Développement et société

LA REFORME DE L’ENTREPRISE : VERS LA COGESTION ET L’AUTOGESTION

Ethiopiques numéro 6

revue socialiste de culture négro-africaine

1976

La réforme de l’entreprise est à l’ordre du jour dans les pays développés pour des raisons multiples. Les rapports entre le travail et le capital sont remis en question. L’ordre qui régnait au sein de l’entreprise est contesté. Dans les pays en voie de développement, si les questions, à cet égard, ne se posent pas de la même manière, il reste qu’il y a un problème.

Capitaux et sous-développement

Nos pays se caractérisent par un grave manque de capitaux. Pour accélérer notre développement, nous faisons appel à l’épargne extérieure. Or, dans le même temps, les apporteurs de capitaux se méfient et craignent d’être pris dans des souricières, malgré les codes des investissements élaborés çà et là. Lorsqu’on parle de réforme de l’entreprise n’y a-t-il pas, en conséquence, risque d’effrayer les bailleurs de fonds ?

Cette question appelle plusieurs réponses. Si nos pays se contentent de laisser leurs entreprises se développer comme dans les nations industrielles, nul doute qu’à un moment ils subissent eux aussi la crise actuelle de l’entreprise. Cela signifierait que nous avons opté, pour notre développement, de reproduire les modèles des pays industriels. Ce qui n’est pas acceptable car nous serions toujours en retard. En outre, la crainte des nationalisations amène les investisseurs à ne se lancer que dans les opérations à très haut coefficient de rentabilité et permettant un rythme accéléré des amortissements. Et ces options ne sont pas toujours les meilleures pour le développement de nos pays. Si des projets « rentables » sont réalisés, la sortie des capitaux de nos pays s’en trouve accélérée (remboursement des emprunts, rapatriement des dividendes, etc…), malgré toutes les mesures prises pour inciter au réinvestissement des bénéfices.

Un mythe, qui s’estompe, a entouré le principe des nationalisations. Affirmer son indépendance a souvent été assimilé à la politique de nationalisation. La plupart des Etats africains, au lendemain de l’indépendance, ont agi avec beaucoup de précipitation et les résultats n’ont pas toujours été à la mesure des espérances. La nationalisation n’est pas toujours un sésame. Nous vivons un monde très dur, d’où sont bannis les grands sentiments, où l’intérêt égoïste prévaut sur tout. Aujourd’hui on parle du pétrole, en oubliant trop souvent que le combat mené dure depuis des décennies, combat qui fut jalonné par la liquidation politique d’hommes d’Etat éminents, par des morts suspectes, par des renversements de régime, etc… Nationaliser pour nationaliser n’est pas une fin en soi. Nationaliser pour instaurer un capitalisme d’Etat dont les résultats sont « inférieurs » à ceux obtenus par les vrais capitalistes n’est pas résoudre les problèmes des pays en voie de développement.

Marché, capital, travail, Etat

Aujourd’hui, la question n’est pas seulement de produire. Elle est aussi de distribuer et de vendre. Si l’on dépasse le stade de la vente des matières premières pour envisager celui des produits finis, il faut bien introduire dans l’équation le marché. C’est une évidence que les dimensions des marchés des pays en développement, à quelques rares exceptions bien connues, sont très restreintes et n’offrent pas des possibilités de production au coût marginal le plus bas possible. En d’autres termes, la conquête des marchés des pays industrialisés doit être un objectif des politiques de développement de nos Etats. Conquérir ces marchés suppose non seulement des produits à prix largement concurrentiels, mais encore de qualité. C’est toute la question de l’assimilation de la technologie moderne par nos travailleurs. Nous devons, en effet, éviter de rééditer la politique suivie en URSS par exemple, qui a consisté à fermer son propre marché et à y vendre des produits de qualité médiocre car, à ce compte-là, nous ne réussirions pas à nous imposer sur les marchés à haut pouvoir d’achat. Dès lors, une bonne assimilation et une adaptation de la technologie moderne impliquent non seulement une politique de formation des cadres, mais encore le transfert des technologies des pays industriels vers les nôtres. Il faut aller plus loin. Le simple transfert ne suffit pas, car ce qui ajoute à la valeur du système productif des pays développés est précisément l’environnement technique : fabrication des pièces de rechange, approvisionnement de l’entreprise en intrants à partir d’unités autonomes travaillant pour plusieurs entreprises similaires, innovation… Dans nos pays, trop souvent, pour réaliser tel ou tel ensemble industriel nous sommes obligés de construire en même temps une unité de fabrication de biens intermédiaires dont la dimension, petite par voie de conséquence, obère la rentabilité finale de l’ensemble. Pour toutes ces raisons, pour des raisons plus fondamentales d’un monde plus solidaire nous devons revoir la question du droit de propriété dans l’entreprise.

