Philosophie, sociologie, anthropologie

AUTOCHTONIE ET « FRONTIÈRES » EN QUESTIONS DANS LES CONFLITS FONCIERS EN HAUTE CASAMANCE

Éthiopiques n°s94-95.

Littérature, philosophie, sociologie, anthropologie et art.

Frontières et autres textes

2015

AUTOCHTONIE ET « FRONTIÈRES » EN QUESTIONS DANS LES CONFLITS FONCIERS EN HAUTE CASAMANCE

INTRODUCTION

Depuis le début des années 2000, la Haute Casamance [2] fait l’objet de conflits de ressources récurrents dans sa partie nord allant de la frontière sud de la Gambie jusqu’à la latitude de Médina Yoro Foula. Le front pionnier agricole, initié par les migrants venus du Saloum [3]qui ont franchi la limite naturelle et politico-administrative constituée par la Gambie pour s’installer dans les massifs forestiers faiblement appropriés, constitue un facteur influent de cette dynamique. Les raisons qui président à l’arrivée massive de ces migrants en Casamance sont les mêmes que celles qui les avaient conduits vers les cantons de Sokone et Djilor au début du XXe siècle. Il s’agissait pour eux, tel que le rappelle Paul Pelissier (2008 : 439), de trouver des terres et une pluviométrie propices à la culture de l’arachide.

Si leur marche vers l’Ouest fut souvent une aventure audacieuse (les vieillards ont gardé vivant le souvenir des hordes de bêtes sauvages qui cernaient les campements et saccageaient les champs), les émigrants constatèrent très vite que les terres vierges qu’ils occupaient se révélaient d’une extrême fécondité, alors même que les rendements faiblissaient sur les brûlis vieux de vingt ou trente ans de la région de Nioro.

Si au Saloum leur installation a été guidée et facilitée par le fait que l’administration coloniale y avait jeté les bases d’une mise en valeur en construisant des routes et aménagé des pistes, en Casamance, ils ont investi dans leur majorité les massifs forestiers, espaces déjà doublement appropriés. D’une part, ces forêts intégraient déjà l’espace de production et de reproduction de communautés peules et mandingues anciennement installées, de l’autre, elles faisaient l’objet d’un classement par l’État du Sénégal en vue de leur régénération. Dans les tentatives de compréhension et de gestion de ces conflits, la question de l’autochtonie et celle du clivage nord/sud ont souvent été invoquées, posant du coup le double questionnement sur la frontière identitaire et géopolitique. Dans la perspective d’un cadrage environnemental et social [4] nous nous demandons quelle est la valeur explicative du caractère identitaire imputé aux conflits opposant le plus souvent agropasteurs autochtones et paysans allochtones venus du centre Sénégal ? Quelles frontières se créent les groupes et leurs alliés ? Sommes-nous en présence de conflits liés à l’appartenance ethnico-géographique ou de simples conflits de ressources issus de la rencontre de modes de production et de reproduction antagonistes ?

L’autochtonie participe d’un double processus de déconstruction-reconstruction des cadres de légitimité et d’inclusion-exclusion du partage des ressources que ce soit au niveau local ou national. Le clivage basé sur les frontières identitaires est l’un des éléments majeurs sur lesquels se fondent et se développent les particularismes et les radicalisations au sein des États africains postindépendance ainsi que des formes particulières d’élimination de groupes ou d’ethnies qui peuvent être très brutales et de grande échelle. Il convient dès lors de s’interroger sur les mécanismes d’auto-cloisonnement ou d’exclusion qui fondent les replis identitaires et impactent l’allocation des ressources disputées. Autrement dit, les construits sociaux qui établissent les frontières politiques économiques et communautaires entre groupes et la façon dont ces mouvements opèrent un glissement subtil entre identité et espace.

