Poésie

CE FEU D’IDENTITÉ OÙ L’HÉRÉSIE EST MON ÉLÉGIE

Ethiopiques numéros 36

Revue trimestrielle de culture négro-africaine neuviéme année

Nouvelle série – volume II n°1 – premier trimestre 1984

Comment donc fonder

avec des morceaux de maux

un homme fraternel  ?

Identité : donneur de sang donneur de feu…

Je suis le poète profane l’extrême prophète ô femmes

affamez mes phantasmes je suis le souvenir

d’un pays qui change sa peau en peur en parole empierrée

d’un pays qui croâ croâ croasse en tous lieux sa colère

comme corbeau abominable d’un pays de coraux

de coquillages et de corolles où koras et

likimbés brodent des airs aériens d’un pays…

Je suis tous ces peuples qui marchent marchent et fleurissent

rebelles toutes ces terres qui déterrent la hâche de guerre

contre les monstres des soirs trop noirs contre les soirs

des maux trop friands de vies Je suis la sueur de cet

habitant de toute parole d’aube habité

de tempêtes je suis le théâtre des tendresses armées

La tendresse des théâtres désarmés ô amour…

Quand j’écris ah quand j’écris je suis crise et Christ

voyez-vous quand j’écris le cri est une mitose

la cause commune des silences et ya Artaud mon

marteau parmi les paraboles Quand j’écris c’est

un psychodrame qui se joue que je joue qui me

joue des tours de salaud alors au bout du compte

je suis clair et sale sur la feuille oui sale et clair

Il est l’heure de mon horreur le bonheur suivra

l’espace d’une blessure L’espace d’une blessure la vie

est une cathédrale aux drames indésirables la

vie est un pain aux paupières d’incendie un sang

sans permis de chanter de penser à haute voix

Mille trois mille martyrs marchent dans mes veines d’arbre brûlé

Mille trois mille martyres marquent l’histoire des hommes

hérésie où dort l’élégie

hérésie où dort l’hérésie

Congo Congo Ô Sowéto

cris-crises et Shaperville de cris

pleurs-peurs et Palestine de pleurs

j’irai j’irai percer l’abcès

j’irai chercher ma part de foudre

L’amour m’a mis au monde un jour de blessures un

jour solitaire d’entre les jours jour de grandes colères

désamorcées jour d’oiseaux criblés de cuivres dans

leurs chansons jour interdit au grand jour Seule la

liberté m’a fait une place sur sa natte de solitude

Autour du corps autour du cœur des colombes me

dénombrent les décombres des innocences incendiées

Ainsi il pleut des pleurs tirés de l’ail des larmes

il pleuvra des poux sur les pouvoirs insalubres

A force d’affamer le pain les parias perdent patience

Un renverseur d’ordres me parcourt jusqu’à la bouche

où des enfants fêtent des folies fêtent des soleils

dont les cris me séisme me cataclysme me joie

juin juillet et tous les lieux où renaître libre

Toute parole se dévore comme se dévorent les monstres

en manteau de slogans dans la jungle de nos plaies…

Les matins se marchandent dans les rues sombres de ma vie

Une ville une fille une vitre un vent d’oiseaux-lumières

tous les riens qui font une rose un rire une vie qui

passe un pacte avec la bonté avec la beauté

oh si ma parole vivait jamais pareille vie !…

Celui qui… celui que… La phrase me reste en

travers du gosier Mon chant est un sang qui tourne

court dans les rues du désespoir ô histoire d’une mort

d’une vie… vivre dans les yeux de la pieuvre et y prédire

un présent de privations de sauvageries salvatrices

des scènes d’amours folles qui prolongent les colères et

des peuples qui gagnent à s’habiller d’écritures

hérésie où dort l’élégie

hérésie où dort l’hérésie

Congo Congo ô Zimbabwé

Chants en sang ô Aghanistan de chants

pains de plaies ô Salvador de plaies

j’irai j’irai incendier les croque-morts

j’irai chercher ma part de soleil

Un rêve me déchire qui ouvre fêlures et fenêtres

sur des tropiques entropiques ô Congo Congo…

J’ai suivi Congo le cours de ton corps illettré mais

si lisible ! tantôt fête tantôt folie tantôt

feu j’ai lu tes livres livrés à l’exil des yeux

ô soifs exilées quelque part dans le silence des

tabous ô terre je terrasserai ta terreur !

