Philosophie

AFRIQUE – EUROPE : POUR UN DIALOGUE DES CIVILISATIONS

Ethiopiques n°70.

Hommage à L. S. Senghor

1er semestre 2003

Comme le rappelle Crouzet (1961 : VII), le mot civilisation n’est entré dans l’usage qu’à la fin du XVIIIe s, sous l’influence des philosophes rationalistes, pour lesquels la civilisation est surtout le contraire de la barbarie en ce qu’elle désigne, dans une perspective d’ailleurs européocentriste et téléologique, « un ensemble d’institutions susceptibles de faire régner l’ordre, la paix, le bonheur et […] de favoriser le triomphe des lumières ». De nos jours, plus personne n’entend ainsi la civilisation, même si, par suite de diverses circonstances historiques, la civilisation occidentale « s’est répandue plus largement que tous les groupes locaux connus » (Benedict 1950 : 11).

S’il n’est pas aisé de s’entendre sur une définition univoque de la civilisation, du moins est-il largement admis qu’il n’existe pas une, mais des civilisations, entre lesquelles on convient qu’il messiérait d’établir des hiérarchies ou une échelle des valeurs. Le XIXe siècle européen, qui fut le siècle colonial par excellence, convaincu de l’unicité et de la supériorité de sa propre civilisation, tenta de l’imposer partout et conçut, à cette fin, ce qu’il appela une « mission civilisatrice ». C’est pourquoi ce siècle, si remarquable à maints égards, ne pouvait même pas imaginer ce que nous appelons « dialogue des civilisations ». En effet, aujourd’hui, cette notion est bien établie, puisque les Nations unies ont décrété l’année 2001 Année du Dialogue des Civilisations [2].

  1. QU’EST-CE QU’UNE CIVILISATION ?

Avant que d’envisager la signification d’un tel dialogue et de ses implications s’agissant plus particulièrement de l’Europe et de l’Afrique, il est indispensable de partir d’une définition minimale de la notion de civilisation, en prenant bien soin, loin de tout dogmatisme, de ne lui donner qu’un caractère « provisoire », dans l’acception où Descartes, dans le Discours de la Méthode, prend ce mot pour caractériser la morale dont il use en attendant d’avoir terminé sa quête. Il s’agit, en l’occurrence, d’une notion complexe, que l’on hésiterait à fixer dans une définition – toute définition étant en elle-même réductrice. Qu’elle se rattache à un pays (e. g. civilisation japonaise, égyptienne, romaine, etc.) ou à une religion (e. g. civilisation bouddhiste, islamique, chrétienne, etc.), on peut convenir d’entendre par civilisation une forme d’équilibre entre les domaines des connaissances, des sciences, des technologies, des techniques et la religion, la morale, le système de production et de diffusion, d’une part, et les représentations, les intérêts des diverses composantes d’une aire socio-historique donnée ; cette aire socio-historique elle-même, et ses environnements proches ou lointains, d’autre part. C’est pourquoi, me semble-t-il, à la différence de la culture, qui, en tant qu’héritage social et faculté d’adaptation (Maquet 1981), est liée à une conscience immédiate d’appartenance, la civilisation, elle, ne donne lieu, en principe, qu’à une conscience lointaine et diffuse dans la mesure où elle n’est pas attachée à une société particulière (Maquet 1981 : 12).

Or donc, l’idée de l’existence d’une pluralité de civilisations non seulement d’un continent à l’autre, mais aussi au sein d’un même continent, dans la mesure où elle est communément admise, constitue une bonne base de départ. L’on admet tout autant que les civilisations n’ont pas à être appréciées, encore moins jugées, sur une même échelle de valeurs, et que si la notion de progrès peut s’appliquer au sein d’une civilisation, elle est discutable, appliquée d’une civilisation à une autre. Cependant, parce que les civilisations, de diverses manières, entrent en contact les unes avec les autres, elles peuvent subir des influences réciproques, se modifier, s’adapter, se heurter, comme ce fut le cas entre l’Afrique et l’Europe.

