Littérature

DE LA STÉRILITÉ PSYCHIQUE À LA STÉRILITÉ PHYSIQUE

UNE LECTURE DES SOLEILS DES INDÉPENDANCES DE AHMADOU KOUROUMA

 

Éthiopiques n°91.

Littérature, philosophie et art

2ème semestre 2013

 

Jean Denis NASSALANG [1]

 

L’image qu’Ahmadou Kourouma propose de l’Afrique indépendante prend sa source dans son expérience et plus encore dans sa réflexion qui le conduit très tôt à l’exil. Accusé de manœuvres subversives dans son pays par le gouvernement de Félix Houphouёt-Boigny, Kourouma fut contraint au service militaire puis à l’exil [2]. En fait, ce jeune intellectuel manifeste très tôt son aversion vis-à-vis de la gestion politique, sociale et économique du continent noir. De Sékou Touré [3] à Houphouët Boigny [4], aucun de ces premiers dirigeants noirs ne semble incarner son idéal et sa conception du pouvoir. Car le jeune intellectuel est pétri de potentialités et de conceptions qui semblent s’inscrire en porte-à-faux avec la vision de ces nouveaux dignitaires africains. Ces icônes des indépendances sont plus ou moins considérés par Kourouma comme des pantins disloqués entre les mains de la métropole. Cette philosophie ourlée d’un pessimisme écœurant de la gestion sociopolitique apparaît dans toute sa production littéraire. Xavier Garnier précise à ce sujet :

 

« Kourouma n’écrit pas depuis une image idéale de l’Afrique. Ce qui arrive au continent africain est le point d’ancrage de son écriture d’où tout doit partir. C’est le sens de la catégorie du destin, qui est si opératoire dans ses récits. Il y a un destin de l’Afrique que Kourouma accepte et qu’il écrit. La force de ses textes vient de ce que leur dénonciation ne passe pas par un déni du réel, mais naît de son acceptation » [5]. L’ingéniosité de la critique [6] des nouveaux dirigeants dans Les Soleils des indépendances repose sur une certaine négation du système de gestion des nouvelles nations. Kourouma suppose que la réalité des indépendances obscurcit et oblitère toute tentative d’essor africain. Les nouvelles autorités sont, dans ses œuvres, accusées d’une léthargie qui frise la stérilité dans tous les domaines. Celle-ci constitue l’ossature génétique qui se modifie en fonction du contexte historique, politique et social dans lequel se déroule l’action de ses différents romans.

Dans notre étude, nous nous proposons d’étudier, à la lumière de Les Soleils des indépendances, comment cette métaphore de la stérilité exprimée à travers les désillusions, induit Ahmadou Kourouma à condamner son protagoniste, Fama, à la stérilité.

 

  1. LA STÉRILITÉ PSYCHOLOGIQUE

L’œuvre, Les Soleils des indépendances, pose la question des indépendances comme un ancrage à sa fiction. Cette œuvre qui donne officiellement [7] le ton à la critique des indépendances aborde la gestion des États africains sous un angle pessimiste. Car aux premières illusions des indépendances succèdent rapidement une période de crise qui envenime les rapports entre dirigeants et dirigés. Il s’agit alors pour la nouvelle élite intellectuelle d’évaluer ces relations qui les interpellent à plus d’un titre. Sous ce rapport, le lecteur conçoit ce texte précurseur comme une tentative de réponse d’Ahmadou Kourouma à ces multiples interpellations. Et sa publication en 1968, lors du dixième anniversaire de la fête de l’indépendance de la Guinée Conakry, devient porteuse de signification. Cette œuvre apparaît ainsi non seulement comme un résumé et une dénonciation de ces difficultés que traverse le jeune continent noir ; mais témoigne surtout de l’immaturité, aux yeux de Kourouma, de certains dirigeants noirs.

Une lecture scientifique et génotextuelle de Les Soleils des indépendances nous amène à circonscrire la problématique des indépendances en une double postulation simultanée. Autrement dit, ce texte d’Ahmadou Kourouma s’articule autour d’une double exigence qui traverse l’œuvre de l’incipit à la clausule et exprime le regard quasi odieux que l’auteur pose sur ces dirigeants des nouvelles nations noires. Kourouma, après une minutieuse observation des actes, des politiques de développement et des réalités africaines semble, comme tout citoyen intellectuel, se demander :

 

– quel contenu donner aux indépendances ?

– comment donner aux indépendances un contenu honorable ?

 

La question liminaire apparaît nodale dans la saisie de la philosophie d’Ahmadou Kourouma. Pour cet auteur, il s’agit de donner à l’Afrique une image qui tourne en ridicule les idées reçues et les stéréotypes par la conception de types de relations susceptibles de répondre aux aspirations de ce peuple africain qui a fini de se mutiler dans les tortures et les ignominies de toutes sortes qui lui furent imposées par la colonisation. Or, les nouvelles procédures mises en œuvre sont, aux yeux de ces auteurs, assimilables à un système d’engrenage grinçant de pièces étatiques. Ces notions de politique d’orientation qui sont de parfaites copies du modèle métropolitain semblent peu convaincantes. Et c’est en ce sens que Les Soleils des indépendances se démarquent de la conception européenne des indépendances.

