Colloque : "la civilisation mandingue comme facteur d’intégration sous-régionale Ouest-africaine"

LE LAMBAN OU LE DJELI-DOUNDOUN

Ethiopiques numéro 57-58

revue semestrielle de culture négro-africaine

1er et 2e semestres 1993

Malgré la décrépitude des temps qui cause la ruine aux édifices de la Civilisation africaine, des chansons épiques nous rappellent les glorieuses épopées de nos conquérants d’illustres mémoires. La « LAMBAN  » par exemple est un grand message du Manding médiéval : c’est l’hymne des griots ; l’hymne qui rend hommage aux grands maîtres de la parole et enseigne la vie des griots à travers leurs fonctions sociales dans la structure organisationnelle des sociétés ouest-africaines.

La Lamban est donc née du Manding médiéval. Mais que veut dire ce nom ? Remontons à la conférence de Kourou-Ken fouga, conférence constitutionnelle du 1er Empire Manding avec son 1er Empereur Naren Mankan Diata ou Soundiata Keïta d’illustre mémoire.

Nous savons qu’en 1235 Soundiata battit Soumaoro Kanté à la Bataille de Kirina. Soumaoro Kanté, le gigantesque et redoutable Roi de Sosso, avait alors réduit le Manding à sa plus simple expression.

Ce grand cap passé, Soundiata regroupe autour de lui tous les petits royaumes qui l’entouraient pour constituer le 1er Empire Manding. Il convoqua une grande conférence dans un très vieux champ de bataille devenu à son temps une belle et vaste clairière appelée « Kourou-Kéng-fouga ». Là, il procéda à la constitution de l’Empire et à la réparation des « Ton » c’est-à-dire chef de Province.

A la nuit tombée, tous les griots ici présents, qu’ils soient de Sosso ou de Gao, se sont retrouvés pour organiser une grande veillée et fêter « L’Union Manding ». Ne devaient prendre part à cette veillée que les griots seuls. Tous les autres n’étaient que de simples spectateurs, y compris l’Empereur lui-même. Combien de chansons ont été composées et chantées cette nuit là ? Combien de proverbes d’adages, de dictons ? Les griots rivalisaient dans l’art de capter l’attention du public, on chantait, on dansait dans de grands boubous avec l’ampleur gracieuse de tous les mouvements du corps : balancements des membres de la tête aux pieds, avec des pas imitant les sauts cambrés des chevaux de guerre. Il y avait de l’enthousiasme et de l’abondance. Il y avait assez de tout. Comble de bonheur et d’enseignement ! C’était « Lamban » c’est-à-dire assez de tout ! La Lamban est encore appelée Djeli-Doundoun.

C’est pour commémorer cette grande nuit que chaque fois, quand les griots veulent faire la toiture du vestibule sacré des griots à Kaaba (République du Mali) ils organisent la « Lamban » en veillées, à la mémoire et à l’image de leurs ancêtres de Kourou-keng-fouga. Voilà comment et depuis quand la Lamban est devenue l’hymne des griots.

FONCTION SOCIALE DU GRIOT

A travers les multiples versions de Lamban, les griots définissent eux mêmes leurs fonctions et situent leurs places dans toutes les organisations traditionnelles : qu’il s’agisse de « L’Afrique du cheval » ou de « L’Afrique des Tribus »

En effet, le griot est un membre très important de notre société contrairement aux attributions marginales qu’on lui fait quelquefois trop gratuitement surtout quand la pensée se prostitue au comportement démissionnaire de certains instrumentistes, vadrouillant de lopin de terre en lopin de terre en véritables colporteurs de pacotilles musicales. Ce genre de griots est généralement incapable de produire des veillées éducatives.

Les vrais griots demeurent attachés au patrimoine culturel de l’Afrique dont ils ont charge d’offrir l’histoire réelle à l’humanité. Ils sont respectés et sollicités partout. N’est-ce pas Fadama Mamadi Condé, fils de feu Fadama Babou ? Elhadj Diéli Mamoudou Kanté, Karamoko Adama Dioubaté et pour ne citer que ceux-ci parmi tant d’autres ?

Il n’y a que les griots pour révéler à l’histoire les énormités surannées de certains règnes et les repaires de nos fantômes disparus dans la fumée messagère de nos contes et légendes. Sans les griots, l’Afrique ne serait peut-être aujourd’hui qu’une simple corniche où sont passées les grandes civilisations ; elle demeurerait figée sur ses propres traces.