Aujourd’hui, dans l’entreprise, le travail est, de plus en plus, place sur le même plan que le capital. Auparavant, il était acquis que le travailleur vendait sa force de travail et la rente capitaliste provenait de la différence entre la valeur réelle de ce travail et le prix auquel il était payé. Le capitaliste empochait la plus-value. En outre, dans les pays en développement, l’Etat est un élément décisif de construction de la nation de sa consolidation et lorsqu’on regarde les choses de près on constate qu’il est le plus gros des employeurs, les marchés de travaux les plus importants sont passés par lui. Il est censé représenter l’intérêt général et, à la limite, il est le seul, dans nos pays, à pouvoir résister valablement aux sociétés multinationales. En conséquence, l’Etat doit se trouver au cœur de la réforme de l’entreprise.

Dans ce cadre, l’objectif est de faire de l’entreprise une propriété sociale dont les tenants sont les détenteurs de capitaux les travailleurs organisés en syndicat et l’Etat.

Les détenteurs de capitaux apportent leur argent, la technologie et peuvent aider à la pénétration des marchés des pays industriels. Les travailleurs, de cette manière, cessent d’être de simples prolétaires et participent pleinement à la définition de la politique et à la gestion de l’entreprise. Quant à l’Etat, il veillera plus particulièrement et à ce que l’intérêt général, au sein de l’entreprise, l’emporte sur les intérêts particuliers. Dans un tel cadre, pour assurer un fonctionnement correct il importe qu’aucun des partenaires n’aient une position telle que, finalement et pratiquement, la décision lui appartienne à lui seul. C’est d’abord la question de la répartition du capital au sein de l’entreprise.

A priori il semble qu’une répartition égalitaire du capital devrait être la règle. Ainsi chaque partenaire pourrait en détenir un tiers. Les 10 % restants seraient souscrits par un Fonds d’actions sociales, chargé de réaliser un programme de développement social (éducation et santé essentiellement). Une telle pratique, généralisée dans toutes les entreprises rentables, devrait permettre de soulager les dépenses de l’Etat en matière sociale ou augmenter leur efficacité. L’Etat sénégalais dépense près de 33 % de son budget pour l’éducation, la formation et la culture. Ce pourcentage est particulièrement élevé et ne peut être dépassé sans compromettre très sérieusement les objectifs de développement du pays. Or, dans la construction du socialisme, on ne peut décemment reporter trop longtemps la réalisation des objectifs sociaux. Le régime socialiste diffère des autres par, notamment, la place accordée au secteur social. En affectant une part des bénéfices des entreprises au secteur social, un développement écnomique et social plus équilibré devient possible. Cela implique la résolution de plusieurs problèmes.

Comment l’entreprise doit-elle être gérée ? Trois niveaux sont à prendre en considération : la conception, la gestion et le contrôle. La définition de la politique générale de l’entreprise incombe à une assemblée générale où sont représentés les détenteurs du capital. Cette assemblée, à son tour, désigne un organe de direction comprenant le directeur de l’entreprise et quelques cadres dont le nombre et la qualification dépendent du type d’entreprise en question. Le contrôle est assuré par un conseil de surveillance élu par l’assemblée générale et tenu de lui rendre compte régulièrement. Théoriquement, ce schéma se tient, mais, concrètement, dans des pays en développement comme les nôtres les choses sont moins simples.

Le directeur sera-t-il élu ou désigné ? L’élection permet une désignation démocratique, mais n’assure pas une garantie de compétence. De surcroît, par le jeu des alliances, Etat-travailleurs, capitalistes-travailleurs, Etat-capitalistes, on risque de désigner une personne non acceptée par le troisième partenaire, ce qui, naturellement, est source de difficultés dans la gestion de l’entreprise. En outre, la pénurie des cadres est telle dans nos pays que les possibilités de choix ne sont pas très grandes. C’est pourquoi, il semble que les partenaires devraient ensemble définir le profil du poste et se mettre d’accord sur le nom du directeur. En d’autres termes, c’est la règle de l’unanimité qui prévaut en la circonstance.

