Culture et civilisations

DECOUVERTES (1ère partie)

Ethiopiques numéro 01

revue socialiste

de culture négro-africaine

janvier 1975

DECOUVERTES

« Découvertes », poème publié en 1966 par « Présence Africaine », a été écrit entre juillet et septembre 1965, au cours des onze mois que son auteur, Jean F. Brierre, ancien Ambassadeur d’Haïti, a passé comme réfugié politique à l’ambassade du Brésil à Port au Prince. Aujourd’hui, Jean Brierre vit à Dakar où il est Conseiller au Ministère de la Culture du Sénégal.

Grandes cartes du monde aux vitrines du jour,

Qu’on appelle je sais pourquoi cartes physiques,

Pourpres d’étal, terres de Sienne et de bruyère,

Bleus de mer, de lointains et de ciels confrontés,

Murales de carton qui creusez dans la pierre

De vaporeuses reculées aux perspectives infinies,

Vous noyez le regard d’océans scarifiés

Où le point d’alençon des deux azurs du mât

Prolifère en étrave et s’épanche en voilure,

Terre, ciel, océan chavirent dans vos yeux

Où se forment soudain une pustule d’île,

Une éclisse, une arête, un ressaut de marsouin,

Le guet horizontal des lézards péninsules.

Et l’horizon se lève en légères faucilles

Dans des javelles de nuage.

Une écluse a frayé, douce, dans l’onde amère

Et la peau rarement lisse d’Okeanos

Ondule, se crépèle en clapotis mineurs,

De bulles d’étincelle et d’éclats de miroir,

De levures de nids d’abeilles et d’écailles

Sur la fermentation du flot aigue-marine

Que scalpe du dedans l’hypoderme des houles.

Quand l’alizé fluvial attise de risées

Le vieux frisson paludéen des eaux chantantes,

Que le sol a des yeux de bourgeons et des lèvres de fleurs.

A travers les années-lumière se profile

La lenteur que met l’homme à se mettre debout

Dans le squelette colossal des dinosaures,

S’adaptant aux climats, couvert de poils ou nu,

A modeler sa voix et trouver son accent

Dans le hennissement, le hurlement, l’ululement,

A dégager ses doigts des griffes et des serres,

Tendre à travers les crocs la ligne du sourire,

Enfiler en collier le chant perlé du rire,

Refléter le hasard et copier la nature.

 

Histoire minérale de la préhistoire.

Pictographie inconcevable sans Dieu à notre peur,

Derniers étages verts d’alluvions diluviennes,

Vaste cimetière de monstres

Qui puaient le purin, le sexe, les palus

Et se cherchaient l’un l’autre en se frottant au ciel

Durant la longue transhumance des espèces,

Les femelles flairant la vie aux reins des mâles,

Anxieuses de l’héberger et la transmettre

Dans la crucifixion salace de la chair

Et le déchirement d’entrailles du vêlage.

Grave photo d’aïeule au visage d’enfant

Dont le corps labouré de mille chirurgies

S’habille du satin nuancé des saisons,

Mastodontes nourris le long des millénaires

Du lent ruissellement spermatique des eaux

De l’écorce glaciaire anesthésiant le temps

Des injections-interjections de la lumière

De la fécondation stridente de la foudre,

Et des cercles parfaits de la gravitation…

Témoins de la légende et de la nuit première

Vos voix tonnent dans l’acoustique des cavernes

Et des barrissements cavalent dans les crues

Des appétits moins acérés que ceux des hommes.

On voit se soulever le sol en seins géants,

En crêtes s’essoufflant sur la route du ciel,

Sur les versants desquels ceux de l’âge de pierre

Sculptent leur âme où dure une peur ténébreuse.

Solitudes odoriférantes d’aisselles,

 

O ces vals aux oiseaux rares où sans les voir

On sent sourdre les eaux des cuisses de la terre.

Et la côte pâmée en l’amour de la mer

Se laisse caresser au métier éternel

Du flot qui lui retisse une dentelle blanche

Pour la noce, un linceul ajouré pour la mort…

Les anses ont gardé des bruits de pamoison

Et le plaisir sauvage éclate dans les cirques,

Ces cirques sans public ou l’amour vit de mort.

