Critique d’art

LA GUERRE DANS GUERNICA ET DANS LITTLE BIG HORN

Ethiopiques n°71.

Littérature, philosophie, art et conflits

2ème semestre 2003

Art et Guerre paraissent s’exclure ; car lorsqu’elle éclate, la guerre déclare la guerre à l’art, ne faisant aucun quartier. L’histoire enseigne, en effet que, malgré les conventions internationales [2], dans aucun pays la guerre n’a épargné l’art et les patrimoines artistiques, même si, de nos jours, le perfectionnement et la sophistication des moyens de guerre peuvent autoriser des espoirs de préservation, puisqu’il est désormais possible dans la guerre moderne de déterminer à l’avance les cibles à bombarder (cf. la guerre en Afghanistan puis celle plus récente de l’Irak [3]).

Comme la guerre tue l’art, celui-ci, en retour, l’ignore. Revanche ?

Il n’y a pas beaucoup d’artistes, en effet, dans l’histoire de l’art, que la guerre inspire. Dans les rares cas où cela arrive, c’est généralement pour dénoncer la guerre et stigmatiser ses effets. C’est ce que fait Pablo Ruiz Picasso dans Guernica. Par contre, Ousmane Sow, lui, parle de la guerre elle-même ; il la décrit dans les menus détails, à travers les attitudes, les postures, les mines, les tensions des muscles, les membres du corps des différents protagonistes de la bataille de Little Big Horn.

  1. GUERNICA (1937)

Guernica n’est pas une peinture sur la guerre et ne relate pas non plus un épisode de la guerre. Mais c’est un épisode de la guerre civile espagnole qui a suscité Guernica.

Les Faits. Guernica est le nom d’une petite ville espagnole, ville sainte des Basques qui, dans l’après-midi du 26 avril 1937 à 16h 40, jour de marché, est bombardée, par vagues successives, par des avions de la Légion Condor des forces nazies au service de Franco ; ces avions lâchent leurs bombes sur des civils sans défense, alors qu’il n’y avait aucun objectif militaire dans la ville. Ce fut le premier bombardement totalitaire de l’histoire, qui provoqua un scandale international et indigna profondément Picasso [4] qui s’empara immédiatement de ses crayons et de ses pinceaux pour protester contre la barbarie qui venait d’être commise sur des populations civiles sans arme. C’était le 1er mai 1937.

Les qualificatifs n’ont pas manqué. Cri de colère ! Stupeur et indignation ! Réaction morale face au déploiement ostentatoire d’une puissante armée contre une population civile sans défense !

C’est pourquoi, les motivations éthiques prennent le pas dans cette œuvre sur les motivations esthétiques. Car Picasso était envahi par un sentiment d’indignation si intense qu’il n’a pas le loisir de songer au style et de réfléchir sur des considérations esthétiques.

A cet égard, l’œuvre est d’emblée l’expression d’un art engagé qui, ici, use particulièrement de symboles. En effet, devant l’holocauste de Guernica, c’est Picasso bouleversé qui se mobilise et se change en soldat défenseur de la population de Guernica martyrisée.

Aussi, la toile est-elle traversée de part en part, habitée par la souffrance. Chaque image-symbole de la fresque exprime la souffrance. Car Guernica est une immense fresque dont toutes les formes disent la détresse.

D’abord le couple antinomique taureau-cheval incarne le pathétique, le tragique de la situation : dans cette œuvre, le taureau est le symbole du mal, de la force brutale et représente le fascisme de Franco, la puissance destructrice de la Légion Condor d’Hitler ; le cheval est le symbole de la souffrance, de la faiblesse et représente le peuple espagnol innocent, victime de cette barbarie.

Le couple, formé par la femme et l’enfant, est le symbole de l’innocence, de la faiblesse et de la fragilité, donc de la souffrance.

Ainsi, les personnages-clés de l’œuvre sont, au centre, massifs, le taureau et le cheval campés pour indiquer l’opposition du bien et du mal, de la barbarie et de la souffrance, de la violence aveugle et de la faiblesse ; et à côté, à gauche puis à droite, les femmes et les enfants, incarnations de la faiblesse et de l’innocence. Ces seuls personnages suffisent à l’œuvre, et que la créativité de l’artiste organise, manipule et agence pour rendre la toile suffisamment expressive, par les formes certes, mais aussi et surtout par les mines, les expressions, les cris, les élans, les tensions, les regards, etc.

Le taureau et le cheval, la femme et l’enfant sont ainsi les seuls êtres représentés dans la fresque, comme s’il n’y avait pas eu d’hommes dans la ville ce jour-là. Malgré son apparente profusion, il n’y a pas beaucoup d’images dans la fresque.

Ainsi toute la fresque, à travers les images et les formes, dit la souffrance et la douleur. La détresse d’êtres fragiles est lisible sur chaque image et forme.

Ce qui est représentatif, dans l’image du cheval au centre de la toile, de la souffrance, c’est la gueule grande ouverte comme pour hennir, les dents et la langue dehors.

Hormis le cheval, toutes les autres images-martyres représentent des femmes et des enfants, qui toutes ont la bouche grande ouverte, criant ainsi leur détresse.

La mère et l’enfant, image de gauche en bas, incarnent dans la fresque la souffrance suprême ; la force qui émane de la mère, toute tendue vers le ciel, le long cou tiré vers les hauteurs, la bouche grandement ouverte traduisant un grand, un immense cri de douleur, exprime aussi la révolte, le refus de la violence et de la mort ; elle porte dans ses bras son enfant mort, mais elle se révolte contre cette mort ; elle dit non par son cri à la violence et à la force qui oppriment et tuent.

A côté d’elle, tout en bas, une autre image étendue, le bras allongé derrière la tête, la bouche également grande ouverte, exprime la même souffrance.