Les travailleurs organisés en syndicat, avons-nous dit. S’il y a multisyndicalisme comment assurer la représentation des travailleurs ? Plusieurs règles peuvent être appliquées : la règle majoritaire (le syndicat le plus représentatif), la règle proportionnelle, c’est-à-dire une représentation en fonction des forces respectives. Il est évident, en ce dernier cas, que cela peut affaiblir la position des travailleurs au sein de l’entreprise, car une partie de ces derniers risque de faire alliance avec les autres partenaires. En outre, on peut légitimement se poser la question de savoir si, au sein de chaque entreprise, les syndicats ont les cadres aptes à assumer les tâches de gestion à tous les niveaux : depuis la conception jusqu’au contrôle. Pour l’Etat, on peut s’interroger de la même manière. Nous reviendrons sur ce point plus loin à propos de la mise en œuvre concrète de la réforme de l’entreprise.

Comment assurer la participation de l’Etat et des travailleurs au capital de l’entreprise ? La question est d’importance car nos pays manquent de capitaux. Une telle réforme suppose des changements dans le fonctionnement du système bancaire. L’Etat, dans le cadre de son budget en capital, peut prévoir chaque année une somme consacrée aux prises de participations. Cela risque de ne pas suffire et c’est là où l’on retrouve la question de la réforme du système bancaire. Il s’agit pour les banques de pouvoir prêter les capitaux nécessaires à l’Etat et aux travailleurs. Les ressources « normales » des banques seront sans doute insuffisantes. L’Etat peut alors venir à la rescousse en leur accordant des lignes de crédit, soit, si c’est possible, grâce au budget en capital, soit grâce à des fonds obtenus à l’extérieur. D’ores et déjà l’Etat du Sénégal a pu obtenir des sources de financement extérieures des lignes de crédits affectées à telle ou telle banque. Les pétro-dollars trouveraient là un emploi judicieux. Et il faut rappeler que, dans les investissements, le capital n’est pas la partie la plus importante. Il varie en fonction du type d’entreprise et peut atteindre le tiers du montant des investissements. Cela signifie que la « ponction » effectuée sur l’ensemble des disponibilités du pays n’est pas telle qu’elle puisse perturber gravement l’économie. Enfin, cela est largement compensé par les dividendes touchés par l’Etat et les travailleurs qui, eux, auront l’obligation de réinvestir dans le pays une partie de leurs bénéfices.

L’ensemble des entreprises d’une même branche (chaussure, huilerie, filature, mines, travaux publics…) doivent se fédérer, selon la répartition tripartite ou quadripartite du capital, au sein d’un organisme, conseil ou chambre. Cet organisme aura pour mission de discuter de l’ensemble des problèmes de la branche, d’aider à la définition de la politique de la branche, à son exécution et à son contrôle, d’harmoniser les plans des différentes entreprises et de présenter le plan sectoriel de la branche. L’ensemble des plans des différentes branches seront harmonisées au sein d’un organisme de planification qui pourrait être le Conseil Economique et Social rénové. La représentation au Conseil Economique et Social se ferait par l’intermédiaire des fédérations des différentes branches, étant entendu qu’elle sera le reflet de la composition du capital. Par exemple, la branche huilerie serait représentée tout à la fois par le capitaliste, le travailleur, l’Etat et, éventuellement, par le Fonds d’actions sociales. Ainsi un plan national serait élaboré, dans un premier temps, à partir des plans des différentes branches des entreprises. Si on s’en arrêtait là, beaucoup de secteurs échapperaient à la planification. C’est pourquoi, il convient d’examiner la réforme de l’entreprise au sein du monde rural.

