Critique d’art

LOUIS EKETOUBO BASSENE ENTRE CULTURE, TECHNICITE ET ART

Ethiopiques n°89.

Littérature, philosophie et art

2ème semestre 2012

Cette étude prolonge la présentation de l’artiste Louis Ekétoubo Bassène, effectuée le mercredi 07 mars 2012, lors du vernissage de son exposition montée au Musée d’Art africain Théodore Monod de l’IFAN (01-15 mars 2012).

Cette exposition a révélé un artiste singulier et méconnu, mais talentueux, dont l’art exprime d’abord la culture traditionnelle, au service de laquelle il met sa technicité. Cependant, Louis Bassène ne s’enferme pas irrémédiablement dans sa tradition culturelle, car son art révèle également son ouverture à son environnement social, c’est-à-dire la société sénégalaise et dakaroise dans laquelle il vit ; en outre, il est ouvert à la modernité, réceptif à l’événementiel et à la quotidienneté immédiate et attentif aux préoccupations de ses contemporains. On voit ainsi dans l’art de Louis Bassène aussi bien la culture banjal que la société sénégalaise actuelle, ainsi que les événements qui s’y produisent et qui interpellent ses concitoyens. Et il représente tout cela à merveille, se servant d’une technicité avérée et maîtrisée. La plupart de ses œuvres sont en effet créées grâce à la combinaison de techniques mixtes, dont certaines sont inventées par lui-même, au point que parfois Louis peint sans utiliser de pinceau.

Donc personnalité artistique complexe, aux registres variés et évoluant aisément d’une technique à une autre et utilisant diverses techniques sur des supports différents.

  1. Louis BASSENE, Ala Emit, 2005, technique mixte sur toile de jute, 200x150cm
  2. Louis BASSENE, Ware-Les Femmes, 201, technique mixte, 81x65cm
  3. ETUDES ET FORMATION

Le mérite de Louis Bassène apparaît remarquable au regard de son itinéraire et de son parcours. Il est en effet orphelin très tôt, car né officiellement en 1953 à Séléky, non loin du chef lieu de la communauté rurale d’Enampor en Casamance (Sénégal), il perd son père quelques mois après avoir été inscrit à l’école primaire en 1959. Il est alors contraint de suspendre sa scolarité afin de surveiller sa petite sœur pour permettre à leur mère de cultiver le riz.

Il ne commence véritablement les études qu’en 1961 dans l’école primaire de Séléky, où il obtient son certificat d’études primaires élémentaires en 1967. Dans une famille constituée de cinq personnes : sa mère, sa sœur, ses deux frères et lui, sans moyen et sans aide, il ne peut poursuivre ses études. Louis Bassène s’est fait ainsi tout seul et apparaît comme un « self-made-man ». Arrivé à Ziguinchor après l’obtention du CEPE, il ne peut suivre, de 1968 à 1970, que des cours du soir dispensés gratuitement par des enseignants.

Dans cette situation de dénuement, Louis Bassène n’a bénéficié que de l’aide de sa tante paternelle, Marie-André Bassène, femme de ménage chez un enseignant coopérant français qui enseignait à l’Ecole des Beaux Arts. Grâce à cette sœur de son père, il arrive à Dakar en 1970 et y fréquente l’Alliance française et les cours du soir qu’elle y organisait. Pendant ces années d’études, la lecture, qu’il aimait beaucoup et à laquelle il s’adonnait régulièrement, lui a permis d’élargir et d’améliorer sa culture générale.

C’est un coopérant français, du nom de Bonnet, qui l’aide à intégrer les Beaux Arts. Mais, quand il a voulu s’y inscrire au département de peinture, il lui a été signifié que la liste des candidatures en peinture était close ; il ne lui restait que le choix de la musique. Au Conservatoire, il a trouvé beaucoup de jeunes aveugles candidats à l’inscription et ils obtiennent tous, dès leur première année, une bourse d’études. Ce qui lui assure de bonnes conditions de vie et lui permet d’effectuer de brillantes études et d’en sortir, en 1978, avec une deuxième médaille de Solfège.

Il entame immédiatement des études de peinture (1978-1982) au département de communication de l’Ecole nationale des Beaux Arts. En 1982, nanti de son diplôme de cette école avec la mention Très Bien, Louis Bassène intègre, en tant que professionnel, le monde des arts plastiques sénégalais contemporains, même si, auparavant, dès 1980, il avait commencé à exposer ses œuvres.

Ainsi, malgré ou sans doute grâce à la précarité de sa situation, Louis Bassène a cheminé sans trop de difficultés, sans incidents majeurs et a effectué des études et une formation de qualité, qui en ont fait une figure marquante des arts plastiques sénégalais contemporains.

Artiste atypique par sa formation comme dans sa pratique, Louis Bassène est un créateur polyvalent. Il totalise une dizaine d’années de formation artistique qui en fait d’abord un musicien, puis un peintre issu du département communication de l’Ecole nationale des Beaux Arts (1978-1982), cas rare dans les arts plastiques sénégalais contemporains. Et dans sa pratique artistique, il est polyvalent, par la diversité des techniques utilisées ; certes, il a été d’abord graphiste et illustrateur, ensuite et en même temps peintre et dessinateur scientifique.