Au centre, vers le bas, deux autres images, de femmes, bouche ouverte, pleurent et crient ; tout à fait à droite, mais en chute libre, la tête et les bras levés vers le ciel, la bouche grande ouverte, une femme crie sa détresse. Ici le pathétique est à la fois dans le corps en chute et dans la tension du corps, des bras, de la tête vers les hauteurs.

Le tragique est enfin accentué par le contraste du blanc et du noir, les deux seules couleurs de la fresque ; le blanc est signe de deuil, le noir un symbole du mystère, de la mort, du lugubre.

Au point de vue proprement plastique, la simplicité des formes est générale ; les personnages (taureau, cheval, femmes et enfant) sont représentés par des traits et des lignes ; le procédé cubiste de la caricature est poussé à l’extrême. Malgré les apparences, il n’y a pas surcharge, les formes sont bien délimitées, les lignes sont nettes et franches, simples et sobres. Le réalisme est apparent mais il n’est pas total ; il est caricatural ; et ce réalisme caricatural procède du cubisme et de ses procédés fantaisistes et approximatifs alliés aux formes surréalistes et naïves.

Là se révèle le talent de l’artiste qui, avec de tels procédés et ces formes naïves, parvient à exprimer le tragique de la situation et la détresse d’êtres écrasés et meurtris.

Dans l’organisation de l’ensemble, la fresque présente deux perspectives ; d’une part, les images et les formes et donc toute la fresque semblent orientées tout entières vers la gauche : le taureau, le cheval et les deux êtres du milieu de la fresque regardent et sont tendus vers la gauche, comme pour y aller ; mais la fresque est fermée de ce côté, comme elle l’est par le bas et par le côté droit ; d’autre part, la femme en l’air en chute à droite ; et à gauche celui qui est étalé par terre mais la tête face au ciel, puis la femme et l’enfant tendus vers le ciel ou le sommet ; d’autres éléments accentuent l’ouverture vers le sommet : la gueule et le hennissement du cheval, les cornes et la queue du taureau, etc., sont tous orientés vers le ciel, là où il y a une ampoule et la lumière ; là d’où proviennent la violence et les avions nazis, comme pour les affronter ou leur dire non.

PH1. : P. R. PICASSO, Guernica (1937). Fresque (349×776 cm)

Ph.2:O. SOW, Little Big Horn (1999). Site : Mémorial Gorée-Almadies

De part en part et de quelque côté qu’elle est abordée ou perçue, Guernica dit l’opposition, le refus de la violence et de la barbarie, en même temps que la révolte des faibles et des opprimés.

  1. LITTLE BIG HORN (1994-1999)

Little Big Horn est une bataille, donc un épisode de la longue guerre que les Américains blancs ont livré aux Indiens autochtones, dans la conquête de l’Ouest et que le cinéma américain, à travers les Western, a immortalisé sous le nom de Far West.

Little Big Horn est le nom d’une rivière dans l’Etat du Wyoming, le long des rives de laquelle s’étaient installés les Indiens Sioux et autour de laquelle la bataille eut lieu dans la seconde moitié du XIXe siècle.

Et contrairement à l’histoire telle que narrée par le cinéma du Western américain, cette bataille est une des rares confrontations entre Américains et Indiens qui voit l’éclatante victoire des Indiens.

Les Faits. Le 2 juillet 1868, les Indiens Lakota et leurs chefs Red Cloud et Spotted Tail signent un traité à Fort Laramie protégeant leur territoire du Wyoming, en vertu duquel aucune personne de race blanche n’était autorisée à occuper ou à traverser leur territoire sans leur consentement. Les divers camps de ces Indiens comptaient trois mille guerriers, dont les chefs étaient Sitting Bull, Crazy Horse et Chief Gall.

Au cours d’une expédition en 1874, le général américain Custer et ses hommes découvrent de l’or dans les Blacks Hills, à l’intérieur du territoire des Indiens. Deux ans plus tard, en 1876, le traité de paix devient déclaration de guerre et les Indiens déclarés hostiles hors de leurs réserves. Le Ministère américain de la Guerre ordonna au général Sheridan de déporter les Indiens Sioux et Cheyenne dans des réserves.

Le 25 juin 1876, le général Custer, à la tête de la 7e cavalerie américaine avec les généraux Reno et Beenten, décida d’en finir avec les Indiens et les attaqua en envoyant le général Reno par le sud de la rivière. Mais très rapidement, aidé par Gall, Two Moon fit battre en retraite les troupes de Reno, puis Gall et Crazy Horse prirent en étau les troupes de Custer et de Beenten qui arrivaient par le nord.

Custer fut abattu, après un vaillant corps à corps, par un Sioux, qui l’acheva à bout portant. Seuls survécurent les hommes de Reno, réfugiés sur les crêtes, dans un bois de cotonniers ; ils rebroussèrent chemin.

Quatorze ans plus tard, exactement le 29 décembre 1890, à Wounded Knee, trois cents cinquante Indiens furent massacrés à la mitrailleuse ; ce fut la fin de la liberté des cinquante Indiens survivants et la fin de l’espoir de tout un peuple.

Sur la base de ces données historiques connues, l’artiste entreprend des recherches pendant de nombreuses années et se met au travail, entre 1994 et 1999, pour créer cette œuvre historique de plus de trente sculptures organisées.

Little Big Horn n’est ni une fresque ni une installation, encore moins une performance. Il s’agit plutôt d’une œuvre-spectacle. Dans l’œuvre de Ousmane Sow, elle correspond à la cinquième série et fait suite aux séries des Nouba, Massaï, Zoulou et Peulh. Mais, par sa dimension narrative, elle est plus qu’une série ; en effet, en tant qu’œuvre-spectacle, elle raconte un épisode de la guerre ; elle est un récit d’une bataille, celle de Little Big Horn.