Enormes râteliers toujours grinçants, les ports

S’entrebâillent, gueules de crocodiles

Sur la voracité du commerce et du lucre

Et n’ingèrent qu’un goût de fer, de graisse et d’huile,

Les dents de grues mâchant et remâchant des chaînes…

Chaque ville est tapie en globule assèche,

Gouttelette parfaite et vide de rosée,

Cocon de vers dans une feuille de tabac,

Agglomérés lépreux d’écorce de volcan…

Présence des lointains au bout d’un cap ambre,

Voyage que l’on fait assis ou la peur blême

L’aventure et la mort concertent le présent

Comme une pleine lune aux pâleurs d’avant-jour

Emplit de songes flous des décors de mines,

Vous proposiez de confortables évasions

Sans confier au plus intelligent de nous,

Au plus fol dont l’esprit, le coeur et la mémoire

Etaient un arrimage insolite d’épaves

De galions, la Babel de vos gouttres fertiles,

Carrière de carrare en sommeil dans la boue,

Source putride du parfum et des nuances,

de la puissance aveugle et du raffinement.

 

Sans peur nous réveillions dans chaque essence morte

La dryade blessée aux paupières gommées

Et nous restituions les plumes, les cahiers

Les tableaux et les bancs aux bois cambriolés.

Faisant l’école buissonnière dans l’école,

Nous allions rencontrer sur des pitons de ciel

Des ombres de marrons qui vivaient pour nous seuls,

Des pyramides qui se déplaçaient la nuit

Avec les lourds secrets des races abolies,

Des paysages ratures par les pirates

Où la conque étalait l’avortement du vent,

Des râles, des sanglots et des gargouillis d’ancres,

Des maquis de douleurs dans les palétuviers

Et des paniques de haubans dans la tempête.

Les mapous nous tendaient leurs drisses ou des voiles

De vent cinglaient dans une impossible odyssée

Parmi les flamboyants incendiant l’été,

Des sauts, course écumante aux crinières de fauve,

Accrochaient un point d’orgue aux cris de la nature,

Et nos fronts déplaçaient d’invisibles auras.

Cartes et professeurs restaient colles aux murs.

 

Nous pêchions à pleins bras des astres en plein jour

Et vivant au pays des roses de rocailles

Contournant les atolls des définitions,

Posant des oeufs de nitre dans le nid du temps,

Nous reprenions sa fève au gâteau du réel.

Etablissant nos fourmilières dans l’abstrait,

De feux de mariniers nous jalonnions les côtes.

Des voiles de voiliers doublaient chaque mouchoir.

La flotte pavoisait pour la joie des étoiles,

Habillés de brouillard nous rompions les amarres,

Notre seule boussole étant le lit du vent.

Soudain le bois des bancs se mouillait de marée.

Nous avions introduit dans la salle d’études

L’air du grand large, appels, bourdons et sifflements.

Les règles dans nos mains s’aplatissaient en pales,

Compas et rapporteurs évaluaient l’espace

 

Le maître percevant comme un léger tangage

Qui faisait du silence une banque dansante,

Reprenant d’une main ferme le gouvernail,

D’une question précise assenée, aboyée,

Interceptait sans les comprendre nos messages.

Fallait-il saborder notre univers secret

Et la beauté des voiles dans le déferlage ?

Trop tard… Notre flottille était arraisonnée.

Elle rentrait dans nos cahiers et nos pupitres.

Et les vergues gonflaient nos poches et nos manches,

Où des rêves restaient pendus comme à des branches.

Les comptes devenaient des instruments mesquins.

Nous retrouvions la terre ferme et nos réponses

Pour situer Madagascar et les Açores

Etaient des prévenus qui se savaient coupables

D’avoir laissé le port en fraude vers le monde,

N’ayant pour documents que le livre de bord

De nos sens alertes des lèvres au toucher

Et de lourds manuscrits lestés de souvenirs.

Reniant l’écoeurante énumération

Des villes qui n’ont pas un relent, un ombrage,

Des plaines à l’odeur fade de reliures

Nous connaissions la route et l’ivresse solaire

Des îles où nos nerfs aimaient faire relâche

Et que nous baptisions de vocables candides.

Mais le papier-buvard des manuels boit la mer.

La glauque devient encre et la montagne un mot,

Ce signe aridement dessiné qui ne lève

Que dans le tendre humus de nos émotions.

La page est linceul sur lequel sont inscrits

Les noms souvent banals d’otages violes

De ce monde en exil dans le vocabulaire.