Il faut noter que l’attention aux problèmes procédant du thème des indépendances montre une faillite de la conciliation entre les aspirations et les procédures éthiques. Et même si Kourouma s’appesantit, par intermittence, sur le divorce entre les traditions indigènes et les modèles transplantés de l’Europe, sa préoccupation semble consister à mettre à nu l’incompatibilité entre les systèmes de pensée des Africains et le progrès. Et cela par la mise à découvert de l’échec de la cohabitation des personnages de ces deux milieux, leurs mutations, le bouleversement du paysage culturel et cultuel ainsi que les efforts des uns et des autres soit pour s’identifier à un passé révolu, soit pour postuler à un monde dont on ignore encore tout. Dans un cas comme dans l’autre, il faut retenir l’effort d’évasion d’une réalité qui ne comble pas l’attente du personnage.

Dans cette image que nous propose Kourouma, à travers Fama Doumbouya, il n’est donc pas question de transposer les théories sociopolitiques de la Métropole en Afrique. Et cela pour la simple raison que le continent noir n’est pas une table rase. Kourouma s’oppose à cette image d’une Afrique rustre paralysée par le glacis colonial et néocolonial sous laquelle tout est inertie. L’Afrique de Kourouma n’est pas dénuée de civilisation ; mais elle est malheureusement livrée à l’événement. En ce sens, elle est sacrifiée par ses dirigeants comme une personne de haute noblesse. Ce décrépit de l’image de l’Afrique est signifié par le piteux destin de Fama :

 

« Fama avait comme le petit rat de marigot creusé le trou pour le serpent avaleur de rats, ses efforts étaient devenus la cause de sa perte car comme la feuille avec laquelle on a fini de se torcher, les indépendances une fois acquises, Fama fut oublié et jeté aux mouches », (S.I., 24) [8].

 

Il faut mentionner que dans Les Soleils des indépendances chaque personnage est un catalyseur d’expériences. Fama comme Salimata sont de formidables vecteurs de sens. Les prédicateurs qui se sont installés au pouvoir à l’époque postcoloniale ont transformé le continent en un champ de luttes permanentes. À l’instar de Fama qui fut oublié et « jeté aux mouches », un bon nombre de conquérants pour les indépendances a été dégoûté par les indépendances. Tous ces personnages traduisent la conscience que les indépendances ne les engage pas ; qu’ils sont les moyens rudimentaires et non les bénéficiaires. Le premier acteur de l’appareil étatique et son gouvernement multiplie des actes et ne tarit pas de lugubres ingéniosités pour être « un président à vie de la République, du parti unique et du gouvernement », (S.I., 97). Cette négation des valeurs éthico-sociales ancestrales prédispose, donc, ce continent à des heurts latents. Les nouvelles constitutions étatiques ne sont pas soumises à une réglementation administrative susceptible de proscrire toute forme d’événement historique. A contrario, il y a trop de cataclysmes :

 

« Le pays couvait une insurrection. Et nuit et jour Fama courait de palabre en palabre. Les bruits les plus invraisemblables et les plus contradictoires se chuchotaient d’oreille à oreille. On parlait de complots, de grèves, d’assassinats politiques » (S.I., 154).

 

La malédiction de l’Afrique – si l’on ose la nommer sous ce vocable – est qu’il s’y déroule plusieurs événements, voire des catastrophes dont les répercussions sont sans limites. Les hommes d’État noirs, selon Kourouma, ne semblent être que des leurres incapables de remplir les fonctions qui leur sont confiées. Plutôt que de se soucier de l’unité et du rayonnement national, ces néo-colonisateurs réorganisent leur société en clivages claniques ou ethniques mues par des intérêts personnels ou familiaux. En d’autres termes, ils ont cultivés ou cautionnés des antivaleurs qui les répartissent en prédateurs et en proies. Toutes les questions et particulièrement les problèmes vitaux prennent une double forme. Toutes les intelligences sont obnubilées par leur devenir intrinsèque. Chacun se demande :

 

– Comment tirer le maximum de profit de cette situation ?

– Comment ne pas servir soi-même de proie ?

 

Ces personnages que met en scène Ahmadou Kourouma dans Les Soleils des indépendances – à l’image des nouveaux dirigeants – mobilisent leurs énergies non pour exceller dans le cadre d’un développement pérenne des nouvelles nations ; mais pour leur propre hégémonie. Ce qui importe c’est de faire partie « des nantis » (S.I., 24). Ils déploient en ce sens des potentialités redoutables pour tirer le maximum de profits des indépendances. Du mysticisme à la cruauté, tous les moyens sont bons pour assouvir ses instincts :

 

« Il demeurait bien connu que les dirigeants des soleils des indépendances consultaient bien souvent le marabout, le sorcier, le devin ; mais pour qui le faisaient-ils et pourquoi ? Fama pouvait répondre, il le savait : ce n’était jamais pour la communauté, jamais pour le pays, ils consultaient toujours les sorciers pour eux-mêmes, pour affermir leur pouvoir, augmenter leur force, jeter un mauvais sort à leur ennemi », (S.I., 156-157). Il faut déchiffrer en filigrane de ces pratiques ignominieuses une situation conflictuelle latente. Les personnages de Kourouma manœuvrent dans des champs de force ouverts à l’infini et en perpétuelle décomposition. Face à cette consternation généralisée, certains individus se rabattent sur des pratiques que la morale réprouve. Car celui qui a bien profité, le bon prédateur, se trouve ipso facto au centre d’une polémique, des envies et devient à son tour une proie intéressante. C’est le règne de la terreur et de l’iniquité. Il faut donc déployer tout un art pour être un bon dictateur ou un pire fossoyeur. Chaque personnage pousse le plus loin sa qualité de chasseur de prime afin d’avoir une large part du gâteau.