Cette polyvalence technique fonde la diversité et la richesse de l’œuvre plastique de Louis Bassène et explique également sa constance dans la création artistique et sa présence permanente dans la vie artistique au Sénégal comme à l’étranger.

Louis Bassène expose en effet depuis 1980, de manière régulière, à l’Ecole nationale des Beaux Arts d’abord, puis à la Galerie nationale, dans les instituts culturels, etc. ; Il participe en outre aux différents Salons nationaux des artistes plasticiens sénégalais et aux éditions de la Biennale de l’Art africain contemporain de Dakar. Il marque enfin sa présence dans des événements internationaux comme les éditions et les étapes de l’exposition itinérante d’Art plastique sénégalais contemporain à l’étranger, l’Exposition « Le Sénégal au cœur de Paris », ou « L’Exposition d’Art contemporain sénégalais en Arabie saoudite », etc.

Dans le travail de Louis Bassène, on perçoit d’emblée, d’une part, la présence de la culture de l’ethnie joola, présence parfois discrète, comme dans Gafouloung, ou Femmes du sud ; d’autre part, la diversité des techniques de création, en particulier la technique de récupération, dont la finalité est double dans son art : en récupérant des objets usagés, abandonnés ou jetés, il leur redonne vie et par la même occasion, il sauvegarde des éléments de la culture ancienne en voie de disparition.

  1. ART ET CULTURE Il ne s’agit pas ici d’examiner la religion joola-banjal, mais d’indiquer comment Bassène exprime sa culture traditionnelle à l’aide de son art et donc, ce que l’on perçoit et découvre de la culture joola-banjal dans l’art ou à travers l’art de Bassène. Car pour cet artiste, l’art est d’abord un moyen de dire, de traduire et d’exprimer sa culture traditionnelle, tout en n’étant pas que cela, Bassène ne rejetant pas et ne rechignant pas à exprimer et à peindre autre chose.

Du reste, Louis Bassène ne dit pas, ne peut pas dire toute la culture joola-banjal, ni même toute la religion banjal dans et à travers son art. De sa culture et de sa religion, il prend des éléments ou des aspects qu’il représente.

Ainsi, Ala Emit, Emitay, Le Peuple de Mof Awii, La Reine du Clan, Gafoulong, Afouga, Eou, Bourongh, Echet, Yalor, Achinachine, Ayaoul, Ambito, etc., sont des titres d’œuvres de Louis Bassène figurant et renvoyant à des éléments et des réalités de la cosmogonie joola. Ala Emit, Dieu créateur (2005), est une grande œuvre (224×144 cm) sur toile de jute, dans laquelle il applique ses techniques actuelles, sans recourir au pinceau ; œuvre composite, réalisée par la récupération et le collage de matériaux divers ; comme dans beaucoup d’œuvres de cette veine, Louis Bassène procède en commençant par la composition colorée à laquelle il adjoint la colle, puis y plonge la toile et l’y laisse le temps nécessaire pour s’imbiber. Ensuite la toile est étalée à même le sol à l’air libre ou sur tout autre support ; et avant qu’elle ne sèche complètement, il colle dessus les matériaux choisis ; c’est là que s’effectue véritablement le travail de création artistique : l’ajustement des couleurs, par concentration ou éclaircissement, afin de produire sur la surface des nuances variables ; il procède également à ce moment au collage de brindilles, de tiges, de fils, de morceaux de tissu ou de papier, de perles, d’os, de fuseaux, etc. Parfois, il écrit sur la toile ou trace de figures ou des signes, etc.

Dans cette œuvre, Ala Emit, la partie située en bas, représentant les 2/3 de la surface, est sombre, le bleu indigo et le noir y dominent ; des brindilles sont fixées sur la surface de la toile longitudinalement (du haut vers le bas), avec des branches, tandis que le tiers en haut est en rouge bordeaux, traversé également de brindilles sous forme de veines collées ; au milieu de l’œuvre, direction nord-ouest/sud-est, partant d’un point blanc en haut, allant vers le bas et arrivant dans un cercle, un fil blanc trace une ligne et inscrit, tout autour du cercle, les différentes étapes ou cycles de l’évolution de l’âme après la mort. Les étapes sont figurées tout autour du cercle par des perles.

  1. Louis BASSENE, Le Boukoute, 2012, technique mixte, 131x61cm
  2. Louis BASSENE, Union monétaire africaine, 2012, technique mixte, 150x203cm

Cette œuvre permet d’accéder à quelques aspects du système religieux banjal ; elle représente les rapports entre l’homme et Ala Emit, le Dieu créateur ; donc les rapports entre le visible et l’invisible. Ware-Les Femmes (2010) ressemble fort à Ala Emit, tout en étant moins grande (81x65cm). La ressemblance se situe au niveau de la représentation de Ala Emit dans ses rapports avec les femmes ; s’y retrouvent également les différentes étapes de l’évolution de l’âme (Afuga, Euou, Buron, Ambito, Emoutougne, etc.). Comme dans Ala Emit, la représentation des rapports est la figuration par une ligne ou un fil direction nord-ouest/sud-est, partant de Ala Emit pour aboutir en bas à Finnir, dans un cercle. Sur ce cercle, les différentes étapes de l’évolution de l’âme sont matérialisées par des perles, comme dans Ala Emit. Une des différences est la représentation d’une femme en train de filer en bas à gauche ; la seconde différence réside dans le rouge bordeaux qui couvre toute la surface de la toile tachetée de noir, en abondance autour et en face de la femme. Le reste de l’œuvre est entièrement abstrait.

