Littérature

COUPS DE PILON DE DAVID DIOP, OU L’ESPOIR D’UN RENOUVEAU AFRICAIN

Ethiopiques n°86

Littérature, philosophie et art

Demain l’Afrique : penser le devenir africain

1er semestre 2011

Il y a un peu plus de 50 ans, le 29 août 1960, David Diop, le poète de l’espoir, disparaissait tragiquement au large des Almadies de Dakar, à trente trois ans. Mais ce n’est pas sans avoir semé le grain de la conscience sublime de la lutte des peuples noirs pour la Renaissance africaine. En effet, à travers ses expériences qui s’écrivent, faisant du texte [poétique] un laboratoire du futur, David Diop n’a pas crypté les promesses d’avenir pour ce qui est de la prise en charge des grandes questions de l’heure : la Renaissance africaine et la conquête de la liberté dans la dignité. En réalité, dès les années 1950, ce poète, à travers visions, rêves et idéaux annonçait déjà une géo-poétique de la renaissance qui redonne au continent centralité et dignité. Malgré le temps, cette question est encore agitée aujourd’hui où l’on fête, partout sur le continent noir, les cinquante ans d’indépendance. David Diop envisageait, en fait, la vie des Noirs, non selon le mode d’une crispation sur le passé, mais comme saisie dynamique d’un héritage à transformer.

C’est pourquoi Coups de pilon (Présence Africaine, 1973, fortement éclairé par l’image solaire et autres foyers lumineux, est un recueil où se cristallise la lumière dans une dynamique créatrice d’espoir et d’optimisme. Ainsi donc, malgré les affres de la colonisation, ce recueil reste un pôle fertile de l’espoir symbolisé par la lumière dont la présence dans les différents poèmes semble relever de l’obsession. Nous le savons, il serait beaucoup plus facile d’analyser cette œuvre sous l’angle de la dénonciation de la colonisation et de tous ses méfaits, mais pour cette étude, nous avons choisi d’avoir une pensée positive. Nous essayerons de montrer que David Diop, en tenant compte de l’injustice, de la torture, de l’avilissement, de l’humiliation et de l’exploitation, tous engendrés par la colonisation, refuse de se cantonner uniquement dans la revendication de la liberté ou dans la dénonciation de cette situation. Il a, par-dessus tout, opté pour l’espoir que nous essayerons d’analyser à l’aide de ces quatre points qui inondent son recueil : un engagement optimiste, la lumière comme symbole de l’optimisme, le soleil de l’espoir et l’avenir. Nous verrons que ces quatre points fonctionnent, sous la plume de David Diop, comme des mythes fondateurs d’un afro-optimisme montrant que l’Afrique peut espérer un meilleur avenir et y croire.

  1. UN ENGAGEMENT OPTIMISTE

Avant d’aller plus loin, remarquons que David Diop choisit de partir de la situation catastrophique de l’Afrique pour faire voir l’optimisme, l’espoir d’un peuple noir renaissant. Un optimisme qui relève d’un travail hardi sur soi afin d’oublier toutes les souffrances du passé et regarder l’avenir avec espoir. Ainsi le poète demande-t-il :

Ramenez-moi dans la feuille morte d’oubli

Mais rendez-moi la mortelle présence

Celle qui dit non aux rendez-vous de fer

Mais hisse son corps de ténèbres dures

Sur le haut sommet de l’espérance

Nègre (« Fou Etiez-vous », p. 50).

Nous voyons ici que Hamidou Dia à bien raison de souligner que David Diop,

Comme poète, c’est dans un panorama spirituel, dominé par les intellectuels de la négritude regroupés autour de la revue Présence Africaine, qu’il fit ses premières armes. Cependant, il va bientôt évoluer vers une pensée plus radicale prenant en charge véritablement les exigences d’indépendance des peuples africains (Hamidou Dia, in Xalimasn.com, voir bibliographie).

