Philosophie, sociologie, anthropologie

L’ARTISANAT AFRICAIN À TRAVERS LES SOURCES ANTIQUES : L’APPORT D’HÉRODOTE

Éthiopiques n°s94-95.

Littérature, philosophie, sociologie, anthropologie et art.

Frontières et autres textes

2015

L’ARTISANAT AFRICAIN À TRAVERS LES SOURCES ANTIQUES : L’APPORT D’HÉRODOTE

Les sociétés africaines, au cours de l’Antiquité, ont excellé dans la création artistique. Leurs œuvres d’art ont longtemps suscité l’admiration des Perses, mais aussi des Grecs qui furent très tôt en contact avec eux. Divers produits, dont des statues, des masques, des vases et des bracelets, ont été créés par les artistes et artisans africains en Éthiopie, en Libye et en Égypte. L’historien grec Hérodote, qui effectua au Ve siècle un voyage en Afrique où il s’est intéressé aux hommes et à leurs coutumes, en fait état dans ses Histoires. Mais il faut souligner que ses informations et celles fournies par d’autres historiens grecs ne permettent pas d’avoir une connaissance exacte et approfondie de l’art africain antique.

En effet, au moment où l’Afrique entrait en contact avec l’extérieur, son génie artistique était en déclin, comme le confirme ce propos relatif aux civilisations africaines : « La pauvreté de nos ressources est due au fait que les civilisations anciennes (primitives) ont commencé à être étudiées lorsqu’elles étaient déjà en décadence » [2]. Cette réflexion vaut surtout pour les bracelets auxquels nous nous intéressons. Aucun document ancien, à notre connaissance, ne nous permet d’avoir un savoir complet sur le bracelet et son usage en Afrique. Toutefois, nous entendons partir du peu d’informations fournies par Hérodote pour étendre autant que possible nos connaissances sur le bracelet en Afrique. Ainsi, nous axerons notre réflexion sur la nature et les fonctions du bracelet, en comparant ceux dont se parent nos contemporains à ceux portés par les Anciens qui les créèrent, assurèrent leur perpétuation en les transmettant à des générations successives, restées encore ancrées dans leur coutume.

  1. NATURE DES BRACELETS

Pour ce premier point de notre étude, nous jugeons nécessaire de préciser, dès le début, que nous n’entendons pas faire un état de tous les matériaux utilisés, au cours de l’Antiquité, par les Anciens pour confectionner leurs bracelets. Toutefois, nous nous efforcerons de fournir une connaissance aussi large que possible sur les éléments constitutifs de ces objets de parure. Le travail ou la confection de bracelets ne fut au début l’apanage d’aucune corporation, chacun pouvait, en fonction des éléments à sa disposition, faire un bracelet qu’il portait sur une partie de son corps. Mais au fil du temps, surtout avec la découverte des métaux, la confection des bracelets fut dévolue à des personnes qui s’y s’ont consacrées et qu’on a parfois nommées des artisans ou des forgerons.

Bracelets d’origine animale et végétale

Les premiers bracelets confectionnés par les hommes furent d’origine animale et végétale. En effet, on trouve dès le paléolithique des bracelets faits de dents d’animaux ou de coquillages perforés. Ceux confectionnés avec des dents d’animaux pourraient être une production des chasseurs évoluant en pleine forêt. Plusieurs Africains, pendant l’Antiquité, à cause de la chasse qu’ils pratiquaient pour survivre, ont eu à porter comme bracelets des canines de carnassiers ou d’autres animaux enfilées sur une corde. Ce type de bracelet est encore bien connu des populations du Kordofan qui portent une tranche de défense d’éléphant perforée au milieu. Les bracelets en ivoire étaient nombreux en Éthiopie ancienne où pullulaient les éléphants et où les hommes ont travaillé plusieurs objets avec les défenses de ce pachyderme.

Il y eut également des bracelets faits de peau d’animaux. C’étaient des lanières de peaux d’animaux, en forme de ceinture, que certains Africains portaient autour du bras ou de la cheville. Leur existence est ainsi attestée, en Libye, par l’historien grec Hérodote : « À la suite des Maces viennent les Gindanes, dont les femmes portent aux chevilles nombre d’anneaux de cuir… » [3].

En revanche, les bracelets en coquillage sont produits par les populations vivant dans la zone côtière. En Afrique ancienne, précisément, on peut attribuer ce genre de bracelets aussi bien aux Égyptiens, aux Libyens qu’aux Éthiopiens puisque ces différents peuples avaient chacun un accès soit à l’Océan, soit au Nil. Aujourd’hui encore, la plupart des Africains vivant au bord de la mer font des bracelets avec des coquillages enfilés sur des cordes en une ou plusieurs rangées ou attachés sur des lanières de cuir.

Les bracelets d’origine végétale sont faits de tiges ou d’herbes de différentes plantes que les hommes tressent et portent aux bras ou aux chevilles. De nos jours, ils sont portés par des Africains lors des danses ou cérémonies, comme celles initiatiques ou rituelles. On observe surtout les bracelets d’origine végétale chez les peuples forestiers comme les Diola, au sud du Sénégal, et les Zoulou en Afrique du Sud. Les bracelets en bois taillé sous forme de cercle et portés aux poignets firent aussi leur apparition au cours de l’Antiquité africaine.