Pourtant nous attendons en amont des vocables

Qu’une source en sortit, que bruissent les palmes,

Munis d’un navicert de Neptune au sceau glauque,

Nous repartions laissant nos ombres sur les bancs.

Scaphandres, nous allions calfater les abîmes

Réparer les votes d’eau des barques englouties

Et remettre du fard aux figures de proue.

Nous ébrouant parmi les algues amoureuses

Dont flottent les désirs, en cercles concentriques,

Liquides éventails, vaguelettes de bras,

Nous remontions, contrebandiers de tous les règnes,

Génératrice de paradis, l’héroïne

Dissimulée aux plis douteux de nos silences

Tièdes encore des haltes d’oiseaux migrateurs.

Entre la voile diaphane du Navire,

Les éclats de silex des sabots du Centaure,

La Croix du Sud circonscrivait le crucifix.

 

Le maître, fasciné par tant de noms sonores

Qui s’orchestraient en lui dans la rose des vents,

Ancre dans les galets du rivage natal,

Sous son veston râpé d’alpaga noir, moule

Dans la sévérité de surface du pion

Vivait en profondeur une seconde vie

Et pêchait du corail sous l’écorce des mots

Mais ce partage en coloriés de l’univers

N’était que vain détail d’un monde dépassé.

 

New-York grouillait sous un symbole de cymbale

Mais le rire haché en éclats des saxos

Cachait la note grave et le coeur pantelant

Des blues qui font un lé de douleur tout le long

Du système artériel du lourd Mississipi.

On nous montrait les champs de colon du Texas,

Cette neige du sol qui monte vers le ciel,

Ces flocons engainés que fauchent les bras noirs

Mais on avait pris soin d’effacer le pollen

D’iris pourris des regards fixes de lynchés

Que déposaient les papillons de la Saint-Jean

Sur chaque explosion laineuse,

Filigrane de swastika dans une hostie.

Chaque couleur était d’un langage basique,

Des ocres, des verts d’eau, des roses délavés,

Toutes les variétés changeantes du béryl

Que le temps palissait d’un invisible tact.

Un coeur enflé de rubellite était l’Afrique

Sans qu’on pût deviner ses terres dévastées

Par l’érosion tentaculaire des forbans.

La lourde Asie était un champ de roses de Noël

Sans que l’on respirât loin des rizières fauves

Le mûrier et le thé attaqués par les mouches

Percutantes des mitrailleuses d’Occident.

Et comment verrait-on dans ce Gobelin sage

Quand la brume poudre de gris le Fleuve Bleu

Des Tao-Tsi plus beaux que la réalité,

Gouttes d’encre de Chine ou la Chine éternelle

Dessine dans sa mort un réveil implacable ?

 

Un facié blanc ici, un facié jaune là.

L’Indien un peu plus haut, le Nègre un peu plus bas.

L’un poudre à frimas, l’autre dore de lune,

Le troisième fardé de roucou rubescent.

Le quatrième était découpé dans la nuit.

Sur les crânes des poils de différente tessiture

Comme sur les sommets l’herbe et le gazon dru.

Un crâne long, un crâne court,

Le majeur et le petit doigt,

Comme ici la colline et là-bas la montagne.

Des yeux noyés de bêtes ruminant l’ennui,

Des yeux de fond de mer aux naissances de perles

Ont les regards sont un ressac de pierreries

Que les remous du coeur attisent, puis éteignent :

Des yeux de mer à vous donner le mal de mer…

Des yeux noirs du noir d’encre échevelé de la tempête.

Un nez en proue dans la pollinie de l’embrun,

Explorateur d’abîmes, de brouillard et d’Indes ;

Un grand nez carnassier sur l’estuaire du goût ;

Un nez plat que traquait déjà le Ku-Klux-Klan

Dans le sperme et l’ovule accouplés de l’Afrique

Des lèvres en lamelles effilées,

Des lèvres au lisère turgescent,

Lèvres gonflées de sue épais,

Lèvres de l’ascétisme élimées de prières,

Lèvres de gourmandise ou minées par la faim.

Et pendant qu’on y est, qu’on mesure les sexes,

Les pieds plats, les orteils écartés,

Qu’on soupèse le coeur et le foie et les reins,

Les sinuosités grises de l’encéphale,

Les S embouteillés de chaque intestin grêle,

Le réseau de l’aorte et des rus capillaires

Et la suie de l’angoisse aux parois des artères.