Plusieurs œuvres de Louis Bassène s’inscrivent dans le registre de celles-ci, c’est-à-dire complexes, en comportant de nombreux éléments collés. Bassène aime à répéter que son art oscille entre figuration et abstraction. Mais la figuration n’est jamais parfaite et souvent en lieu et place de la figuration, il se contente de brindilles, de ficelles ou de fils, de morceaux, etc., pour représenter tel ou tel être ou réalité. Ainsi, dans Le Boukoute (2012), les initiés, en bas de l’œuvre et en train de danser, sont représentés par des fuseaux, de formes et de couleurs différentes, confectionnés par l’artiste lui-même à l’aide de fils en coton et agencés d’une certaine manière. Mais toute la partie en haut (2/3) est abstraite, à dominante rouge-orange tacheté de noir.

La Reine du Clan (2004) est composée comme Ala Emit, moins grande cependant, avec plusieurs tonalités : noir, gris, rose, rouge et jaune ; elle a été confectionnée également de la même manière, par la technique de la détrempe-collage de matériaux de récupération (brindilles) sur la surface de la toile. La Reine, fabriquée sous forme de fuseau, au centre-bas, descend et est entourée là par les femmes du clan. Outre les deux techniques précédentes, Bassène a recouru ici à la couture de deux morceaux de tissu en haut à droite et en bas à droite. Avec les brindilles collées, ainsi que la Reine et les femmes du clan collées, ces morceaux de tissu cousus accroissent la matière sur la surface de la toile. Cependant, tous ces éléments ne rendent pas l’œuvre touffue, et malgré la dominance des couleurs ternes, l’œuvre n’est pas trop sombre, la lumière étant introduite par les femmes du clan et les éclairs en bas-gauche et la partie droite de l’œuvre, qui paraît ainsi bien équilibrée.

D’autres œuvres, toutes différentes de celles qui précédent, introduisent également à la culture banjal. Il s’agit de Communauté villageoise 1 (2011), Communauté villageoise 2 (2010), Le Peuple de Mof Awii (2010), etc. Dans ces œuvres, la particularité technique est la représentation du peuple par des personnages sous forme de fuseaux, debout et dont le signe sexuel distinctif est le bout sous forme de flèche pointue en bas pour les hommes, tandis que les femmes se distinguent par l’abondance des perles sur le corps et sans bout pointu. Ces personnages, longilignes, de taille et de couleur différentes, occupent, nombreux, le centre de l’œuvre ; là, ils créent un véritable kaléidoscope.

Dans Communauté villageoise 1, le fond de l’œuvre est jaune, tacheté au centre et en haut de rouge ; ce qui permet d’atténuer les contrastes avec les différentes couleurs des personnages-fuseaux, qui, eux, sont en jaune, blanc, vert, bleu, rose, marron.

Communauté villageoise 2 est réalisée dans la même perspective : abondance de personnages-fuseaux concentrés au centre, aux couleurs et taille différentes ; à partir du centre de l’œuvre, leur taille décline vers la périphérie de part et d’autre ; la représentation sexuelle est semblable à celle de l’œuvre précédente.

Cependant, cette œuvre est plus grande et ses 2/3 vers le bas sont sombres, tandis que la partie haute est en rose. L’œuvre comporte beaucoup de matière, par l’abondance de la colle ; la toile elle-même semble onduler sur une bonne partie de sa surface.

Dans cette catégorie d’œuvres, outre les couleurs, le travail créatif réside dans la confection et l’organisation des personnages au centre des œuvres ; leur confection relève en effet d’un travail méticuleux et leur organisation dans l’ensemble est fonction de leur taille, conférant de la sorte à l’ensemble une allure harmonieuse et équilibrée, malgré la diversité matérielle et chromatique qu’elles recèlent.

Le Peuple de Mof Awii est placée dans cette catégorie en raison de sa référence thématique ; par contre, le traitement plastique est fort différent. Car ici, les personnages représentant le peuple ne sont pas des fuseaux, mais des dessins au bas de la toile, en deux files indiennes. Le grand prêtre est représenté, à droite et presque sur toute la hauteur de la toile, sous forme de fuseau, à bout pointu au bas et aboutissant sur un cercle noir, placé sous l’une des deux files indiennes des individus. Tout le reste de l’œuvre est abstrait ; le marron et le jaune, les deux couleurs de l’œuvre, se chevauchent et créent au centre et de haut en bas, deux sortes de tourbillons, qui animent la toile, tandis que la périphérie, des quatre côtés, est en gris. Œuvre à la fois calme et sobre.

Une troisième catégorie d’œuvres sont à tendance abstraite, en ce sens que toute la surface de la toile est abstraite, peinte ou colorée par une seule couleur, puis, quelque part, en bas à droite ou à gauche, au milieu de la surface ou ailleurs, quelques éléments matériels (un objet quelconque, un os, un groupe d’objets-fuseaux représentant des individus dansant ou travaillant, etc. ) sont fixés. Dans cette catégorie figurent Femmes du sud (2011), Gafoulong (2007), Parcours initiatique (2011), Initiation (2004), La Confession (2009), Ekonkone- Danse traditionnelle (2009), Kafountine (2010).