Pour mesurer davantage l’ampleur de la négation qu’Ahmadou Kourouma porte à ce type de mentalité, il faut interpréter le symbolisme inhérent au parler et à la tradition africaine. Et sur ce, soulignons la métaphore de l’eau du fleuve et du désert qui essaime l’œuvre. Le désert – le lieu de la mort, de l’infertilité et de l’absence de vie – qui vient anéantir le fleuve serait une image de l’idée obsédante, chez Fama et Salimata, de la stérilité. Cette double stérilité du personnage et de l’Afrique serait une expression de ce peuple et de ce contient qui tourne le dos à ses traditions avec ses innombrables vertus et ses potentialités. Ainsi, ces êtres humains deviennent-ils hypocrites et nourrissent des réflexions absconses, inconciliables avec l’idée d’un réel essor africain. Fama, dans la méditation sur sa destinée, se demande : « ces soleils sur les têtes, ces politiciens, tous ces voleurs et menteurs, tous ces déhontés, ne sont-ils pas le désert bâtard où doit mourir le fleuve Doumbouya ? », (S. I., 99)

La cruauté et la violence des dirigeants sont en phase avec les énergies chaotiques qui traversent et déchirent en lambeaux les nouvelles nations. Fama, comme Kourouma, explique donc les malheurs de l’Afrique en relation avec ces mentalités égoïstes et masochistes. Les valeurs traditionnelles qui pacifiaient et régulaient les relations sociales se sont effritées. Il n’est plus question alors, dans ce contexte des indépendances, de perpétuer un humanisme décadent ; mais de poursuivre un idéal basé sur la recherche de l’intérêt fût-il anticonformiste. Cette satire de la morale égocentrique prédominante pendant cette période permet aux auteurs comme Ahmadou Kourouma d’accréditer un certain retour aux traditions. La dégradation des mœurs ancestrales justifierait cette crise des valeurs qui stérilise les progrès sociaux et économiques. Ce qui est une légitimation de l’assertion de Lucien Goldmann : « Le roman se caractérise comme l’histoire d’une recherche de valeurs authentiques sur un monde dégradé, dans une société dégradée, dégradation qui, en ce qui concerne le héros, se manifeste principalement par la médiation, la réduction des valeurs authentiques au niveau implicite et leur disparité en tant que réalités manifestes » [9]. L’Afrique, aux antipodes de certaines conceptions racistes la privant d’histoire, de culture et d’idées est un coin du monde pétri de civilisations [10], de sagesse et de philosophie. Elle n’est donc pas une terre, comme le rouspète inlassablement Fama, à défricher ; mais plutôt un univers à déchiffrer. Elle n’a pas tant besoin d’être ensemencée comme le stipulent les idéologies iconoclastes théorisées et entretenues par l’Occident dominateur. Sur ce, Kourouma s’inscrit en déphasage de tous ces nouveaux dirigeants qui veulent développer l’Afrique en faisant abstraction des réalités traditionnelles [11]. Les civilisations africaines sont d’un grand apport dans cette lutte pour l’émergence du continent noir. Car ce sont les traditions qui permettent à un individu de se définir et de se déterminer, de se situer par la proclamation et la défense de son identité propre et par le choix de son camp dans la lutte politique. Le pire péché de ces gouvernements, comme le note Aimé Césaire à propos des colons, a donc été de minimiser la portée des traditions et le rejet des traditionnalistes, tel que Fama, dans la quête de solutions pour sortir l’Afrique du sous-développement : « Le grand reproche que l’on est fondé à faire de l’Europe, c’est d’avoir brisé dans leur élan des civilisations qui n’avaient pas encore tenues toutes leurs promesses, de ne leur avoir pas permis de développer et d’accomplir toute la richesse des formes culturelles dans leur tête » [12]. Mais alors, qu’apportèrent les indépendances à l’Afrique ? A quoi ont servi les efforts de luttes pour les indépendances ? Rien qu’un agrégat de désillusions et de meurtrissures morales exhibées par la famine, le surendettement, la dictature, la corruption, le népotisme et autant de crimes odieux qui semblent handicaper ce continent et le disqualifier de la course au développement véritable.