Bracelets en pierre

Leur origine remonte au néolithique lorsque l’homme commença à tailler la pierre pour fabriquer des outils répondant à ses besoins. Les bracelets en pierres taillées furent produits par les artisans tout au long de l’histoire du continent. En Égypte, par exemple, durant la période pharaonique, les joailliers réalisèrent des bracelets dont la beauté et le processus de fabrication étonnent encore plus d’un aujourd’hui. Pour s’en convaincre, lisons ce long passage de J. P. Corteggiani sur la constitution de trois bracelets royaux découverts dans une pyramide :

 

Le plus petit des bracelets, qui était placé le plus près du poignet, est composé de deux ensembles distincts encore liés, au moment de la découverte, par une torsade de fils d’or et de poils ; chacun d’eux comprend deux perles sphériques d’améthyste, des perles irrégulières de turquoise et de petites boules d’or, mais la partie de droite compte aussi une sorte de rosace d’or empruntant la forme du fruit sec d’une fleur de lotus.

Le second comporte des perles allongées faites d’un fil d’or enroulé, des perles de lapis-lazuli taillées pour avoir la même forme, et des disques ou des perles rondes de turquoise et d’or. Le troisième est formé de vingt-neuf éléments dont vingt-sept, alternativement en or et en turquoise… Les éléments bleus, sur lesquels les faucons sont moins dressés que sur les autres, ne sont peut- être pas tous en pierre…

Le dernier bracelet compte quatre groupes de curieuses perles non percées, qui affectent, à peu près, la forme de petits sabliers, et trois groupes intermédiaires faits de perles d’or et de deux perles turquoise taillées en losange ; les perles non percées, où chaque fois deux éléments en or encadrent un troisième en améthyste ou en pierre brune, sont maintenues par un double lien noué et ajusté à leur rainure médiane [4].

Chacun de ces bracelets témoigne d’une maîtrise parfaite de techniques déjà très accomplies : le travail de l’or, la taille et le polissage des pierres dures.

Tout en ignorant l’appellation moderne de pierre précieuse et semi-précieuse, les Anciens ont toujours taillé les plus belles pierres que la nature leur offrait pour s’en parer. De nos jours, la passion des bracelets ou bijoux en pierre, surtout précieuse, est plus vive. Beaucoup d’hommes et de femmes dépensent des sommes faramineuses pour se procurer un bracelet ou bijou en pierre précieuse ou incrusté de celle-ci. Les artisans modernes, à l’instar de leurs aïeux, déploient toute leur ingéniosité dans la confection des joyaux pour faire plaisir aux clients.

Bracelets métalliques

La confection de bracelets d’origine animale ou végétale ne demande pas une certaine habileté, ainsi que nous l’avons fait remarquer dans nos propos relatifs à ce type de bijoux. Cependant, faire un bracelet en pierre réclame une ingéniosité dans le taillage et le polissage du matériau utilisé. Cette dextérité est beaucoup plus importante dans le travail d’objets métalliques.

D’ailleurs, l’habileté seulement ne suffisait pas, il fallait créer des outils aptes à procurer les formes voulues. N’importe qui ne pouvait pas fabriquer un bracelet métallique. Cette situation va petit à petit faire émerger au sein de la société des hommes spécialisés dans le travail des métaux. Ceux-ci vont au fur et à mesure se consacrer à cette tâche pour former, plus tard, une classe sociale appelée celle des artisans ou des forgerons. Ces derniers vont jouer un rôle important dans l’histoire sociale, en dotant leurs concitoyens d’armes efficaces pour se défendre et d’objets durables répondant à leurs besoins. Il est intéressant de noter, à titre d’exemple, que les Égyptiens commencèrent à travailler des métaux tels que le cuivre, l’or, vers la fin de la préhistoire et le bonze pendant la période des Hyksos. Ils employèrent tout au début la technique du martelage à froid de ces métaux avant de parvenir, à partir de la fin du IVe millénaire, à un autre procédé, celui de la fonte des métaux, qui leur permit d’obtenir de véritables chefs-d’œuvre. Pour ce faire, ils façonnèrent des moules et d’autres instruments adéquats à ce type de travail, qui favorisèrent également la reproduction des bracelets et autres en de nombreux exemplaires.

Les bracelets en cuivre furent nombreux en Égypte et en Libye. Hérodote atteste ainsi leur amour des populations :

À partir de L’Égypte, les Adyrmachides sont les premiers Libyens dont on trouve le pays ; ils ont sur la plupart des points les coutumes égyptiennes, mais portent le même accoutrement que les autres Libyens. Leurs femmes portent à chaque jambe un anneau de cuivre… [5].

 

Le cuivre existait en abondance dans le désert libyen et au Sinaï.

En Éthiopie, le métal utilisé était l’or. Le pays était réputé être le plus riche en or du monde antique. L’exploitation des carrières aurifères fut l’une des activités des Éthiopiens et les quantités tirées du sous-sol suscitèrent toujours la convoitise d’autres puissances, même étrangères, qui voulurent assujettir l’Éthiopie. Les propos des émissaires de Cambyse au roi éthiopien sont révélateurs autant du désir de s’accaparer de l’or éthiopien que de l’abondance des bracelets en or, confectionnés par les artisans éthiopiens. À ce sujet, Hérodote note : « De la fontaine, le roi les conduisit à la prison. Tous les prisonniers y étaient attachés avec des chaînes d’or ; car chez ces Éthiopiens le cuivre est de tous les métaux le plus rare et le plus précieux » [6].

Enfin, à côté des bracelets en cuivre et en or, apparurent d’autres en fer, en bronze, en argent… La technicité des artisans et des forgerons se perfectionna davantage pour faire d’eux de véritables professionnels, qui transmirent leur savoir-faire à leurs descendants.