Dans cette série, se perçoit la maîtrise technique de l’artiste qui peut décliner sur une toile une couleur dans toutes ses nuances ou alors, tout en la déclinant, il la tachète pour avoir d’autres tonalités qui y créent des contrastes. Ainsi, dans Gafoulong (200x108cm), c’est le rouge bordeaux qui est tacheté de noir et de blanc. Dans Parcours initiatique (102×72 cm), le jaune est décliné certes, mais aussi tacheté en noir au bas autour des initiés. Dans Femmes du sud (140×90 cm), une seule couleur, le marron, est déclinée en plusieurs nuances dans certaines desquelles le blanc introduit la lumière. Ce marron se présente sur la surface de la toile sous forme de deux tourbillons, qui animent la surface et dont le bas est également animé par trois petits objets symbolisant ou représentant les femmes.

Dans Femmes rurales (77×50 cm), deux couleurs, le bleu et le marron, sont déclinées et parfois chevauchées au centre de l’œuvre ; ce qui y crée beaucoup de contraste et d’animation, qui, elle, est accentuée vers le bas par le collage de plusieurs objets, fabriqués par l’artiste et représentant les femmes rurales. La Confession (85×65 cm) présente une surface dont la couleur, le marron, est déclinée de telle manière à produire plusieurs nuances, sombres au centre, éclaircies sur la périphérie alentour ; la figuration est située en bas à gauche, sous forme de petits personnages, d’un devin et d’une source lumineuse.

Quoique plus grande (100×80 cm), Kafountine est semblable à La Confession, par la déclinaison d’une seule couleur et la figuration des pêcheurs en bas de l’œuvre à gauche ; le marron est concentré à droite de haut en bas, mais éclairci à la périphérie.

Ainsi, Louis Bassène se complaît à créer des contrastes soit par la déclinaison des couleurs, soit par la fixation d’objets sur les toiles ; ces procédés lui permettent de faire coexister sur une même œuvre l’abstraction et la figuration.

Ekonkone (100×82 cm) est située dans cette catégorie par la prégnance de l’abstraction et la déclinaison d’une couleur, mais participe aussi de la première catégorie par la figuration comme dans Ala Emit et Ware. Ici, le rouge bordeaux est tacheté de noir en haut et au centre et éclairci au centre-bas La figuration est matérialisée en bas de l’œuvre par les danseurs en file indienne et l’initiateur debout à droite et sur toute la surface de l’œuvre, aboutissant en bas dans un cercle blanc.

Malgré leur diversité, toutes ces œuvres ont ce caractère commun qu’elles informent sur la culture banjal ; par ce procédé, Louis Bassène fait connaître sa culture traditionnelle tout en créant des œuvres d’art, c’est-à-dire des œuvres de beauté, dont la qualité esthétique peut s’apprécier et être goûtée indépendamment de sa dimension thématique.

  1. TECHNIQUE ET ART

Malgré les apparences, Louis Bassène se révèle – à bien examiner son travail et sa production – comme un véritable technicien qui, dans sa pratique artistique, recourt à de nombreuses techniques de création, d’abord traditionnelles, c’est-à-dire connues et apprises à l’école lors de la formation, mais aussi inventées par lui-même. Et comme son art, sa technicité est mise au service de sa culture traditionnelle, pour l’exprimer, la représenter, la faire connaître et la magnifier par la création de la beauté. Un tel engagement ne s’accompagne pas de fermeture totale à tout ce qui est étranger. Louis Bassène reste ouvert à tout ce qui l’enrichit, lui est profitable ou tout simplement lui est contemporain.

Au sortir de sa formation, en 1982, Louis Bassène était riche de toutes les techniques de création dispensées dans le département communication de l’Ecole des arts et dans celui de peinture, c’est-à-dire de toutes les techniques traditionnellement enseignées lors de la formation et qu’il maîtrisait parfaitement, au point qu’il excellait dans la plupart d’entre elles, à telle enseigne que ses enseignants se le disputer, chacun voulant l’avoir dans sa section ou division. Parmi ces enseignants, figuraient Christian Bourgeois, Philippe Salmon et Jean-Paul Fatout [2], relevant tous de la coopération française de l’époque et auxquels il reconnaît aujourd’hui devoir beaucoup, en particulier sa solide formation technique.

Ainsi, aucun des arts enseignés au département communication n’avait de secret pour lui ; d’abord les arts graphiques, et en premier le dessin, sous toutes ses formes : le dessin simple, le dessin animé. Mais aussi l’illustration, la sérigraphie, la lithographie, l’affiche, la caricature, etc. ; de la même manière, il maîtrisait la plupart des techniques de peinture : les aplats et les aquarelles, les lavis et l’encre de Chine, la peinture à l’huile, à la gouache, à l’acrylique, etc.

Déjà, lors de cette formation, Louis Bassène avait remporté le concours d’illustration de l’ouvrage de l’écrivain noir américain, Alex Haley : Roots (Racines) [3], auquel avaient participé tous ses promotionnaires de l’Ecole des Beaux Arts. Le projet initial des promoteurs était de faire illustrer le roman par tous les élèves ; mais, au vu des résultats du concours, Louis Bassène a été le seul retenu pour illustrer les deux tomes, dont chacun comportait 10 illustrations, sous la supervision de ses professeurs, Christian Bourgeois, Philippe Salmon et Jean-Paul Fatout. C’était en 1978-1982. Ces illustrations retracent, par l’image, les différentes étapes de la vie du héros, Kounta Kinté, esclave arraché très jeune à son peuple en Gambie. Après cet ouvrage, Louis Bassène en a illustré plusieurs autres au cours de sa carrière [4].

