Littérature

CHANSON TRADITIONNELLE ET DROIT D’AUTEUR : CAS DES CANTATRICES ZALAY AU NIGER

Éthiopiques n°97.

Littérature, philosophie, sociologie, anthropologie et art.

2nd semestre 2016

CHANSON TRADITIONNELLE ET DROIT D’AUTEUR : CAS DES CANTATRICES ZALAY AU NIGER

INTRODUCTION

La chanson populaire demeure le genre littéraire oral le plus usité en Afrique. Autant naissent spontanément des générations d’écrivains en milieu urbain autant se multiplient des poètes du peuple [2] en milieu rural. La poésie orale garde sa vitalité encore plus que les autres genres. Selon Kesteloot, elle « fonctionne clairement comme une poésie adressée par le poète à son peuple. » Elle appartient au patrimoine immatériel et se transmet de génération en génération. Elle est l’œuvre d’individus inspirés issus de toutes les couches de la société. Pour Groccia (2008), la chanson est de nos jours « cette forme d’expression fondamentalement populaire, faite pour et par le peuple, et en grande majorité chantée par lui. ». Elle suit l’évolution sociopolitique et culturelle d’un pays.

Au Niger, la chanson traditionnelle occupe une place importante dans la communication de masse à travers les programmes audiovisuels, les génériques radiotélévisés, les spots publicitaires, le cinéma. Sources d’inspiration pour les groupes musicaux modernes, plusieurs compositions traditionnelles ont fait l’objet d’une interprétation sans que leurs auteurs ne soient même identifiés et rétribués comme il se doit.

Notre étude tente d’analyser le problème des redevances de droit d’auteur des chanteurs traditionnels, en particulier ceux des cantatrices du Zalay, à savoir : Hamsatou Gaoudélizé, Hawa Issa dite Hawazalay, Hamsatou Guériguidé, Haoua Balma.

Le choix de ces cantatrices est motivé par un certain nombre de constats :

– elles font preuve d’originalité, d’innovation tant au niveau du style que de l’accompagnement musical et s’inscrivent dans un mouvement socioculturel ;

– elles bénéficient d’une réception critique qui fait que leurs œuvres font l’objet d’une interprétation, d’exploitation par les médias qui constituent les premiers usagers des œuvres ;

– elles sont les premières à adhérer à un bureau de droits d’auteur mais leur redevance de droits d’auteur est insignifiante par rapport à celle des musiciens modernes.

L’Organisation mondiale pour la propriété intellectuelle (OMPI) soutient que les connaissances des peuples et des communautés « n’étaient pas considérées à leur juste valeur dans les accords commerciaux sur la propriété intellectuelle. » McNee (1998) affirme pour sa part que « la musique traditionnelle et le droit occidental s’opposent au niveau le plus fondamental », et il parle même d’une « violence symbolique du droit ». À cet état de fait s’ajoute le peu d’intérêt de la recherche pour le genre de chanson considéré comme un art mineur n’ayant « jamais véritablement été pris en charge ou institutionnalisé par un discours académique, que ce soit de la part des institutions littéraires, ou des institutions musicales » Guller (1978). Poupart (1988) parle même de difficultés de l’intégrer « dans le champ des formes d’expression institutionnalisées ».

Ces difficultés sus-mentionnées posent la problématique de la configuration des cantatrices du Zalay dont la célébrité s’appuie sur leur identité discursive dévoyée par leur statut social de princesses incompatible avec le métier de griot et par la propriété intellectuelle basée sur la notion d’auteur. Dès lors, il est important de se poser la question si le simple fait de se réfugier dans le discours artistique est un garant de configuration identitaire.

Dans le cadre de cette étude, la sociocritique est l’approche théorique appropriée. Taine (1881) dit qu’« une œuvre d’art peut être expliquée par rapport au milieu social de l’auteur. » Cette idée est plus explicite chez Zima afin de combler les lacunes qui caractérisent les démarches précédentes. Pour lui, « on pourrait dire que la sociocritique est une du texte littéraire dans le contexte social, historique et institutionnel. » On retient trois concepts clés : la classe sociale, le reflet et l’engagement, sur lesquels la critique marxiste s’appuient Mukarovsky pour dégager les deux aspects d’une œuvre :

– d’une part, elle est un signe matériel polysémique, donc interprétable ;

– d’autre part, elle peut être considérée comme un objet esthétique.

