Notes

DIEUX-D’HOMMES Henri DESROCHE Paris, la Haye 1969

Ethiopiques n° 25

révue socialiste

de culture négro- africaine

janvier 1981

Depuis une vingtaine d’années, un nombre considérable d’études, d’enquêtes, de reportages ont été réalisés sur les manifestations de l’attente religieuse d’une ère nouvelle. La croyance en un « royaume de Dieu » imminent a pris des formes aussi insolites que les Cultes du Cargo océaniens, le Rastafarisme jamaïcain, les madhismes d’Afrique ou d’Asie, les Danses de l’Esprit des Indiens d’Amérique du Nord. Les anthropologues, les ethnologues, les sociologues ont interrogé diversement ces manifestations, pour tenter de mettre à jour leur signification.

Monsieur Henri Desroche, avec son dictionnaire des messianismes et millénarismes de l’Ere Chrétienne (265 pages), apporte une contribution importante à ce travail, en nous donnant un premier répertoire des hommes de l’attente. Son objet a été de réunir les fiches d’une connaissance à verser au dossier d’une sociologie de l’espérance.

Aussi faut-il voir dans ce dictionnaire autre chose qu’un précis de tératologie. Il ne s’agit pas d’une liste impressionnante d’illuminés ni d’un recueil de cultes étranges, mais d’un effort pour dégager les divers aspects d’une philosophie de l’attente.

L’auteur lui-même, dans une longue introduction de quarante et une pages définit clairement son propos, de même qu’il marque les limites et les faiblesses de son répertoire. C’est ainsi qu’il juge trop timide son dénombrement :

« A relire l’ensemble on s’aperçoit en effet que l’ère chrétienne, stipulée dans le titre, est assez peu explorée dans son premier ou même son deuxième siècle. Rien sur Bar Kochba Sicher à David Ben Gourion. Rien sur la demi douzaine de Messies juifs répertoriés pourtant déjà par Wallis. Rien sur le Maître de Justice. Tout se passe comme si notre rédaction avait éprouvé simultanément attirance et effroi devant une approche plus circonstanciée du phénomène archétypique, où notre civilisation a pourtant puisé et le calendrier de son ère et le label de sa religion dominante puisque l’épithète chrétienne appliquée à cette religion n’ est que l’adaptation française d’un mot grec, lui-même version grecque d’un mot hébreu, lequel définirait cette ère ou cette religion chrétienne comme l’ère ou la religion messianiques, et que les chrétiens sont identiquement des messianistes. Le tremendum semble l’avoir emporté sur le fascinans ». Page 5.

Il s’applique aussi à cerner et à analyser les conditions d’apparition du phénomène messianique, montrant comment le messianisme « ne prend – comme on dit d’un feu qu’il prend que lorsque attendant et attendu se rapprochent dans la densité sociale au point de former pôle négatif et pôle positif entre lesquels, jaillit l’étincelle. Lors qu’elle jaillit, un homme – dieu est devenu un dieu d’hommes, une attente d’hommes s’exauce dans l’arrivée du dieu ». Pages 6-7.

C’est pourquoi le messianisme n’est généralement pas le fait des sociétés repues. Par contre, il éclôt dans les collectivités en butte à la misère, à l’oppression, à la frustration : il est l’espérance et le recours des pauvres.

En conclusion, les phénomènes messianiques millénaristes reposent sur la structure de l’Attente. Ils font vibrer toutes les cordes sensibles des individus et des collectivités qui espèrent autre chose : raison pour laquelle ils s’inscrivent dans une sociologie à la fois de l’imaginaire et de la contestation. Mais ce qu’ils annoncent, c’est une promesse qui ne peut être tenue, et leur grâce consiste en cela même.