Ses excellentes qualités de dessinateur lui ont valu d’être recruté comme dessinateur scientifique à la Faculté de Médecine de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar depuis 1985.

Ces techniques traditionnelles qu’il utilise dans sa pratique professionnelle sont adjointes et combinées à des techniques nouvelles utilisées désormais par la plupart des artistes contemporains ou qu’il invente lui-même. Ainsi, la récupération est fréquente dans ses nouvelles créations et il récupère des matériaux très divers, dont le choix et l’intégration sont fonction de l’inspiration du moment.

L’intégration s’effectue généralement par le collage et la couture. Le collage intervient d’abord sous la forme de la détrempe. Beaucoup d’œuvres des séries actuelles sont réalisées par cette technique. Il commence par immerger la toile dans une solution imbibée de colle et l’y laisse le temps nécessaire pour bien s’imprégner de colle. Ensuite il la retire de la solution, l’étale pour sécher, et selon les cas, il intervient dessus immédiatement ou après qu’elle ait séché. Le collage intervient à un second niveau lorsqu’il s’empare d’objets divers pour les coller sur la surface de la toile ou du support. Il remplace parfois le collage par la couture, pour créer plus de relief et de matière sur la toile.

Ces deux techniques produisent comme effet majeur sur les œuvres de Louis Bassène la rugosité, provoquée par l’abondance de matière. Il est ainsi rare que ses œuvres présentent des surfaces.

Les objets récupérés et intégrés, par collage ou par couture, sont issus généralement du patrimoine matériel en vue d’exprimer et de dire la culture traditionnelle. C’est dans ce sens que la technicité de l’artiste est au service de sa culture, en utilisant les procédés les plus judicieux dans cette perspective.

Par un troisième procédé, il lui arrive d’étaler la colle sur la toile ou le support ; ensuite, il met la couleur dessus avant de laver le tout. Louis Bassène utilise d’autres techniques qu’il invente dans sa pratique artistique. Il utilise ainsi le sable pour avoir une certaine matière et différentes couleurs ; pour cela, il dilue le sable, puis le laisse là pendant quelque temps ; ensuite, il vide l’eau ; il lui reste une pâte qu’il peut appliquer sur la surface des toiles. Parfois, il jette la patte sur la toile, comme dans Le Balafon (2008), en imitant le geste du semeur.

D’autres matières peuvent servir de couleur : le jaune de l’œuf, le charbon, le lait, etc. Louis Bassène met l’accent sur l’importance de l’inspiration, dont dépendent les choix et l’activité de création artistique, comme dans La Femme au grand Boubou (2008), toile laissée sous la pluie lors d’un voyage, les couleurs déjà appliquées et divers objets posés dessus, dont des objets métalliques qui ont rouillé dessus. A son retour, il avait déjà des prémisses d’une œuvre d’art, qu’il a tout simplement exploitées.

Il n’y a donc pas d’a priori chez Louis Bassène, car dans sa pratique, tout est fonction de son inspiration du moment qui, à chaque fois, détermine les choix et les orientations, tout en mettant art et technicité au service de la culture.

En sorte que l’art de Louis Basssène est bien un langage qui dit quelque chose, la culture locale et nationale, les idées et les préoccupations de ses contemporains, la vie sociale et la quotidienneté de ses concitoyens, etc.

  1. QUOTIDIENNETE ET CONTEMPORANEITE

C’est ainsi que beaucoup d’œuvres de Louis Bassène introduisent à la quotidienneté joola-banjal et sénégalaise et également à la contemporanéité mondiale. Son art dit en effet ce qui se passe ici et ailleurs, maintenant. Ce qui traduit sinon son engagement, du moins son immersion dans la société et son attention à ce qui l’entoure et préoccupe actuellement sa société, ses concitoyens et ses contemporains. Dans ce cadre, beaucoup d’œuvres de sa production actuelle relèvent de trois registres différents, mais voisins : celui relatif aux événements ponctuels, celui de la quotidienneté sénégalaise et enfin celui de la contemporanéité. Les événements ponctuels se sont produits dans la société sénégalaise et se rapportent ainsi à son histoire récente ; à ce titre, ils peuvent être considérés comme des faits historiques précis.

Bateau Le Joola (04), 196x113cm, traite de cette catastrophe maritime la plus importante qui se soit produite au Sénégal le 26 septembre 2002 et qui a englouti en mer près de 2000 personnes, de plusieurs nationalités, au large des côtes gambiennes. Naufrage encore frais dans la mémoire des populations, il a provoqué de nombreux effets. Le tragique du naufrage est matérialisé par le noir qui couvre toute la toile ; et le bateau, sous forme de masse noire plongée dans les flots, est située au centre-bas de la toile et est là la partie la plus noire de celle-ci ; des éclaircis l’entourent comme pour accentuer le caractère tragique de la situation. Dans le fond marin à gauche, une masse informe représente les naufragés. Dans cette œuvre toute abstraite, il n’y a ni collage, ni récupération ; le traitement de la couleur noire a suffi à l’artiste pour traduire le caractère tragique du naufrage, indiqué précédemment.

