Développement et sociétés

LE SOLEIL ET LE VENT AU SERVICE DU DEVELOPPEMENT

Ethiopiques numéro 7

Revue socialiste

De culture négro-africaine 1976

Dans le domaine des énergies renouvelables et particulièrement de l’énergie solaire la recherche sénégalaise a été à l’avant-garde des progrès réalisés dans la mise au point de certains équipements destinés pour la plupart au monde rural. Alors que dans beaucoup de pays, l’objectif essentiel des recherches était de trouver un palliatif aux sources fossiles d’énergie devenues subitement chères et agressives vis-à-vis de l’environnement, au Sénégal l’accent a toujours été mis sur l’utilisation des énergies douces pour l’exhaure de l’eau, en vue de l’alimentation des hommes et des animaux dans nos régions semi-arides.

Les travaux de recherche sur les capteurs plans et sur le moteur fonctionnant suivant un cycle de Carnot ont été entrepris depuis vingt ans à l’Institut de Physique Météorologique de la Faculté des Sciences de l’Université de Dakar sous la direction de feu le Professeur Henry Masson. Cet ancien doyen a été un vrai précurseur dans ce domaine particulier de la conversion thermodynamique de l’énergie solaire. Déjà en 1948 il consacra sa thèse de doctorat d’Etat à « l’eau de condensation atmosphérique et la végétation », avant de publier pour la première fois en 1957 dans le bulletin de l’Ecole de Médecine de Dakar ses travaux sur « le moteur solaire dans les régions arides ». Ces recherches ont été menées d’abord sur toute une série de prototypes strictement expérimentaux :

– Le premier, « Somor », utilisait du gaz sulfureux (toxique) comme fluide caloporteur et ne comportait pas de capteurs. Ce fluide à l’état liquide était exposé directement aux rayons solaires. Devenu gazeux et comprimé, i1 se détendait et actionnait un moteur à expansion solidaire d’une pompe. Enfin refroidi et liquéfié au contact de l’eau pompée, il était réinjecté dans le circuit.

– Le second, « Secra », a permis de montrer qu’il était possible de réaliser, sans concentration de rayons, un moteur solaire, en utilisant l’eau comme véhicule pour transporter la chaleur depuis l’insolateur jusqu’au fluide proprement dit, en l’occurrence le chlorure de méthyle.

– Quant au troisième, « Ittec », il dérive du second en multipliant par 50 la surface d’insolation et en remplaçant le chlorure de méthyle par du fréon 12. Son fonctionnement était très instable à cause de l’extrapolation trop importante.

Ces expériences ont abouti dès 1966 à un modèle industriel baptisé « Nadje » qui a permis de mesurer dans le temps tous les paramètres dont la maîtrise est indispensable pour assurer un fonctionnement stable.

Depuis 1968 un deuxième prototype industriel plus perfectionné (« Segal ») fonctionne en routine sans incident. Avec 88m3 de surface de captage, il assure un débit horaire de 3 m3 sous une hauteur manométrique totale de 30 mètres. La réalisation de ce dernier a été menée en coopération étroite avec les établissements Pierre Mengin à Montargis (France) et son perfectionnement jusqu’au stade actuel de la production en série est à mettre à l’actif de la Société Française d’Etudes Thermiques et d’Energie Solaire (SOFRETES).

De nombreux pays ayant des zones arides et semi-arides se sont intéressés au développement de cette technique (Malt, Haute-Volta, Niger, Mauritanie, Iran, Mexique, etc.). Ainsi une hydro-pompe solaire de la première génération est expérimentée par l’« Onersol » au Niger, tandis qu’une autre de la seconde génération est en service à Chinguetti (Mauritanie) depuis 1973.

Si le Sénégal a été à la base de cette réalisation technique, il faut reconnaître que la diffusion de celle-ci dans le monde rural n’a démarré que depuis deux ans seulement, sous l’impulsion de la Délégation Générale à la Recherche Scientifique et Technique dans le cadre de l’opération baptisée « Dieurignou Diant ». Avec l’aide de l’ONUDI et du Fonds Français d’Aide et de Coopération (FAC), cette délégation a entrepris depuis juillet dernier l’installation de cinq pompes respectivement à :

 

– Hann (lnstitut de Physique Météorologique) (ONUDI),

– Mérina-Dakhar (Région de Thiès) (FAC).

– Niakhène (Région de Thiès) (F AC) ; – Méouane (Région de Thiès) (FAC) ;

– et Diagle (Région du Fleuve) (FAC).

 

La première pompe, qui est déjà opérationnelle depuis novembre dernier, va permettre à la recherche de procéder à des améliorations et à des modifications techniques, dans le but d’augmenter son efficacité et de tester l’utilisation de matériaux locaux, afin de réduire au minimum l’importation des éléments de pompe et des accessoires.