La problématique de l’autochtonie en Afrique est concomitante à celle de l’ethnie dans l’État. François Bayart (2001:180) affirme que

L’ethnicisation de l’autochtonie ne doit pas tromper. Elle n’exprime pas des identités « primordiales » antérieures à la colonisation. Elle procède directement de celle-ci comme l’ont montré nombre d’historiens et d’anthropologues. L’ethnicité est un produit de l’État et un mode de partage et d’appropriation de celui-ci, plutôt que sa négation ou sa subversion. Elle est en outre inséparable du processus de territorialisation humaine, politique et économique dont sa formation a été le vecteur depuis un siècle. Donc de ce point de vue l’idée d’autochtonie représente une inflexion majeure par rapport aux sociétés anciennes. Anthropologues et historiens considèrent volontiers que celles-ci reposaient sur la richesse en gens (wealth in people) plutôt qu’en biens (wealth in things) comme dans les sociétés eurasiatiques.

En Haute Casamance, la diversité et l’histoire du peuplement rendraient impertinents des raisonnements exclusivement basés sur l’ethnie. Mais c’est la durée plus ou moins longue des groupes dans la localité qui permet à l’élite émergente et à ceux qui croient à une « injustice étatique » dans l’allocation des ressources nationales, en particulier la société civile, de mobiliser l’autochtonie dans un clivage nord/sud avec comme limite la frontière gambienne. Les allogènes-« nordistes » seraient appuyés par leurs parents au sommet de l’État et dans l’administration territoriale pour mieux spolier les « sudistes » chez eux.

Cet aspect de territorialité dans les clivages allogènes/autochtones renvoie à celle de la démocratie dans l’État en termes d’équité et d’égalité d’accès aux biens communs à la nation, mais il conforte également l’idée selon laquelle l’autochtonie surpasse l’ethnicité dans la mobilisation identitaire pour l’accès aux ressources. Les entités ethniques se muent en acteurs puissants selon leurs alliés et leurs capacités à interagir avec les autres entités sociales et leur environnement.

  1. LE RÔLE DES FRONTIÈRES SOCIALES DANS LA GENÈSE DES CONFLITS AUTOUR DES RESSOURCES NATIONALES

Le cas de la Casamance montre, dans un premier moment, au nord dans la période postindépendance , le Sénégal utile qui s’active et se crée des richesses autour de l’économie arachidière. À cette même période, au Sud, rien ne se passe. On procède uniquement à des prélèvements dont le « Sénégal utile » [5] a besoin pour fonctionner. Dans un deuxième temps, le Nord, ses ressources épuisées, se tourne vers le Sud pour y mener les activités dont il n’a plus les moyens. Au sommet de l’État, le parti au pouvoir, pris dans des relations clientélistes, favorise ce processus.

Pour atténuer cette image négative souvent invoquée d’un déséquilibre dans la répartition des biens communs, il est devenu fréquent, au niveau de l’accès aux postes à responsabilité étatique, qu’on octroie au Sud sa ‘‘part’’ de ministres, de députés ou de directeurs pour atténuer les frustrations, les gouvernants voulant démontrer leur souci d’intégration de ‘‘toutes les composantes de la Nation sénégalaise’’.

Cependant, l’effet qui en découle est que tous les alliés du parti au pouvoir, toutes les régions historiques ou naturelles, toutes les ethnies veulent leur ‘‘part’’ de gouvernement. Dès lors, ce qui attire l’attention dans les remaniements ministériels, c’est avant tout le nombre de ministres appartenant à telle ou telle confrérie, le nombre de ministres issus de telle ou telle région, si les catholiques sont bien représentés, s’il y a des ministres seereer, hal pulaar, etc. Bref, l’État partisan à travers le régime au pouvoir est lui-même générateur de frontières qui alimentent les particularismes, les suspicions et les rejets au sein de la nation.

L’autochtonie participe de ce processus, en délimitant une place au sein de la nation et en créant aussi un rapport particulier à cette dernière. La revendication autochtone dont il est question en Haute Casamance vise le citoyen pris dans un modèle culturel et de production dominé, voire antagoniste à celui reconnu et légitimé par la société globale. Elle est invoquée dans un conflit sur des ressources naturelles et foncières dont la viabilité est remise en cause par le mode allochtone de leur exploitation alors que ces ressources sont essentielles pour le système de production agropastoral des autochtones. Il apparaît ainsi comme une stratégie défensive face à des situations de risque économique et politique du groupe minoritaire.