  1. QUI DOIT AVOIR UN BRACELET ET OU PORTER LE BRACELET ?

Les informations fournies par Hérodote sur le bracelet peuvent faire penser qu’il est exclusivement une parure féminine, car il en a plus fait état chez les femmes. Le bracelet de cheville en tout cas est destiné aux femmes, si nous nous fions aux dires de l’historien. Hérodote n’a mentionné nulle part dans ses Histoires ce type de parure chez les hommes. Mais il faut remarquer que le bracelet n’est pas seulement un objet féminin, même s’il est plus porté par les femmes. Les hommes, au cours de l’Antiquité, se paraient de bracelets comme les femmes. Toutes les couches sociales en disposaient. Les fouilles archéologiques effectuées en Égypte pharaonique ont permis d’exhumer de magnifiques bracelets appartenant à de simples citoyens ou à la famille royale, comme celui de Ramsès II. Des siècles après, les Africains et leurs rois continuèrent à attirer l’attention des étrangers par les nombreux bracelets qu’ils portaient. Cela est bien mentionné par l’historien arabe Al Békri, à propos du Kaya Maghan, dont Djibril Tamsir Niane a ainsi repris les propos : « Tous les hommes ont la barbe rasée et les femmes se font raser la tête. Le roi se pare comme les femmes avec des colliers et des bracelets ; pour coiffure il porte plusieurs bonnets dorés entourés de coton fin » [7].

Mieux encore, intéressons-nous à la partie du corps qui accueille le bracelet. Cette idée peut paraître surprenante lorsqu’on sait que le mot indique clairement que cette parure est portée aux bras, même si elle peut être mise à la cheville. Mais ceci n’est pas l’objet de notre réflexion. La question qui se pose ici est celle de savoir si l’homme ou la femme peut porter le bracelet à n’importe quel poignet. Il arrive souvent, de nos jours, que certaines personnes disent que l’homme doit porter le bracelet au poignet gauche et la femme au poignet droit. Celles-ci considèrent que le côté droit est efféminé, donc y porter un bracelet est signe d’un manque de virilité. Ce jugement est-il fondé ? Une idée pareille a- t- elle vu le jour durant l’Antiquité ? Nous estimons que le côté droit ne fut jamais vu péjorativement pour l’homme. La main droite fut, au contraire, jugée pure et apte à tout.

Durant l’Antiquité, les bracelets étaient portés aux deux poignets sans aucune distinction de sexe, même si on a noté quelquefois une préférence du poignet droit pour les femmes. Aucun document, à notre connaissance, ne fournit les raisons de cette tendance. Ce fut certes une influence étrangère. J. Bernolles, qui s’est intéressé à la question, écrit : « Il y a, semble- t- il, totale indifférenciation, à la très haute et à la haute époque ; hommes et femmes portent les bijoux à droite ou à gauche, indifféremment, et la plupart en présentent aux deux bras » [8]. Cependant, il faut simplement retenir que le port de nombreux bracelets demeure, dans la conscience populaire de plusieurs ethnies africaines, un signe d’efféminement certes à cause de la fonction séductrice accordée à ces objets. Cette considération nous conduit à nous intéresser aux rôles du bracelet chez les Africains.

Fonctions du bracelet

Les fouilles archéologiques effectuées sur les ruines des anciennes cités africaines ont permis de retrouver plusieurs bracelets. Ces objets de parure furent enfouis dans les habitats et même dans les tombeaux [9]. Cela est révélateur du port à large échelle du bracelet dans les communautés anciennes de l’Afrique. Hommes et femmes de tout âge et de toutes les ethnies portent le bracelet. C’est une parure que partagent riches et pauvres. Mais est-ce toujours le même modèle de bracelet que l’on retrouve sur les individus d’une même communauté ? Les bracelets portés par les Africains ne sont pas tous pareils. Ils sont divers par leur forme, leur poids et leur taille.

Chacun choisit son bracelet en fonction de ses moyens et de ses besoins. Ce dernier critère de sélection nous amène à penser que le bracelet a eu à jouer plusieurs fonctions dans les sociétés traditionnelles africaines, puisqu’il était produit pour répondre à un besoin humain déterminé. Les préoccupations variant, selon les individus, il va s’ensuivre une production de divers bracelets et une multiplicité de leur usage leur conférant ainsi des rôles. Ainsi, les fonctions assignées au bracelet sont nombreuses et peuvent varier d’une ethnie à une autre ou d’un utilisateur à un autre. C’est pourquoi, pour rendre plus claire et compréhensible la fonction du bracelet dans nos sociétés anciennes et modernes, nous axerons notre réflexion autour de trois fonctions principales : la fonction magico-religieuse, la fonction esthétique et la fonction sociale.

La fonction magico-religieuse

L’étude de l’histoire humaine a partout révélé que les hommes étaient toujours émerveillés par leur environnement et les événements qui s’y produisaient. En étroite relation avec le cosmos, l’Africain éprouva l’ardent désir de connaître la cause de certains faits, maladies ou de les prévoir. C’est ainsi que naquit, progressivement, l’idée de forces supérieures, qui régissaient l’univers et étaient responsables des malheurs et des joies humains. Une telle idée amena l’homme à créer des divinités dont il s’efforça soit de gagner les faveurs lorsqu’elles sont perçues comme bienfaisantes, soit de s’en protéger quand elles sont jugées malfaisantes.