Pour insister sur l’échec des indépendances, Kourouma reprend, subrepticement, la lancinante question du chômage dans les nouvelles villes naissantes. Ce thème entre fort bien dans le cadre de la dénonciation des régimes des indépendances qui n’ont pas su tenir leurs promesses. Dans une série de séquences, Kourouma passe en revue le nombre croissant de chômeurs, de sans emploi, d’infirmes et de loqueteux qui essaiment les boulevards et le marché à la quête de pitance. Ces lots de souffrances abrogent la dignité humaine et condamnent ces individus à une vie marginale, sans espoir d’insertion dans le monde nouveau qui s’édifie. En témoigne ces lamentables conditions :

 

« Besaciers en loques, truands en guenilles, chômeurs, tous accouraient, tous tendaient les mains. Rien ! Il ne restait plus un seul grain de riz. Salimata le leur avait crié, le leur avait montré. Ne voyaient-il pas les plats vides ? Elle leva les plats un à un, présenta les fonds un à un et les entassa à nouveau. Ils accouraient quand même, venaient de tous les coins du marché, s’amassaient, se pressaient autour de Salimata une haie qui masqua le soleil. La vendeuse comme du profond d’un puits leva la tête et les regarda ; ils turent leurs chuchotements et silencieux comme des pierres présentèrent leurs mains, leurs infirmités. Leurs visages vidés devinrent froids, même durs, leurs yeux plus profonds, leurs narines battirent plus rapides, les lèvres commencèrent à baver. D’autres arrivaient et se rajoutaient » (S.I, 61-62).

 

Aucun argument raisonnable ne pourra arrêter le frémissement de narines des mendiants, ni l’écoulement de leur bave. C’est une foule, un grouillement désordonné qui compose avec la jeune femme un principe de polarisation. Salimata, qui tente d’inscrire sa vie dans une routine quotidienne pour assurer la sécurité matérielle du couple qu’elle forme avec Fama, se retrouve ici en position sacrificielle, au centre d’un cercle cosmique qui fait événement historique. En dépit du trait d’humour qui caractérise le style d’Ahmadou Kourouma, cette scène apparait comme une description réaliste du triste vécu des citoyens noirs enclin à une pauvreté et à une souffrance sans pareil. En brandissant ses plats vides, Salimata ne comprend pas qu’elle serait, aux yeux de ces mendiants, détentrice d’argent.

Il faut dire que l’auteur de Les Soleils des indépendances, à l’image de son personnage, semble se fourvoyer quant à la réponse à cette question. Le contenu à donner aux indépendances apparaît, aux yeux des jeunes intellectuels et des dirigeants, comme une préoccupation majeure. La réponse qui hante toutes les consciences semble utopique. Que faire devant cette misère et cette dépravation des mœurs ? Car l’Afrique dans toutes ses couches sociales, politiques comme morales semble mal préparée ou n’est pas du tout préparée à s’auto-gérer. C’est ainsi que la politique sociale et économique passera au crible de certains écrivains. La recherche de solutions de sortie de crise alimente une importante production littéraire. Et Kourouma a reconnu la naïveté des premiers intellectuels qui croyaient que le retard de l’Afrique est uniquement lié à la colonisation  :

 

« Nous avons naïvement cru que seule la colonisation empêchait les Africains de devenir des hommes accomplis comme tous les autres. Par exemple, si des Africains volaient, c’était à cause du colonialisme. Qu’il cesse et qu’ils se mettaient tous à la tâche. Tout le monde allait se sacrifier pour l’Afrique. Mais nous n’avons pas tenu compte de sa réalité, de sa psychologie » [13].

 

Après avoir compris la lourde responsabilité des Africains dans leurs propres malheurs, Kourouma dresse un véhément réquisitoire des indépendances. Et il faut le clarifier, même si dans l’œuvre la scène a pour ancrage fictionnel le royaume du Horodougou, l’espace qu’il met en scène est l’Afrique dans sa globalité. Ce sont tous les dirigeants africains qui sont mis au banc des accusés. Et c’est là où la portée symbolique de l’onomastique [14] revêt toute sa valeur. Le nom « Fama » signifie chef, roi, prince, dirigeant en malinké. Le nom de famille Doumbouya rappelle la grande dynastie de l’empire du Mali. Le totem « vautour » évoquant un rapace qui se nourrit de restes.

À interpréter ces nominations, nous lisons un condensé des intentions de l’auteur qui dénonce les crises flétrissant l’image des jeunes nations africaines. L’Afrique, dira Fama, mérite mieux que ces « arrivistes », (S.I., 18). Ils ne sont pas si différents des Blancs colonisateurs. Ces derniers exploitaient le peuple noir pour enrichir leur pays ; alors que les dirigeants modernes exercent les mêmes abus pour s’enrichir et sortir leur famille de la misère. Fama indexe donc aussi bien le Blanc que ces dirigeants :

 

« Il avait à venger cinquante ans et une spoliation. Cette période d’agitation a été appelée les soleils de la politique. Comme une nuée de sauterelles les indépendances tombèrent sur l’Afrique à la suite des soleils de la politique », (S.I., 24). Pour Ahmadou Kourouma, à travers les expressions de Fama, le système politico-économique mis en branle par les nouvelles générations étatiques est incompatible avec les notions de développement. Le temps de l’euphorie est révolu. Il n’est plus de place pour les innombrables cérémonies dispendieuses, les discours fallacieux et pompeux prônant la fierté d’être noir et patriote. La place est au culte et à la morale du travail, à l’abnégation, au respect strict de la respublica. Pour la jeune génération d’intellectuels indigènes, la mission de la négritude, qui était née pour défendre et libérer l’homme noir de la domination du colonisateur, semble terminée. Il est question dorénavant d’œuvrer pour une bonne prise en charge du destin de l’homme noir.