Nous interprétons la faiblesse de la redevance des droits d’auteur des cantatrices dites du Zalay partant du premier aspect en prenant en compte les concepts clés sus-évoqués.

Le travail est organisé autour de trois points. Dans un premier temps, il s’agit de montrer la difficulté à configurer les poètes traditionnels dans le champ de droit d’auteur. Dans une deuxième étape, nous analysons le cas spécifique des cantatrices dites du Zalay butte aux normes sociales, au faible taux de leurs redevances en matière de droits d’auteur, un concept nouveau dans l’évolution sociopolitique de la chanson féminine au Niger.

  1. POÈTES TRADITIONNELS, PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE ET DROIT D’AUTEUR

Consciente de l’impact socioculturel et artistique de la chanson, la société traditionnelle zarma-songhay a des mécanismes de conservation et de protection des droits des créateurs. La reconnaissance et la rétribution sont directes. Le créateur est lié à l’usager de ses œuvres par un contrat dont les clauses sont définies en fonction des liens sociaux qui les unissent. Il faut noter que dans la société zarma-songhay du Niger il y a deux catégories de chanteurs (poètes) :

– le poète de cour qui est généralement assimilé au griot. Il compose des chants au chef, notamment lors de son intronisation, et loue en public ses qualités ; en rétribution de quoi, le roi subvient à ses besoins bon an mal an. Maazou Dan Alalo, du sultanat de Zinder, est reconnu comme le plus célèbre ;

– le poète du peuple. Il est indépendant de toute structure sociale. Il joue par plaisir pour lui-même et les autres. Il entame le plus souvent sa carrière par une chanson autobiographique. Contrairement au premier, il ne chante que sur invitation. Il a une influence sur les jeunes qui vivent ses œuvres comme une mise en discours de leurs propres histoires. Il est récompensé en fonction de la satisfaction du public au cours des exécutions publiques.

Toutes ces deux catégories de poètes peuvent être issues de toutes les couches de la société. Le seul vrai critère de distinction est le talent au service de la parole. Le poète du peuple évolue au sein d’un mouvement [3] qui reflète la vision du monde d’une génération en rupture avec le passé. Les individus, dans une nouvelle configuration identitaire en rupture avec les normes sociétales de leur milieu, s’offrent les services des poètes du peuple pour s’imposer. Les cantatrices du Zalay ont largement contribué à la popularité des commis subalternes sous la colonisation et des cadres du Parti Progressiste Nigérien (PPN-RDA) entre 1960 et 1974. Dans ces conditions, c’est au destinataire qui se sent honorer qui récompense directement son loueur. Il n’y a pas de droits voisins. Avec la colonisation, cette conception communautaire du droit d’auteur a connu une mutation avec la notion de propriété intellectuelle. Ainsi, les créateurs des colonies françaises sont soumis au même régime juridique, en théorie, que ceux de la métropole couverts par la Convention de Berne de 1886 qui stipule que « Les États signataires doivent accorder aux détenteurs de droits dans les autres États signataires la même protection que celle accordée à leurs ressortissants pour une durée au moins égale à celle applicable dans le pays d’origine. » Les compositions des musiciens traditionnels, en particulier celles des cantatrices du Zalay telle Hamsatou Gaoudélizé sont exploitées par Jean Rouch dans certains de ses films ethnographiques, d’où la nécessité pour ce dernier et les autres usagers occidentaux de se conformer au droit français dans les années 1970. La Sacem enregistre ses premiers adhérents au Niger. La gestion revenait à la Radio d’État (Voix du Sahel). Les cantatrices du Zalay sont les premiers bénéficiaires en conformité aux articles L.111-1 et L.123-1 du Code de la propriété intellectuelle française (loi du 11 mars 1957 et du 3 juillet 1985) [4]. Aussi, la notion du droit d’auteur des créateurs d’inspiration traditionnelle est diversement appréciée par la recherche. Selon Belinga (1985), « les chercheurs et les professeurs pensent habituellement qu’on ne peut pas parler d’auteur à propos de la littérature orale/ [que] l’œuvre littéraire orale semble plutôt appartenir en commun au groupe social pour lequel elle a vu le jour/ [que] ce groupe social est non seulement le détenteur, mais aussi encore l’inventeur/[que] même en attribuant la paternité de l’œuvre à un groupe social donné, certains pensent que l’interprète de l’œuvre la recrée toujours / [qu’]il existe toutefois des cas de création littéraire récente, l’auteur peut être individualisé ».