En tant que série, elle est constituée de vingt trois personnages et de huit chevaux. La série raconte la défaite que les Indiens ont infligée à la septième cavalerie des Etats-Unis d’Amérique ; elle la raconte au moyen de scènes.

En tant qu’œuvre-spectacle, elle comporte plusieurs scènes :

1 – Sitting Bul en prière

2 – La charge de Two Moon

3 – La Riposte de Chief Gall

4 – Soldats dos à dos

5 – Indien blessé

6 – Cavalier désarçonné

7 – La fin d’un parcours

8 – Crazy Horse assailli

9 – Corps à corps au couteau

10 – La mort de Custer

11 – Le clairon

12 – Scène de scalp

13 – Indien dépouillant un soldat mort

14 – La retraite d’un soldat.

Apparemment isolées, ces scènes ne le sont pas en réalité, car elles sont organisées et ensemble, elles forment un spectacle dynamique, que seule une vue d’ensemble permet d’appréhender ; bien évidemment, chaque scène est significative, c’est-à-dire raconte quelque chose, une partie de l’histoire.

Comment l’artiste est-il passé de la sculpture traditionnelle – c’est-à-dire de la sculpture simple d’une ou deux pièces isolées et autonomes – à une sculpture-spectacle, dans laquelle sont taillées de nombreuses statues organisées en scènes pour relater une histoire ?

En vérité, le cheminement de Ousmane Sow [5] n’est pas ordinaire. Car il n’est pas véritablement sculpteur ; il n’a pas été formé pour cela ; il est autodidacte. Cependant sa profession de kinésithérapeute lui a été utile dans son expérience de sculpteur. C’est en effet grâce à la kinésithérapie qu’il acquiert une connaissance profonde du corps humain et des membres à rééduquer pour leur redonner vie.

Mais il reconnaît que son profond désir de pratiquer la sculpture ne découle pas de sa pratique de la kinésithérapie, qui était un métier comme tout autre métier.

C’est très tôt que Ousmane Sow a voulu sculpter ; déjà à l’école primaire, c’est-à-dire dès l’enfance, pendant laquelle, comme tous ses camarades, il aimait jouer, bricoler et fabriquer des jouets et des marionnettes avec du fil de fer, etc. Cette inclination ne l’a jamais quitté.

C’est bien plus tard en France, dans le cabinet de Montreuil (banlieue de Paris) d’abord, puis au pays, entre 1983 et 1986, que la vocation s’affirme et finit par s’imposer, en même temps qu’il poursuit assidûment des recherches sur des matériaux de création.

Puis à Dakar, à la suite de ce qui peut être considéré comme un échec professionnel et familial (difficultés du cabinet de kinésithérapie ouvert au quartier Le Plateau à son retour en 1984, il consacre entièrement son temps à la pratique sculpturale.

En 1986, ses recherches de matériaux semblent avoir abouti, car ses premières sculptures sont achevées, réalisées avec une matière d’œuvre inventée, créée par lui-même.

Ousmane Sow ne taille donc ni le bois ni la pierre ou le marbre et ne soude pas ; il n’est ni sculpteur de bois ni sculpteur métallique ; cependant il manipule le fer (cf. infra).

Le processus de création chez Ousmane Sow passe par plusieurs phases. Pour confectionner ces statues géantes [6] , puisqu’il ne sculpte pas réellement, il ne commence pas par des esquisses sur papier. Ainsi, hormis la commande qui lui a été faite au Japon et pour laquelle il avait fait un dessin pour montrer aux commanditaires ce qu’il allait faire, Ousmane Sow affirme, dans un « Entretien inachevé » [7] avec Marie-Odile Briot, ne pas dessiner ; mais il a toujours une idée précise de ce qu’il veut faire ; sinon, dit-il, il tergiverserait et changerait.

« C’est pour ça que je ne dessine pas. Si vous dessinez, l’œuvre est déjà terminée. Vous êtes obligé de revenir à votre dessin. Alors qu’en sculptant directement, vous lui laissez une liberté. Vous pouvez être agréablement surpris ; l’objet bouge dans la tête et vous en avez la maîtrise de A à Z » (p. 85).

Il n’a pas non plus de règle fixe ni de principe ou d’a priori ; il peut commencer aussi bien par la tête que par le corps ou par les pieds.

Trois phases ont été décelées dans son processus de création.

Il commence par fabriquer l’esquisse en fer du corps, c’est-à-dire confectionner le squelette à l’aide de grosses barres de fer, qu’il tond, soude ou attache pour suggérer la forme de la statue.

Ensuite, il procède à l’enveloppement de cette esquisse en fer avec de la paille plastique, qu’il enroule solidement avec du fil de fer ; cette paille est elle-même un matériau spécial, fruit de longues recherches ; auparavant, il effectuait des bourrages des squelettes avec divers matériaux, dont des fibres végétales, qui présentaient un inconvénient en séchant et en se cassant ; alors que la paille plastique brûlée et fondue est stable et consistante, mais surtout solide et dure. Cette paille est elle-même enveloppée par le levain [8], mélange complexe comprenant une vingtaine de produits.

L’artiste peut alors utiliser burins, ciseaux et outils divers pour marquer l’expressivité, imprimer des emplacements, des formes et des aspects aux visages ; ici le sculpteur taille et soude pour matérialiser tel aspect, telle posture ou telle attitude ; sa technique de création exclut donc le modelage. Le levain appliqué sur la paille devient une pâte compacte, qu’il peut tailler, ciseler, percer ou graver.

Cette seconde phase est la plus importante dans son processus de création, car c’est là qu’il donne des formes définitives, sort des détails ou imprime les aspects saillants.

