Notes

LE POLYTHEISME HINDOU d’Alain DANIELOU (Edition Buchet Chastel)

Ethiopiques numéro 33

revue socialiste

de culture négro-africaine huitième année

Nouvelle série volume 1 n° 2

2ème trimestre 1983

Il est difficile de résumer en quelques lignes un ouvrage de plus de 600 pages, surtout lorsqu’il s’agit d’un livre de la densité de celui que présente Alain Daniélou sur « Le Polythéisme Hindou ».

Puisqu’il est question des dieux du Panthéon hindou, c’est évidemment à la Trimurti que l’on pense tout d’abord, Brahma, Vishnu et Shiva, mais les mots ne doivent pas faire illusion ; ces dieux n’ont rien de commun avec l’Existant suprême des religions monothéistes ou encore avec la Trinité des personnes dans le christianisme. Nous sommes, avec l’hindouisme, dans un autre régime de la pensée. L’existence comme clé de voûte de l’être dans la pensée : onto-théologique des monothéismes est ravalée dans la métaphysique hindoue à une manifestation de l’illusion (Maya) ; les dieux de l’Inde n’existent donc pas au sens où le dieu d’Abraham existe, puisque l’existence, qu’elle se rapporte aux dieux ou au monde, est le fruit de l’illusion. Alors qe faut-il voir, en ces dieux du Panthéon hindou ? Une personnification des tendances fondamentales qui gouvernent le monde illusoire aussi bien physique que mental, auquel nous appartenons. La philosophie hindoue en compte trois : sattva est une force centripède qui tient ensemble dans la nature les éléments dont elle est composée ; elle crée la cohésion ; c’est par elle que l’existence à proprement dit se manifeste, tant dans le moi que dans l’univers physique, car il n’y a pas d’existence sans cohésion et unité ; sattva est personnifié par Vishnou, l’Immanent, le Préservateur de l’Univers ; tamas est la tendance centrifuge, la puissance d’annihilation de toute existence individuelle et cohésive ; elle représente la libération de tout ce qui est individuel et limité ; elle est personnifiée par Shiva, le Seigneur du Sommeil ; quant à rajas, elle est la tendance dynamique, personnifiée par Brahma, l’être immense au-delà de toutes les catégories du manifesté. Dans ce qu’elle a de plus original, la philosophie védique invite à dépasser tout ce qui est perceptible, tout ce qui est de l’ordre des formes, de l’existence, du déterminé. Dans un chapitre consacré à l’Etre cosmique, A. Daniélou montre admirablement comment, par delà la force d’illusion de l’existence, le dieu Shiva représente l’extase dans la mort, le double insaisissable de la vie, sans lequel il n’y aurait, par delà l’existence limité, l’espoir de nouvelles résurrections, de nouvelles métamorphoses, de nouveaux avatars.

Poétiquement, cette pensée du double, accompagnatrice de l’illusion mondaine, n’est pas sans faire penser à l’extase matérielle d’un Le Clézio. Mais la poésie rejoint ici, comme c’est souvent le cas lorsqu’elle descend suffisamment loin dans les arcanes de l’invisible, les pensées les plus métaphysiques des Védas, des Purinas et des Upanishads, car l’indéterminé, le sommeil, l’étendue sans limite, est aussi la substance de Brahma, d’où naît par la force de l’illusion (maya) tout ce qui se présente par le truchement des sens comme déterminé, circonscrit, existant dans les éléments du monde. Tous les autres dieux de l’hindouisme doivent se comprendre aussi dans cette optique.