L’État, à travers ses structures en charge de la culture, continue à avoir la même lecture de tout ce qui relève des savoirs traditionnels. Dans la déclaration de la Politique culturelle au Niger de 2008, est considérée comme expression du folklore, toute œuvre produite par un créateur relevant des expressions artistiques traditionnelles. Aussi l’autorité publique, en classant la chanson traditionnelle (poésie orale) d’auteurs connus comme un patrimoine des communautés ethnolinguistiques, expression du folklore, la relègue au domaine public ; ce qui fait de ces compositions originales et individuelles des échos d’une époque révolue que les jeunes générations peuvent exploiter à leur guise. L’ordonnance n°2010-95 portant sur le droit d’auteur, les droits voisins et les expressions du patrimoine culturel traditionnel en République du Niger définit en son article 2, aliéna 2 « la personne physique qui a créé l’œuvre » ; en l’aliéna 20, « une œuvre est toute œuvre littéraire ou artistique ». Le même article en son aliéna 15 stipule que

[…] les expressions du patrimoine culturel traditionnel sont des productions d’éléments caractéristiques du patrimoine artistique traditionnel développé et perpétué par une communauté ou par des individus reconnus comme répondant aux attentes de cette communauté, comprenant les contes populaires, la poésie populaire, les chansons et la musique instrumentale populaire, les danses et spectacles populaires ainsi que les expressions artistiques des rituels et des productions d’art populaire.

Les poètes traditionnels s’associent (chanteur(s)-musicien(s)) généralement pour composer les œuvres, ce qui donne à celles-ci un cachet collectif. Il arrive que l’auteur soit seul en étant à la fois chanteur –musicien ou chanteur uniquement[Ce cas de figure est rare. Adamou Issa dit Tombokoy est le plus connu.]. Au cas où c’est une œuvre mixte (chanson et musique), la musique est instrumentale, et les instruments utilisés sont issus du patrimoine traditionnel. Ce mixage fait que les poètes de cour et du peuple sont assimilés aux griots, par conséquent relevent des expressions du patrimoine culturel traditionnel.

  1. LE PHÉNOMÈNE ZALAY DANS L’AIRE CULTURELLE ZARMA-SONGHAY

À partir des années 1940, la chanson au Niger connaît une mutation significative avec la création du mouvement Zalay. Des femmes créent une révolution sociale et artistique dépassant les frontières de l’aire culturelle zarma-songhay en innovant dans la mélodie et l’accompagnement de la voix. La cantatrice se fait accompagner par le violon monocorde jadis utilisé au cours des rituels de transe. Le Zalay est le courant qui a incontestablement marqué l’histoire de la chanson zarma-songhay durant la période coloniale et la première décennie de l’indépendance du Niger. Le mot zalay en langue zarma signifie « courtiser une femme ou un homme », mener une vie romantique. Prost (1956) dans son dictionnaire zarma fait cas d’une expression zalzalayandi ou zalay-zalay qui signifie faire souffrir quelqu’un sur le seul plan sentimental, en songhay de Gao. En chanson, on ne peut définir le Zalay que par rapport à un courant artistique bien déterminé entre 1940 et 1965 ; ce courant est caractérisé par : la finesse de la voix, le violon comme fond musical et un chœur.

Dans l’histoire de la chanson féminine au Niger, ces cantatrices ont apporté un souffle nouveau par l’invention d’un style sonore avec l’accompagnement musical du violon considéré comme un instrument sacré réservé aux rituels de possession. Saibou (2008 : 77) qualifie ce changement de bouleversement, voire de révolution culturelle.