 

Chaque homme avant de naître est le champ de bataille

Intime de deux blocs de couleur : les globules.

Ce sont les races dans leur vêtement premier,

Celle qui inventa le carcan et la poudre,

Celle qui en mourra, le froid collier au cou.

C’est l’immense marché où vendeurs et vendus

Sont des bêtes parmi les bouliers-parallèles

Du Zoo monumental de la géographie

Où chaque être secrète et le rire et le râle.

Pourtant si l’on creusait une pulsation,

Malgré la révulsion des lèvres de la terre

A qui l’homme Caïn vient d’offrir du sang d’homme,

On trouverait aux étages de la durée

Le frisson dans le jour des bêtes accouplées,

L’odeur neuve de ces premiers matins du monde

Où faune, flore, ciel, tout baigne dans l’amour,

Où ne s’en va jamais la Reine de Saba

Nubile du désir chantant Salomon.

Et l’on croyait, l’on devait croire mille choses,

Qui n’étaient de no where et nulle part écrites

Qu’on ingérait dans les couleurs acidulées.

Vous aviez mal au coeur, vous aviez la nausée.

Pareil au moussaillon tout neuf dans le bourlingue

Ce garçon qui vomit sur la carte du monde

Et fait un affluent verdâtre à la Tamise.

La plus pure noblesse aryenne éclaboussée…

Les jeux fameux d’Oxford suspendus cet automne

A cause d’un hoquet puant de négrillon

Qui déverse une digestion ancienne sur la carte…

Ce rien, ce farineux qui va, météorite,

Mettre un accent douteux sur Buckingham Palace…

Le lion héraldique a rugi sous son sceptre.

Et ce soupçon de bile tiède qui descend,

Insolite vaisseau de revendications

Et se désagrégeant, ondée de lapilli,

Menace de crever sur Wall Street affairé…

Et toutes les actions des Sociétés minières

Moisissent lentement à cause d’un enfant

Qui sait sa solitude au sein d’un univers

Trop étriqué pour l’envergure de ses rêves

Et qu’il mesure au pantographe de ses nerfs.

On avait mal au coeur, on avait la nausée.

Ce n’était qu’une histoire à peine commencée,

Un sommaire touffu des routes parcourues

 

Par des débordements de haine, des clameurs

D’intolérance collective armée de croix-massues,

Des cantiques sacrés hurlés par les satyres

Dans le rit arrogant du rut brutal des jungles

Comme un chant grégorien dans un jazz hystérique.

L’avenir est aux mains d’acier de ces peuplades,

La civilisation dans leurs désirs de bêtes.

La beauté se dessine au front velu des monstres.

Dans le cloaque l’art attend la gemmation,

L’instinct grégaire une vocation de pensée.

Dans le cèdre frémit l’âme du violon.

L’aurore sourd de la cassure de la pierre.

L’écriture vagit, cassée en microlithes.

A la branche le vent fait soupçonner l’archet,

Et le souffle, le coeur liquide du lambi ;

La flèche est le passé barbare de la flûte

L’autel du sacrifice est dans le mégalithe

Et des frissons sacrés parcourent l’éolithe.

Un vaste remuement de montagnes s’amorce,

Escalade de ciel aux mains des Aloades.

Le mouvement, le cri, la beauté vont durer

Dans la fresque et l’ivoire à Byblos et Kairouan,

Et le sang coule, coule, en constante fluence…

L’enclave primitive va parier latin.

Les chants même scandés des nefs de cathédrales

Auront parfois le timbre aviné des bacchantes

Et l’on croira sentir brûler dans l’encensoir

Les volutes de sang dont l’air fut ondoyé.

Ce maquillage du cauchemar en féerie

– Ors et caparaçons de ce cheval de Troie

Introduit savamment dans le matin d’une âme

Se déroulait le long de séquences truquées,

Dans la savane désolée de l’insomnie.

Dilatant nos étroits horizons d’insulaires

Jusqu’aux taies de chaleur des mers indéfinies.

Nous connaissions le sens second de chaque terme,

Et l’on croyait, l’on devait croire mille choses

Par exemple qu’un blanc s’évapore au soleil

Quand il n’est plus qu’un vieux monument dégrade ;

Qu’un jaune pour mourir attend la pleine lune

 

Et fait hara-kiri d’un sabre millénaire

Où Kamakura fit graver son testament.