Enfin, dans la dernière phase, l’artiste enveloppe le tout avec de la toile de jute, ou tout autre tissu ; mais il recourt de préférence à la toile de jute ; celle-ci peut être une pièce unique, qu’il trempe d’abord dans le mélange avant de recouvrir les formes avec ; ou alors, elle est découpée en différents morceaux correspondants aux différentes parties du corps qu’elle doit envelopper. Après avoir ainsi enveloppé toute la statue par la toile ou le tissu, l’artiste finalise parfois les formes en appliquant à nouveau, mais cette fois sur la toile, le levain ; à ce moment, il accentue ou exagère tel effet, telle forme ou tel détail.

On constate ainsi que dans la démarche de cet artiste, c’est au cours de la première phase, celle de l’esquisse ou du squelette, que sont conçus et réalisés les postures, le mouvement et l’allure ; la station assise ou debout, le bras levé ou plié, les génuflexions, le corps incliné, une jambe en avant ou en arrière, la tête inclinée ou relevée, etc., tout cela est fait avec les barres et les fils de fer, dans le squelette. C’est ce que l’on peut voir dans les scènes suivantes.

Le pathétique de la scène du Cavalier désarçonné a été rendu dès la confection de l’armature en fer du cheval dont tout le corps bascule vers la droite, les deux pattes de devant et de derrière en l’air (déséquilibre), le long cou penché vers la terre et la gueule grande ouverte et posée sur le sol ; le soldat en équilibre instable sur le cheval ne se maintient sur sa monture que couché le long du flanc de l’animal. Ici, toute la scène en chacun de ses éléments est en mouvement.

Même la scène Soldats dos à dos comporte du mouvement, alors que leur station debout et leur attitude défensive tendent à exclure ce mouvement ; ici, c’est la posture qui est expressive : genoux en légère flexion, jambes écartées, le thorax comme reposant sur le bassin, dos contre dos, bras tendus devant ayant entre les mains un revolver ; bras et mains sont ainsi en activité ; la tête comme figée par l’imminence de l’action.

La scène Indien blessé ne devrait pas, dans le principe, comporter du mouvement et être véritablement expressive. Mais le tragique de la scène est matérialisé dès la conception et la réalisation de l’esquisse : genoux et pieds posés par terre, buste et thorax basculés par derrière, bras derrière la tête et mains posées sur terre touchant presque les pieds, …l’équilibre instable de l’Indien est corrigé par la posture des jambes-pieds-bras-mains, qui permet à la statue de se maintenir en équilibre, autonome, sans support ni appui ; le tragique réside ici dans l’allure du personnage et sa posture avant que sa tête légèrement relevée et le regard de détresse ne l’achèvent.

Sur la scène La fin d’un parcours, deux soldats ennemis, chacun sur son cheval, semblent s’affronter, dans un face à face tragique, décisif ; mais les deux figures s’opposent en tous points ; tandis que celui de gauche semble déterminé à charger l’autre, debout sur son cheval en parfait équilibre et ruant vers l’autre cheval ; celui de gauche, lui, est en équilibre instable sur son cheval qui se cabre, le cou et la tête relevés, la gueuleouverte ; par sa posture instable surle cheval, son corps penché en avant et la tête baissée et retenue par celle du cheval, ce soldat paraît bien mourant.

La scène Crazy Horse est assailli paraît bien simple et pauvre ; d’abord l’assaillant debout tourne le dos ; il est peu expressif ; l’expressivité de la scène réside ici dans le rendu du personnage même de Crazy Horse et de son cheval ; le cheval, affolé, la gueule grande ouverte, est maintenu par la main de l’assaillant ; Crazy Horse mourant sur son cheval, le corps basculant vers l’avant, la tête baissée, est sur le point de tomber, car en déséquilibre.

Dans la scène Corps à corps au couteau, c’est au niveau de l’esquisse qu’il a été possible d’entremêler les corps des deux soldats, dans un combat à mort ; ici ce sont les postures des corps qui sont expressives ; bustes et têtes légèrement relevés de l’un, s’appuyant sur une jambe gauche repliée au genou et reposant à terre, tandis que l’autre soldat a la tête et le buste par terre, alors que les deux jambes sont relevées, l’une repliée au genou et l’autre tendue.

La scène Sitting Bull en prière est sans doute la scène la plus simple et aussi la plus pauvre ; car elle ne comporte ni protagonistes ni chevaux ; un seul personnage, Sitting Bull, chef suprême des Indiens Hunkpapa, assis sur un banc, les jambes légèrement pliées et écartées, les bras levés vers le ciel et le personnage entièrement tourné vers le ciel, « le soleil en face », est concentré dans sa prière ; ici l’expression est dans la posture, la tension de tout le personnage vers le ciel-soleil et les bras levés.

Toutes les autres scènes, simples ou complexes (cf. La charge de Two Moon, La Riposte de Chief Gall, La Mort de Custer, Le Clairon, etc.) sont tout aussi expressives et saisissantes.

Au cours de la seconde phase, l’artiste peut améliorer, compléter ou atténuer l’expressivité, car dans cette phase, muni de ses outils de tailleur, il peut toujours poursuivre, parfaire le travail antérieur, revenir sur des détails, sur des aspects, etc. ; là, il fignole l’expression des visages, des regards, des mines, des muscles, etc. ; il les fait parler.

Le regard fixe de Sitting Bull, paupières mi-closes, fixant le soleil, est un regard ferme et traduit la concentration du personnage, qui transparaît dans la mine du visage.

La ferme détermination de Two Moon et de Chief Gall se lit à travers l’expression de leur visage, la tension des muscles du thorax et des bras.

Ailleurs, c’est la peur et l’angoisse, la haine et la détresse, etc., qui se perçoivent sur les regards et les visages des protagonistes, mourants ou vainqueurs (cf. les scènes Cavalier désarçonné, Indien blessé ou La Fin d’un parcours, La mort de Custer, etc.).

A cet égard, Ousmane Sow dit dans son entretien avec Marie-Odile Briot (p. 89-90) ;

« La série sur la bataille de Little Big Horn représente des scènes dramatiques ; on ne peut pas les faire lisses. Je ne sais pas comment, mais entre les personnages il y aura un dialogue et une force. Pas seulement dans les regards, mais dans le comportement ».