L’invocation de la notion d’autochtonie en Haute Casamance sur les questions foncières n’est ainsi qu’une manière de déplacer la problématique de l’allocation des ressources sur le terrain de l’appartenance identitaire pour se faire entendre mais elle constitue aussi, incontestablement, une affirmation de l’identité sur l’espace.

Les agro-pasteurs tentent de combler les défaillances institutionnelles par le rappel de leur antériorité, leur statut de primo-occupant qui est du coup créateur de légitimité. Cet état de fait est accentué par les migrants qui se comportent en allochtones dans la mesure où leurs attitudes et pratiques spatiales ne participent pas à la consolidation de la citoyenneté locale.

Plus enclins à exploiter les différentiels spatio-économiques entre leur groupe qui a largement capitalisé des techniques et des moyens dans le cadre de l’économie arachidière et celui des agro-pasteurs (qui ne sont pas tout à fait sortis d’une économie domestique), ils en oublient le respect des principes d’organisation et de gestion de l’accès aux ressources dans la communauté d’accueil ; principes basés sur l’ouverture et la solidarité.

C’est dans ce contexte, marqué par une menace de restriction de l’accès aux ressources pour l’avenir, que la question de l’autochtonie a pris le dessus sur la question de la préservation des ressources naturelles renouvelables, avec laquelle elle a fait irruption dans l’arène politico-foncière locale. Mais nous verrons à travers les conflits villageois transfrontaliers que cette dimension instrumentale d’une question d’identité et de territoire ne suffit pas à expliquer les oppositions sur l’allocation des ressources locales.

  1. LES CONFLITS FONCIERS DES VILLAGES FRONTALIERS RÉVÉLATEURS DU CARACTÈRE INSTRUMENTAL DE L’AUTOCHTONIE

Deux villages se distinguent dans les conflits fonciers qui opposent des producteurs gambiens à des producteurs sénégalais dans le Fouladou [6]. Ce sont les villages de Sinthiou Djida (situé dans la commune de Pata) et celui de Mban Yël (situé dans la commune de Médina Yoro Foula). Hormis le conflit portant sur des champs prêtés entre le village gambien de Keur Abdou Sarr et le village de Sinthiou Djida, les conflits entre les villages sénégalais et gambiens portent sur des limites de champs. Ces conflits se passent au niveau local mais dépassent les compétences et prérogatives des conseillers municipaux, parce que portant en définitive sur le tracé et la matérialisation de la frontière entre les deux pays. La mobilité des communautés situées de part et d’autre de la frontière dans l’exploitation des ressources et les emprunts fonciers de longue date ont brouillé les repères physiques et la frontière géographique, instaurés par les administrateurs. Les cartes mentales qui ont pris la place des cartes officielles ne font pas l’unanimité dans les communautés. Dans ces conditions, chaque groupe requalifie la frontière en fonction de ses besoins, de ses potentialités et contraintes et de ce qu’il peut négocier ou imposer à ses voisins.

Le sous-préfet de Médina Yoro Foula affirme que :

Les Gambiens ne disposent pas de terres, quelquefois, ils ont leurs champs au Sénégal avec l’accord des chefs de village. Je ne sais pas s’ils laissent « quelque chose » ou pas mais j’ai ces problèmes à la frontière. Les gens d’ici aussi vont cultiver en Guinée mais après récolte ils versent quelque chose aux chefs de village guinéens, une partie de la récolte ou de l’argent s’ils tombent d’accord. Dans certains cas ce sont leurs grands-pères qui cultivaient et ils viennent cultiver. Quelquefois, le chef de village peut se lever du pied gauche et dire ‘’écoutez j’ai besoin de ces terres là’’. Donc là aussi on essaie de trouver un terrain d’entente. On leur rappelle que c’était entre leurs grands-pères et que s’ils ont assez d’espace ça ne devrait pas les gêner de laisser cultiver les Gambiens. Maintenant il faut savoir que ces terres-là sont des terres sénégalaises. Il y a un tel brassage qu’il ne faut pas qu’on casse ces liens. On essaie aussi d’expliquer aux Gambiens qu’il faut respecter le chef de village. Quand il y a un problème, il faut venir le voir lui soumettre le problème, essayer de discuter, lui faire certains honneurs parce que les chefs de villages ce qu’ils veulent c’est qu’on sente leur autorité, qu’on leur montre qu’ils ont de l’autorité.