Camp de Thiaroye (11), 150x122cm, est un épisode de l’histoire nationale sénégalaise survenu à la fin de la seconde guerre mondiale (1947), au cours duquel l’armée coloniale française a massacré des tirailleurs sénégalais et africains désarmés qui, au moment d’être démobilisés et devaient rentrer chez eux aux villages, réclamaient leur dû. Cet épisode connu et décrié a suscité beaucoup d’attention et l’intérêt de nombreux créateurs dans différents domaines : roman, théâtre et cinéma, sous forme de nouvelle, de pièce de théâtre et de film. Parmi ces créateurs, il y a Boubacar Boris Diop, jeune écrivain sénégalais dont le talent est reconnu, et Ousmane Sembène, romancier et cinéaste sénégalais sans doute le plus connu à travers le monde.

Cette œuvre de Louis Bassène s’insère donc dans cette dynamique de condamnation, en même temps que de témoignage. Dans le tableau, la violence aveugle et l’atrocité du massacre d’innocents sont matérialisés par le canon représenté en bas à droite et par cet œil mi-clos, en haut à gauche, figurant un tirailleur agonisant. Le tragique de l’épisode est dans ce jaune/marron sous forme de tourbillon. A côté du canon, les tirailleurs entassés gisent au sol.

Les techniques de traitement dans cette œuvre sont identiques à celles appliquées dans les œuvres précédentes ; ici, techniques mixtes signifient détrempe-collage ; les traces des brindilles appliquées sont visibles sur la surface de la toile ; ce sont ces traces qui s’entrelacent et zigzaguent à cette surface et y créent ce tourbillon qui anime l’œuvre.

Le phénomène de l’immigration clandestine, surgi dans plusieurs sociétés africaines au cours de la décennie 2000-2010, a polarisé tous les medias du monde et occupé l’actualité, notamment au Sénégal, en raison principalement des nombreuses catastrophes qu’il provoquait par les naufrages de pirogues et d’embarcations de fortune qu’utilisaient les milliers de clandestins africains et sénégalais, attirés par l’Eldorado européen ; au Sénégal, une expression devenue célèbre et ayant fait le tour du monde consacrait ce mirage de l’Occident sur les jeunes Africains : Barsa walah Barsakh, c’est-à-dire Barsa (cf. équipe et stade de football en Espagne) ou la mort. Cette expression traduisait la détermination de ces jeunes, décidés à affronter la mort, malgré la conscience des risques encourus.

Au Sénégal, pendant au moins cinq ans (2005-2010), la crise économique et le chômage ont ainsi poussé des milliers de jeunes à défier la mer et ses flots et à s’embarquer dans des embarcations de fortune, dans lesquelles ils étaient entassés. Au total, des milliers de jeunes Sénégalais ont ainsi été engloutis par les flots, régulièrement pendant plusieurs années. Ce qui a certes suscité l’émoi des populations, mais aussi inspiré beaucoup de créateurs, dans la musique comme dans les arts plastiques. Louis Bassène a consacré deux œuvres à ce phénomène : Immigration clandestine 1 (08) et Immigration clandestine 2 (10).

Immigration clandestine 1, 110x61cm, est une œuvre très expressive, malgré la sobriété du langage, constitué presque exclusivement de couleurs (le bleu, le blanc, le rouge et le noir) ; quelques fuseaux fabriqués par l’artiste à partir de gros fils de broderie représentent les clandestins en train de tomber dans les flots, en haut et au centre de l’œuvre, tandis qu’en bas, un tourbillon représentant la barque remplie de clandestins est en dérive ; plus bas, une autre embarcation a échoué sur une rive .

Immigration clandestine 2, 200x90cm, paraît plus sinistre, parce que plus sombre et donc plus tragique. Ici aussi l’expression est sobre, car il y a très peu d’éléments formels ; une sorte de planche rectangulaire au milieu de l’œuvre, ayant à son centre-bas une sorte de tourbillon représentant l’embarcation, également remplie de clandestins et tournoyant comme une toupie au milieu des flots. Cette planche à dominante noir est tachetée de bleu en bas et de rose-rouge en haut, pour accentuer le caractère tragique de la situation.

Migration saisonnière (10), 87×63 cm et Exode rural (12), 100×80 cm, sont des phénomènes sociaux récurrents dans nos sociétés. Par leur traitement plastique et les couleurs gaies choisies, ces deux œuvres sont plus agréables et même plus belles. Dans la première, très abstraite, le rouge tacheté de noir domine. Quelques fuseaux (7 au total), en bas à droite, représentant les saisonniers, sont les seuls éléments matériels qui incarnent la figuration. Dans la seconde, plus animée parce que comportant plusieurs éléments matériels représentant les paysans, ayant sur la tête ou au bras des baluchons en direction des villes, l’expression est également sobre ; le fond est en jaune-rose et en son milieu, les paysans sont en file indienne. Cette œuvre est semblable à La Longue Marche (11), 100×80 cm, avec les marcheurs en file indienne tout en bas, mais avec un filet de pêche collé au centre-bas ; des traces de brindilles sous forme de ramifications s’éparpillent sur toute la surface de la toile ; l’œuvre comporte ainsi deux parties ; celle du haut, représentant les 2/3 de la toile, en rouge-rose, est parsemée de traces et du filet ; la partie basse (1/3), en gris-noir, englobe les marcheurs.