  1. AFRIQUE – EUROPE : UN PASSE TRAGIQUE

La rencontre entre l’Europe et l’Afrique, commencée timidement au milieu du XVe siècle, allait prendre un tournant tragique jusqu’au XIXe siècle avec la traite atlantique. Avant la découverte de l’île de Palma (scil. Bir-guedj), en 1444, par le Portugais Dinis Dias [3], l’essentiel des relations entre l’Afrique noire occidentale et l’Europe passait « par les pistes transsahariennes » (Guèye 1997 : 21) reliant le Soudan et l’Afrique du Nord. Un siècle plus tard, la présence française est signalée en Sénégambie (Boulègue & Marquet 1971 : 1, 5). Les Hollandais, les Anglais, les Espagnols s’installent également et se livrent à une traite négrière dont les débuts remontent à 1450. Elle atteignit bientôt un niveau insoutenable. D’après Boxer (1963), en cinquante ans (1450-1500), le Portugal exporte d’Afrique 150 000 esclaves. Entre 1641 et 1648, en huit ans donc, la Compagnie hollandaise traite 23163 Nègres (Guèye 1997 : 36 ; Jaulin : 11). D’après les chiffres fournis par Golberry (1802 : 332-334), les esclaves achetés annuellement s’élevaient à 60 000 de 1765 à 1785, soit 1 260 000 en 21 ans, tout en atteignant des pics de 70 000 en 1786-1787, voire 80 000 en 1788-1789. Il ne s’agit là que d’estimations officielles, mais elles sont éloquentes. Dans l’ensemble, si l’on suit les chiffres les plus modérés proposés par les savants occidentaux eux-mêmes mais contestés par presque tous les chercheurs africains, rien que la traite atlantique aurait porté sur 14 millions [4] d’individus (Renault & Daget 1985 : 69). Quant aux conséquences humaines, économiques, démographiques, sociales et culturelles, elles furent terribles pour l’Afrique noire [5]. Il suffit de rappeler que le Code noir, « statué et ordonné » par Louis XIV, en 1685, en son article 44, réduisait les esclaves noirs à l’état de « biens meubles ».

Presque aussitôt après l’abolition de l’esclavage (en théorie, 1807 pour l’Angleterre et 1848 pour la France), la colonisation de l’Afrique fut entreprise dans des conditions douloureuses. À la notable différence de la traite négrière qui décimait des sociétés, des familles, des lignées africaines entières, la colonisation s’attaquait aux structures mêmes des sociétés indigènes, à leur organisation interne, à leur mode propre de reproduction, et cherchait à leur imposer de nouvelles structures, une nouvelle organisation et un nouveau mode de reproduction inspirés du modèle européen. Elle s’en prenait également, dans la recherche de l’assimilation, au système d’éducation, à la langue, à la culture pour leur substituer ceux de l’Europe. Ce processus dura, en gros, un siècle et ne s’acheva que vers la fin des années 1950 et au début des années 1960. C’est ainsi que la civilisation européenne fit souche en terre africaine et se mêla aux civilisations africaines, sans d’ailleurs réussir à étouffer leur vivacité et leur capacité étonnante de résistance et d’adaptation (Samb 1996).

Ce double passé (traite négrière et colonisation), tragique et douloureux, continue d’informer non seulement les relations euro-africaines mais également les sociétés africaines. Si l’Europe et l’Afrique ont fait connaissance dans ces dures épreuves entraînées par la traite négrière, puis la conquête coloniale et que, de ce fait, elles n’ont pu jusqu’ici échanger réellement, il reste que, dans la mesure où l’histoire les a réunies, elles n’ont rien de mieux à faire que de s’efforcer de se connaître davantage en nouant un dialogue fructueux, à travers leurs hommes de bonne volonté. Il ne s’agit certes pas d’oublier le passé, il est seulement question de n’en être pas prisonnier. Le souvenir doit être associé au pardon dans le même geste, et la volonté d’un dialogue fraternel doit primer sur toute autre considération.