Ousmane Sow a inventé de la sorte une technique propre grâce à laquelle la sculpture parle, devient véritablement narrative. Autrement dit, grâce à cette technique, le langage sculptural s’enrichit et se diversifie ; il devient véritablement expressif ; l’artiste peut ainsi dire, dans sa sculpture, tout ce qu’il veut.

Et ce qu’il a voulu dire dans cette fresque historique, ce sont les sentiments de haine et de cruauté, de peur et d’angoisse, de détresse, etc. que suscite la guerre. Les Indiens ou, comme dit Salah Hassan [9], les natives, c’est-à-dire les autochtones ou indigènes, ont des expressions sereines et mystiques, tandis que celles des Américains montrent la peur et l’horreur face au constat de leur défaite.

Traditionnellement, la sculpture était pauvre et peu expressive ; d’où les caractères hiératique et statique qu’elle a toujours gardés, se contentant exclusivement de l’expression des formes, au point que des sculpteurs, spécialistes de la taille, ont affirmé que le grand sculpteur est celui qui est capable, seulement par la taille, de sortir toutes les formes voulues pour dire tout ce qu’il avait à dire. Ils accusaient ainsi les autres, ceux qui, pensent-ils, ne savent pas tailler, de recourir à des procédés factices et fallacieux (adjonctions, collages, soudure, coloriage, etc.).

Au contraire, Ousmane Sow ne pratique ni adjonction, collage ou coloriage, ni installations. Par sa simplicité et l’unicité de la matière d’œuvre, sa sculpture rejoint la sculpture africaine traditionnelle ; mais elle en est différente, car la sculpture de Ousmane Sow est vivante, animée et comporte du mouvement ; c’est une sculpture dynamique, grâce certes à la technique, mais aussi et surtout au matériau qu’il a lui-même inventé et qu’il peut transformer, manipuler et utiliser, à l’état liquide ou solide, en fonction de ses besoins et de sa volonté. A cet égard, sa créativité peut se donner libre cours ; d’où ses possibilités presque infinies d’expression.

  1. POINTS COMMUNS ET DIFFERENCES

Qu’y a-t-il de commun entre les deux œuvres et entre les deux artistes ?

D’abord, un premier point commun : la guerre. Chaque œuvre se présente effectivement comme un traitement spécifique de la guerre, c’est-à-dire une manière propre à chaque artiste de voir et de traiter la guerre.

Chez le premier, chez Picasso, la guerre est évoquée mais non réellement traitée, représentée. Picasso ne nous fait pas voir la guerre en train de se dérouler, il ne nous montre pas une bataille, mais nous fait voir les effets de la guerre, les effets désastreux de la guerre sur des êtres faibles, sans défense, surpris, écrasés sans discrimination, aveuglément. Mais en même temps, il dit la révolte de ces êtres, leur cri de détresse, prolongé par le cri de révolte ; tous en effet, la bouche ouverte, crient fort, voire hurlent leur opposition, leur refus de la violence aveugle, brute, massive et qui écrase tout.

Mais chez Picasso, Guernica est prolongée. Car Picasso a beaucoup peint, par la suite, sur le thème de l’opposition du Bien et du Mal, de leur éternelle lutte (La Chute d’Icare, La Guerre et La Paix) [10].

Chez Ousmane Sow, Little Big Horn est la première œuvre historique, celle qui relate une bataille, qui parle de la guerre. Mais le conflit et la guerre sont représentés dans son œuvre antérieure ; sous les formes des figures de lutteurs (Masaï), de guerriers (Zoulou). Toussaint Louverture est un héros révolutionnaire, c’est-à-dire fondamentalement un soldat.

Ousmane Sow nous montre la guerre, crûment ; une vraie bataille. Car les recherches effectuées pendant de nombreuses années étaient destinées à lui faire profondément connaître les motivations et les enjeux, le contexte et les protagonistes de cette bataille.

Il s’est efforcé, dans son œuvre, de les reconstituer, de montrer, de mettre l’accent sur la détermination, la peur, la sérénité, le courage…des combattants des deux camps.

Pourquoi une bataille qui aboutit à la victoire des opprimés ? Une revanche sur l’histoire ? Le contre-pied de l’histoire écrite et de l’histoire relatée par le cinéma américain du Western ?

Le second point commun est que toutes les deux œuvres sont des œuvres exceptionnelles.

Guernica et Little Big Horn ont été saluées d’emblée comme des œuvres grandioses, exceptionnelles et unanimement accueillies, célébrées, magnifiées par les opinions, par la presse.

Exceptionnelles d’abord par leurs dimensions ! En effet, Guernica est une fresque unique ou rare, dans l’histoire de l’art, dont les dimensions impressionnent, près de 8 m de long sur 3,5 m de large. Little Big Horn est un ensemble de sculptures, plus de 30 sculptures, qui impliquent toujours une mise en scène, c’est-à-dire un montage qui requiert à chaque fois un vaste espace (cf. l’espace du site du Mémorial Gorée-Almadie à Dakar, où l’œuvre a été montrée pour la première fois en 1999 ; et l’espace du Pont des Arts à Paris, qui l’a accueillie la seconde fois la même année). Spectacle unique dans l’histoire de l’art : autant d’œuvres de sculptures pour dire une histoire. Des sculptures grandeur nature, parfois plus grandes que nature, par exagération, par emphase !