Sur le plan artistique, dit-il, la « révolution » du Zalay s’est traduite par le fait que les chansons ne sont plus accompagnées de claquements de mains ni même de sons de Kountiji, selon l’habitude de la place publique. L’accompagnement est assuré par le son allongé du gooje, la vielle, utilisé à l’origine dans les différentes cérémonies de la religion traditionnelle. L’usage de cet instrument, par le Zalay, est doublement considéré comme un acte de subversion de la part des jeunes de l’époque : subversion vis-à-vis de la religion animiste qui voit un de ses instruments désacralisé ; subversion vis-à-vis de l’islam qui a banni la vielle et la considère comme un instrument de Satan.

Quant à l’origine, Saley (2006), le Zalay a commencé au même moment dans toute l’aire culturelle zarma-songhay avec Hamsatou Gaoudélizé (Ayarou), Hâwa Issa dite Hâwazalay (Dosso), Hamsatou Guéri-guindé (Liboré), Haoua Balma (Téra), Inna Manou (Say).

L’autre fait marquant du Zalay est l’exportation du phénomène dans d’autres pays d’Afrique, en particulier ceux du Golfe de Guinée où résident des émigrés nigériens.

Sous l’influence des grandes figures sus-mentionnées, d’autres femmes n’ont pas résisté à la tentation de chanter malgré les pressions familiales et sociales.

  1. LES POÈTES CANTATRICES DU ZALAY À L’ÉPREUVE DU DROIT D’AUTEUR

Les auteurs compositeurs ont droit à une redevance de droit d’auteur selon une clé de répartition qui varie d’une répartition à une autre. Les paramètres importants sont : le temps de diffusion, les exécutions publiques, l’exploitation pour la réalisation d’un générique, d’un film ou d’un spot publicitaire et la valeur culturelle et l’effort de création. La somme répartie par semestre par le BNDA est composée des droits de reproduction mécanique (DRM) qui concerne les albums produits ; les séances occasionnelles prenant en compte les artistes et groupes qui se sont produits lors de soirées culturelles, de concerts ; les droits d’exécution publique (DEP) perçus auprès des principaux usagers (radios, télévisions, hôtels, boîtes de nuit). L’élément principal de la clé de répartition qui concerne surtout les chanteurs traditionnels, ce sont les relevés de programme fournis par les régisseurs d’antenne des différents organes. Sur cette base, le BNDA fixe un coefficient. Le montant total perçu est divisé par le temps de diffusion de l’ensemble des œuvres au cours du semestre. La clé de répartition a été véritablement appliquée en 2005 et a concerné 219 bénéficiaires dont 20 chanteurs traditionnels parmi lesquels deux cantatrices du Zalay. En 2008, la première répartition a concerné 326 auteurs. Trente (30) chanteurs traditionnels en ont bénéficié. Les cantatrices du Zalay, bien que considérées comme des célébrités nationales occupant encore une place importante dans la réception critique des œuvres d’inspiration traditionnelles, sont quasi absentes parmi les bénéficiaires. Seules deux [5] de leurs noms figurent sur la liste. Elles ne sont pas rétribuées sur la base d’une clé de répartition mais d’une somme forfaitaire allant de 33394 FCFA à 3710 FCFA. Le tableau suivant illustre la situation de l’évolution redevances des cantatrices entre 2005 et 2008.

Cantatrice A      Année  Temps de diffusion en mn         Droit de reproduction mécanique        Droit d’exécution publique        Net perçu en FCFA

2005     50          17472   0            17472

2007     66          14982   0            14982

2008     90,25    6570     0            6570

Cantatrice B      2005     40          13978   0            13978

2007     147,30  33437   0            33437

2008     35          2555     0            2555

La première cantatrice, figure emblématique du mouvement Zalay, est passée de 17472 FCFA en 2005 à 6570 FCFA en 2008 bien que son temps de diffusion de 2005 soit nettement inférieur à celui de 2008. Quant à la seconde, elle passe de 13978 FCFA en 2005 à 2555 FCFA en 2008, alors qu’en 2007 elle a bénéficié de 33437 FCfA.

Aujourd’hui, bien que la redevance connaisse une augmentation conséquente avec notamment la multiplication des taxes, la prise en compte du copyright et l’apport de l’État avec une subvention de trente millions de FCFA, les chanteurs traditionnels restent les parents pauvres en matière de droit d’auteur.