Le second registre, celui de la quotidienneté sénégalaise, contient des œuvres qui se rapportent à des faits sociaux ponctuels, vécus dans la société, récurrents ou passagers. Ainsi, Jeu de Dames est un fait de société, très connu et très prisé par une frange de la population constituée d’adultes à la retraite ou en chômage ; La Tabaski est une fête religieuse musulmane, appelée aussi « fête du mouton » ; elle est la plus importante de l’Islam ; le puits est une réalité de la société sénégalaise, où les femmes vont chercher l’eau et en reviennent avec une bassine ou un seau sur la tête ; de même, le commerce dans la rue est une donnée ou une réalité sociale courante ; ainsi La Vendeuse et l’Enfant, arpentant les rues, est une image familière. La Femme au Grand Boubou est également une image fréquente dans la société. Le « phénomène Bine-Bine » est une pratique récente à laquelle s’adonnaient généralement les jeunes filles pour provoquer les hommes et consistait à porter des ceintures de perles au-dessus des pagnes ou des jupes, alors qu’elles étaient portées d’ordinaire en-dessous.

Jeu de Dames (08), 46×33 cm, est une œuvre simple, abstraite à plus des 2/3, dont la couleur dominante, le rose-rouge, est tachetée de noir en divers endroits ; en bas à droite, l’élément figuratif est constitué de deux personnages assis sur une natte, un damier placé entre eux ; donc en train de jouer. Dans cette petite œuvre, l’expressivité réside dans le traitement de la couleur et révèle que Louis Bassène réussit des créations sans récupération ni collage.

Opération Tabaski (09), 102×72 cm, est toute différente dans le traitement de la couleur ; à l’uniformité chromatique de Jeu de Dames s’oppose ici la dégradation de la couleur qui crée différentes nuances sur la surface de l’œuvre ; sur celle-ci, diverses tonalités apparaissent : le rouge et le rose, le gris et le noir. Mais, comme Jeu de Dames, Opération Tabaski est presque entièrement abstraite, les éléments figuratifs sont situés en bas à gauche, à travers des moutons et deux personnages, sans doute entrain de marchander.

La Vendeuse et l’Enfant (09), 95×88 cm, est semblable par le traitement aux deux œuvres précédentes ; une seule couleur déclinée, le rose-rouge, mais comportant des formes esquissées par adjonction de jaune sur la surface de l’œuvre ; la femme et l’enfant, ainsi que divers objets (cases, ustensiles et personnages, situés en bas de l’œuvre), indiquent qu’il s’agit d’un village dans lequel les deux personnages exercent leur commerce ambulant. Cette œuvre est plus animée que celles qui précèdent. _ La Femme au Grand Boubou (08), 197×87 cm, est également une œuvre abstraite ; une couleur, le marron, est déclinée ; ce qui produit diverses nuances sur la surface, dont la périphérie, sur les quatre côtés, est moins concentrée, donc plus claire. Le personnage de la femme est campé au milieu de l’œuvre, par la concentration de la couleur. Quelques éléments figuratifs, des personnages et divers objets au centre-bas.

Chasseur de Bine Bine, 101×70 cm, est très expressive : 5 femmes représentées par des ceintures de perles sont allongées en bas, comme pour attendre et attirer les hommes qui, au-dessus d’elles et au nombre de 7, semblent se ruer sur elles. Tout en servant de fond, le jaune est décliné et tacheté de noir. Cette œuvre est semblable à Communauté villageoise.

Serpent Bine Bine (09), 77×56 cm, est plus abstraite ; quelques petits éléments figuratifs, placés en bas de l’œuvre, représentent le serpent (une ceinture de perles) et quelques femmes debout. Ici, le traitement réussi de la couleur (le noir en bas et le rouge en haut) crée l’illusion de profondeur et rend l’œuvre très douce et très élégante.

Enfin, les œuvres du dernier registre, celui de la contemporanéité, renvoient à des valeurs et à des institutions, qui sont ici, comme pour les faits historiques et les phénomènes sociaux précédents, des prétextes de création artistique. La figuration n’est pas réellement recherchée ; un ou quelques objets ou éléments formels suffisent à représenter la réalité à figurer.

La Croix rouge (10), 104×60 cm, est une institution universellement connue, qui lutte pour atténuer, à défaut de faire disparaître, la souffrance humaine, en temps de guerre comme en temps de paix. Son combat comme son œuvre depuis sa création sont unanimement reconnus et salués. C’est donc un prétexte, pour Louis Bassène, de magnifier cette mission à travers cette pièce, modeste sous tous les registres. Le traitement plastique se ramène à la déclinaison d’une couleur qui produit diverses tonalités, allant de l’oranger au rose, puis au jaune et au noir ; la périphérie de l’œuvre est en gris. De minuscules formes en bas de l’œuvre représentent l’humanité, sur laquelle veille La Croix rouge (en bas à droite, en blanc et croix rouge).