Les fonctions du griot étaient multiples et bien assises dans nos sociétés africaines. En grands maîtres de la parole, capables de griser les souverains dans leurs soucis d’Etat, les griots étaient les secrétaires permanents, les conseillers des trônes et de la cour royale. Ils avaient à cet effet charge de réciter la constitution du royaume par coeur pour en rappeler les principes à l’audience chaque fois que besoin se faisait sentir au cours d’un procès ou d’un conseil de notables.

Conseillers et témoins des règnes, voix des peuples et mémoires des temps, l’art des griots est, et demeure donc, un inamovible messager des temps et une arme efficace pour défendre les faibles, une berceuse pour consoler les victimes des règnes barbares.

LANGAGE

La confection du langage parlé est le propre du griot et son métier est béni car il relève avant tout du Saint-Coran avec son ancêtre Sora-Kandjan, l’interprète du Coran à la voix d’or. Sora-Kandjan le fidèle compagnon de lutte du Prophète Mohamet (paix sur lui).

SUCCESSION

Sans égoïsme et sans orgueil, chaque griot sentant la fin de ses années faner dans leur sénilité apprenait à son fils aîné ou à son suivant direct l’art secret de la parole forte pour continuer à orienter les hommes et les états dans la voix des bonnes actions, sans pour autant leur faire cesser d’être ce qu’ils sont.

Ainsi, dès qu’un adolescent héritait de son père ou de son frère, il devenait sage par l’exigence du métier. Il en avait aussitôt de grands soucis, car la moindre défaillance pourrait le rendre indigne de sa caste et humilierait ainsi sa mère, l’accusée principale des défauts de l’homme en Afrique. Alors pour perfectionner son art et le posséder sans calcul, le jeune griot offrait des concerts de paroles partout où il sera invité qu’il s’agisse de cérémonie rituelle, de mariage, de baptême, de départ ou retour des sofas des champs de bataille.

CATEGORIES DE GRIOTS

Pour mieux définir les fonctions du griot, il faut savoir distinguer les différentes catégories de griots, chaque catégorie relativement liée bien sûr aux autres mais spécialisée dans une pratique donnée. Il y a par exemple les « Kélé-manse-diéli ou djéli-gnara » qui sont les principaux maîtres de la parole.

Quand un domine les autres, on le nomme « Béléntigui » c’est-à-dire détenteur du sceptre.

Les « Balafo-diéli » ou griots instrumentistes. Il y a le « Séné-diéli » griots aux greniers pleins de termes à galvaniser le courage des grands laboureurs en hivernage.

Komah-Diéli : pour la profondeur occulte de l’Afrique des masques mystiques.

Les Komah-diéli détiennent les termes propres à rechercher les présences invisibles de l’âme africaine. L’incarnation du stade suprême du fétichisme au Manding, c’est le Komah qui ne sort que de nuit et très rarement. Seuls d’éminents féticheurs peuvent le voir passer. Tout le monde s’enferme au fond des cases ce jour là, dès après le crépuscule pour éviter le malheur de la rencontre qui sera une maladie incurable. Le Komah-diéli a une voix de crapaud, mais une voix qui fait trembler le coeur quand on l’entend dans la nuit profonde.

Les Kènè-diéli : griots spécialisés dans l’art de la circoncision ; il sont souvent de grands sorciers mais qui ne mangent pas l’homme, c’est souvent des forgerons.

Les Séréwa sont des paroliers ivres de proverbes et d’adages. Excellents chansonniers et danseurs à la fois, ils suivent les chasseurs et les grands guerriers. Ils composent un hymne à chaque exploit.

Les Finah traditionnellement, s’imposent aux griots de tous ordres. Ils ne chantent pas ; ils parlent à mots couverts. Ils sont spécialistes de la métaphore.

Leur rôle consiste à critiquer et dénoncer les fléaux de la société sans hésitation. Ainsi qu’on dit d’eux qu’ils sont des artistes très décontractés.

Si chaque vieillard qui meurt en Afrique est une bibliothèque qui brûle, chaque griot qui meurt en Afrique est aussi un musée qui s’envole.

-MESSAGE DU MINISTRE DE LA CULTURE

-DE LA POESIE MANDINGUE : LEURRE ET LUEUR

-LA CIVILISATION MANDINGUE D’HIER A DEMAIN

-LA CULTURE MANDINGUE COMME FACTEUR D’INTEGRATION SOUS-REGIONALE OUEST-AFRICAINE

-LE DJEYI DANS LA TRADITION MANDINGUE

-LANGUE NATIONALE ET SOLIDARITE NATIONALE

-LES RELIGIONS TRADITIONNELLES ET L’ISLAM COMME FACTEUR D’INTEGRATION