Au demeurant, à bien méditer sur Les Soleils des indépendances et spécifiquement sur ce passage sus cité, Kourouma semble reprocher aux dirigeants une stérilité morale. Le contexte des indépendances n’est pas favorable à l’épanouissement moral et intellectuel du Noir. Son propos est de démystifier le système sociopolitique et économique mis en place et de prouver que ces dignitaires manquent de sagesse. Kourouma veut montrer au lecteur que les notions de « progrès » et même d’« indépendance » ne sont, pour les dirigeants, que des prétextes commodes et non une motivation sincère et profonde. Comme le rétorque Aimé Césaire [15] aux apologistes d’un développement fulgurant et durable de l’Afrique sous l’ère colonial, Ahmadou Kourouma, ainsi que toute la génération consciente d’intellectuels noirs, répond par un vocabulaire véhément qu’il parle de sociétés vidées d’elle-mêmes, de cultures piétinées ; d’institutions minées, de terres confisquées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées par ces fama africains. Bref, l’auteur donne l’impression que ces intellectuels noirs qui propulsaient la lutte pour les indépendances n’ont pas pris le soin de méditer au préalable sur le contenu à donner aux indépendances. Interprétons à ce propos les deux images phares de ce passage que nous venons de citer.

Les images de « sauterelles » et celle de la chute rendue visible par le verbe « tomber » témoignent non seulement du pessimisme, mais signifient clairement que le système de gestion mis en œuvre est stérile. Il s’agit d’abord de la comparaison de la vague des nouveaux dirigeants à une nuée de sauterelles. Ces bestioles dénués de toute faculté analytique agissent par pur instinct et se nourrissent des feuilles et des fleurs des arbres. Si nous gardons en mémoire que l’arbre respire par ses feuilles et que les fleurs lui permettent de se reproduire et de régénérer, Kourouma, par le biais de cette comparaison, signifie au lecteur que ces nouveaux dirigeants usent des biens publics pour satisfaire leurs instincts personnels et hédonistes. Ils « découpent et bouffent la viande et le gras… » (S.I., 18-19). Quant à la métaphore de la fleur qui perpétue la régénérescence végétale, l’auteur nous induit à saisir la stérilité psychique des idéologies et des politiques mises en œuvre. Avec ces moyens mis en œuvre, l’idée de l’essor du continent noir dans tous les domaines serait une pure fiction. Cet échec est le symbole de toutes les injustices ; de la damnation du contient que vocifère Fama : « Damnation ! Bâtardise ! Le Nègre est damnation ! » (S.I., 18-19)

Cette verve idéologique, qui caractérise la pensée de Kourouma dans Les Soleils des indépendances, nous amène à la conclusion que les indépendances seraient, aux yeux de l’auteur, une erreur monumentale. C’est d’ailleurs ce que semble justifier la seconde image évoquant la chute. Pour Kourouma, la réponse proposée par ces dirigeants est onirique, voire inadaptée aux réalités africaines. Les premières années du règne des présidents noirs sont imprévisibles – ce que signale la conjugaison du verbe tomber au passé simple – dans la mesure où elles ont été marquées par des hésitations, des balbutiements et des bavures de tous genres.

Pour Ahmadou Kourouma, la préoccupation majeure n’est plus de chanter la couleur noire ; mais de justifier à la face du monde que la colonisation est une parenthèse douloureuse de l’histoire du continent. Pour cette jeune génération, il faut démontrer que l’Afrique mérite d’être indépendante. Tant d’efforts et de luttes doivent être couronnées par une vie harmonieuse, une réconciliation de l’homme noir avec lui-même et avec son lustre ancestral désagrégé par l’esclavage et la colonisation. Malheureusement, comme l’a souligné Roger Mercier :

 

« Les jeunes formés par l’éducation européenne qui constituent en Afrique la quasi-totalité du public susceptible d’être touché par les œuvres littéraires, conscients des tâches matérielles, économiques et politiques, à l’accomplissement desquelles est subordonné l’avenir de leur pays, ont vu dans la complaisance pour le passé une attitude rétrograde, un obstacle au développement » [16].

 

À défaut d’une éthique harmonieuse et enracinée dans les valeurs intrinsèques au noir dans la gestion des questions sociales, politiques et économiques, les nouvelles autorités ainsi que leur communauté déploient des énergies inconciliables avec un développement durable. Kourouma nous livre un récit qui assimile cette gestion déconcertée et déconcertante à un partage du butin.

