Poèmes

AUX VICTIMES DU TRAGIQUE NAUFRAGE DU JOOLA

Ethiopiques n°70.

Hommage à L. S. Senghor

1er semestre 2003

Vogue la nef gorgée d’âmes à l’Eden destinées

Immaculées sous la coque rouge des souillures

La faune marine, surprise dans son sommeil,

Lentement s’approche, se prosterne et se recueille

Quant les anges, de mousse verte parés, animent

Les corps rassemblés que toilettent les eaux

Bénites du violent souffle du Ciel.

Derrière les yeux clos et les fronts lisses

Surgissent les mouchoirs sonores des adieux

Les éclats de rires, de voix, les chaudes accolades,

Des femmes ceintes de courage, trempées sous le faix

Du foyer à tenir en vie, les fronts soucieux de fin de mois

Les gestes alertes des garçons, la splendeur des filles,

Les regards innocents des petits, les hâtes fébriles

Du départ, les gestes assurés de l’équipage

Sur ce navire qui songe, penché, et s’étire et s’ébranle.

Vogue la nef gorgée d’âmes à l’Eden destinées

Mais derrière les yeux clos et les fronts lisses

Les containers froids, les cris enroulés

Dans les chéchias, dans les pagnes, dans le sable

Les pulsions contenues, les sautes de révolte

La fusion pieuse des soutanes et des turbans,

La souffrance des cœurs en espérance commuée.

Que longue est l’attente sur le quai et enivrants les mirages

De bateaux surgis du Sud, les silences des corbillards.

Devant nos yeux ouverts, la nef engloutie

Tous feux éteints, toute flamme éteinte

Dans la mer immense, sous le ciel immense

La ronde des navires, les rumeurs et les humeurs

Voici que les anges, de mousse verte parés, ont animé

Les corps embaumés des effluves salés

Partez, grappes fleuries des moissons prochaines

Partez aux Cieux bleus comme l’océan

Partez par la haie des mouchoirs blancs imbibés de nos chagrins

Partez, sans soucis, nos yeux sont dessillés.

[1] Dakar, le 04 octobre 2002