Et son âme s’endort aux pieds de Gautama

Comme s’efface lentement une fumée ;

Que l’Arawak allume un éclair de silex

Et s’en retourne vers la paix initiale

A travers des couloirs qui rencontrent le ciel ;

Que le Nègre vieilli se dissout dans la pluie

Et rejoint en chantant comme chante la pluie

Le dernier lit promis à sa fatigue ancienne

Dans l’humus souverain sur quoi tout se bâtit.

Car tout était règle sur papier à musique

Comme le sont les femmes, les saisons, les cycles,

Le temps des vaches maigres et des vaches grasses.

L’élu de Dieu avait vaincu les autres dieux

Inférieurs et dressés dans les rites phalliques,

Un Dieu qui tient le monde en ses mains diaphanes

Et conçut la férocité des hiérarchies,

Le bonheur au sommet et la souffrance en bas,

Et le maître et l’esclave et le sceptre et la chaîne.

On était condamné ou sauvé à l’avance.

La parole éclatait du haut des Sinaïs

De colère et des bris de marbre mosaïque

Criblaient a capella en coins mous votre coeur.

Et tandis que ronflaient en dormant la toupie

Sur son ergot de fer, coq sans cocorico,

Que les billes roulaient dans l’aire horizontale

Rus de mer, filaments de flamme et de verdure,

Fuite émeraude et jade d’anolis chasseurs,

Une ailette de papillon à la gorge,

On repensait le monde et la vie et la mort

Au bas de la spirale ou même le silence

Est la fluctuation paisible de l’émeute.

On avait mal au coeur, on avait la nausée.

 

Et le ballon dribble à Cambridge et Oxford

Proposait une rime en cuir au soleil blanc.

Le pouls chantant de Westminster réglait

Le ballet de service de Buckingham Palace.

Les magnats de Bruxelles et de Wall Street, pressés

Mettaient sous clé dans des catacombes blindées

L’immense Katanga, sol, sous-sol, ciel et hommes.

Le malaise n’avait dure ni pour le négrillon

Ni pour les froids seigneurs de la glèbe et des âmes.

La terre ne cessait de tourner et le maître

Oubliant le relent de cimetière ouvert

De ce monde en couleurs qu’il enseignait aux hommes

Essuyait en tremblant sur la carte du monde

La vomissure d’un enfant écartelé.

 

Dans le petit village obsédé par la mer

Dans l’île minuscule où le monde est présent,

La Bible la première et le black Jack après,

Les Union Jack’s traquant le petit Bicolore,

Le médecin parlait d’une indigestion.

La mère se taisait car le noroît sifflant

Avait mis l’interdit sur les barques de pêche.

On n’avait pas mangé depuis combien de temps ?

Digéra-t-il si mal et sa soif et sa faim ?

Combien de pouces inutiles d’intestins ?

Etaient-ce les effets de la rétroaction

Du café ou du blé brûlé ou submergé,

Ou du grésillement d’un corps tout noir et lisse

Qui n’avait fait que prendre en ses yeux une blanche ?

Ou de millions de juifs sur le bûcher des siècles,

Ou dans Hiroshima bombardée cette enfant

Dans le regard de qui reste sténographiée

L’horreur d’un ciel croulant dans une apocalypse

Qui retourna la terre aux racines de feu

Ou l’odeur de casbah et de cales du jour.

 

Etait-ce le serpent puant de la rigole

Qui se contorsionnant se ramassait en flaque

Pour mieux sauter dans l’estomac de l’écolier ?

Quel ver le dévorait jusqu’aux plus tendres feuilles ?

Lui avait-on parlé de la United Fruit,

Export de sève, import de jouets explosifs,

De fusils aboyeurs, chiens mangeurs de marrons ?

Se sentait-il alors plus parqué, plus vendu

Sur le bateau fruitier-négrier de son île

Battant pavillon U.S.A. ?

Il faudra l’aguerrir sur nos mers démontées

Et renfermer en poing ses doigts de galériens.

Car nous avions appris à remplir les fantômes,

Ces cuirasses de vent qui voyagent la nuit,

Du poids de leurs forfaits qu’on appelle faits d’armes.

Déjà nous préférions au panache des rois

Chaque cheval tombe l’éperon dans le ventre

Et qui pourrit autant derrière les victoires

Qu’un printemps, hommes, sol rançonnés par la guerre.

On avait mal au coeur, on avait la nausée…