David Diop ne fait pas partie de ceux qui attribuent à d’autres ou aux circonstances la responsabilité des malheurs et des difficultés du monde noir, car il pense que celui-ci peut transformer sa vie et la rendre acceptable. La vie des Noirs ne sera pas acceptable et belle tant que les Africains ne la conçoivent pas comme un privilège réservé aux personnes conscientes de leur pouvoir, ainsi que de la liberté et de la responsabilité qui l’accompagnent. C’est pour cette raison qu’il invite ses frères à abandonner les routes faciles du conformisme et de la soumission pour se risquer sur les chemins audacieux et périlleux de l’affirmation de soi :

En dehors de leurs fêtes et leurs funérailles,

Les Noirs se réunissent toujours,

Pour exiger leur droit à la liberté,

Et le respect de leur dignité (« Non ! », p.53).

Nous voyons ici un refus fortement marqué de la résignation qui ne fait que prolonger le rêve de la liberté qui a toujours hanté le sommeil du poète. Pour lui, ceux qui vivent, comme le disait Victor Hugo, ce sont ceux qui luttent ; ce sont ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front, ceux qui, nourris d’un éminent espoir d’un destin de justice, bravent les dangers extrêmes, ceux qui marchent pensifs, épris d’un goût sublime, ayant devant les yeux sans cesse, nuit et jour, un monde d’égalité et de paix. « Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons pleinement exercer nos responsabilités et préparer le renouveau de nos civilisations » (Coups de Pilon, Prose, p.73).

Le poète sait que dans cette conquête de liberté et de dignité, « ce n’est pas le chemin qui est difficile, mais [que] c’est le difficile qui est le chemin » (Berlet, cf. bibliographie). Tout ce qui est négatif, la violence, la criminalité, les incendies, les rapts collectifs, les catastrophes organisées, rien ne l’arrête dans sa volonté de réaliser son rêve de panafricaniste, y compris le bonheur de sa famille. Voyons à ce propos un extrait de la correspondance qu’il avait envoyée à son ami Alioune DIOP pour lui signifier qu’il devait aller, quelles qu’en soient les conséquences, soutenir la Guinée nouvellement indépendante.

Mon cher Alioune,

… je pars pour la Guinée au début de la semaine prochaine en compagnie de Abdou Moumouni, de Joseph Ki-Zerbo et quatre autres professeurs africains. Comme je l’ai écrit, il est des cas où celui qui se prétend intellectuel ne doit plus se contenter de vœux pieux et de déclarations d’intention, mais doit donner à ses écrits un prolongement concret. Seule, une question de famille m’a fait hésiter quelque temps ; mais après mûre réflexion, ce problème ne m’a pas paru être un obstacle à mon départ (Coups de Pilon, Prose, p.75).

David Diop, comme beaucoup d’intellectuels de sa génération, pensait que l’avenir de l’Afrique se ferait par la solidarité réelle de ses enfants. C’est cette solidarité qui caractérise la lutte des peuples africains qui n’est donc pas

une lutte solitaire, isolée, elle est solidaire de la lutte des peuples du monde entier contre le joug impérialiste, de la révolte de Dimbokro aux cages à tigre de Poulo Condor, du lynché d’Atlanta aux brûlés de Madagascar, du forçat du Congo au Vietnamien couché dans les rizières. Partout dans le monde s’allume désormais le flambeau de la révolution dans une même communion d’esprit, dans un même élan de cœur (Hamidou Dia, op. cit.).

Le poète revendique ainsi sa place, toute sa place à côté de son peuple dont la lutte héroïque, de plus en plus organisée et radicale, fonde et justifie l’Espoir.

  1. LE MYTHE DE LA LUMIERE COMME SYMBOLE DE L’OPTIMISME

Rappelons ici quelques-unes des vertus symboliques fortes de la lumière : qu’elle soit donc solaire ou divine pour les religions révélées, la lumière incarne constamment cet éclat sublime qui, depuis toujours, fait l’objet de représentations et d’utilisations multiples. David Diop a conscience de la force de ce symbole lumineux, dessinant l’avenir, gravant des choses sur les objets, modifiant et purifiant toute matière par la chaleur des flammes des brasiers ou de manière artificielle, recréant cette force qui peut guider la main de l’homme au service de la pensée. Si David Diop est tant attiré par la lumière, c’est parce qu’elle l’aide à sensibiliser son peuple pour une prise de conscience, à éclairer son peuple. Silencieuse et éclairante, elle est partout et gratuitement accessible à tous. Ce combattant de la justice et de la liberté ne pouvait donc pas trouver un meilleur symbole que la lumière qui ne distingue pas, non plus, le Noir du Blanc.