Quant à la seconde, elle a été inaugurée en mars dernier par M. le Ministre du Plan et de la Coopération. Avec un débit journalier de 15 m3, elle alimente un château d’eau de 8 m3, relié à deux bornes siphoïdes de 3 m3 et à des abreuvoirs, le bâtiment sous capteurs comporte une salle de réunion et deux bureaux pour la Communauté rurale de Mérina-Dakhar dont le chef-lieu est passé de 500 à 800 habitants depuis l’installation de la pompe solaire.

Le coût d’une telle réalisation est de l’ordre de 10 millions de francs CFA.

La mise en service des trois autres pompes est prévue pour le mois de juillet au plus tard. Elles permettront toutes de tester, in situ, le comportement du matériel, son coût réel d’exploitation, sa fiabilité, ses avantages et inconvénients, avant de procéder à la généralisation des installations solaires à basse température, à l’exemple du Mexique qui vient de mettre sur pied un vaste programme national comprenant la mise en place de mille pompes solaires de 1kW et d’une centrale de 30 kW déjà opérationnelle depuis le mois de septembre 1975 à San Luiz de la Paz.

A côté de ces réalisations concrètes dans le domaine de la conversion thermodynamique pour de petites puissances, il faut signaler l’existence d’un certain nombre de projets dans le domaine des moyennes puissances intéressant toutes les formes de conversion.

Ainsi l’installation d’une centrale solaire de 60 kW est prévue dans la moyenne vallée du Fleuve.

Cette unité permettra l’irrigation permanente d’une centaine d’hectares de sol « Fondé » ou « Hollaldé » et favorisera donc la diversification des productions agricoles ; grâce à elle on pourra entraîner les populations à l’utilisation rapide des futurs grands projets d’aménagement.

D’autre part, on envisage d’expérimenter un moteur solaire de 10 kW dans les environs de Dahra pour tester son comportement par rapport aux moteurs diesel de même puissance qui alimentent actuellement la plupart de nos forages de la zone sylvopastorale.

Enfin, une centrale électrique, à base de photopiles pourrait voir le jour à titre expérimental en vue de l’alimentation en eau d’un village isolé. Signalons l’existence, au Laboratoire des semi-conducteurs de la Faculté des Sciences, d’une station expérimentale de pompe solaire à base de photopiles.

 

Une énergie nouvelle, millénaire

Bien que l’énergie éolienne soit une des plus anciennes puissances naturelles domestiquées sous forme mécanique, principalement pour la traction des navires et l’entraînement des meules des moulins et des pompes, elle a toujours été traitée en parent pauvre vis-à-vis de l’énergie solaire, malgré la crise énergétique mondiale et la lutte contre la pollution sous toutes ses formes.

Le Sénégal n’a pas échappé à cette règle malgré les tentatives timides d’installation d’éoliennes dans la région de Louga vers les années 1966 – 1967. Ces dernières n’ont pas pu « se mettre dans le vent » à cause de leur coût et des difficultés de maintenance.

C’est ainsi que les centres de recherche ont tout d’abord orienté leurs travaux dans ce domaine, vers la mise au point d’une technologie appropriée, simple, fiable, peu onéreuse et tenant compte des conditions météorologiques propres au Sénégal (en particulier l’existence d’un vent très tourbillonnant. Ces considérations ont mené les chercheurs à opter pour un système de capteur de vent type « Savonius » à axe vertical qui rappelle les fameuses panémones retrouvées dans les vestiges des civilisations de la Mésopotamie. En effet, ce système dont l’illustration la plus simple est donnée par des tonneaux coupés en deux et montés tête-bêche, n’a pas besoin de « se mettre dans le vent » ; il est susceptible de « le prendre » quelle que soit sa direction, à l’instar du vieux « moulinet ».

Un premier prototype a été réalisé en juillet dernier par l’Institut Universitaire de Technologie. Un deuxième, plus perfectionné et susceptible d’être fabriqué en série avec des matériaux locaux, fonctionne depuis le mois de mars 1976. Il débite en moyenne 400 litres/heure à une profondeur de 20 mètres. Son coût actuel est de 300.000 F. CFA.

Parallèlement à cette recherche de techniques peu sophistiquées, l’Ecole Polytechnique de Thiès est en train de tester des éoliennes à axe horizontal pour le pompage de l’eau dans les Niayes.

Du point de vue des projets dans ce domaine, notre but est de construire des éoliennes à axe vertical dix fois plus puissantes que celle qui existe en ce moment, et de les coupler aux pompes scolaires classiques, afin de résoudre, en partie, le problème du stockage de l’énergie solaire tout en diminuant le coût du mètre cube d’eau pompée.

 

Les citadins et soleil

Dans notre effort de recherche en direction du monde rural, les citadins n’ont pas été oubliés, car, d’ores et déjà, l’Institut de Physique Météorologique a mis au point des chauffe-eau solaires conçus avec des matériaux locaux, susceptibles d’être fabriqués en série à des coûts inférieurs à leurs homologues électriques.