J’ai soif de soif-source pour prendre chair d’écritures

pour prendre chair de fraternités fertiles à l’orée

des contrées inconnues à l’ordre d’aurores

d’adolescents d’insurrection à l’orée des rires

d’abeilles libertaires et d’oiseaux d’élégies folles

La prose ne se prosterne plus Une parole naît d’une

autre parole MES MOTS SONT DES MAINS OUVERTES A D’AUTRES MAINS !

 

Le Français est une langue en tessons de bouteilles

je m’y déchire voulant rosir les ronces des cris

criblés de fantômes des faims foulées aux pieds je

m’y déchire voulant déchirer ces lendemains

meublés de chaises je m’y déchire voulant déchiffrer

ce Kikongo où meurt l’écrÎvain apatride

écrevisse de suie aux mille difficultés d’être

Me voici conscience de guerre civile outre-passeur

des périmètres interdits Il n’y a pas de Congo

sans casser des œufs sans casser des os les os

de mes mots qui crachent sur les crocs des matraques

j’ai faim j’ai faim de mots de feu mots de foudre

mots de femmes j’ai faim de mots de couleur Le mot

amour par exemple est un pays vert (vers quoi tendre !)

hérésie où dort l’élégie

hérésie où dort l’hérésie

Congo Congo Ô Ogaden

soufre de la souffrance ô Sahara de sang

souffle de la foi ô Jérusalem de soufre

j’irai j’irai irradier l’irréel Hiroshima

j’irai chercher ma part de dissidence

Mille soifs en un désert mille déserts en une soif

Descendre en soi est toujours un enfer toujours

une folie un saut périlleux mais qui assainit !

mais qui sème des vertiges d’insurrection ! saigne

les résignations !… ah ! j’aime fendre les fientes des faiseurs

de nuits comme on casse des noix de palme à cinq ans

J’aime casser les silences et fleurir les chemins du sang

Ô Congo Congo Pays de pilleurs de putains

de grands planteurs de promesses stériles à l’heure des

solitudes d’alcool de maïs Pays suant et essuyant

mille souffrances mille offenses Ô Congo tu me prends

à la gorge comme un mal qui monte monte des entrailles

comme une arête qui arrête le cours des paroles

quand rebelle le désir diamante le destin

L’horrible hurle et libère volcans et vents de

fin du monde fin d’Afrique ô continent au cœur

sanglant dans le concert des sanglots chaque orgasme

branché sur table d’écoute chaque iris ivre de visions

de matins neufs contraint à la nuit ô pays-poudrière

je mêle ton ciel aux hirondelles du rêve – ô mon rêve

de sève ! – j’arrache les miroirs où se mire ta mort…

Ô martyre du manioc ô feu feu profond de

l’enfance feu profond d’une identité à l’errance

ô insurgé insomniaque d’un voyage-Voyance

sur des chemins de guillotine entre sang et lumière…

Une langue à jurons jardins sur mes terres d’ombres

Ô putain de poète… MON SOLEIL CREVE LES BRUITS DE MORT !

hérésie où dort l’élégie

hérésie où dort l’hérésie

Congo Congo ô corps combustible

poing où mûrit un peuple

pays où fleurit le poing

j’irai j’irai ouvrir des yeux d’explosion

j’irai

ARRACHER

l’allégresse

des mains

du désastre !

DANS MA BOUCHE UN PEUPLE OUVRE GRANDES SES BOUCHES D’AERATION