Mais si, pour David Diop, celle-ci est nécessaire pour vivre, comme l’eau et la nourriture, la vraie lumière reste, pour lui, la fraternité et la liberté. Car c’est elle qui garantie la dignité et éclaire le chemin de la prospérité. C’est pourquoi Coups de pilon est inondé de lumière naturelle. Son éclairage de l’espace apporte la joie d’espérer, sa couleur introduit un ordonnancement toujours riche pour la pensée et le rêve d’un monde meilleur que le poète y rattache.

Si, par ailleurs, par la richesse de l’image artificielle de la lumière, David Diop a su créer une vision humaniste, c’est justement parce qu’il a « vu la fleur s’épanouir à la lumière, […] Et la lumière et le crépuscule [lui] font croire. A la bonté encore possible dans ce monde » (« Le monde », p.58). La lumière est donc porteuse d’espoir et rythme la vie vers une réalité humaine plus acceptable. Le poète a bien compris que s’il est un fait permanent qui guide la vie de l’homme dans tous ses choix, c’est bien cette source divine et sacrée qu’est la lumière. Il lui a donné, de ce fait, une fonction essentielle qui est de révéler à l’être humain sa grandeur et sa dignité. Cette révélation est valorisée et découverte par ses rayons divins qui font briller « son corps de ténèbres dures. Sur le haut sommet de l’espérance Nègre » (Où étiez-vous… », p.50). C’est ainsi que la lumière devient une composante magique et essentielle de la liberté nègre. Les jeux permanents que la lumière porte sur la présence des Noirs sur terre sont une richesse que seul l’œil du poète rencontre et raconte. En accompagnant toute la richesse artistique de chaque acte de la vie du Noir, il crée une participation constante aux rêves qui illuminent les jours et les nuits de celui-ci, où la présence de l’ombre toujours incertaine, quelquefois indéfinissable, lui fait revivre « l’anxiété des soirs de Liberté » (« Témoignage », p.45). C’est aussi la présence de la lumière prodigieuse qui ouvre les portes de la liberté, richesse convoitée par toutes les âmes, mais encore inconnue des peuples colonisés.

Au fond, la lumière de David Diop participe grandement à la création d’une société plus humaine dans laquelle chacune et chacun puisse trouver considération et respect. Son propos n’est pas de prétendre que tout va bien, mais de demander que l’on parle aussi des innombrables aspects positifs de l’avenir. La réalité du monde pourrait bien être plus belle que ce que vivent les Noirs colonisés ou esclaves.

Malgré vos chants d’orgueil au milieu des charniers

Les villages désolés l’Afrique écartelée

L’espoir vivait en nous comme une citadelle

Et des mines de Souaziland à la sueur lourde des usines d’Europe

Le printemps prendra chair sous nos pas de clarté. (« Les vautours », p.10).

Tout ce qui est négatif, la violence, la criminalité, les incendies, les assassinats collectifs ou individuels, les catastrophes sont le lot quotidien de ses frères. Il ne demande donc pas que les mauvais traitements infligés au peuple noir soient occultés, mais que ce peuple soit attentif au bonheur que l’avenir lui réserve. Il invite, par conséquent, les Noirs à œuvrer courageusement chaque jour et du mieux qu’ils le peuvent à améliorer leur monde.

Il démontre qu’en cultivant l’optimisme et la pensée positive, une personne améliore considérablement ses chances de survivre afin de faire face à la dure réalité. La confiance en l’avenir est donc lumineuse chez ce poète. Elle est à l’opposé des peurs, des peurs qui souvent sont arrimées à l’ignorance, et en particulier la peur du Blanc dans sa violence, dans sa puissance et son injustice.

