Notes

HISTOIRE : LA RÉSISTANCE AFRICAINE A LA ROMANISATION , Marcel BENABOU (Ed. FRANÇOIS MASPERO,COLL.TEXTE A L’APUI , PUBLIE AVEC LE CONCOURS DE L’UNIVERSITE PARIS-SORBONNE.1976 )

Ethiopiques numéro 11

revue socialiste

de culture négro-africaine

juillet 1977

Dans un livre dense, bien documenté – et quelquefois même trop touffu, mais n’oublions pas qu’il s’agit, à l’origine, d’un travail universitaire difficile à « réduire » -, Marcel Bénabou, maître de conférences à l’Université de Paris VII, et originaire du Maroc, s’attaque avec succès à l’un des plus vieux mythes (et des plus tenaces) d’une certaine histoire occidentale : le vide culturel qui aurait permis aux valeurs romaines de civilisation de s’implanter sans effort en Afrique du Nord, lors de la colonisation de ces territoires par Rome, et l’adoption quasi-spontanée par ses populations des valeurs d’ordre et de culture de la Rome impériale. On sait que ces contes de fées font maintenant sourire : il n’est cependant pas mauvais que des ouvrages comme celui-ci disent pourquoi.

Dès l’introduction, Marcel Bénabou procède à des définitions rigoureuses : « la conquête », dit-il, « est simplement la soumission par les armes, et la soumission à Rome d’un territoire donné » (Carthage, par exemple) ; « La colonisation proprement dite… consiste à prélever, sur l’ager publicus (domaine public) nouvellement incorporé au patrimoine romain des parcelles de terre pour les confier à des colons qui s’y organisent en cités… » ; « La romanisation apparaît comme un processus plus complexe, combinant ou alternant des entreprises diverses, et visant non à transformer à tout prix un territoire, mais à permettre à Rome et à tous ceux qui se placent dans son orbite d’en tirer le meilleur parti possible… » Ceci étant posé, la résistance à la romanisation est, comme il fallait s’y attendre, une réaction à « l’envahissement » symbolisé par l’émigration agricole, officiellement encouragée par Rome, ainsi que l’urbanisation, et le développement, « grâce aux terres enlevées aux tribus », « d’une entreprenante ploutocratie africaine ».

L’auteur, avec un grand luxe de détails précis, et en citant chaque fois ses sources nous montre comment, face à une politique romaine cohérente, et de plus en plus cyniquement coloniale, s’organise une résistance d’abord militaire, mais ensuite et surtout religieuse, linguistique, sociale, en un mot culturelle, et dont les traces subsistent jusqu’à nos jours.

En particulier, l’africanisation des dieux et des noms romains témoignent, non pas d’un refus total et définitif de certains aspects de la culture romaine, mais de la réalité et de l’existence bien concrète d’une culture antagoniste, vivante, et qui n’a pas été vaincue.

Il ne faudrait pas donc croire que Marcel Bénabou se fait le fourrier d’on ne sait quelle africanité idéale, qui aurait traversé sans heurt les siècles, et pour qui la romanisation n’aurait été qu’une tentative avortée et anecdotique. Ce qu’il réussit à éclaircir, – et c’est cela l’important, qui dépasse le cas particulier de l’Afrique du Nord, et concerne les contacts entre cultures différentes -, c’est la complexité d’un rapport historique, où, d’un côté, on ne veut romaniser que pour mieux exploiter et de l’autre on ne cède que ce que l’on ne peut pas garder, tout en prenant à l’envahisseur ce qui permettra de mieux lui résister.

En conclusion, un livre riche et d’une brûlante actualité, tant il est fascinant de vérifier, après sa lecture, combien Rome règne encore en Occident. On aura, en particulier, profit à lire le chapitre intitulé : « Les carences de la Romanisation », où est très bien analysé ce curieux mélange d’autoritarisme et d’impuissance qui a longtemps caractérisé l’attitude des nations européennes face à leurs colonies, et explique encore bien des incohérences dans la politique des pays nantis vis-à-vis du Tiers-Monde.