Poésie

LE PRINTEMPS GAGE

Ethiopiques n° 43

revue trimestrielle

de culture négro-africaine

4e trimestre 1985 volume III n°4

Mes mains ô mon arbre enfant ne t’ont pas porté

aux jours de ce lieu que ta couronne réjouit.

Tu me fus donné déjà saisi de cette terre.

Combien savais-tu d’années avant de me connaître ?

Dix peut-être, mais c’est un bien jeune âge

pour celui qui vit le nom de magnolia !

J’avais remarqué l’ombre de ton cou gagnant,

et la ronde fierté de ton collier naissant.

Les pâquerettes s’accordaient à ta présence,

si le grand bois écartait son expérience.

C’était bon de te savoir porteur de promesses

debout, seul, en cet endroit tranquille, où le pré

d’un coup de tendresse dénude l’horizon.

Parfois l’existence obéit aux abandons.

Toi, tu grandissais, et moi je partais.

J’outrageais de mon départ tes premiers sourires.

Comment aurais-je fêté ta fleur certaine ?

Du lointain où j’étais, d’autres amours me parlaient.

Je t’oubliais, petit, toi qui m’appartenais.

J’étais fière, et de mon travail préoccupée.

Comme les marcheurs de Dieu, poussée par quelle foi,

j’arpentais à grandes foulées de joie

la terre des autres, négligeant la mienne.

Mon gentil, crois-moi, je n’étais pas coupable,

la vie, tu le sais bien, quel drôle de mépris,

celui que l’on t’impose, celui que tu délivres !

Cette erreur involontaire chagrinait ma terre,

l’injustice a brusqué les retours imprévus,

le refuge prend nom d’exil ou de refus,

mais l’aide du temps innocente le regard.

Il m’en a fallu pour revenir jusqu’à toi !

Me reprendre moi-même et repérer la joie.

Qu’aurais-tu fait d’une présence à l’œil absent ?

Que ce printemps gagé me donne, magie des mots,

l’éternité du chant que ta quinzième année

par un matin frais rendit à toute beauté.

J’avais déjà rencontré les pâquerettes

qui s’installent en colonie d’innocence.

Ecarquillant des pointes leur fierté nouvelle,

chaque nichée construit l’histoire naïve

des doigts tenaces, de la fraîcheur fortuite

L’espace des arbres s’occupe de renouveau,

un écran de printemps entre chaque branche

d’heure en heure verdit les ogives du ciel.

Promesses et neuves tendresses, que manque-t-il ?

Je te trouvai un matin, ébloui de ta fête,

la nuit ayant posé sur toi les yeux radieux,

ceux qui ornent le regard de plénitude.

Vrai Seigneur du terrain, mon gentil magnolia

tu offrais cent coupelles aux pétales d’oraison,

où le rose, le mauve, et le violet moiré

attiraient la grâce dans un éclatement

de floraison, aux bordures de déraison.

Comme tu étais beau à ton pied attaché,

enfant épanoui de la plus forte terre,

la tête arrondie des offrandes d’absolu,

arquée vers le ciel qui te voulais pour frère,

le chant du sol glorifiant aux orgues d’étamines

le rite de pollen, le défi de garance !

Mon petit, ma merveille, comment ai-je pu

courir le monde, alors que tu montais

cette histoire unique de sève et de ronde ?

Je regarde avec mon cœur, c’est l’espoir qui parle,

ces pétales ont l’agrément des visages mariés,

visages confiants, signes d’encouragement

qui présentent d’amour le secret de graine,

ce message renouvelé à bouche d’opale.

Je regarde ces mots qui sortent de la terre,

et je peux les toucher, c’est comme un rire en moi,

je regarde la joie s’immiscer de rose,

sous l’amitié d’un soleil révélateur.

je regarde, je suis changée, je n’ai plus froid !

J’ai ma gloire à moi, et je puis la revoir,

le matin comme le soir, et toute la journée,

mon pré porte couronne de fleurons changeants

qui s’ouvrent, qui se ferment, caressant le mauve

ou piquant le violet à la tête des feuilles,

mais le rose l’emporte qui mange les pétales

jusqu’à la pointe réussie de l’enthousiasme.

Mon petit couronné tu châties tous les rois !

L’air que tu respires rend la pureté.

Si fière d’avoir produit l’accord des graves

la terre scelle l’autour de toi sa reconnaissance,

les joints verts de la jeunesse pour te sertir

Ma rosée rire frontière, perle irisée

la parure renouvelée d’un amour frais.

 

Moi la proscrite et que l’on voulut rompue

qui fut hersée, fille des joncs vulnérables,

que le piétinement jasé s’assemble au tronc

de cet enfant radieux, foyer des grâces délivrées !

Rebelle au lieu consigné, tends la main du cœur flétri,

qu’elle vivifie ses veines de confusion sous

l’étreinte fleurie des paumes d’amour !

Chaque coupe rafraîchit mon tort de vaincue.

J’incendie mes yeux de pulpe incandescente,

comme un fer rouge qui s’attarde au feu.

Ce grand cri de terre, ce triomphe soudain,

l’ovation certaine en couronne de fleurs,

et le goût d’aimer comme une fierté d’être

goût de t’aimer dans la charité de terre,

connais ce cri de paix aux racines d’ombre,

lourdes et noueuses, perverses aussi,

enchevêtrement, corruption, secret de corrosion,

tout ce qui lancine les mémoires touffues,

ce qui perpétué le renouveau aux temps lents,

aux gestes ardus, et soudain ce cri,

la pureté astreinte, et le soleil magnifié !

Tendre bat le cœur qui salue la beauté,

libre marche celui qui parle à son injure.

Mon ami, mon tout beau, parole essentielle,

tu fleuris pour moi tes vérités lustrées.

Le matin ensemence la caresse lumineuse,

les étoiles poussent au pré, soupirs de nuit

qui endiablent de mille feux les promesses du jour.

Laisse-moi chanter et encore chanter ton dû,

où pourrais-je trouver plus doux, où plus rendu ?

J’affirme l’an prochain ma vie si elle respire,

enfant je serai là à la même place.

Tu me diras de ton hiver tous les tourments,

le froid, le silence, et la verte évolution

de la volonté d’être au chemin de lumière.

Mes mains aux assises de germe retrouvées

revaudront la promesse à ceux qui suivront

mille fleurs en oiseaux, la portée des sillons,

merci ô mon gracieux, tu me les as rendues.