Ils croyaient aux chaînes qui étranglent l’espoir

Au regard qu’on éteint sous l’éternelle sueur

Pourtant c’est le soleil qui jaillit de nos voix

Et des savanes aux jungles

Nos mains crispées dans l’étreinte du combat

Montrent à ceux qui pleurent des éclats d’avenir (« L’agonie des chaînes », p.13).

La richesse de la lumière, secondée par une valorisation du combat, porte le rêve de la liberté du poète, une image qui ne le quitte plus. Evitant toute crispation sur son passé ou son présent inacceptables, il valorise son avenir et la clarté en est bien le vecteur initiatique, fondamental, qui fonde et enrichit cette vision, mais fait aussi rêver et conduit à la détermination. Le recueil poétique a, ici, quelque chose de commun avec l’être vivant, en ce qu’il offre sans équivoque une vision dynamique et permanente qui emportera tout le reste vers des rêves futurs.

Sur le plan purement poétique, on peut dire que la lumière, après avoir parcouru la voie de l’esthétique à travers cette force naturelle et sa richesse émotive, pourrait aussi avoir pour fonction de soustraire au temps quelque chose de suggéré par cette réalité qui nous enveloppe, ce monde de vérité au travers duquel notre réalité humaine n’est qu’apparence. Par conséquent, elle est un facteur fondamental de communication donnant toujours la vérité et la force de découvrir et d’exprimer l’inexplicable. David Diop apparaît alors comme un artiste de grande intelligence, qui vit avec force la source lumineuse. Sa lumière, permanente et généreuse, réintroduit de vieilles habitudes réalistes où le plus souvent se révèle une certaine nostalgie, non l’avouée, de l’Afrique avant l’arrivée des Blancs, comme il le souligne dans son poème « Afrique », mais également dans beaucoup d’autres.

Afrique mon Afrique

Afrique des fiers guerriers dans les savanes ancestrales

Afrique que chante ma grand-mère

Au bord de son fleuve lointain (« Afrique », p.23).

C’est vrai que cette Afrique paradisiaque, où les Noirs sont encore fiers, est très loin de celle de chaos et de désolation que connaît David Diop. Seule l’énergie lumineuse, par sa puissance, permet de transporter l’Homme d’un paradis si édénique à la scène d’une réalité si cruelle, et répondre à ses exigences. Le contraste descriptif des réalités, dans ce poème, n’est que le reflet de celui qui oppose l’Afrique avant l’arrivée des Blancs et l’Afrique de la traite négrière et de la colonisation. Si, dans la poésie, David Diop apprécie la lumière comme un matériau de construction, c’est parce qu’elle contribue à une écriture visible porteuse d’un message beau, de l’espoir conquis par la main et l’esprit de l’homme. La lumière ici, tout comme l’écriture poétique, traverse les siècles en apportant aux Nègres une meilleure qualité de vie et une joie de vivre. Dans sa conquête effrénée de liberté, le poète s’appuie sur cette remarque d’André Malraux : « L’art a une fonction essentielle qui est de révéler à l’être humain sa grandeur et sa dignité » (Taillibert, voir bibiographie). C’est pourquoi ses lumières semblent permettre de recomposer un univers miné par le racisme et l’injustice, bien au-delà d’une simple illumination esthétique.

  1. LE MYTHE DU SOLEIL DE L’ESPOIR

Composante essentielle de la vision poétique de David Diop, le soleil est un pôle fertile de cristallisation de son imaginaire littéraire dans la dynamique créée, au sein de son recueil, par l’astre lumineux. C’est cette démarche illuminée qui guide le choix esthétique dans Coups de pilon. Pour les lecteurs comme pour les personnages, le soleil tente toujours de modifier le passé pour un meilleur devenir. Il symbolise le dynamisme et la liberté de se mouvoir au gré de sa volonté, à la limite d’un défi éternel. Il fonctionne ici comme un axe fédérateur et interactif de tous les foyers lumineux qui éclairent ce recueil poétique. En effet, le soleil fait office de fil conducteur qui guide la révolution dans ce parcours où les mouvements sociaux maintiennent haute « la flamme multicolore de la Liberté Nègre » (p.47), au « pays du soleil et des dieux » (« Tam-Tam », p.63).