Pour mieux vivre leurs croyances et se rapprocher de leurs divinités, les Africains songèrent à les rendre concrètes, vu que leur abstraction les rendait peu familières à la société. Ainsi, les dieux commencèrent à être représentés sous des traits humains, animaliers ou cosmiques. À l’image de la société humaine, on pensa également à avoir des divinités appartenant à l’un des deux sexes. Ce fut le désir de rendre des cultes à ces forces surnaturelles, rendues déjà concrètes, qui conduisit les premiers croyants à façonner des objets de culte avec de la terre, du bois et, plus tard, du métal. On assista ainsi lentement à la naissance de l’art. Un art purement spirituel, et il ne pouvait en être autrement, quand on sait que le sacré se manifeste partout pour le Noir : dans le bois, l’animal, l’élément cosmique…

Dans la croyance africaine, les matières premières utilisées dans la création artistique ne sont pas inertes. Elles sont des incarnations des puissances surnaturelles. D’ailleurs, avant de se servir de ces éléments, l’utilisateur sacrifie toujours à un rituel visant à solliciter l’accord de la divinité incarnée. L’art africain donc, dans ses tout premiers débuts, fut totalement marqué par cette spiritualité excluant l’existence de ce que nous appelons présentement un art profane. Cette particularité de l’art africain est bien vue par M. Griaule quand il déclare :

En Afrique noire, comme ailleurs, il existe un art libre à côté d’un art religieux. Il est pourtant indéniable que la plus grande partie du matériel et la plus intéressante appartient à ce dernier. (…) Qu’ils habitent les savanes à royaumes ou les forêts, les Noirs ont partout créé avec dévotion [10].

Cette religiosité créatrice se manifesta dans la fabrication des bracelets. Les premiers bracelets humains furent, à coup sûr, constitués d’éléments végétaux. Comme nous l’avons souligné supra, ces bracelets étaient faits d’un tressage d’herbes ou de tiges. Ils étaient portés aux bras ou aux chevilles lors des cérémonies rituelles. D’ailleurs, les éléments constitutifs de ces parures furent, la plupart du temps, tirés de végétaux incarnant une divinité, et lorsque tel n’était pas le cas, le caractère religieux de la cérémonie leur conférait un aspect religieux. La force spirituelle de la divinité, en l’honneur de qui est pratiqué le rite, purifiait tous les objets associés au culte.

Qui plus est, même lorsque les bracelets furent en terre ou en métal, ils conservèrent toujours leur caractère religieux. Les hommes y représentèrent des divinités par des dessins effectués sur leur surface. A titre d’exemple, les archéologues ont découvert en Égypte ancienne des bracelets décorés de signes géométriques, comme le triangle [11], ou divins, comme l’œil d’Horus. La présence de ces signes sur les bracelets témoigne de la dévotion du porteur, qui cherche à s’attirer les bienfaits de la divinité représentée, et de leur caractère religieux.

Cette même ferveur religieuse, manifestée par les Africains, a conféré au bracelet une fonction magique tributaire de celle religieuse. Celle-ci est parfois appelée fonction thérapeutique par certains. Pour mieux appréhender ce rôle du bracelet, explicitons d’abord la conception qu’avait l’Africain de la maladie.

Pour les Anciens, la maladie venait toujours de l’extérieur. Elle était envoyée à l’homme par une force externe : une divinité, un démon ou un mort négligé. À l’impie, le dieu envoyait une substance qui pénétrait dans son corps et le rongeait petit à petit. Un mort, qui avait été négligé, envoyait à ses descendants un mal quelconque. La maladie donc, dans sa conception africaine, n’était qu’un mauvais sort jeté à l’humain par un génie, un dieu, un mort ou un vivant pour se venger de lui.

Une telle conception dévoile très vite les moyens à entreprendre pour les soins. En effet, les thérapies les plus efficaces ne pouvaient provenir que de la religion. Il fallait se tourner vers les divinités pour qu’elles accordent protection et guérison au souffrant. Les dieux, par leur puissance magique, intervenaient en faveur de ceux qui portaient leur représentation. Ainsi, il fut confectionné des bracelets dotés d’une force magique et capables de repousser le mal ou d’attirer certains bienfaits. Ces bracelets, communément appelés amulettes aujourd’hui, peuvent être répartis en homéopoétiques, prophylactiques et théophores. Les premières, qui soit représentaient un animal, soit étaient constituées d’une partie d’un animal, avaient pour objectif principal de procurer au porteur certains attributs positifs de la bête en question. Les amulettes faites de crinière d’un lion accordaient la force et le courage, tandis que celles confectionnées avec des crins de singe favorisaient l’agilité du corps.

Les amulettes prophylactiques, elles, préservaient des dieux et de tout autre esprit maléfique. Parmi celles-ci, en Égypte, la plus célèbre fut l’œil oudjat que l’on retrouve sur les momies et qui devait assurer la sécurité du mort lors de son voyage vers le royaume des immortels.

Quant aux amulettes théophores, figurines des dieux portées sous forme de pendentifs parfois, elles fournissaient protection et bonheur aux personnes qui en disposaient. Elles étaient très populaires en Égypte où tout au long de l’histoire du pays se développa une véritable industrie de fabrication de ces pendentifs. Tout Égyptien, noble, scribe ou paysan, croyait en la vertu thérapeutique de ces bracelets qu’il portait de son vivant.

Au vu de tous ces faits, on reconnaît aisément que la fonction du bracelet en Afrique ancienne fut d’abord magico-religieuse. Le bracelet était destiné à manifester sa dévotion, à se protéger des esprits malveillants ou à s’attirer des bienfaits. Mais aujourd’hui, au regard des siècles qui nous séparent des Anciens et des influences étrangères, le bracelet joue-t-il ce même rôle pour les Africains ? En effet, lorsque nous jetons un regard lucide sur notre usage et notre perception du bracelet, nous constatons que nous perpétuons encore un legs ancestral.