Le Rameau, 85×78 cm, est sans doute une des œuvres les plus réussies de Louis Bassène au cours des dernières années. Œuvre presque entièrement abstraite ; le noir et le gris déclinés et parsemés d’éclairs roses ; en bas de l’œuvre, le rameau avec ses ramifications en bleu indigo, en blanc et en orange, l’insigne d’un culte traditionnel africain, la croix du Christianisme et le croissant blanc de l’Islam, situés au début, au milieu et au bout du rameau.

Union monétaire africaine, 150×203 cm, est une aspiration en même temps qu’un vœu des populations africaines, des hommes politiques comme des économistes, depuis plusieurs décennies, mais qui ne se réalise toujours pas. Cette œuvre est semblable à Rameau, par le traitement plastique ; mais ici le rameau est situé en haut de l’œuvre et en est le seul élément formel ; le reste de l’œuvre est en noir et en bleu ; le noir est à la périphérie et le bleu concentré au centre où il est décliné pour produire des éclaircis et des ramures.

Ces deux œuvres sont à la fois agréables et calmes.

CONCLUSION

Dans la production actuelle de Louis Bassène figure une œuvre inédite et unique dans son genre, mais caractéristique de la créativité de cet artiste qui, comme indiqué précédemment, varie les registres, les techniques et les thématiques en fonction de son inspiration, tout en étant à l’aise dans ses variations et ses changements.

Cette œuvre : Le Dauphin (09), 153×130 cm, est une sculpture, à la fois récupération et assemblage, pour ne pas dire installation. La singularité de l’œuvre réside d’abord dans l’idée née de l’observation d’un bout de bois, qui fait figure, dans l’imagination de l’artiste, de dauphin ; le travail créateur a ensuite consisté à présenter le bout de bois sous cette forme, monté sur un ferrage métallique servant de socle pour maintenir le dauphin et le présenter sous sa vraie allure. Œuvre à la fois simple et expressive, qui n’a véritablement pas requis un travail fastidieux. L’idée surgie de l’observation a suffi à organiser le montage.

Tout cela pour dire que Louis Bassène a atteint un niveau de créativité tel que son expression plastique est désormais sobre. Il se contente de peu. A l’image de beaucoup de grands créateurs, il a atteint ce niveau où un signe, un symbole, une trace ou un objet quelconque, suffisent à représenter une chose ou une réalité. L’expression se suffit de peu pour dire ce qu’elle a à dire. Comme Pablo Picasso dans Tête de Taureau, œuvre dans laquelle Picasso a réalisé une sculpture, précurseur de cette mode et cette technique en même temps et qu’on nomme désormais installation : une selle et un guidon de vélo accolés ont constitué Tête de Taureau. Comme Moustapha Dimé dans Buste (1992), qui crée cette sculpture en ramassant un morceau de bois de fromager calciné, qu’il monte sur une direction de voiture, dont le volant forme le socle.

  1. Pablo PICASSO, Tête de Taureau, 1909, sculpture, cuir sur métal, 33,5×43, 5×19 cm
  2. Moustapha DIME, Buste, 1992, sculpture, bois/fer, 135x45cm
  3. Louis Bassène, Le Dauphin, 2009, sculpture sur bois, 153x130cm

Les créations de Louis Bassène se caractérisent actuellement non seulement par la simplicité et l’expressivité, mais également par l’équilibre et la sobriété, effets à la fois d’une maîtrise technique et d’une créativité mature. Cette maîtrise technique et cette maturité créative transparaissent en outre au plan chromatique, dans lequel n’apparaissent ni extravagance ou excès, ni contradiction ou opposition.

C’est également ce qui lui permet de mettre tantôt l’art et la technique au service de la culture, tantôt la culture au service de l’art et ou de la technique, avec aise et panache.

BIBLIOGRAPHIE

BASSENE, Louis, Exposition. CYCLES, Catalogue, Dakar, édité par Typic Arts Gallery, 2012 (non paginé).

BASSENE, Louis, Curriculum vitae, non publié, 3 pages.

MANGA, Ala, « Le Of Awii, un terroir ancré dans la Tradition », non publié, 2 pages.

SYLLA, Abdou, « Présentation de Louis Bassène », Dakar, in Ethiopiques, n°88, 2012, p. 227-232.

TENDENG-WEIDLER, Odile, « Le Statut de la Femme dans la Famille Joola : l’exemple de la Femme Banjal, non publié, 2 pages.

TENDENG-WEIDLER Odile et al., « Mof Awii. Le Royaume Afiledio Manga », non publié, 6 pages.

[1] IFAN Ch. A. Diop, Université Ch. A Diop de Dakar.

[2] Christian Bourgeois était responsable du département des spécialités technico-artistiques de l’audio-visuel ; Philippe Salmon était professeur de couleurs et de recherches graphiques et Jean-Paul Fatout était professeur en environnement et en communication.

[3] HALEY, Alex, Racines, Paris, Editions Martinsart, 1977 pour la version française, tomes 1 et 2- tome 1 : 313 pages, tome 2 : 326 pages.

[4] Par exemples : Golo et Ampa, de Janick GAZIO, Dakar, NEA ; Tête errante, de Kémado TOME, Editions Contes sérères ; Aliou et Jean, Editions Sciences et Service-Quart-Monde.

-UNE APPROCHE CRITIQUE DE L’ART CONTEMPORAIN : DE L’INSTITUTIONNALISME AU FONCTIONNALISME

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