L’examen de l’œuvre de David Diop sous l’angle du soleil conduit alors le lecteur au cœur de la problématique de l’élément solaire qui transpose la lumière dans le verbe, mêlant souffrance et optimisme. En mettant l’accent sur la pénitence des Noirs pour en faire l’envers de l’espoir, il mène un travail qui définit ce qu’il nomme la « la liberté de choix et d’action ». Le pessimisme d’une époque sans justice fait paradoxalement du noir le médium de la vision : s’y révèle « Le soleil de ton pays [qui] n’est plus qu’une ombre » (« Le renégat », p.19), image de l’horreur vécue. Le seul remède à la mélancolie noire demeure, dans l’univers poétique de l’auteur, la poétique du discernement par l’aurore. David Diop fait partie de ceux qui pensent que chacun a droit au soleil qui se lève chaque jour et qui brille pour tout le monde. L’espace qu’il éclaire est constitué de « Terres odorantes où chacun pouvait vivre » (« Nègre clochard », p.28).

Le lien entre le soleil et l’espoir tient, dans ce recueil, une place essentielle. Les caractéristiques du soleil évoquent le feu ou permettent la création de formes et de sens, rompant une relation entre l’obscurantisme et la prise de conscience du poète de la situation du monde noir. L’astre du jour prend donc résolument une connotation politique et annonce la décrépitude irréversible de la colonisation : le soleil est ainsi à la fois objet d’une sensibilisation et élément d’une réflexion sur l’histoire.

Son passé lui dicte cette interprétation, l’idéologie coloniale lui a ainsi ouvert les yeux sur l’histoire des Noirs et a orienté son combat. Il se fait alors un devoir de s’allier aux forces cosmiques dans la perspective d’assurer la splendeur de son avenir. Grâce à sa culture africaine, il connaît toute la symbolique de l’utilisation métaphorique du soleil, car, de tout temps, les souverains, pour des fins propagandistes, associent la lumière de l’astre à la grandeur aristocratique. Symbole archétypal de « Soundiata l’oublié Et Chaka l’indomptable » (« Nègre clochard », p.28), le soleil fascine les humains, surtout les souverains obsédés d’immortalité. « La disparition du roi dans de nombreuses cultures est ainsi assimilée à l’extinction du soleil. L’association « soleil-rayonnement politique » (ASAAH, 2006) a servi de base idéologique pour ériger des civilisations formidables » auxquelles le poète fait allusion pour refaire l’Afrique et que les monarques ont voulu éternelles. On connaît aussi l’exploitation politique du même mythe par le Roi-Soleil français Louis XIV. La question donc se pose. Le peuple noir sera-t-il à la hauteur de ces défis ? Se contentera-t-il plutôt de s’approprier le mythe solaire sans passer à l’acte, sans réaliser des exploits ?

Face aux difficultés conséquentes d’ordre matériel et psychologique et en proie à l’usure du Nègre pendant la traite des Noirs et la colonisation, David Diop exploite la représentation séculaire du soleil doré comme facteur de gloire future.

Que ne me berce plus le rythme de vos pleurs

J’entends déjà sonner dans un ciel d’espérance

Les mille chœurs de ma négritude retrouvée

L’orage sanglant de la liberté

Aujourd’hui fera trembler la chair d’Afrique

Et les ombres trompeuses de la résignation

Fuiront éperdues mon soleil de Ghâna

Bantous Soudanais

Togolais Guinéens

Nous referons l’Afrique

Et ses purs cris d’amour à travers les savanes

L’Afrique qui s’éveille au chant puissant de l’Avenir (« Appel », p.42).

Même s’il ne manque pas d’espoir, la souffrance subie par les siens lui impose un certain cramponnement au passé de torture et d’humiliation qui ne le libère pas pour répondre, de manière résolue et efficace, aux nouveaux impératifs des indépendances. Il est comme ankylosé par le soleil de son passé, par le soleil brûlant d’autrefois, au mépris des représentations que d’autres sujets se font de la force sidérale à la veille et à l’aube des indépendances. C’est ce qu’il affirme en ces termes :

Le Blanc a courbé mon frère sous le soleil des routes (« Le temps du martyre », p.33).