Dans le monde rural

Dans ce secteur, les choses sont à la fois plus simples et plus compliquées. Au Sénégal, avec la loi sur le domaine national, la question de la propriété de la terre est réglée : le sol est un bien qui appartient à la nation, qui n’est pas susceptible d’appropriation privée à titre individuel, étant entendu que le droit d’usage, d’usufruit est reconnu à celui qui travaille la terre. En outre, il est prévu des zones pionnières que l’Etat, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un colonat de paysans, peut mettre en valeur. Des études ont été faites au Sénégal qui montrent que l’unité de culture, sous pluie, rentable est de dix hectares et qu’elle permet de tripler le revenu du paysan. En culture irriguée, les surfaces varieront de trois à cinq hectares en fonction des différentes spéculations. Une réforme de l’administration locale est actuellement en cours au Sénégal et les paysans prennent progressivement en main la gestion de leurs propres affaires, en coopération avec l’administration territoriale et les sociétés d’Etat d’encadrement du monde rural. De fait, grâce aux coopératives, qui doivent être véritablement la chose des paysans, l’objectif sera d’arriver à une fédération des coopératives au niveau régional. Cette fédération aurait pour tâche de dresser le plan rural de la région ; une instance de synthèse, comprenant les représentants de toutes les branches intéressées et de l’administration, serait chargée de l’harmonisation des différentes propositions. Ce plan régional serait ensuite confronté avec les plans des différentes branches d’entreprises.

Dans les zones pionnières le système qui a prévalu jusqu’à présent au Sénégal a été une organisation des paysans en coopératives, encadrées par une société d’Etat d’aménagement. D’ores et déjà, les cultivateurs sont représentés au sein du conseil d’administration, mais d’une façon minoritaire. Dans ce genre d’exploitation, souvent de type agro-industriel, il y a plusieurs parties prenantes : l’Etat, qui réalise les aménagements, assure l’encadrement des paysans et l’achat de leurs productions, les paysans organisés en coopératives et enfin les ouvriers chargés de la partie mécanisée (tracteurs, usine de transformation des produits agricoles) et salariés de l’Etat. Avec la construction des grands barrages sur le fleuve Sénégal, les questions d’organisation et de participation vont prendre une importance particulière. On peut concevoir une société globale d’aménagement intègré dont les activités iraient des aménagements à l’achat et à la vente des produits en passant par l’encadrement des paysans. Elle serait gérée par les représentants de l’Etat, des paysans organisés en coopératives, des ouvriers organisés en syndicats et par ceux des industries lorsque ces dernières sont réalisées par le secteur privé. La répartition du capital n’est pas chose aisée. S’agissant de zones pionnières, la responsabilité principale incombe à l’Etat : c’est lui qui fera les investissements d’infrastructures les plus importants, assurera l’encadrement des paysans. Or, les investissements d’infrastructures ne pourront être amortis que sur une très longue période. Une représentation paritaire devient, des lors, injuste. C’est pourquoi, il convient, semble-t-il, de distinguer deux phases. Dans la première période, celle des gros investissements et des grandes réalisations, l’Etat doit avoir une maîtrise totale de l’opération, étant entendu que les paysans, les industriels et les ouvriers seront associés d’une façon subséquente. Dans une deuxième phase, lorsque le projet a atteint sa vitesse de croisière, une représentation paritaire pourrait être adoptée, sous la réserve que, dans le partage des bénéfices, l’Etat ait une part plus importante à cause des investissements antérieurs réalisés par lui de façon, autant que possible, à les amortir.

Sénégalisation et bourgeoisie

Dans notre pays, nous cherchons, tout naturellement, à sénégaliser les entreprises. Cette politique, qui est choix délibéré et qui vise à faire contrôler par les Sénégalais eux-mêmes leur propre économie, comporte un risque politique qu’il ne faut pas ignorer. Si des mesures sont prises pour assurer simplement le transfert du droit de propriété des étrangers aux Sénégalais, seule une partie de l’objectif aura été atteint. Ce faisant on crée une classe bourgeoise sénégalaise et, en toute logique, elle risque de s’opposer à l’édification du socialisme en s’alliant, le cas échéant, au capitalisme international. Dans le même temps, grâce aux moyens dont elle va disposer, cette classe va constituer une force politique de première grandeur pouvant peser avec l’aide de capitalistes étrangers ; d’une façon décisive sur l’orientation politique du pays. Lorsque l’on sait que cette sénégalisation n’est possible que grâce à l’action et à l’aide de l’Etat on risque d’arriver à cette situation paradoxale de voir l’Etat secréter une classe qui, demain, le contestera avec des moyens importants. Dès lors se pose la question de l’application de la politique de sénégalisation dans le cadre de la réforme de l’entreprise, c’est-à-dire, finalement, dans le cadre de l’application d’une politique de socialisation de l’économie.