Les bracelets d’origine végétale, même s’ils sont peu nombreux et arborés en de rares circonstances, constituent encore des éléments de la parure des Africains de la savane ou de la forêt. En Afrique noire, plusieurs ethnies pratiquent des cérémonies rituelles : culte des ancêtres, initiation, divination… En pays seereer ou diola, deux ethnies sénégalaises, les séances d’initiation et de divination occupent une place importante dans la vie. Elles sont empreintes d’un fort cachet religieux puisque placées sous la protection des génies de la communauté. Les activités débutent toujours par des prières et des libations. Les jeunes circoncis diola exécutent des danses viriles arborant aux bras et aux chevilles des bracelets faits d’herbes et de tiges de plantes.

Les mêmes faits sont constatés chez les Seereer à l’occasion d’une séance de divination publique appelée o xooy ndiig [12]. Cette divination débute le matin par une chasse. L’après-midi, les chasseurs reviennent, chacun portant en bandoulière le fruit de sa chasse. Arrivés à l’arbre sacré où est assis le saltigi, grand devin du village, entouré des anciens, les chasseurs, dans une danse virile et guerrière, parés de masques, de bracelets d’herbes et de tiges, font quatre fois le tour de l’arbre qui a vu jadis les guerriers revenir vainqueurs.

En outre, les bracelets métalliques ayant l’image d’une divinité sont actuellement portés par les modernes. Le dieu protecteur ou génie de l’ethnie ou de la caste est représenté sur le bracelet sous la forme de l’animal qui l’incarne. Chez les Sénoufos [13], ethnie africaine présente au Burkina Faso, au Mali et en Côte d’Ivoire, hommes et femmes portent à la cheville un bracelet qui protège contre les mauvais esprits et qui est également un objet rituel des forgerons sénoufos pendant la fabrication d’autres objets et l’initiation. Il s’agit d’un bracelet sous forme de pirogue sans fond, aux extrémités plus larges et plus relevées. L’une des faces du bracelet est ornée d’un lézard qui représente le génie, l’esprit protecteur de la communauté.

Les bracelets magiques, eux, sont plus nombreux et sont portés par les Africains sans distinction de sexe, d’ethnie ou de croyance religieuse. Ce sont des bracelets de poignet ayant sur la surface un petit rectangle ou une boule sphérique, où est enfermée une substance qui a la faculté de guérir une maladie, d’attirer des bienfaits ou de conjurer un mauvais sort. Ces bracelets sont pour la plupart en argent.

La croyance populaire africaine accorde également des vertus thérapeutiques à certains métaux comme le cuivre, le fer, l’argent [14]. Un bracelet circulaire de poignet en cuivre jaune, rouge ou alliage cuivre et argent, est censé conjurer le mauvais sort, éloigner les mauvais esprits, protéger contre certaines maladies, dont le rhumatisme. Le bracelet circulaire de poignet en fer forgé, appelé lamu joolaa par certains, protège contre tout esprit mauvais. Il appartient à la coutume des Diola fogny de la Casamance qui s’en parent tous. Ce bracelet est exclusivement forgé par les forgerons de la communauté, qui sont de la famille Diédhiou. Le bracelet en argent, lui, est porté par l’enfant dès la naissance pour le protéger des mauvais sorts et esprits.

Les bracelets amulettes sont très populaires chez les Africains. Hommes, femmes et enfants en portent encore aux bras ou aux jambes en dépit de leur interdiction par les religions révélées dont se réclament beaucoup de personnes sur le continent. Nous pouvons illustrer cette popularité des amulettes par ces propos de J. Bernolles :

Les Tiso et les Accoli de l’Ouganda portent en effet des parures de bras tout à fait identiques d’aspect constituées d’un bandeau serrant le bras et d’une queue de poils, vraisemblablement poils de singe ; les Néolithiques et hommes antérieurs purent en user pareillement, la queue pouvant être aussi celle de quelque antilope gnou, comme nous la voyons aujourd’hui dans la main des jeunes épouses Cuanyama d’Angola, au jour de leur mariage, ou peut-être même de fines lanières de peau, multicolores, comme je l’ai vu au bras de danseurs Lamba du Togo et de danseurs Betanmaribé à Manta, au Dahomey [15].

Actuellement, seules les amulettes théophores sont presque inexistantes ; nous portons les amulettes homéopoétiques et prophylactiques pour les mêmes raisons que nos aïeux.

En somme, les bracelets ont depuis des siècles une fonction magico-religieuse qui a su résister aux influences extérieures jusqu’aujourd’hui. Mais le bracelet n’est-il pas aussi une parure qui a un rôle décoratif à remplir ? La fonction esthétique

Un bracelet est une création artistique, un art. Il témoigne d’une recherche du beau. L’artisan consacre tout son temps et sa réflexion à la création de son œuvre qu’il travaille avec amour et dextérité. Il façonne, cisèle, lime et polit pour obtenir un produit exquis qui suscite admiration et émerveillement. C’est ainsi qu’est confectionné le bracelet, car il a aussi pour vocation de faire naître l’amour dans le cœur humain. Il est une parure qui communique, émerveille et éveille la sensibilité de celui qui le regarde. Le bracelet offre une autre image de la personne qui l’arbore en rehaussant son prestige, sa beauté. Sa capacité à rendre agréable à voir ce qui était laid justifie son port par les femmes adyrmachides et autres au cours de l’Antiquité :

À partir de L’Égypte, les Adyrmachides sont les premiers Libyens dont on trouve le pays ; ils ont sur la plupart des points les coutumes égyptiennes, mais portent le même accoutrement que les autres Libyens. Leurs femmes portent à chaque jambe un anneau de cuivre… [16].