Les rayons du soleil semblèrent s’éteindre

Dans ma case vide de sens (« Celui qui atout perdu… », II, p.35).

Un sombre soleil siffleur de fer (« Liberté », p.46).

Ce jour-là le soleil se fit plus chaud (« Tam-Tam », p.62).

Nous voyons ici que la splendeur solaire rappelle à David Diop combien le passé de ses ancêtres est triste. Elle permet, en même temps, au poète d’évaluer l’ampleur de la tâche qui l’attend pour redonner au peuple noir la gloire « des fiers guerriers ». Ceux-ci l’incitent, par l’aimant solaire, à se dépasser et à chercher l’immortalité grâce à leurs hauts faits. Il ne manque pas en tout cas de rappeler ce soleil de joie festive :

Le soleil riait dans ma case (« Celui qui a tout perdu… », I, p.34).

Ton sourire ma négresse est une étrange fourmilière

Où dansent mille la langue de soleil (« Ton sourire », p.51).

Le soleil dansait sur ma peau d’ébène (« Tam-Tam », p.62).

C’est ce qui explique que tous les poèmes de David Diop, après avoir exprimé les souffrances endurées, dit les luttes menées inlassablement, se terminent toujours sur une note d’espoir. L’espoir que le jour du bonheur est au bout de ces souffrances et de ces luttes, l’espoir de l’avenir d’une Afrique glorieuse qu’il appelle de tous ses vœux.

  1. L’AVENIR

L’avenir est aussi un thème très récurrent dans la poésie de David Diop. Il symbolise toujours l’optimisme et l’espoir du peuple noir. Même si l’état de l’environnement colonial ne constitue que l’une des causes d’inquiétude, le poète est convaincu que « Nous referons l’Afrique, […] L’Afrique qui s’éveille au chant puissant de l’Avenir » (« Appel », p.42). La majuscule qui commence ce mot « Avenir » souligne toute l’importance que l’auteur lui accorde. Il annonce, en effet, que « Les peuples chanteront les heures d’avenir » […] sous « La flamme multicolore de la Liberté Nègre » (« Liberté », p. 46-47). Seul l’optimisme guide la plume de David Diop lorsqu’il écrit ces versets, car partout dans le monde noir, on vivait dans la crainte d’une attaque de toute sorte. Les menaces qui pesaient sur les Noirs et dont ils ignoraient quand et comment elles allaient se concrétiser, leur faisaient perdre le sommeil. C’est un monde où il y a peu à espérer quand on est « Nègre noir comme Misère ! » (« Souffre pauvre Nègre », p.36). Entre l’usine de sucre où ils travaillent, « les routes de midi » (« Afrique », p.23) par où ils passent, les humeurs des Blancs qui les rouaient de coups à volonté, les Noirs avaient des difficultés pour discerner un filet d’espoir. Et pourtant, à force de s’occuper de ses bourreaux, qu’il surnomme « les vautours », à force de tenter d’ouvrir des portes de compréhension et d’humanité nouvelles pour lui et les siens, David Diop sent que la carapace d’espérance qu’il s’est forgée physiquement et mentalement se fendille.

Puis un jour, le silence…

Les rayons du soleil semblèrent s’éteindre

Dans ma case vide de sens

Mes femmes écrasèrent leurs bouches rougies

Sur les lèvres minces et dures des conquérants aux yeux d’acier

Et mes enfants quittèrent leur nudité paisible

Pour l’uniforme de fer et de sang

[…]

Les fers de l’esclavage ont déchiré mon cœur (« Celui qui a tout perdu… », p.35).

Mais c’est de ce désespoir que surgissent l’affection, la tendresse et l’envie de protéger son peuple. L’union des désespérés du bonheur qui s’évertuent, ensemble, à oublier leurs maux, sera le déclencheur d’une épopée qui augurera enfin des jours meilleurs pour cet avenir qui joue depuis bien trop longtemps à leur glisser entre les doigts.