Plusieurs raisons expliquent le faible taux de redevances de droit d’auteur des cantatrices.

. La première raison est liée à la nature même de la chanson traditionnelle dont le succès est conjecturel. Le temps d’écoute et l’usage par la radiotélévision sont, en grande partie, dépendants du facteur mode. La radiotélévision ne s’intéresse, rarement aux œuvres archivées qu’à travers des émissions hebdomadaires. Or, les cantatrices du Zalay ont pratiquement cessé de chanter ou sont presque toutes mortes avant 1974 [6], alors qu’il n’existait que la radio d’État, la Voix du Sahel. Les radios et télévisions créées à partir de 1990 sont implantées en majorité dans la capitale, Niamey. Les animateurs des émissions musicales sont des jeunes portés vers les musiques urbaines telles que le rap.

. La deuxième raison, la plus plausible, comme le révèlent les fiches individuelles des chanteurs, est que les cantatrices du Zalay ne bénéficient que par le volet DRM dans la clé de répartition. N’étant pas présentes sur la scène publique (à la retraite ou mortes), elles ne peuvent pas bénéficier du droit d’exécution publique (DEP). Par ailleurs, seul le Centre culturel franco-nigérien, qui ne produit pas les chanteurs traditionnels, honore ses engagements concernant le DEP aujourd’hui.

. La troisième raison est d’ordre technique. Le passage de l’analogique au numérique explique, en grande partie, le peu d’intérêt qu’accorde la radiotélévision aux œuvres des chanteurs traditionnels. Le répertoire traditionnel est composé de vieilles chansons enregistrées sur des bandes vinyle avec des Nagra aujourd’hui hors usage, ou des cassettes audio datant des années 1970 pour les cantatrices du Zalay. La techno, musique s’appuyant sur le numérique qu’utilisent les grands usagers dans le domaine des droits d’auteur – radiotélévision – a fait table rase sur ces supports sonores traditionnels. Aujourd’hui, les disques vinyle et les cassettes audiovisuelles sont remplacés par les CD, DVD, MP3, IPOD, etc.

. La quatrième raison est d’ordre politique. En effet, l’accointance des cantatrices du Zalay avec le parti unique dirigé par Diori Hamani a eu un impact réel sur leur production et leur configuration identitaire dans les champs culturel et social. De la poésie sentimentale retraçant de véritables histoires d’amour, leurs chansons ont pris l’aspect de panégyriques réservés aux griots. Les cantatrices du Zalay ont largement contribué au culte de la personnalité du leader ‘’bien-aimé’’ et de son entourage. Après le coup d’État de 1974, le régime militaire a fait table rase de la politique de la Première République (1958-1974), y compris dans le domaine de la culture. Les chanteurs ayant pris parti pour le PPN-RDA sont contraints soit à l’exil (Mahamane Gao) ou mis en résidence surveillée (Hawa Zalay). Ceux qui n’ont pas été inquiétés à l’image de Hamsatou Guiriguindé ont choisi de faire table rase de leur passé professionnel. Disparus sur la scène publique, interdits de diffusion sur l’unique radio, la Voix du Sahel, le public a fini par les oublier avec leurs œuvres.

. La sixième raison est d’ordre purement social. Dans la société zarma-songhay, c’est un acte qui peut entraîner le déclassement pour toute personne, homme ou femme, qui n’appartient pas à une certaine caste, de s’affirmer comme chanteur ou chanteuse. Les figures emblématiques du Zalay sont dans cette situation. Selon Saïbou (2008 : 77) :

La particularité de cette catégorie de parleurs est que ce sont des jeunes gens issus de la couche noble de la société, parfois des fils et filles de chefs, qui vont investir le champ de cette littérature, en renversant ainsi les normes établies. Du coup, ces nouveaux chanteurs se retrouvent dans une situation de troublante hybridité du fait de leur nouveau statut constitué de : la noblesse par leur naissance et la « bassesse » par la profession nouvelle qu’ils ont embrassée. Nobles ou princes dévoyés improvisés chanteurs, ces hommes et ces femmes dérangent désormais la classification sociale. Ils ne seront de nulle part, ou plus exactement, ils seront de toutes les classes sociales, traduisant ainsi par ce qu’ils sont et par ce qu’ils font, l’impossibilité d’occuper une posture fixe.