Parées de bracelets, les femmes deviennent plus que des reines, de véritables idoles. Les bracelets des femmes ne peuvent laisser indifférent. Leur éclat et leur cliquetis ravivent un amour qui couvait dans le cœur et que la parole a été incapable d’éveiller.

Cette charge affective et séductrice du bracelet qui remonte à un passé fort lointain s’est maintenue au fil du temps, pour faire de cet objet parfois un simple produit esthétique. Pour beaucoup de gens, le bracelet est un accessoire de mode dont on se pare pour se donner une certaine image, éveiller l’amour d’autrui. C’est cette conception du bracelet qui explique les nombreux bracelets portés par nos femmes à l’occasion des cérémonies familiales, comme les baptêmes, mariages, funérailles ou pendant d’autres manifestations. Les toilettes des femmes sont uniquement revalorisées par leurs nombreux bracelets qui attirent les regards sur elles. Cet important rôle esthétique, que les femmes africaines accordent au bracelet, a fait que chacune d’elles possède une boîte à bijoux qu’elle garde soigneusement pour s’en parer durant les grands événements. Le bracelet fait le charme de la femme africaine. Il modifie complètement le regard que l’on porte sur son corps, il suscite son amour, comme l’admet M. Derwich : « Ce jeu de séduction a plutôt ses racines dans notre culture du mot, notre culture de l’aspect, où une cheville ornée d’un khalkhal est susceptible de provoquer chez le poète une intense transe amoureuse » [17].

Aujourd’hui, les techniques perfectionnistes et la recherche constante de modèles rares militent à faire du bracelet une vraie œuvre d’art, un joyau visant l’admiration des clients, hommes et femmes, obsédés par des parures qui les mettent en valeur. Toutefois, dans une société traditionnelle africaine où chaque membre a sa place et son rôle, le bracelet ne pouvait-il pas être un signe d’identification sociale ?

 

La fonction sociale

La société africaine est très hiérarchisée. Elle comporte en son sein, à l’instar de plusieurs autres sociétés, différentes classes sociales. Chacune de celles-ci a ses valeurs et ses signes distinctifs. Hormis les classes sociales, il existe dans les communautés africaines des classes d’âge qui déterminent les rapports internes et dont le passage de l’une à l’autre est toujours marqué par des cérémonies exécutées avec des objets rituels, comme le bracelet. Celui-ci est un indicateur social traduisant un état, un statut, une appartenance à un groupe et la façon de s’y intégrer.

Les classes d’âge ont pour objectif principal de faciliter les relations au sein d’un groupe social. L’événement le plus important des classes d’âge est l’initiation. Celle-ci concerne aussi bien les garçons que les filles âgés de 12 ans ou plus. L’initiation visait à former l’adolescent(e) aux exigences de la vie sociale et durait 2 à 3 mois, selon les ethnies. Avant cette formation capitale, pour tout jeune Africain, l’enfant portait des signes indiquant qu’il s’y préparait. Il avait au poignet un bracelet en argent massif pour montrer qu’il s’apprêtait à devenir un homme ou une femme, au sens plein du terme. Chez les Seereer Siin, ethnie du Sénégal, le bracelet porté par l’enfant en cette circonstance ne peut lui être remis par n’importe qui. Il le reçoit des mains de la tante choisie par son père pour accomplir tous les rituels de ses enfants et dont la coutume lui accorde les pleins pouvoirs. C’est cette tante, par exemple, qui coiffe, pour la première fois, tout nouveau-né de la famille. À la fin de l’initiation, l’enfant restitue le bracelet à sa tante qui, si elle a les moyens, lui fait faire un autre de moindre poids. Il est important de retenir ici qu’excepté le bracelet, généralement en argent, porté à la naissance, les garçons ne portent aucun bracelet jusqu’à ce moment tant attendu. Ce rôle séculaire du bracelet dans le processus de régulation des rapports sociaux est connu d’autres ethnies africaines.

En outre, en Afrique, le bracelet peut être la marque d’un pouvoir temporel ou spirituel. Les hommes ou les femmes investis d’un pouvoir portent toujours des objets ou des vêtements, symboles de l’autorité qu’ils incarnent. Cela contribue à les différencier des autres membres de la société. Le pouvoir qu’ils incarnent fait d’eux des êtres supérieurs aux autres dans la hiérarchie sociale. Pour assurer le maintien de cette ascendance et le respect dû à ces chefs, leur pouvoir est matérialisé par des objets concrets, qui rappellent à l’ordre quiconque se présente en face d’eux. Parmi ces objets, les plus usités sont le masque, le sceptre, le manteau, le bonnet ou casque et le bracelet.

Dans le domaine religieux, le prêtre africain peut porter un bracelet, dit sacré. Celui-ci est ainsi appelé parce qu’il est le symbole vivant du dieu qu’on honore. Au-delà de cette simple parure, c’est la divinité qui apparaît aux yeux des croyants. La divinité qui se manifeste par le bracelet s’incarne en son porteur et fait de lui son représentant parmi les mortels. Offenser le prêtre devient ainsi offenser la divinité en question. C’est pourquoi le prêtre jouit d’une autorité incontestable dans la cité et se distingue par son bracelet sacré.