David Diop signe ici un recueil au parler franc qui n’édulcore pas la misère et la précarité du quotidien. Là est la force de l’auteur, son talent, cette manière de conclure ses poèmes avec une formule vraiment optimiste. Beaucoup de vers sont à noter avec plaisir et à retenir. On y retrouve « l’Afrique qui s’éveille au chant puissant de l’Avenir » (« Appel », p.42). Il a donc d’emblée une vision claire du terrain à conquérir pour ses frères, ces gens de peu à qui le poète affectionne de redonner confiance et espoir :

Loin des vautours

Les jours seront de soie sur ses rires retrouvés

Les peuples chanteront les heures d’avenir

Et sur le seuil des cases

Fraternellement coulera

le vin de palme

de le Résurrection (« Liberté », p.46).

Incontestablement, David Diop fait partie des écrivains africains qui ont joué un rôle de guide politique pour leur peuple désemparé par la traite négrière et la colonisation. Il ne se voulait pas maître à penser mais se voulait en tout cas comptable du monde dans lequel il vivait, pas seulement en fils d’Afrique mais en tant que citoyen du monde.

Je pense au Vietnamien couché dans la rizière

Au forçat du Congo frère du lynché d’Atlanta (« L’agonie des chaînes », p.13).

Il avait des choses à dire sur toutes les réformes à faire, sur les rapports entre les races, sur la justice. Non seulement son œuvre et ses paroles le démontrent, mais il a aussi montré son engagement effectif en allant soutenir la Guinée, ce jeune Etat fragile qui venait d’« arracher » son indépendance à la métropole.

Comme beaucoup d’écrivains de sa génération qui ont participé, d’une manière ou d’une autre, à la lutte pour l’indépendance, il a vécu à une époque où les intellectuels passés par le modèle universitaire occidental se savaient privilégiés, être des exceptions et donc porteurs d’une mission de porte-parole, de guide. Il s’est également fortement investi contre les dénaturations de toutes sortes que les Blancs faisaient de l’histoire et de la culture africaines. Il soutenait, dans Présence Africaine :

Il est en effet difficile de soutenir qu’un régime reposant sur l’exploitation économique et la falsification historique (en l’occurrence le régime colonial) puisse favoriser l’épanouissement des cultures noires et leur donner une dimension à la mesure du monde moderne (Coups de Pilon, Prose, p.77).

 

Conscient de cette situation, David Diop montre à ses frères que l’espoir est là, non seulement l’espoir, mais la force, le talent, l’apport créatif. Le problème avec l’Afrique, c’est qu’elle est mal connue – parce qu’on confond des identités culturelles et des histoires différentes – ou pis encore, qu’on choisit délibérément de les occulter si l’on ne les banalise pas en faisant penser qu’il n’y a rien à découvrir en Afrique parce que ce continent n’a rien qui puisse intéresser le monde. Ces fausses certitudes ou ces supposées connaissances font qu’il y a un blocage supplémentaire, surtout quand on enferme l’Africain lui-même dans cette image qui n’arrange que le colonisateur. Le poète fait sauter toutes les clôtures qui empêchent les Noirs de jouir de « la liberté de choix et d’action », car

De cette liberté l’Afrique noire fut systématiquement privée. La colonisation en effet s’empara de ses richesses matérielles, disloqua ses vieilles communautés et fit table rase de son passé culturel au nom d’une civilisation décrétée « universelle » pour la circonstance (pp.70-71). Diop choisit de peindre l’homme au côté duquel il vit, qu’il voit souffrir et lutter (Coups de Pilon, Prose, p.72).

Ce poète de l’espoir et de l’avenir pose également la lancinante question des langues nationales africaines. Sur ce point, Hamidou Dia montre que David Diop a bien souligné

la difficulté et l’ambiguïté d’une poésie dite et écrite pour les Africains mais dans la langue du colonisateur. La poésie doit être dite et écrite dans nos langues nationales retrouvées et des efforts doivent être fournis dans ce sens. Pour Diop, il est impossible de traduire profondément les problèmes, les souffrances et les aspirations des peuples africains dans une langue d’emprunt. « La poésie africaine d’expression française, dit-il, coupée de ses racines populaires est historiquement condamnée (Hamidou Dia, op. cit.).