Exceptionnelles également par leur expressivité et leur signification ! Guernica frappe, émeut, provoque et ébranle même tout spectateur par sa puissance expressive ; tous les êtres et personnages de la fresque présentent la même mine de détresse, de désolation. Cohérence expressive, mais simplicité des formes. En effet, l’artiste a eu ce don de réaliser ces êtres et personnages par des formes simples, légères et aériennes, voire fantaisistes, comme par contraste avec la gravité du thème et de la situation. En vérité, les formes légères ne correspondent pas ou ne signifient pas légèreté morale, banalité ; au contraire, les formes simples et légères, qui découlent des procédés cubistes de la caricature, traduisent plutôt l’humilité et la faiblesse des êtres et personnages représentés meurtris.

On le sait, à la différence de la peinture et des autres arts, la sculpture dispose d’un langage plastique relativement pauvre ; le sculpteur est contraint de se contenter des formes plastiques ; en outre, pendant longtemps, la sculpture a été le plus souvent statique, hiératique, c’est-à-dire peu expressive ; l’expressivité se traduisait par peu de choses : postures, ébauches de mouvement, inclinaison.

Dans Little Big Horn, Ousmane Sow a transcendé cette pauvreté pour exprimer de puissants sentiments, tels que la peur et la témérité, la sérénité et la détermination, etc. en recourant au regard, à la posture, au mouvement, à la torsion ou à la tension du corps (muscles tendus des bras, des jambes, du thorax, etc.) en organisant les pièces et en montant des scènes.

La sculpture a évolué ; elle a d’abord produit des pièces uniques, des sculptures isolées, qui ambitionnaient d’être des œuvres autonomes et suffisamment expressives ; puis les sculpteurs ont réalisé des sculptures doubles ou jumelles, en ce sens que sur un même matériau (bois, marbre ou pierre ou métal, etc.) deux sculptures étaient façonnées ; puis il y a eu des installations (à partir de trois sculptures), c’est-à-dire plusieurs sculptures assemblées et organisées pour dire quelque chose, pour constituer un tout cohérent et signifiant ; plus récemment, les performances sont apparues plus prétentieuses, car elles prétendent, sur la base d’une mise en scène d’un ensemble plus important de sculptures ou d’œuvres, s’ériger en spectacle. Mais l’œuvre-spectacle de Ousmane Sow est plus que tout cela. La première dimension de l’œuvre-spectacle indiquée précédemment consiste dans la création et la conception de l’ensemble de l’œuvre ; la seconde consiste dans le montage et l’organisation de ces sculptures pour créer des scènes expressives qui déclinent l’histoire ; certes, déjà dans l’installation comme dans la performance, il y a mise en scène, mais elle y est sommaire et pour dire peu de choses. Dans le cas de l’œuvre-spectacle, la mise en scène consiste à organiser plusieurs scènes ayant chacune une cohérence interne, dont les différents éléments sont agencés pour signifier et constituer un tout cohérent ; ensuite toutes ces scènes sont organisées ensemble pour faire l’œuvre-spectacle et pour dire plusieurs choses, plusieurs séquences d’une même histoire ; il y a donc cohérence et dynamisme ; c’est l’ensemble qui est significatif ; chaque scène particulière participe à dire une histoire, l’histoire relatée par l’œuvre-spectacle : la bataille, et donc la victoire des Indiens.

Ousmane Sow inaugure ainsi une nouvelle forme de sculpture ; la sculpture-histoire ou sculpture historique, sculpture narrative qui dit le passé. Une nouvelle tradition ? Ousmane dit ne pas aimer sculpter des œuvres uniques, isolées, solitaires mais des ensembles, des séries, …pour dire quelque chose (cf. entretien avec Marie-Odile Briot). Une sculpture-épopée ou sculpture narrative ! Est-ce la vocation de la sculpture ? Une voie pour cet artiste, qu’il décide d’emprunter ?

Deux œuvres différentes à plusieurs égards, comme le sont, également à plusieurs égards, les artistes qui les ont créées. Mais deux œuvres d’un même art engagé, au service d’une cause, celle du faible opprimé, la cause du peuple écrasé.

Guernica [11] est la complainte du faible et innocent peuple basque sans défense ; mais aussi le cri de révolte du faible, de l’opprimé contre la barbarie, contre la force et la puissance aveugles qui écrasent.

Little Big Horn est la seule et l’unique victoire du peuple indien massacré dans l’histoire de la conquête de l’Ouest. Une revanche sur l’histoire ! Magnification de l’humanité de ce peuple dominé, meurtri !

CONCLUSION

Art engagé donc ! Pour dire la lutte du Bien et du Mal. Mais surtout pour dénoncer la victoire du Mal, sous les formes de la barbarie, de la puissance et de la violence.

La question de l’engagement de l’art a toujours été discutée parce que, pense-t-on, cet engagement fait problème. L’art peut-il être engagé sans cesser d’être art ? Art engagé opposé à art désintéressé ! Mais comme souvent les problèmes sont mal posés. La fonction ou la finalité de l’art n’ôte en rien à l’art son essence d’art ; car l’art réside dans le faire, dans l’objet d’art fait, dans sa nature, dans ses formes, ses couleurs, son harmonie. Le but et la fonction sont extérieurs à l’objet.

Cet engagement de l’art est un engagement libre et il est différent de l’embrigadement. Pablo Picasso et Ousmane Sow sont des artistes libres, distincts des artistes du réalisme artistique soviétique de l’époque de Staline.

Cet art engagé est de même essence que l’art religieux qui, dans toutes les régions du monde, a laissé des œuvres incomparables. L’art religieux chrétien, à travers les fresques de la Chapelle Sixtine du Vatican, les vitraux des basiliques et églises, les arts baroque, gothique et roman, la musique religieuse chrétienne sous la forme de la liturgie, Raphaël et Léonard de Vinci, etc., révèle que la dimension religieuse n’ôte en rien à l’art sa vocation et son essence d’art. De même, les arts bouddhiste et musulman ont produit des chefs-d’œuvre de haute facture, bien que leur destination soit différente de celle de l’art profane de Pablo Picasso et de Ousmane Sow.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Catalogue. Ousmane Sow. Le Soleil en Face, Paris, Le Petit Jardin, 2001, 159 pages.