Le bracelet joue également le même rôle dans le domaine politique. Il peut être le symbole d’un pouvoir royal. Comme le sceptre, le bracelet attribue à son porteur le pouvoir de décider et de légiférer, mais surtout le différencie des sujets. Ramsès II portait un bracelet en or massif dont une large plaque de lapis-lazuli forme le corps d’un canard d’où émergent deux têtes et une large queue en or. Le pourtour est décoré de granulés et de filigranes. La moitié inférieure, plus sobre, est ornée de joncs parallèles. Le cartouche de son nom, Ramsès II, se détache en léger relief, derrière la charnière. On ne voyait ce bracelet qu’au poignet du pharaon et aucun autre Égyptien ne devait en porter. À l’époque ptolémaïque, certains rois ont porté un bracelet torsadé en or, dont chaque extrémité avait une tête de lion. Cette fonction distinctive du bracelet dans le domaine royal existe encore en Côte d’Ivoire chez l’ethnie baoulé [18], où le roi ou la reine a un bracelet de cheville qui lui est propre. C’est un imposant bracelet de 5,5 kg dont le corps est surmonté au centre d’un boulet sphérique et décoré de lignes géométriques torsadées et finement tressées. Dans toutes les sociétés humaines, l’inégale répartition des richesses ainsi que d’autres facteurs ont entraîné l’émergence de deux classes sociales, dont l’une pauvre et l’autre riche. Cette dernière se singularise surtout par son mode de vie luxueux et la tendance ostentatoire de son pouvoir financier. Ce phénomène n’a pas épargné les sociétés africaines aussi bien anciennes que modernes. Certains Africains ont toujours fait étalage de leur richesse par de nombreux moyens, dont les parures. Parmi celles-ci, le bracelet est le plus considéré comme un signe de richesse.

Les riches arboraient plusieurs bracelets aux poignets ou aux chevilles pour afficher leur avoir et leur honorabilité. Chacun cherchait à porter autant de bracelets en argent massif, par exemple, que ses moyens le lui permettaient. Ceux qui n’en disposaient pas étaient vus comme des pauvres, souvent fièrement toisés du regard par les riches. Cette attitude est plus fréquente chez les femmes, qui aiment rivaliser d’avoirs lors des cérémonies. À titre d’exemple, chez les Peul, ethnie disséminée un peu partout en Afrique, les femmes portent fièrement des bracelets de poignet, de cheville en même temps que d’imposantes paires de boucles d’oreille. Le nombre de bracelets et leur valeur marchande révèlent leur richesse et celle de leur famille. C’est pourquoi il n’est pas rare de voir leurs femmes fortunées porter plusieurs bracelets de cheville par jambe ou bien aux bras.

Cette considération du bracelet comme une richesse va l’introduire dans le domaine des échanges, où il servit de monnaie dans certaines ethnies, selon T. Touré :

Les bracelets ont également servi de monnaies d’échange dans certaines régions de l’Afrique de l’Ouest. C’est le cas, notamment, en Côte d’Ivoire où des bracelets en cuivre se nomment « Ngbolou », mot qui signifie monnaie en langue ébrié. (…) Il en est de même sur l’ensemble des côtes du Golfe de Guinée où les bracelets ont été utilisés comme moyens d’échange dès la fin du XVe siècle. Ces bracelets n’ont été remplacés par le numéraire, dans les pays du Golfe de Guinée, qu’au XIXe siècle et même jusqu’au XXe siècle dans certaines zones [19].

Enfin, le bracelet vit également son introduction dans le mariage. Les propos de l’historien grec Hérodote, à ce sujet, sont fort intéressants :

À la suite de ces Maces viennent les Gindanes, dont les femmes portent aux chevilles nombre d’anneaux de cuir, chacune d’après cette règle, à ce qu’on dit : pour chaque homme avec qui elle a commerce, elle se met un anneau ; celle qui en a le plus, celle-là est considérée comme la plus méritante, puisqu’elle a été aimée par le plus d’hommes [20].

En plus de confirmer l’usage du bracelet dans le mariage africain, au cours de l’Antiquité, les informations d’Hérodote soulèvent une autre question : celle de la polyandrie en Afrique ancienne. À en croire l’historien grec, dans cette ancienne ethnie libyenne, la femme était autorisée à avoir plusieurs maris. Ce fut d’ailleurs un honneur pour une femme d’avoir plusieurs époux. L’information est surprenante et relève, selon nous, d’une incompréhension de l’usage du bracelet chez ces Africains. Hérodote, lui-même, ne semble pas convaincu par ces propos de son informateur, qu’il restitue fidèlement, lorsqu’il déclare : « … à ce qu’on dit… ».

Les Gindanes figurent parmi les Ancêtres de la population blanche vivant au nord de l’Afrique et formant la grande famille berbère. Or ceux-ci, même s’ils perpétuent l’usage du bracelet, ignorent totalement ce sens marital que lui attribue l’informateur d’Hérodote. En effet, chez les Berbères, les femmes portent les bracelets de cheville en signe d’aisance sociale. C’est une marque de noblesse. Leur coutume veut que chaque maman fasse porter à sa fille au moins un bracelet de cheville à chaque pied, en signe de richesse de sa famille. Celle qui n’en avait pas devenait la risée des autres.