 

  1. LA STÉRILITÉ PHYSIQUE

Dans Les Soleils des indépendances, la narration s’acharne à démontrer au lecteur que le personnage Fama traine une tare physique qui l’empêche de procréer. Il est « le stérile, le cassé, l’impuissant », (S.I., 30). A l’instar des autres personnages de l’œuvre, Fama patauge dans la médiocrité qui semble marquer la période des indépendances. Le couple Fama-Salimata n’arrive pas à engendrer malgré plusieurs années de vie commune. Mais il faudrait saisir derrière cette stérilité physique une volonté de l’auteur d’exprimer sa conception du réel. Cette métaphore de la stérilité serait assimilable à un iceberg. Elle cache toute une idéologie de l’auteur.

Pour Ahmadou Kourouma, cette stérilité perçue comme une tare physique est une hypallage constructiviste. Elle entre dans le limon de la narration et permet au lecteur d’être davantage attentif au pessimisme de l’auteur et au malaise social qui déchire les consciences noires. Et même si dans son roman l’auteur s’efface pour céder la place à son personnage, cette technique lui permet de dénoncer violemment les régimes issus des indépendances. La déception, l’amertume, la haine des indépendances se conjuguent dans une vision que Fama a de ces nouvelles nations. Ce handicap de la stérilité cristallise la morale de l’œuvre et permet à Kourouma d’exprimer ses inquiétudes. L’Afrique souffre de ses dirigeants qui semblent incapables de tracer une ligne de mire qui propulse l’essor du continent. Ces nouvelles nations subissent une multitude d’agressions qui les empêchent de fleurir. La conception morale de la politique laisse à désirer et semble inscrire le peuple dans un étau de violence aveugle :

 

« La politique n’a ni yeux, ni oreilles, ni cœur ; en politique le vrai et le mensonge portent le même pagne, le juste et l’injuste marche de pair, le bien et le mal s’achètent ou se vendent au même prix. Fama continua pourtant à marcher de palabre en palabre, à courir saluer, la nuit, tel député, tel ministre, tel conseiller », (S.I., 157).

 

De la violence institutionnelle au mensonge politique, tout inscrit le citoyen noir dans une sphère austère et hostile. Il ne peut en découler que violence et autre forme d’avilissement des droits humains.

Fama témoigne de ces tares et il est souvent auteur de cette mentalité. À l’image des autres politiciens, il a un langage hautin et même bestial. Sa position d’ancien dignitaire le situe sur un piédestal qui l’induit à proférer inlassablement des insanités à l’encontre des autres citoyens. Il n’est donc pas un simple observateur proscrit de la scène, un contemplateur. Il s’engage dans ce qu’il observe. Ainsi, ses perceptions visuelles sont-elles aussitôt transférées en sensations multiples. La nostalgie, le remord, l’avidité y trouvent comme un exutoire. C’est la raison pour laquelle il est sanctionné par l’auteur. Kourouma l’empêche de procréer pour mettre un terme à ce type d’idéologies iconoclastes qui freinent le développement de l’Afrique. Les mœurs et les us que Fama devrait perpétuer à travers ses enfants sont contraires aux notions de progrès. Car ce héros est paresseux et préfère vivre dans la mendicité :

 

« Maintenant naissaient dans les rues et les feuillages les vents appelant la pluie. Le coin du ciel où tantôt couraient et s’assemblaient les nuages étaient gonflé à crever. (…) Fama déboucha sur la place du marché derrière la mosquée des sénégalais », (S.I., 22).

 

Même si l’art de Kourouma est de parvenir à dissocier la relation de l’événement et son explication, ce passage textuel raconte un événement singulier mais le recouvre d’un discours explicatif qui se substitue à lui. Autrement dit, l’image du marché ici évoqué souligne la dialectique de la mondialisation. Le marché signifie un lieu de rencontre et d’échange économique et il symbolise par-delà le rendez-vous du donner et du recevoir. Fama, digne représentant de l’aristocratie traditionnelle africaine ne participe pas à ce monde des échanges. Serait-ce une manière pour l’auteur de montrer que notre continent n’apporte rien à la mondialisation ? Tout laisse croire en cette infertilité idéologique.

En effet, après cette bonne pluie que décrit l’auteur, les bons africains devraient se diriger vers les champs afin d’assurer une autosuffisance alimentaire ou même une production commerciale destinée à l’exportation. Mais Fama « débouche sur la place du marché », les bras ballants.

Dans un angle traditionnel, la paresse et la mendicité de Fama se justifient. Fama Doumbouya, authentique prince traditionnel, « né dans le manger, l’or et les femmes » (S.I., 11), ne connaissant que sa culture traditionnelle et sa langue maternelle, ne peut percevoir la nouvelle société et le nouveau monde qu’à travers ses propres normes. En tant que noble comme il le clame inlassablement, Fama s’attend à une aide de la part de ses sujets. Ainsi, Fama est-il en droit d’attendre une prise en charge sociale. Mais faudrait-il qu’il se rappelle que les temps ont changé ! Nous ne sommes plus dans cette Afrique des empires et des royaumes morcelée en castes et en dynasties ; mais dans un continent qui a fini de se forger dans la lutte acharnée contre toutes les formes d’injustices. Kourouma cherche donc à condamner cette léthargie psychique des nouveaux « Fama » qui pensent vivre à la sueur du peuple. Ils ne cherchent qu’à se mettre plein les poches. Alors la stérilité de Fama serait un subterfuge, pour l’auteur de contredire cette mentalité de dépendance et de mendicité. Ces exemples de comportements doivent disparaitre au profit d’une fertilité idéologique qui amènerait l’Afrique à rivaliser avec les autres puissances.