 

Dès lors, les ayants droits s’investissent très peu dans la protection et la promotion des œuvres. Face à ces obstacles d’ordre social, les cantatrices du Zalay ont choisi le silence, y compris le refus de se faire enregistrer ; ce qui a eu pour conséquence l’absence de certaines formes de droit telles que les séances occasionnelles, les ventes de cassettes.

La sixième raison est liée à l’incapacité du BNDA à mettre en application le règlement de répartition des redevances du droit d’auteur, des droits voisins et des expressions du patrimoine national traditionnel par le manque de ressources humaines et le non-fonctionnement de la commission d’identification. Le mécanisme de répartition du droit d’auteur prend en compte cinq aspects : auteur, compositeur, arrangeur, producteur et interprète. Les œuvres des cantatrices font l’objet d’interprétation par les musiciens modernes. Selon la clé de répartition 25% des droits perçus reviennent à l’auteur, ce qui n’est pas pris en compte dans les différentes répartitions de redevance. En effet, contrairement aux artistes modernes, l’identification des auteurs traditionnels pose des difficultés liées au caractère oral. Belinga (1985 :32) affirme qu’en dehors de quelques exceptions « il est difficile, sinon impossible d’identifier l’inventeur d’une œuvre littéraire de bouche à oreille depuis des générations ».

CONCLUSION

Les cantatrices traditionnelles ont joué un rôle de premier plan dans l’évolution de la création artistique au Niger. Sources d’inspiration parce qu’elles sont avant tout créatrices de style, d’un mouvement artistique, le Zalay, elles ont une difficulté de configuration dans les nouveaux champs liés à l’évolution sociopolitique, juridique et technologique. La faiblesse de leur redevance de droit d’auteur confirme la thèse selon laquelle il est difficile de concilier savoirs traditionnels et droit moderne, surtout quand l’auteur est une femme. Le système actuel du droit de propriété intellectuelle et les textes du BNDA ne sont pas adaptés aux réalités socioculturelles dans lesquelles sont produites les œuvres de la musique traditionnelle. L’évolution technique, comme le passage de l’analogique au numérique, si elle arrange les musiciens modernes, elle se fait néanmoins au détriment de la musique traditionnelle. L’étude révèle que les cantatrices du Zalay ne tirent pas largement profit de leurs créations. Cela est valable pour l’ensemble des musiciens traditionnels qui ne bénéficient pratiquement pas des droits voisins, y compris celui d’auteur en cas d’interprétation. Les raisons qui jouent en défaveur des auteurs traditionnels sont d’ordre social et technique. À ces problèmes s’ajoutent les limites du Bureau Nigérien de Droit d’Auteur qui n’a pas encore atteint sa vitesse de croisière à cause de son implantation limitée sur le territoire national. Il faut aussi souligner la mauvaise appréhension des œuvres d’inspiration traditionnelle par les chercheurs, les pouvoirs publics et l’opinion en général qui ont tendance à assimiler la musique traditionnelle au folklore, au patrimoine considéré comme un bien public qu’on peut exploiter à sa guise. La sous-information des chanteurs traditionnels et de leurs ayants droits, l’analphabétisme de la majorité et la non-implantation du BNDA sur toute l’étendue du territoire du Niger contribuent largement à la situation. En effet, en 2015, le droit d’auteur reste encore un phénomène urbain limité aux frontières de la capitale Niamey. Les autres régions restent des terrains vierges en matière de droit d’auteur.

Au-delà des raisons apparentes, la situation des femmes cantatrices en droit d’auteur s’inscrit dans la problématique de la place de la femme nigérienne dans l’histoire des arts et de la littérature. Touret (2003) affirme que la présence des femmes dans la vie littéraire reste subordonnée à celle des hommes. Le Zalay, reconnu comme le mouvement artistique le mieux organisé, stylisé, ayant dominé la vie culturelle du Niger pendant trente-cinq ans, n’échappe pas à la règle. Et c’est à juste titre que l’on peut dire avec Seeger (2011) : « tout le monde tire profit du droit d’auteur sauf les créateurs », ce qui ne fait qu’encourager le désintéressement des jeunes des arts traditionnels.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Ouvrages

 

CAUVIN, J. La parole traditionnelle, Issy-les-Moulineaux, Les Classiques africains, 1980.