Le problème se trouve résolu si l’on adopte la règle de la participation tri ou quadripartite au capital : capitalistes, travailleurs, Etat, fonds d’actions sociales. Dans ce cadre là, certes on crée une catégorie socio-professionnelle de citoyens. Mais elle n’a pas le monopole des moyens de production et, par la même, on résout ou tente de résoudre ce qu’il faut bien appeler une contradiction de taille. Dans le même temps, on maintient un secteur privé national, avec les avantages que cela comporte (développement de l’épargne, du sens de l’initiative, lutte centre la fonctionnarisation et l’irresponsabilité…) et sans les inconvénients des régimes où domine le secteur privé (classe sociale exploiteuse, véritable force politique dominant l’Etat, recherche effrénée du profit le plus grand possible même si cela se fait au détriment de la préservation des ressources nationales…).

Répartition du revenu et pertes

On peut, légitimement, se poser la question de savoir ce qu’il adviendrait de ce schéma si les entreprises faisaient des pertes. C’est tout le problème de la répartition du revenu au sein de l’entreprise. Lorsqu’il y a des bénéfices plusieurs masses doivent être distinguées : d’abord les sommes nécessaires au fonctionnement de l’entreprise : dépenses matérielles et de personnel (salaires, cotisations pour la sécurité sociale, participation à la construction de logements sociaux…). Ensuite, il faut défalquer ce qui est nécessaire aux amortissements techniques et financiers. Enfin, il y a la part à verser au Fonds d’actions sociales. Ce Fonds peut être envisagé au niveau d’une branche donnée et ensuite au niveau national. Sa gestion sera confiée aux représentants des différentes branches d’entreprise, de l’Etat et des régions. Il aura aussi la responsabilité d’élaborer le plan national des principales actions sociales dans les domaines des infrastructures scolaires et sanitaires. Le cas échéant, la construction des logements sociaux lui serait dévolue. Tout cela ne peut se faire si l’entreprise travaille à perte. C’est pourquoi, la création d’un fonds de réserve par branche s’impose, alimenté par une quote part, à déterminer, des dividendes touchées par chaque catégorie de partenaire de l’entreprise. De cette manière, si, dans une branche donnée, une entreprise est en perte, ce fonds pourra intervenir pour l’aider. Mais auparavant, une commission de contrôle, instituée au niveau de chaque branche d’entreprise, mènera une enquête pour connaître les raisons des pertes. Si les causes sont d’ordre structurel, conjoncturel ou autres (mauvaise gestion, par exemple), la commission devra proposer un plan de redressement et veiller à son exécution dans les délais impartis. Si les pertes sont dûes à la mauvaise gestion du directeur, par incapacité ou incurie, malversation ou irresponsabilité, celui-ci devra être remplacé, sans préjudice des sanctions pénales éventuelles, et, dans le même temps, la commission proposera un certain pourcentage de baisse des salaires et traitements jusqu au moment où l’équilibre sera à nouveau atteint. Inversement, lorsque les bénéfices dépassent les prévisions, les travailleurs toucheront un revenu complémentaire. Si, malgré toutes ces mesures, l’entreprise continue à faire des pertes, le problème devra être revu d’une manière fondamentale pouvant aller jusqu’à la suppression, étant entendu, en ce cas, qu’un plan de reclassement des travailleurs aura été adopté. Cela dit, il est des entreprises qui, quoi qu’on fasse, auront des résultats négatifs parce qu’il leur aura été imposé, par l’Etat, des charges de service public. C’est le cas, par exemple, d’une entreprise de transport à laquelle il est fait obligation, pour des raisons sociales, de desservir un trajet manifestement non rentable financièrement. En ce cas, il appartient à l’Etat de donner les subventions d’équilibre nécessaires.