L’état des rapports sociaux varie d’un conflit à l’autre. Si à Sinthiou Djida le chef de village parvient à instaurer un climat serein qui permet un accès moins restrictif pour les paysans gambiens, à Mban Yël la tension reste vive.

Cette situation peut s’expliquer par deux raisons : à Sinthiou Djida l’empiètement des agriculteurs gambiens se fait sur la longueur de la frontière avec comme inconvénient le fait de toucher des champs différents donc de pouvoir entrer en conflit avec des usagers multiples. Alors qu’à Mban Yël l’empiètement se fait en profondeur et de manière progressive, ce qui provoque une impression d’accaparement foncier. Il s’y ajoute que le chef de village de Sinthiou Djida a une bonne réputation de négociateur et, dans les faits, parvient à des accords avec ses concurrents. Ce fut le cas dans le conflit qui a opposé son village au village de Kéréwane et sur le différend champêtre de Keur Abdou Sarr. Lors de ce conflit, il est parvenu à mobiliser les autorités administratives et coutumières, de part et d’autre de la frontière, pour un règlement pacifique. Le règlement de ce conflit a révélé les capacités des institutions locales à combler par le dialogue les défaillances techniques de l’État dans la gestion de son territoire, mais cela pose encore une fois la question de l’articulation de la régulation foncière locale et nationale aux frontières du Sénégal.

La gouvernance locale des conflits frontaliers est une « expérience » face à la défaillance des pouvoirs centraux. Bien qu’englobant ces derniers, elle questionne et supplée les vieilles configurations des pouvoirs et des relations de pouvoir entre tenants de l’action publique à différentes échelles politico-administratives. Les conflits fonciers entre villages frontaliers ont l’avantage d’invalider la variable « autochtonie » dans la compréhension des oppositions entre acteurs au sujet des ressources foncières. Ils révèlent des entités sociopolitiques communautaires homogènes et transfrontalières qui entrent en conflit. Autrement dit les conflits peuvent opposer par delà la frontière des

groupes locaux se sachant issus d’une même souche, parlant des langues apparentées et partageant un certain nombre de principes d’organisation de la société et de représentation de l’ordre social et cosmique ainsi que des valeurs communes.

L’organisation de l’espace et son utilisation s’accompagnent d’une superposition d’identités individuelles et/ou collectives et d’une volonté de marquer le milieu par des usages codifiés. Les éléments de compréhension de cet espace résident, le plus souvent, dans sa genèse. C’est pour cela que les espaces fonciers dans notre entendement ne peuvent être des données géométriques pures à frontières. Ce sont des entités, socialisées ou non, sur lesquelles les individus et les groupes ont un pouvoir de détermination. Ce qui définit la frontière est hors d’elle, il est dans l’empreinte des acteurs. En Haute Casamance, l’impact environnemental de la migration wolof est d’abord un impact culturel et politique sur le paysage et les ressources naturelles dans la façon de les organiser et d’en user. Le nord de la Haute Casamance peut être vu comme une zone déjà incorporée au bassin arachidier, malgré la limite constituée par la Gambie. La dynamique de son front pionnier, bien que n’ayant pas atteint un seuil d’irréversibilité, a fortement entamé le potentiel écologique. Les migrants, qui ont ouvert ce front pionnier, ont une bonne connaissance des ressources naturelles locales. Ils ont été confrontés à des espaces géographiques similaires à celui de la Haute Casamance, dans le mouvement général d’itinérance qui les a conduits là. Les migrants ont toujours réussi à intégrer dans l’espace de l’économie arachidière les espaces soumis à leur mobilité. Leur projet migratoire permanent n’a été soutenu officiellement par l’État du Sénégal indépendant, que lors de la migration organisée vers les terres neuves en 1972. Le front pionnier massif n’aurait jamais été possible sans le rôle majeur joué par les relais des migrants, constitués par des fonctionnaires de l’appareil d’État et de l’administration territoriale locale, mais aussi sans le poids de leurs organisations sociopolitique et économique. D’une part, on note que la mobilisation d’une main d’œuvre (permanente et temporaire) et de techniques d’aménagement et d’utilisation du sol, qui ne nécessitent pas des efforts dans la durée, a permis aux migrants d’accélérer le processus de colonisation agraire jusque dans les espaces classés. D’autre part, on remarque que la faiblesse des contrepouvoirs, le niveau de technicité et le mode de production des populations dites autochtones ne pouvaient pas, dans l’immédiat, leur permettre de faire face à un mouvement expérimenté et outillé, qui date de l’introduction de l’arachide au Sénégal, c’est-à-dire depuis plus de 100 ans.