Fama, homme de la tradition de par ses aspirations et ses convictions, évalue tout ce qu’il vit ou qu’il voit en fonction de la culture du Horodougou, des valeurs de sa tradition. La vision du monde que nous propose Fama Doumbouya est celle d’une classe d’hommes qui fut puissante dans le passé et que l’indépendance ne rétablit pas dans sa puissance. C’est pour cela que tout ce qu’il perçoit et vit quotidiennement dans la ville lui semble entaché de bâtardise.

Optant pour une profession de « mendiant » (S.I., 13) et pour une vie de bohème, Fama ne s’inscrit dans aucune dynamique de labeur. Il ne veut fournir aucun effort physique. Il ne veut pas s’user dans les travaux champêtres parce qu’il est noble. Les labeurs quotidiens lui paraissent pénibles et peu avantageux. Ils ne lui permettront jamais d’accéder aux « plus viandés et gras morceaux » (S.I., 23). Ainsi, il se refuse toute production intellectuelle préférant la vie de dépendance.

Il faut signifier que la mendicité, telle que conçue dans Les Soleils des indépendances, n’est pas l’apanage des basses classes sociales ou des nécessiteux. Elle est aussi une profession ou un recours de certains dirigeants noirs. Pour certains de ces Fama africains, le peuple noir est exempté de la course au développement. L’Afrique ne doit pas participer au rendez-vous du « donner et du recevoir » car elle a longtemps été meurtrie par l’esclavage et la colonisation. En ce sens, l’Europe doit aider l’Afrique car elle est responsable de son retard dans tous les domaines. À travers la mendicité de Fama, Kourouma fustige la politique de la main tendue des dirigeants noirs à l’Europe pour capter l’aide extérieure. Selon Kourouma, mendier signifie se conforter dans l’indigence. Or l’Afrique n’a pas besoin de ces types de dirigeants qui fondent leur modèle sur la politique de l’aide étrangère destinée à être détournée. Cette conception de la gestion ne semble pas satisfaire les consciences des nouvelles générations intellectuelles. Pour celles-ci, la morale de la dépendance est une expression quasi parfaite de la stérilité psychologique des chefs d’États noirs. Celle-ci serait à l’origine de l’enlisement africain. Ce n’est pas l’aide des puissances étrangères qui sortira l’Afrique de ces débâcles et de cette pauvreté inqualifiable. Fama s’écrit devant ce désastre : « Vraiment les soleils des indépendances sont impropres aux grandes choses ; ils n’ont pas seulement dévirilisé mais aussi démystifié l’Afrique », (S. I., 149).

Il s’agit donc pour l’Afrique de savoir choisir des dirigeants susceptibles d’élaborer des politiques d’investissements dans tous les domaines. Aux plans social, politique et économique, les Africains doivent démontrer aux anciens colonisateurs les preuves d’une brillante civilisation, d’une intelligence qu’ils ont détruite et d’un modèle de développement enviable.

Malheureusement, ces « Fama » pensent que malgré la forte pluviométrie de leur pays, il n’est pas question de cultiver pour assurer une autosuffisance alimentaire. Le travail de la terre, comme toutes les autres formes de labeurs, ne sont pas des moyens de développement. Ils préfèrent tendre la main et migrer de cérémonie en cérémonie. Ils ne comptent que sur les opportunités et les dons pour subvenir à leurs besoins. C’est sous ce rapport que nous pouvons interpréter cette stérilité de Fama comme une damnation de cette idéologie par l’auteur.

Kourouma sanctionne cette morale implicite qu’il perçoit comme un système de raisonnement collectif, spontané et irrecevable, à ses yeux, commun à tout un bon nombre de dirigeants africains ou selon les cas à toute une ethnie ou à un peuple d’un pays. L’Afrique n’est pas et ne saurait être soustraite de la course au progrès. Et celui-ci passe par divers efforts dans tous les domaines.

À travers cette mort biologique de Fama, le lecteur saisit donc une dénégation d’Ahmadou Kourouma, de ce type d’Africains paresseux, mendiants et véreux. L’auteur ne lui accorde pas d’enfant afin de mettre fin à cette génération d’Africains. Pire, il le supprime à la fin de l’œuvre pour exprimer son aversion vis-à-vis de ces types de mentalité. Cette extinction générationnelle apparait comme une rupture d’avec ces hommes. Car si Fama engendrait, il pourrait transmettre et perpétuer ses idées. Il n’aura pas de successeur biologique et idéologique et sa mort physique à la fin du roman apparait, aux yeux de la critique, comme une épuration des mœurs anti-progressistes.

 

BIBLIOGRAPHIE

  1. Articles et revues cités Articles JAQUES, Francis, « Rendre au texte littéraire sa référence », in Sémiotiques, n° 2, avril, Paris, Institut National de la Langue Française, (CNRS), 1992, p. 93- 102.

GARNIER, Xavier, « Le rire cosmique », in Études Françaises, vol. 42, n°3, 2006, p. 97-108.