Le Courrier de l’UNESCO, Paris, décembre 1980, 33e année, 50 pages.

PAULHAN, Jean, La Peinture cubiste, Paris, Denoël/Gonthier, 1970, 190 pages.

PIVIN, Jean Loup et SAINT-LEON, Pascal Martin, Ousmane Sow. Sculptures, Paris, Editions Revue Noire, 1995, 184 pages.

NDIAYE, El Hadj Malick, Les formes dans l’écriture plastique de Ousmane Sow : Etude sur l’esthétique de la sculpture, Dakar, Faculté des Lettres, mémoire de maîtrise, 2001-2002, 171 pages.

SENGHOR, Léopold Sédar, Catalogue : Pablo Picasso, Dakar, Musée Dynamique, 1972, non paginé.

SYLLA, Abdou, Pratique et théorie de la création dans les arts plastiques sénégalais contemporains, Paris, thèse de doctorat d’Etat, 1993, 1010 pages.

L’esthétique de Senghor (à paraître).

[1] IFAN-CH. A. DIOP, Université de Dakar.

[2] Dont celle, en particulier, adoptée en 1954 par l’UNESCO et qui prévoit des dispositions à prendre en cas de guerre pour préserver les biens culturels.

 

[3] Il faut reconnaître, dans le cas de l’Irak, que la responsabilité du pillage du patrimoine artistique de ce pays, notamment le saccage et l’incendie du musée archéologique national de Bagdad, incombe entièrement aux autorités américaines, prévenues plusieurs fois, avant et pendant la guerre, par plusieurs scientifiques, dont des Américains, mais qui n’ont rien fait.

[4] Pablo Ruiz Picasso est né le 25 octobre 1881 à Malaga et est considéré, après Goya, comme le plus grand génie que sa patrie ait donné au monde et sans doute comme un des plus grands génies artistiques que l’humanité ait connu.

En 1891, sa famille s’installe à La Corogne en Galice ; c’est là que débute la carrière du jeune Pablo ; en 1895, sa famille s’installe définitivement à Barcelone et Pablo entre à l’Ecole des Beaux-arts de La Lonja ; deux ans plus tard, il fréquente l’Académie royale des Beaux-arts de San Fernando à Madrid.

En 1898, il se fixe à Barcelone et se rend à Horta de Ebro. En 1900, il expose pour la première fois dans le cabaret Els Quatre Gats des dessins et des portraits de ses amis ; puis en octobre de la même année, il effectue son premier voyage à Paris, a des contacts avec les œuvres de Toulouse-Lautrec, Césanne, Van Gogh, Bonnard, etc. ; en décembre, il retourne à Barcelone, puis se rend à Malaga.

En janvier 1901, il se réinstalle à Madrid mais effectue de nombreux voyages à Barcelone et à Paris.

En avril 1904, il quitte définitivement Barcelone pour s’installer à Paris, au fameux Bateau-Lavoir, en plein Montmartre et fait la connaissance du peintre Fernande Olivier, dont il partagera la vie jusqu’en 1911. Il passe le reste de sa vie en France, c’est-à-dire les trois quarts de son existence.

En 1906-1907, Picasso peint Les Demoiselles d’Avignon, point de départ du cubisme et fait la connaissance de Georges Braque, avec qui il collabore. En 1912, avec cet ami et collaborateur, il réalise le premier collage (Nature morte à la chaise camée), technique qui introduit dans la composition des papiers peints et divers matériaux.

En 1916, il épouse Olga Koklova, avec qui il aura un fils, Paul, en 1921. La même année, il établit ses premiers rapports avec le mouvement surréaliste. En 1935, il se sépare de Olga ; sa nouvelle compagne est alors Marie-Thérèse Walter, dont il aura une fille, Maïa.

En 1936, la guerre civile espagnole éclate et en 1937 il réalise les eaux fortes de Songe et Mensonge de Franco et surtout sa grande fresque Guernica.

Lorsque la Seconde Guerre Mondiale débute en 1939, il s’installe à Royan et ne revient à Paris que pendant l’occupation pour s’enfermer dans son atelier. C’est là qu’il peint la série de portraits de femmes assises pour lesquels sa nouvelle amie Dora Maar servit de modèle.

Peu de temps après, il a une nouvelle liaison avec Françoise Gilot, dont il aura deux enfants : Claude et Paloma. Le 5 octobre 1944, le journal L’Humanité annonce l’adhésion de Picasso au parti communiste français ; c’est de ce choix que naîtront trois grandes toiles en 1951 et en 1952 : Massacres en Corée, La Guerre et La Paix. En 1949, une de ses œuvres lui est réclamée pour le Congrès Mondial de la Paix : il choisit une lithographie réalisée en janvier de la même année et qui représente une Colombe. Cette colombe fera le tour du monde. En 1950, il offre à Vallauris, ville méditerranéenne où il habitait, son groupe sculpté L’Homme au mouton ; c’est dans cette ville qu’il avait commencé, en 1947, à s’adonner à la céramique. En 1957, il entreprend sa série de Ménines, d’après le tableau de Vélasquez. En 1961, il épouse Jacqueline Roque et en juin le couple s’établit à Mougins, en Provence, dans le mas Notre Dame de Vie, qui sera sa dernière demeure. En septembre 1963, il s’enferme dans son atelier, obsédé par le thème du Peintre et son modèle ; à la fin de l’année, il avait réalisé cinquante toiles autour du même thème. En mars et octobre 1968, il exécute une série de gravures connues sous le nom de Série érotique et qui compte 347 dessins. En 1971, il réalise une autre série de 156 gravures sur un thème analogue. En 1972, il peint, pour la dernière fois, un Autoportrait.