Nous verrons que la complexité de la situation foncière locale et ses accointances avec le politique ont fait que, même quand la stabilisation de ce front pionnier commençait à devenir un enjeu majeur pour l’État sénégalais, moins pour des raisons d’ordre environnemental qu’à cause des violences qu’il a provoquées, les stratégies d’expansion foncière des migrants ont continué avec de nouveaux interlocuteurs dans l’arène politique locale.

CONCLUSION

Les conflits que nous avons étudiés en Haute Casamance montrent que les rapports sociaux fondent ou modifient les droits à l’échelle des familles, des groupes et des pays-frontières. Les droits et les formes de prélèvement auxquels ils donnent lieu évoluent à l’intérieur comme à l’extérieur des différentes entités sociales et politiques, et peuvent être imbriqués à des systèmes locaux, « hors contrôle » des pouvoirs centraux. Le caractère majeur de l’arène foncière en Haute Casamance est son éclatement et sa forte jonction avec le politique. La décentralisation, dans ce cas, met côte à côte le local et le global dans la gouvernance foncière et la recomposition politique au niveau local. Toutefois elle ne laisse nullement place à une mobilisation identitaire durable, qu’elle soit basée sur l’ethnie ou le territoire. Les conflits étudiés sont avant tout des oppositions pour la maitrise de l’espace de production et peuvent opposer, au-delà de la frontière, des acteurs à l’intérieur d’entités sociales homogènes. Le transfert de compétences induit par la décentralisation s’est accompagné de possibilités de combinaisons multiples de relations d’alliance pour les acteurs locaux. Ceci est le signe d’un dynamisme du champ politico-foncier, de son avance par rapport à ce qu’offre la loi, mais c’est aussi, incontestablement, une situation génératrice d’insécurité dans l’accès aux ressources. Cette insécurité est liée à des phénomènes marqués de contournement de la loi et de pluralisme juridique. En définitive, il se pose la question de la gouvernementalité comme processus de régulation. Chauveau (2006 : 42) nous apprend que la notion de ‘‘gouvernementalité’’, qui est analytiquement différente de celle de gouvernance, renvoie à la manière dont les conduites individuelles ou collectives des personnes, dans un domaine spécifique de la vie sociale, deviennent, dans un contexte historique donné, une préoccupation pour les autorités et sont problématisées comme enjeu/sujet de gouvernement, comme action sur les actions. Le problème qui est permanent et qui touche tous les acteurs, les éleveurs autochtones comme les paysans migrants, selon leur capital social et leur poids occasionnel au sein de l’arène politico-foncière en Haute Casamance, est celui de la reconnaissance intersubjective dans un espace public, incapable de se constituer comme lieu de délibération, et qui a du mal à porter les convictions politiques et morales des multiples acteurs. L’interconnaissance relevée dans ce contexte n’est pas un signe de concertation et la participation ne joue pas le rôle qui lui est prêté ou qui était attendu dans le déplacement du pouvoir de décision au niveau local.