Revues CÉSAIRE, Aimé, « Culture et colonisation », Présence Africaine, numéro spécial sur le 1er Congrès International des Écrivains et Artistes Noirs, numéro VIII, IX, X, juin-novembre 1956, p. 190-205.

MERCIER, Roger, « La Littérature négro-africaine et son public », in Revue de Littérature Comparé, n° 191-192, 1974, p. 398-408.

 

  1. Ouvrages

 

Œuvres

 

CÉSAIRE, Aimé, Discours sur le colonialisme, Paris, Présence Africaine, 1955, 1ère éd. 1950.

GOLDMANN, Lucien, Pour une sociologie du roman, Paris, Gallimard, 1964.

KANE, Mouhamadou, Roman africain et Traditions, Dakar, N.E.A., 1982.

 

 

[1] Université Ch. A. Diop de Dakar

 

[2] Inquiété par le gouvernement en place il s’exile en Algérie de 1964 à 1969, puis au Cameroun de 1974 à 1984 et au Togo de 1984 à 1994. Il revient après la mort du président Boigny avant de repartir pour la France où il va mourir et y sera inhumé le 11 décembre 2003.

 

[3] Ahmed Sékou Touré est le premier président de la Guinée Conakry. Il est né le 9 janvier 1922 à Faranah. En 1958, il fait dire « Non » au Référendum et choisit l’indépendance que ce pays obtient le 2 octobre 1958. Il est mort le 26 mars 1984 à Ohio à la suite d’une opération de chirurgie cardiaque.

 

[4] Félix Houphouët-Boigny est le premier président de la Côte d’Ivoire. Il est né le 18 Octobre 1905 à Yamoussoukro. Il dirige son pays natal de son indépendance le 7 août 1960 à sa mort le 7 décembre 1993.

 

[5] « Le rire cosmique de Kourouma », in Études Françaises, vol. 42, numéro 3, 2006, p. 97- 108, p. 105.

 

[6] Soulignons qu’au cours de notre analyse, nous considérerons les idées et les actes des personnages comme des messages que Kourouma destine à son lecteur. Autrement dit, nous appréhendons le texte de Les Soleils des indépendances comme une unité linguistique ayant pour référent la réalité sociopolitique post indépendance. Car comme le perçoit Francis Jacques : « Le langage a pour référence la réalité, à la fois globalement sous forme de phrases, en des énoncés complets, sous forme d’unités inférieures à la phrase, et, plus spécifiquement, par des expressions référentielles qui se rapportent à ce dont on parle », « Rendre au texte littéraire sa référence », in Sémiotiques, n° 2, avril, Paris, Institut National de la langue française, (CNRS), 1992, p. 93- 122, p. 93.

 

[7] Si en 1968 les thèmes de la déception et de la désillusion liées aux indépendances apparaît novateur, il faut cependant signaler que ce désenchantement apparait déjà sous une forme embryonnaire dans Les Bouts de bois de Dieu, 1960, de SEMBÈNE Ousmane. Comme ce dernier, Nazi BONI dans Le Crépuscule des temps anciens, 1963 et Yambo OUOLOGUEM dans Devoir de violence, 1968, Ahmadou KOUROUMA propose une vision de la situation sociopolitique et historique de la période coloniale et la difficile gestion des indépendances.

 

[8] Les références à notre corpus, Les Soleils des indépendances, Paris, Seuil, 1970, seront désormais notées de la sorte. Le chiffre renvoie à la page.

 

[9] Pour une sociologie du roman, Paris, Gallimard, 1964, p. 35.

 

[10] A ce propos, nous voulons pour preuves la grande et riche documentation composée de diverses publications sur la culture et l’Art africain et spécialement l’œuvre de Mouhamadou KANE, Roman africain et traditions, Dakar, N.E.A., 1982.

 

[11] A la lecture de certains romans, tels que Les Soleils des indépendances, Le Pleurer-Rire, 1982, de Henri LOPES, nous constatons, avec regret, que dans toutes les nouvelles Nations, la synthèse harmonieuse et efficiente que constituait la culture autochtone a été émiettée et que s’y est substitué une anarchie, un collage désordonné de traits culturels d’origines différentes se chevauchant sans s’harmoniser. C’est « la barbarie par l’anarchie culturelle » dira Aimé CESAIRE dans Culture et Colonisation, Présence Africaine, Numéro spécial sur le premier Congrès International des Ecrivains et Artistes Noirs, numéro VIII, IX, X, juin- novembre 1956, p. 190- 205, p. 202.

 

[12] Discours sur le colonialisme, Paris, Présence Africaine, 1955, p. 6.

 

[13] Ahmadou Kourouma interview, in www.africansuccess.org.

 

[14] Dans cette phase, les personnages fictifs, une fois créés, jouissent de certaines potentialités. En ce sens, le romancier va user des noms propres à leur égard. Tout comme les phrases du texte simulent des assertions, les noms propres qu’il emploie simulent une référence.

 

[15] Culture et Colonisation, op. cit.

 

[16] La Littérature Négro-africaine et son public, Revue de Littérature comparée, numéro 191-192, 1974, p. 398-408, p. 407.