Djibril Tamsir NIANE
Notes

Manuel Zapata Olivella, NEGRITUDE ET PROBLEME NOIR par François Bogliolo, Dakar-Abidjan 1978

Ethiopiques numéro 20

Revue socialiste de culture négro-africaine

Octobre 1979

 

Nous connaissons relativement bien le monde noir américain (USA) (et Antilles) à travers des écrivains et des musiciens de célébrité mondiale. Marcus Garvey, Louis Armstrong, Langton Hugues, Aimé Césaire, illustrent, on ne peut mieux, la culture afro-américaine.

Mais dans le Sud du continent, en Amérique latine il y a un monde noir, en plein essor sur tous les plans, monde que nous connaissons mal. Le Brésil naturellement fait exception ; mais soupçonne-t-on qu’il existe près de dix millions (10.000.000) de Noirs en Colombie ; qu’en Equateur, au Vénézuella vivent des centaines de milliers de Noirs qui ont marqué la civilisation d’Amérique latine d’un cachet original. Il serait plus juste de parler d’une Amérique afro-latine car la contribution du Noir n’est pas des moindres dans la symbiose née de la rencontre de trois ethnies : l’Indien, le Blanc et le Noir.

Cette grave lacune vient d’être comblée par l’ouvrage de François BOGLIOLO sur Olivella. Celui-ci n’est pas seulement un grand écrivain, il est surtout un ardent militant de la Négritude. Il s’est essayé dans tous les genres, non sans bonheur (romans, théâtres, anthropologie, etc…).

Avec cette œuvre nous nous rendons compte que l’Amérique du Sud – je ne dis pas Amérique latine – véritablement a été un creuset de métissage où Noir, Indien et Blanc se sont mêlés pour donner un type physique d’une rare beauté et une culture des plus originales. Cette symbiose n’a pas détruit le cachet propre à chaque ethnie. Ceci est important. Le Noir dans cette région tout en contribuant à l’épanouissement d’une culture originale, garde son identité culturelle. Ce combat libérateur a pour objectif l’affirmation de l’identité culturelle condition sine qua non de l’épanouissement de la personnalité dans ses dimensions politique, sociale et économique. La culture est le cachet original d’une communauté. Olivella le sait qui fait de sa littérature une littérature de combat.

François BOGLIOLO nous fait pénétrer dans un monde noir aux traditions typiquement africaines. Peut-être qu’ici, par une réaction d’auto défense plus poussée, le Noir a dû se replier sur certaines traditions et les conserver presque à l’état pur.

C’est le lieu de dire tout le mérite de François BOGLIOLO qui non seulement connaît très bien le monde noir de Colombie et d’Amérique, mais surtout possède une connaissance très sûre du monde négro-africain ce qui lui permet de faire une étude comparée, dense et originale.

La prodigieuse carrière de Zapata Olivella et son œuvre nous sont présentées dans le menu détail. La sûreté de l’information est impressionnante, on sent toute la sympathie de l’auteur pour Olivella qu’il connaît bien.

Olivella est un grand militant de la Négritude ; les intellectuels africains le connaissent pour l’avoir vu et entendu à Dakar lors de la Conférence « Négritude et Amérique latine » 1974. C’est lui qui organisa en Août 1977 à Cali (Colombie) le « Premier Congrès de la Culture noire des Amériques ». Personnalité puissante, Olivella n’est pas indifférent à la politique : la prise du pouvoir ou la participation au pouvoir seule pourra permettre à l’identité culturelle noire de s’affirmer en toute liberté.

Un ouvrage à lire pour connaître non pas seulement le grand écrivain colombien, mais le monde noir d’Amérique latine et sa riche littérature, ses traditions fortement enracinées et sa volonté d’ouverture vers l’Afrique.

A lire cette œuvre on se pénètre de cette idée chère à Senghor, à savoir que toute grande civilisation est fruit d’une rencontre, d’un métissage à composantes raciales ou ethniques variables.

Pensant à la vitalité et à la pureté de certains traits de la civilisation noire d’Amérique, Pierre Verger a écrit « Viendra-t-il un jour où les gens de Kétou en Afrique devront venir au Nouveau-Monde pour y retrouver certaines manifestations de leur africanité ? », cité par BOGLIOLO.

Nous pouvons répondre que ce jour est venu ; nombreux sont les contacts entre les intellectuels africains et Noirs américains en général ; des projets de recherches communes sont envisagés ici et là. On sait aujourd’hui que pour entendre un yoruba marqué au sceau de l’archaïsme il faut se rendre non pas au Nigéria mais au Brésil ou un groupe de Noirs a conservé la langue dans sa pureté originelle.

Le problème du Noir en Amérique reste posé. Il est essentiellement politique. Ici comme en Afrique, l’identité culturelle ne saurait s’affirmer que dans le cadre de l’Indépendance. En Amérique il s’agit pour le Noir non pas de faire le séparatiste, mais de prendre une part active au pouvoir au sein de la communauté bi ou pluri – raciale où il vit.

L’œuvre d’Olivella est importante car révélatrice d’un monde encore mal connu, mais riche de promesses, le monde latino-américain. Tant au plan politique qu’au plan culturel, ce monde apportera une contribution originale dans la mesure même où toute création ici porte le sceau de la symbiose tri-ethnique.

Les problèmes du monde noir ne sont pas résolus, tant s’en faut mais ces problèmes ne sont pas les mêmes d’une région à l’autre. En Afrique, l’indépendance conquise doit être consolidée par la maîtrise du pouvoir économique et la mise sur pied d’un système d’éducation et de formation qui donne encore plus de force à l’identité culturelle. Presque tout le continent noir a recouvré son indépendance politique – le bloc apartheid est entamé – il reste que le fond culturel si riche dont se réclament tous les Etats n’ait pu aider à fonder une solidarité, ciment de toute communauté.

Si l’étude comparée entre faits de civilisation d’Amérique et de d’Afrique révèle une identité incontestable, il demeure que l’Afrique moderne et ses problèmes n’ont pas fait l’objet d’une analyse approfondie. Ce n’était pas du reste le propos de l’auteur.

Mais cette étude critique de la Négritude d’outre Atlantique ouvre des perspectives nouvelles aux études afro-américaines.