Carte de la zone d’étude Source : DIA, 2015

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[1] Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sénégal

[2] Les limites de la haute Casamance correspondent à celles de l’actuelle région de Kolda qui est issue de la réforme administrative et territoriale de 1984. Après l’indépendance du Sénégal, elle couvrait, avec les régions actuelles de Ziguinchor et de Sédhiou, un vaste espace appelé Casamance, caractérisé par son homogénéité géographique où s’étend à perte de vue une végétation luxuriante. La région naturelle de la Casamance est scindée en deux en 1984, Kolda devient la capitale régionale de la région qui porte son nom. Elle occupe désormais les 2/3 de l’ancienne Casamance et s’étend sur une superficie de 21.011 km2 soit 10,7 % du territoire national. Elle est limitée au Nord par la république de Gambie, au Sud par les républiques de Guinée Bissau et de Guinée Conakry, tandis que la région de Sédhiou et de Tambacounda constituent respectivement ses limites Ouest et Est.

[3] Le Saloum se confond à l’ancienne région de Kaolack mais la zone de départ des migrants qui nous intéresse ici est essentiellement le Rip qui a été colonisé par des vagues de peuplement successifs venus du vieux pays wolof et du Fouta sous la conduite de marabouts fuyant la répression coloniale et les guerres menées par les royaumes païens du Saloum et du Sine. Ces mêmes communautés vont continuer à coloniser les forêts vierges à l’Est du Rip comme vers la côte au début du XXe siècle. Paul PELISSIER (1966 : 437) nous apprend que les Toucouleurs ont, comme les Wolof, continué à prendre le chemin du Rip depuis l’époque de Ma Bâ Diakhou ; leur installation entre Saloum et Gambie a, d’ailleurs, été facilitée par le fait que, dans cette région, la chefferie est tout entière restée, jusqu’à nos jours, entre les mains des successeurs ou des parents du conquérant.

[4] Le cadrage est un instrument d’analyse des configurations sociales, des formes d’opposition et de l’évolution des groupes stratégiques. Il nous permet de faire les articulations pertinentes entre échelles sur les dynamiques étudiées et donc de limiter les risques d’imprécision. Il définit ce qui compte dans la situation étudiée en questionnant les critères d’identification et de caractérisation des conflits sur la base d’une redéfinition de l’espace du conflit, des protagonistes et de ce qui les fait courir.

[5] L’administration coloniale et celle du Sénégal indépendant ont favorisé les investissements dans le Sénégal dit du triangle utile (Dakar, Saint-Louis, Kaolack). Les infrastructures routières construites dans cette partie du pays (dans le cadre de l’économie arachidière) ont permis la circulation des personnes et des biens, ainsi qu’un développement d’activités économiques et de services inaccessibles aux populations du Sud. La Casamance a longtemps subi ce déséquilibre dans l’aménagement du territoire et la répartition des biens au niveau national. Ce fait est renforcé chez les populations situées au sud de la Gambie par le sentiment d’être « hors du Sénégal ». Lorsque ces populations se rendent dans les régions du centre ou du nord du Sénégal, elles disent qu’elles vont au Sénégal. S’il est vrai que les migrants venus des autres régions y participent, il n’en demeure pas moins qu’il existe dans les régions du sud cette marque de différence dont nous nous demandons si elle est un effet de frontière ou une difficulté́ d’identification aux autres Sénégalais de par leur histoire, leur culture ou leurs pratiques politiques.

[6] Jean-Louis BOUTILLIER (2011) nous apprend que le pays des Peuls-Fouladou suivant leur propre expression, qui se situe à cheval sur la moyenne et la Haute Casamance, comprend une assez grande diversité de groupements humains plus ou moins apparentés, dont le trait commun le moins discutable est l’utilisation de la langue peul. Suivant les divisions administratives, le Fouladou recouvre la presque totalité de la Subdivision de Kolda.