Il meurt le 8 avril 1973 à Mougins. Il est enterré dans son château de Vauvenargues, près d’Aix-en-Provence.

Pablo Ruiz Picasso aura ainsi peint, de sa dixième année (1891) jusqu’à la fin de sa vie, à 91 ans. Il a laissé une œuvre de plus de vingt mille (20000) tableaux, gravures, sculptures, céramiques, dessins, assemblages et collages, etc.

[5] Ousmane SOW, est né le 10 octobre 1935 à Dakar, où il effectue ses études primaires (1942-1951) et commerciales (1952-1957). En 1957, il arrive à Paris, commence des études d’infirmier, obtient son diplôme mais préfère retourner exercer son métier d’ouvrier ; en 1961, il entame des études de kinésithérapie qu’il achève deux ans plus tard. Après s’être marié, il revient au pays en 1965 et intègre l’Hôpital Aristide Le Dantec. Sans doute à cause des difficultés matérielles, Ousmane Sow décide de retourner en France au bout de trois ans et ouvre, avec sa femme, un cabinet dans le XXe arrondissement de Paris en 1971. C’est là, semble-t-il, que la vocation artistique s’éveille véritablement et s’impose, car après une rude journée de labeur, il consacre les nuits à confectionner des marionnettes et à effectuer des recherches de matériaux souples. Cette seconde activité s’impose progressivement ; il reconnaît qu’après le travail, le dimanche et les jours fériés, il ne faisait que de la sculpture. En 1984, il revient au pays avec femme et enfants et installe un cabinet privé de kinésithérapie, mais leur situation matérielle ne s’améliorant pas, sa femme le quitte et rentre en France avec les enfants.

De 1983 à 1986, il intensifie ses recherches de nouveaux matériaux et se fixe définitivement sur la pratique sculpturale. En 1986, des sculptures sont achevées et il peut les montrer ; avec le concours de Philippe Chamoin, fonctionnaire du Centre culturel français de Dakar, il entreprend le montage de sa première exposition dans ce centre ; elle a lieu en 1988. Depuis lors, il ne fait que sculpter ; en une dizaine d’années de pratique sculpturale, il a montré ses créations au Sénégal, en France, en Allemagne, au Japon, en Amérique, etc. ; il n’arrête pas d’être exposé. Son œuvre sculpturale actuelle est constituée des pièces suivantes :

. la série Nouba, réalisée entre 1984 et 1987, comprend douze sculptures ou groupes de sculptures et représente des guerriers et lutteurs animistes Nouba (ethnie du sud du Soudan) ;

. la série Masaï, réalisée entre 1988 et 1989 et constituée de six pièces, dont quelques-unes sont formées de deux sculptures, représentant deux femmes, quatre hommes, un enfant et deux buffles, de l’ethnie Masaï du nord du Kenya ;

. les pièces isolées : Gavroche (une pièce représentant un garçon et un homme), Marianne et les Révolutionnaires (trois pièces représentant une femme et deux hommes) et Toussaint Louverture et la vieille esclave (deux pièces figurant un homme et une femme) toutes réalisées en 1989 pour le Bicentenaire de la Révolution française (sur commande du Président français François Mitterrand) ;

. la série Zoulou, réalisée entre 1990 et 1991 et composée de sept personnages constituant la scène de Chaka (la sculpture narrative apparaît pour la première fois avec cette œuvre) ;

. la série Peulh, réalisée entre 1993 et 1994, comprend cinq sculptures représentant des scènes familiales, quotidiennes et rituelles ;

. la série Little Big Horn, réalisée entre 1994 et 1999, comprend vingt trois personnages et huit chevaux, représentant des scènes de bataille ; la sculpture devient résolument narrative.

[6] Elles sont toutes géantes, grandeur nature ou même au-delà ; la plus grande, Le Guerrier debout (de la série Masaï), atteint 2,80 mètres.

[7] « Entretien inachevé », in Ousmane Sow, le Soleil en Face (catalogue), p. 85-86.

[8] Ce levain est le matériau inventé par Ousmane Sow ; sa macération a commencé en 1987 et il est conservé dans des fûts où il prend la forme et la couleur d’une huile de moteur rouillée, noire et gluante et comprenant entre autres de la terre, des pierres écrasées et tamisées, des pigments, etc. L’artiste affirme poursuivre les recherches sur le matériau pour le rendre plus résistant et plus durable ; mais bien évidemment, il conserve secret sa composition.

[9] HASSAN, Salah, « Native to Native », in Catalogue : Ousmane Sow, le Soleil en Face, p. 140-143.

[10] La Chute d’Icare, gigantesque peinture murale de 80 m2, inaugurée en 1958, contribue à la décoration du siège de l’UNESCO à Paris ; dans ce thème de la Chute d’Icare, on a vu un symbole de la lutte entre les forces vives de l’esprit et le mal. La Guerre et La Paix, deux grandes fresques (470 x 1020 cm chacune) réalisées en 1952, tapissent l’intérieur du « Temple de la Paix » à Vallauris dans le Midi, décoré par Picasso.

[11] Cette fresque, qui mesure exactement 349,3 x 776,6 cm, avait été placée en dépôt, selon la volonté de Picasso, au Museum of Modern Art de New York, en 1940, sans doute pour la préserver pendant la guerre. Picasso avait déclaré que Guernica devrait revenir dans sa patrie, lorsque les libertés démocratiques y seraient rétablies ; ce qui devait être fait en 1981. Toujours selon la volonté de Picasso, l’œuvre entourée des nombreuses études et esquisses préparatoires ou postérieures serait exposée au Musée du Prado, dans une annexe spéciale.

-APPROCHE THEMATIQUE DE L’ART BENINOIS, DE LA PERIODE ROYALE A NOS JOURS

-PLASTIQUE AFRICAINE ET SITUATIONS CONFLICTUELLES CONTEMPORAINES : INTERACTION ET DISTANCIATION