Les bracelets de cheville pouvaient également être remis par un fiancé en guise de dot, lorsque la belle-mère ne disposait pas de moyens pour en offrir à sa fille. Cette offre fit que le bracelet pouvait être un signe d’aisance sociale ou un signe de mariage. C’est ce double rôle du bracelet que n’a pas pu discerner l’informateur d’Hérodote. Celui-ci a confondu le port du bracelet de cheville offert par le fiancé pour ennoblir sa future épouse, et qui devient ainsi sa marque de femme mariée avec celui que pouvait s’offrir toute femme nantie.

Aujourd’hui encore, cette coutume existe chez les Berbères, même si elle tend à disparaître à cause de la forte poussée du modernisme. Les jeunes filles et les femmes berbères portent encore des bracelets de cheville en argent massif et non plus en cuir, comme jadis. Elles peuvent avoir par jambe deux bracelets très lourds qui les obligent à marcher en se dandinant. Celles dont les bracelets de cheville ne sont pas en argent pur sont mal considérées et victimes de moquerie. Les femmes les plus distinguées chez les Berbères, comme chez les Gindanes autrefois, sont celles donc qui portent plusieurs bracelets de cheville en signe de richesse, contrairement aux propos rapportés par Hérodote.

Hormis chez les Berbères, le bracelet de cheville est encore offert en guise de dot à des jeunes filles par d’autres ethnies africaines telles que les Bamileke au Cameroun, les N’goumbe ou Mongo en République Démocratique du Congo, où le fiancé a l’obligation d’offrir, comme dot, un bracelet de cheville à sa future épouse.

CONCLUSION

L’usage du bracelet par les Africains remonte à l’Antiquité. À l’instar de toutes les sociétés humaines, celles, africaines, ont commencé par confectionner des bracelets d’origine animale et végétale dont elles se paraient. Mais à partir du néolithique, les Africains fabriquèrent des bracelets en pierre avant d’en faire en métal plus tard. Cette évolution a favorisé la naissance d’une classe ouvrière, celle des artisans spécialisés dans la confection des bracelets.

Qui plus est, le bracelet, avant d’être une simple parure à vocation esthétique, a eu à revêtir des fonctions magico-religieuse et sociale. Les Africains perpétuent encore ces trois grandes fonctions du bracelet héritées de leurs ancêtres. Toutefois, il est à déplorer que les fonctions sociale et religieuse tendent à disparaître progressivement, à cause de la forte poussée du modernisme. Beaucoup de jeunes Africains ignorent actuellement les fonctions de certains bracelets qu’arborent quelques tenants de la tradition. Il urge donc de revisiter les écrits anciens pour mieux connaître et comprendre cette partie de notre héritage ancestral.

[1] Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sénégal.

[2] RADIN, Paul, La religion primitive, Tr. fse d’Alfred Métraux, Paris, 3ème édition, 1941, p. 219.

[3] HÉRODOTE, IV, texte établi et traduit par Ph. Legrand, Paris, Les Belles Lettres, 1960, 176.

[4] CORTEGGIANI, Jean Pierre, L’Égypte des pharaons, Paris, Hachette, 1986, p. 25.

[5] HÉRODOTE, IV, 168.

[6] HÉRODOTE, III, texte établi et traduit par Ph. Legrand, Paris, Les Belles Lettres, 1949, 23.

[7] NIANE, Djibril Tamsir, in Éthiopiques, n° 9, revue socialiste de culture négro-africaine, 1977, p.4.

[8] BERNOLLES, Jacques, Permanence de la parure et du masque africains du Sahara méso-néolithique à l’aire actuelle de diffusion des Noirs, Paris, G.P. Maisonneuve et Larose, 1966, p. 75.

[9] En Égypte ancienne, les morts étaient enterrés avec leurs objets familiers pour qu’ils puissent s’en servir dans leur vie future. Cette même pratique était effectuée par les Seereer Siin qui ne l’ont abandonnée que récemment.

[10] GRIAULE, Marcel, Arts de l’Afrique noire, Paris, 1947, p.36. La profanation de l’art africain est due aux influences extérieures. C’est l’islam, le christianisme et la colonisation qui ont ruiné les divers aspects de la pensée religieuse et artistique des Noirs.

[11] Le triangle dessiné sur les bracelets rappelle la divinité égyptienne Apis. Le taureau Apis avait un triangle sur le front, reprenant la forme d’un delta renversé. Le dieu Apis fut si célèbre en Égypte que les Grecs, lorsqu’ils conquirent l’Égypte, l’assimilèrent au dieu Sérapis, et son culte s’exporta à travers la Méditerranée dans les principales villes du monde hellénistique puis romain. Le culte d’Apis subsista jusqu’au IIe siècle de notre ère.

 

[12] O xooy ndiig : réunion à l’approche de l’hivernage. C’est une séance de divination publique convoquée par le grand saltigi du village pour savoir s’il y aura beaucoup d’eau, de récoltes et exorciser tous les démons qui rôdent autour du village dans le seul but de nuire.

[13] TOURÉ, Tamaro, Bracelets d’Afrique, Paris, L’Harmattan, 2011, p.68.

[14] Le pouvoir magique de ces métaux leur est conféré par le forgeron qui les travaille en prononçant des paroles magiques capables d’attirer des bienfaits sur le propriétaire ou de le préserver de tout esprit mauvais.

[15] BERNOLLES, Jacques, Permanence de la parure et du masque africains, p.70.

[16] HÉRODOTE, IV, 168.

[17] DARWICH, Marième, « Nouakchott ville ouverte », in Espace calme, n° 5, mai 1994, p.9.

[18] TOURÉ, Tamaro, Bracelets d’Afrique, p.81.

[19] TOURÉ, Tamaro, Bracelets d’Afrique, p. 8.

[20] HERODOTE, IV, 176.