, nous nous limiterons à la liturgie animiste africaine, c’est-à-dire à celle qui est née en terre négro-africaine, étant entendu que les mystiques qui ont vu le jour en dehors de l’Afrique sont, pour la plupart, pratiquées par les Africains, à la lettre ou dans un cadre syncrétique.

 

[29] NDIAYE, L., Parenté et mort chez les Wolof. Tradition et modernité au Sénégal, Paris, L’Harmattan, 2009 ; Mort et thérapie en Afrique. Enjeux, représentations, symboles, Paris, L’Harmattan, 2012.

 

[30] Voir ROUCH, J., La religion et la Magie songhay, Paris, P.U.F., 1960 ; MONFOUGA-NICOLAS, J., Ambivalence et culte de possession, Paris, Anthropos, 1972 ; THOMAS, L.-V. et LUNEAU, R., La terre africaine et ses religions, op. cit., 1975 ; NATHAN, T. et HOUNKPATIN, L., La guérison yoruba, Paris, Odile Jacob, 1998.

 

[31] LEIRIS, M., Miroir de l’Afrique, « La possession et ses aspects théâtraux chez les Éthiopiens de Gondar », Paris, Gallimard, 1996, p. 889-1061.

 

[32] LAPLANTINE, Fr., Les trois voix de l’imaginaire, Paris, Éds Universitaires, 1974, p. 155.

 

[33] THOMAS, L.V., Les chairs de la mort, Paris, Sanofi-Synthélabo, 2000, p. 268.

 

[34] MAHANIAH, K., « Les fonctions religieuses et thérapeutiques du cimetière chez les Kongo du Zaïre », in Psychopathologie Africaine, XIII, I, 1977, p. 47-70 ; NDIAYE, L., « Maladies et mort dans la société sénégalaise : les enjeux des représentations », in Éthiopiques, n°84, 1er semestre, 2010, p. 321-344 ; Mort et thérapie en Afrique, op. cit., 2012, p. 81-82.

 

[35] ZEMPLENI, A., « La dimension thérapeutique du culte des rab, ndeup, turu et samp : rites de possession chez les Lébou et les Wolof », in Psychologie affective, vol. II, n°3, 1966, Dakar, p. 296-439 ; SCHOTT-BILLMAN, F., Possession, danse et thérapie, Paris, Sand, 1985 ; Danse, mystique et psychanalyse, Paris, Chiron, 1987 ; Le primitivisme en danse, Paris, Chiron, 1989 ; NDIAYE, L., « La place du sacré dans le rituel thérapeutique négro-africain », in Éthiopiques, n°81, 2ème semestre, 2008, p. 203-218.

 

[36] Au mot « cité », il faut donner le sens d’espace humain occupé et régi par des règles normatives.

 

[37] Cette pratique culturelle, qui consiste à consommer de la chair humaine, ne s’éloigne guère de la vision nécrophagique des cyniques de l’ancienne Grèce. Chez ces derniers, le ventre étant considéré comme une sorte de tombeau, les cadavres sont ainsi consommés. Par le biais de la nécrophagie, assujettie à un ensemble de règles codifiées obligatoires, la famille éplorée ne peut manger que les philos : enfants, père, mère, épouse, membres de la proche parenté. D’ailleurs, à ce propos, l’explication de Chrysippe est assez révélatrice du désir de fusion du cadavre du parent à soi-même. « On mangera les morts, dit-il, de la même façon que l’on mangera un de ses propres membres si on venait d’en être amputé ». L’endocannibalisme est aussi à l’œuvre chez les Arunta du Sud australien. Le groupe consomme la graisse des reins du défunt pour récupérer sa force et son courage, utiles pour pouvoir se venger de sa mort. Dans la communauté diéri, nous dit MAERTENS, J.-T., cette matière adipeuse doit être mangée par les parents du matrilignage. Voir VERNANT, J.-P., La mort, les morts dans les sociétés anciennes (introduction), Paris, Gallimard, 1982, p. 9 ; DARAKI, M., « Les fils de la mort : la nécrophagie cynique et stoïcienne », ibid., p. 155-156 ; MAERTENS, J.-T., Le jeu du mort, Paris, Montaigne, 1972, p. 21.

 

[38] Par rapport au poro, rituel initiatique secret de passage à l’âge adulte se déroulant dans une forêt sacrée, en Afrique occidentale, LEMAIRE, M. déclare ne pas voir de cannibalisme, Les sillons de la souffrance. Représentations du travail en pays sénoufo (Côte d’Ivoire), Paris, CNRS, Maison des sciences de l’homme, 2009, 254 p.

 

[39] Nous convenons que le langage informe une vision du monde. Ainsi, nous entendons, par « terminologie de la mystique », l’étude analytique de quelques vocables employés par les Wolof pour parler de la pratique, l’ « indexer » en utilisant quelquefois des expressions argotiques.

 

[40] Les Wolof constituent l’ethnie majoritaire au Sénégal. On parle souvent de Wolof-Lébu évalués à 44,5 % de la population totale sénégalaise sur une vingtaine d’ethnies. Voir Sénégal, Troisième Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH3), Rapport national de présentation des résultats, ANSD, décembre 2006, p. 14 ; DPS/2004 : 2ème Enquête Sénégalaise Auprès des Ménages, p. 36 ; Estimation de la population du Sénégal de 2005 à 2015, Direction de la Prévision et de la Statistique.

 

[41] En langue wolof, le terme « buxaaba » est utilisé pour nommer ceux qui sont considérés comme étant les plus grands spécialistes de la magie et de la sorcellerie.

 

[42] Dans « Esquisse d’une théorie générale de la magie », chap. 3, II, MAUSS, M. dit ceci : « Gestes et paroles doivent être répétés une certaine quantité de fois. Ces nombres ne sont pas quelconques, ce sont ceux qu’on appelle des nombres magiques ou des nombres sacrés : 3, 4, 5, 7, 9, 11, 13, 20, etc. […] », in Sociologie et anthropologie, op. cit., p. 51 ; voir aussi L’Année Sociologique, 1902-1903.

 

[43] Nous signalons que, en février 2012, Macky Sall, alors candidat, était soutenu aussi bien par les xoy, devins seereer renommés, et aussi par un corps d’intellectuels musulmans (arabisants et maîtres coraniques), qui se sont tous prononcés sur le sort de celui qui allait devenir le 4ème président de la république du Sénégal. Ces derniers promettaient à leur candidat, par voie médiatique, qu’il le ferait profiter de leur soutien mystique. D’autres, plus audacieux, avaient même proclamé, avant l’heure, la victoire du candidat Sall.

 

[44] Les violences politiques sont aussi physiques. Au Sénégal, un président de conseil constitutionnel est tué, un leader politique battu à coups de marteau, des ministres et des journalistes tabassés, un défenseur des droits de l’homme lapidé, des maisons de personnalités politiques brûlées, un membre d’un groupe de jeunes appartenant, semble-t-il, à un parti au pouvoir, froidement abattu par un maire, soi-disant au nom de la légitime défense ; un étudiant est tombé au combat politique écrasé par une voiture de la police nationale.