Politique d’ensemble

La mise en œuvre de toutes ces mesures implique une politique d’ensemble, emportant l’adhésion de la très grande majorité de la population. Donc, rien ne doit être entrepris sans une information sérieuse et une préparation psychologique adéquate. Les techniques d’animation rurale mises au point au Sénégal seraient certainement un bon moyen et la radio-éducative rurale y aura une place de choix. Les syndicats auront matière pour procéder à une véritable éducation ouvrière. Plus fondamentalement, le problème sera celui de la formation professionnelle. A ce sujet, beaucoup de réformes sont entreprises dans les pays en développement et le problème reste toujours le même : adéquation de la formation et des besoins du pays. La tendance est de rechercher un type de formation valable pour les pays en développement. Il y a là une erreur. Pratiquement, aucun pays en développement ne présente les mêmes besoins, à un moment donné, qu’un autre. Les situations sont différentes, les stades de développement ne sont pas les mêmes. En outre, les réformes entreprises envisagent presque toujours de réformer, une fois pour toutes, la formation. Là aussi, c’est une erreur. Les besoins, en la matière, varient avec le temps, avec les problèmes nouveaux qui naissent au fur et à mesure du développement. Un pays sans pétrole peut se passer d’ingénieurs pétroliers. Un pays qui découvre des gisements de pétrole sur son territoire doit former rapidement des cadres de haut niveau, de niveau international, qui seront utilisés dans l’exploitation et la commercialisation du pétrole comme dans l’industrie pétrochimique. Un pays sahélien qui se lance dans une politique de réalisation de barrages doit posséder des ingénieurs dans les branches de l’électricité et de la mécanique, des hydrauliciens, des agronomes, des vétérinaires, des pédologues, des spécialistes des cultures riches, etc… Naturellement, la formation des cadres moyens revêt une importance aussi grande. Une telle formation, pour qu’il y ait adéquation avec les besoins, doit être conçue et réalisée en étroite coopération avec les utilisateurs. Dès lors, chacune des branches d’entreprise aura la responsabilité de la définition des différents profils et du nombre des cadres nécessaires à son expansion, indiquera comment elle peut participer, concrètement, à cette formation au lieu de s’en remettre à l’Etat, les syndicats étant étroitement associés à la définition et à la mise en œuvre de cette politique. Les différents plans de l’ensemble des branches seraient confrontés de manière à déterminer les filières communes et les enseignements spécialisés, adaptés aux besoins de chaque branche. En tout état de cause, la réforme sera toujours à reprendre, en fonction de l’évolution de la situation et des besoins. Il s’agit presque d’un enseignement à la carte. Qui peut douter, un seul instant, de l’importance que va prendre, désormais, l’énergie solaire dans les pays du Sahel ? Et qui doute de la nécessité, pour le Sénégal, de former dès maintenant des techniciens dans ce domaine, de procéder aux études qui permettront, demain, d’utiliser l’énergie solaire de manière telle que cela se traduise par une amélioration sensible des conditions de vie de la plus grande masse, notamment de la masse rurale ? Qui ne pressent que l’usage de l’énergie solaire va faire naître une technologie nouvelle dans de multiples secteurs ?

La mise en œuvre de toutes les mesures envisagées suppose des changements fondamentaux dans le secteur bancaire (mode de financement des investissements, par exemple), dans la fiscalité. Comment s’en tenir purement et simplement à la notion de B.I.C. (bénéfices industriels et commerciaux) ? Faut-il imposer sur les B.I.C. de la même manière toutes les entreprises, sans tenir compte des efforts des unes et des autres sur le plan social, sur le plan de la formation des cadres ? Non naturellement ! La répartition des charges entre l’Etat, les entreprises, les travailleurs, les collectivités sera profondément bouleversée. Il en sera de même de celle des recettes… Les incidences sur le plan politique ne seront pas moindres. Que va devenir le Parti ? Si son association, au niveau rural, aux sociétés d’aménagement ne semble devoir poser aucun problème, cela n’est pas évident au niveau de toutes les entreprises. Par contre sa présence au Conseil Economique et Social rénové semble s’imposer. S’il y a un système multipartisan comment assurer la représentation de chaque parti et que faire si l’un est opposé à la réforme en cours ? Ce sont là des questions difficiles qu’on ne peut résoudre, comme par enchantement, par un coup de baguette magique.

Mais le plus important, finalement, est la volonté politique de l’Etat de faire aboutir de telles réformes, sa fermeté dans l’application d’une politique qui sera vigoureusement combattue. C’est pourquoi, en cette circonstance comme en d’autres, il ne faudra pas confondre vitesse et précipitation. De longues années seront nécessaires, voire des décennies, avant d’arriver aux changements d’attitudes et de mentalités, après bien des erreurs qui seront fatalement commises. Une démarche prudente s’impose. Le choix des secteurs à cogérer ou à autogérer sera très délicat. Mais il ne faudra prendre que ceux-là où les conditions sont telles que les chances de succès l’emportent sur les risques d’échec. C’est dire qu’il ne faut avancer qu’en accord avec toutes les parties intéressées, après discussion et élaboration en commun d’un plan d’actions. Comme quoi nous retrouvons la démocratie. La cogestion ou l’autogestion ne valent, finalement, que si elles permettent l’instauration d’une plus grande démocratie