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GULLER, A., Le 9e Art, Pour une connaissance de la chanson française contemporaine (de 1945 à nos jours), Bruxelles, Nouvelles Éditions VOKAER, 1978.

KESTER, Aspects de la chanson poétique, Paris, Didier Érudition, 1988.

KESTELOOT, L., La poésie orale, Dakar, NENA, 2014.

Mémoires, rapports administratifs et thèses

SAIBOU, Amadou A. (2008), Expression de l’identité dans la parole de Tombokoye Tessa, gawlo songhay-zarma du Niger : (Lecture pragmatique et interprétation d’un discours oral), Universite de Ouagadougou (Burkina-Faso), UFR/LAC).

GROCCIA, Martine, La chanson : une approche sémiotique d’un objet sonore et musical, Université Lumière Lyon 2, http://theses.univ-lyon2.fr/documen…

SALEY, Boubé, Les fonctions de la chanson féminine zarma-songhay et évolution sociopolitique du Niger, Thèse de doctorat, Ph.D, Université de Ilorin, 200.

Rapport 1ère session ordinaire du conseil d’administration du BNDA, 2008.

Rapport 2e session ordinaire du conseil d’administration du BNDA, 2005.

Rapport 3e session ordinaire du conseil d’administration du BNDA, 2007.

Ordonnance n°2009-24 du 3 novembre 2009, portant loi d’orientation relative à la culture.

Ordonnance n°2010-95 du 23 décembre 2010 portant sur le droit d’auteur, les droits voisins et les expressions du patrimoine culturel traditionnel.

Rapport Général des Etats Généraux de la Culture, Niamey, juillet 2004.

Articles

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ILLIA, Ch. Axionov et LARISSA, Svetchnikova, « La théorie du droit coutumier dans la recherche : ethnologie, théorie du droit et histoire du droit », Droit et cultures [En ligne], 50 | 2005-2, mis en ligne le 28 mai 2009, consulté le 17 mars 2014. URL : http://droitcultures.revues.org/1060

MCNEE, Lisa, « Le cadastre de la tradition : propriété intellectuelle et oralité en Afrique occidentale », in Mots pluriels, n°8, octobre 1998. TOURET, Michèle, « Où sont-elles ? Que font-elles ? La place des femmes dans l’histoire littéraire. Un point de vue de vingtiémiste », Fabula-LhT, n° 7, « Y a-t-il une histoire littéraire des femmes ? », avril 2010, URL : http://www.fabula.org/lht/7/touret.html, page consultée le 07 novembre 2013.

[1] Université de Zinder, Niger

[2] Le terme poète du peuple est plus significatif que celui de griot pour parler des chanteurs en milieu zarma au Niger. Le chanteur n’appartient pas à une tradition familiale catégorisée. Il peut appartenir à une caste ou à la noblesse. Dans le cas du Zalay, les cantatrices Haoua Zalay et Hamsatou Gaoudélizé sont d’origine princière.

[3] En région zarma, les mouvements les plus importants sont le zalay et le konko –dooni (1940-1965) ; le yetayeta (1976-1990). En région haoussa, le dandalisoyaya (en cours) concerne presque toute l’Afrique occidentale.

[4] L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit d’un droit de propriété exclusif dès sa création, sans nécessité d’accomplissement de formalités (dépôt ou enregistrement), pour une durée correspondant à l’année civile du décès de l’auteur et des soixante-dix années qui suivent, au bénéfice de ses ayants-droits. Au-delà de cette période, les œuvres entrent dans le domaine public.

[5] Pour des raisons de confidentialité, les noms des concernés sont remplacés par des lettres A et B. Leur présence sur la liste peut être expliquée par la présence de leur ayant droit dans le milieu artistique.

[6] Les cantatrices du Zalay entretiennent de relations particulières avec le Parti Unique dirigé par Diori Hamani (1960-1974). Hamsatou Guériguindé par exemple, considère comme une trahison envers Diori, en acceptant de chanter.

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