La capacité actuelle des chauffe-eau solaires fabriqués à l’I.M.P. est de 340 litres. Ils sont équipés de deux modules insolateurs de 4 m2 à simple vitrage. Leur prix de revient est estimé à 167.000 F. en version prototype ou 126.300 en version fabrication en série. Dans le même type de production, il est prévu des chauffe-eau d’une contenance de 200 litres équipés d’un seul module insolateur et des chauffe-eau de 520 litres équipés de deux ou trois modules insolateurs suivant option. La gamme des possibilités est donc large afin de répondre de manière optimale aux besoins des différents utilisateurs, à savoir :

– les maisons individuelles

– les immeubles, dispensaires, hôpitaux, complexes hôteliers, piscines, etc.

– les cuves de stockage des industries.

Les premiers efforts de la Recherche sénégalaise en matière d’énergies renouvelables ont porté sur la conversion thermodynamique et chauffage direct.

Le second effort a conduit à expérimenter l’énergie du vent, la conversion photovoltaïque et à lancer la vulgarisation des équipements déjà existants.

Actuellement, le souci de la Recherche est de rester au service du développement économique et social du pays, en procédant à la valorisation systématique de nos ressources locales, en favorisant la promotion de techniques adaptées à nos réalités, afin d’éviter l’échec du développement par transfert mimétique des solutions en provenance des pays développés.

Dans cette optique, et grâce à l’aide généreuse du Programme des Nations-Unies pour l’Environnement, des études de faisabilité sont entreprises en vue de la création d’un Centre Rural Expérimental d’Energie à Niagourey dans le département de Louga.

Il s’agit essentiellement d’une expérience pour l’utilisation intégrée des différents types d’énergies renouvelables (le Soleil, le Vent, le Biogaz) dans une zone semi-aride, dépourvue de courant électrique classique, afin de résoudre au moindre coût, pour un village d’environ 200 familles, trois types de besoins énergétiques destinés à :

 

– l’exhaure de l’eau pour l’alimentation des hommes et des animaux ; –

-la cuisson des aliments afin de lutter contre l’utilisation du bois de chauffe et du charbon et par conséquent contre la déforestation ;

– l’éclairage des habitations.

 

Au fur et à mesure du développement de ce centre, et compte tenu des résultats obtenus, d’autres besoins, non moins fondamentaux pour nos populations rurales, pourront être satisfaits dans ce centre. Nous pensons à la production de froid pour les pharmacies villageoises et la conservation des denrées alimentaires, à la distillation des eaux chargées en sels minéraux, à une climatisation rudimentaire des locaux, et l’irrigation totale de certains petits périmètres en saison sèche et partielle en saison des pluies.

Ce centre qui n’existe en ce moment dans aucun pays du monde, et auquel le gouvernement attache une importance toute particulière, pourrait, à long terme, favoriser la naissance de petites industries non polluantes, adaptées à nos réalités et capables d’occuper nos ruraux pendant la saison sèche. Il sera également une source d’inspiration pour nos jeunes ruraux ayant suivi en particulier le cycle complet de l’enseignement moyen pratique, dans leurs tâches quotidiennes d’amélioration et de rationalisation des méthodes traditionnelles de travail avec les moyens dont ils disposent.

Bref, la finalité de ce centre est de démontrer qu’avec des techniques peu sophistiquées et des moyens modestes, on peut élever le niveau de vie des villages déshérités du Sahel, en leur assurant une indépendance énergétique, grâce à une combinaison judicieuse des trois formes d’énergie douce.

L’exploitation des énergies renouvelables n’en est qu’à ses premiers balbutiements tant par la faiblesse des effectifs de chercheurs qui s’y consacrent que par la modicité relative des moyens qui y sont affectés. Cependant, une prise de conscience généralisée sur leur potentialité se développe et les gouvernements commencent à s’y intéresser. Les premiers prototypes d’équipements utilisant les énergies renouvelables qui existent actuellement seront nettement améliorés grâce aux études et recherches en cours.

Le récent colloque de Toulouse (début mars 1976) sur l’énergie solaire a révélé qu’il existe des projets ambitieux en la matière, et un pays comme les Etats-Unis s’est fixé comme objectif pendant le premier quart du 21e siècle l’utilisation de l’énergie solaire pour la satisfaction d’environ 20 % de ses besoins énergétiques en électricité.

Bien que les moyens du Sénégal soient limités, notre pays est décidé à participer à l’effort général d’investigations et surtout à en tirer le meilleur profit ; le futur Centre d’Etude et de Recherche sur les Energies Renouvelables (C.E.R.E.R.) qui doit prendre le relais de l’Institut de Physique Météorologique (I.P.M.) jouera un rôle déterminant en la matière.