Cependant, en attendant il faut qu’émerge une poésie nationale dite dans nos langues,

en vers libres ou en alexandrins, qu’importe la forme utilisée pourvue qu’elle soit belle et harmonieuse, que la poésie noire crève les tympans de ceux qui ne veulent pas l’entendre et claque comme des coups de verges sur les égoïsmes et les conformismes de l’ordre (Coups de Pilon, Prose, p.72).

C’est une telle théorie de la production littéraire africaine et noire qui est à l’œuvre dans le cahier de poèmes intitulé Coups de pilon et publié par Présence Africaine. Des coups qui, en pilant l’ennemi, en l’écrasant, donnent au mortier en ébullition de l’Afrique la douce saveur de la liberté reconquise. Cette œuvre est une sorte de fresque historique des peuples noirs, une histoire faite d’oppression mais aussi de résistance et de lutte.

CONCLUSION

Pour conclure, nous disons que la lumière qui suscite l’espoir du poète et celui de son peuple, omniprésente dans le recueil. Les nombreuses allusions à la clarté l’attestent, comme si Diop cherchait à exploiter toutes les formes de l’esthétique solaire dominante en privilégiant la métaphore lumineuse afin de donner une orientation claire à son avenir. Elle devient, de ce fait, le point de départ, non seulement d’un retour aux origines glorieuses, mais aussi et surtout d’une quête effrénée de liberté et de dignité, dans une situation où la souffrance renvoie, non pas à la « soif de mort » mais au combat et à l’optimisme. Mais l’apothéose lumineuse dans la poésie de David Diop laisse entendre que le mysticisme solaire n’est pas mort, renaissant dans le « lyrisme auroral » qui renvoie aux anciens souverains africains comme Soundiata et Chaka, mais également aux anciens empires africains comme le Ghâna, le Mali, le Songhoï…

Ce n’est donc que justice, au moment où l’on parle de la Renaissance africaine, de tenter de sortir David Mandessi Diop de

la quasi-ignorance dans laquelle nous sommes de leur (sic) œuvre. Nous devons approfondir la pensée et l’action de cet homme qui, dans la clameur et la confusion des années d’indépendance, sut garder intacte sa volonté de progrès. Son compagnonnage nous est utile en périodes troublées mais porteuses de nouvelles espérances. (Hamidou Dia, op. cit.).

 

Au terme de ce parcours éclairant, le regard du lecteur s’est peut-être agrandi de manière panoramique pour embrasser les nombreuses variations lumineuses des soleils poétiques prenant place dans Coups de pilon de David Diop.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Corpus

DIOP, David, Coups de pilon, Paris, Présence Africaine, 1973.

Ouvrages et articles

ASAAH, Augustine H., « Le soleil entre fixité et devenir : le lecteur devant la présence solaire énigmatique dans les soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma », in Ethiopiques n° 76, 1er semestre 2006, p. 169-181.

HAMMOUTI, Abdellah, « Coups de Pilon de David Diop ou la poésie militante », in Ethiopiques n° 76, Centième anniversaire de L. S. Senghor. Cent ans de littérature, de pensée africaine et de réflexion sur les arts africains, 1er semestre 2006, p. 61-82.

LAROCHE, Hugues, Le crépuscule des lieux (Aubes et couchants dans la poésie française du XIXe siècle), Aix-en-Provence, Presses de l’Université de Provence, coll. « Textuel Poésie », 2007.

Webliographie

BAUDOUIN, Sébastien, « Le soleil titre la littérature », Acta Fabula, Notes de lecture, URL : http://www.fabula.org/revue/documen… (consulté le 17 mars 2011)

BERLET, Jean-Luc, www.accordphilo.com/article (consulté le 17 mars 2011).

CARAVAGE, Rembrandt, « De la lumière », in http://lunetterouges. blog.lemonde.fr/files/caravage_baiser judas.jpg (consulté le 17 mars 2011)

DIA, Hamidou, « Le verbe supplicié de David Diop (1927-1960) », xalimasn.com/le-verbe-supplicie-de-david-diop-1927-1960 (consulté le 17 mars 2011)

TAILLIBERT, Roger, « Poésie et lumière », www.institut-de-France.fr/mé… (consulté le 19 mars 2011).

[1] Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sénégal