  1. OBJECTIFS ET REGLES DU DIALOGUE EURO-AFRICAIN

Naturellement, les objectifs et la méthode d’un tel dialogue doivent être clairement définis. Ce n’est pas une entreprise facile. Malgré la mondialisation, qui s’efforce de tout unifier : sociétés, économies, cultures, communication et environnement, la tentation du repli identitaire reste assez forte. Ce n’est pas seulement parce que chaque société, tout légitimement, cherche à sauvegarder ses repères et son espace vital, son histoire et sa mémoire collective, sa culture, et éprouve la peur de la vacuité d’une identité universalisée, c’est aussi parce que, et notamment en Europe, les sociétés se révèlent moins bien préparées que nous ne le pensions à accueillir la différence et l’altérité, à les inclure dans une cosmopolis nouvelle et à ne pas requérir la négation d’autrui, par la fausse vertu de l’assimilation, comme condition d’intégration ou de reconnaissance sociale. L’on devrait d’autant plus insister sur ce point que la mondialisation n’a pas réussi à gommer la diversité culturelle. Au contraire, chacun de ses développements accentue celle-ci. En dépit de tout, le monde reste fragmenté, éclaté, et cela sur tous les continents (Samb 2002). L’accentuation de la pluralité et de la diversité me semble être, à côté de la mondialisation, la seconde tendance lourde de notre temps. C’est dans le double contexte de la mondialisation et de la diversité qu’il convient de situer le dialogue euro-africain, enrichi par notre histoire commune séculaire.

En effet, l’Europe et l’Afrique partagent un passé commun, si tragique et si douloureux qu’il ait été. Cette longue compagnie a fini par tisser des liens politiques et culturels, en plus des relations économiques et commerciales. Même si les échanges économiques et commerciaux restent inégaux et le poids de la dette insupportable [6], une grande solidarité demeure sur les plans si fondamentaux de la culture et de la langue. Les cultures et les langues européennes ont été largement adoptées par les élites africaines, souvent formées en Europe, et elles se sont mêlées, plus profondément qu’on ne le dit, aux cultures et aux langues africaines. Malgré les difficultés et les obstacles liés aux politiques d’immigration communautaires, gagnées par un élan de renfermement, les échanges et le brassage humain entre l’Europe et l’Afrique, dans les deux sens, restent significatifs. Même sur le plan religieux, un rapprochement s’est opéré, le christianisme s’étant inculturé (Trincaz 1981 : 43, 143, 146) dans une bonne partie de l’Afrique noire, dans le temps où l’islam ainsi que les cultures africaines achèvent d’affirmer leur existence en Europe. En ce qui concerne les institutions politiques et juridiques, malgré bien des différences, la nécessité du système démocratique de conquête et de transmission du pouvoir, le respect des droits de l’homme, l’État de droit, la bonne gouvernance des affaires publiques, sont reconnus comme les fondements nécessaires de toute société et de tout État qui prétendent à occuper une place au sein de la communauté internationale. En outre, les systèmes d’éducation et d’information, le sport, la musique, l’art, ont rapproché l’Afrique et l’Europe. Ce sont là les bases communes permettant aux hommes de bonne volonté, mais aussi à certaines institutions comme l’Union européenne, l’Union africaine et l’Agence intergouvernementale pour la Francophonie, parmi tant d’autres, d’engager un dialogue fécond.

  1. NOUS ENRICHIR DE NOS DIFFERENCES

Si l’Europe et l’Afrique possèdent des valeurs communes, dont certaines sont universelles [7], il ne servirait à rien de masquer leurs différences culturelles. Le vrai danger n’est ni dans la différence ni dans l’altérité, qui sont des sources d’enrichissement mutuel, il est plutôt dans la peur ontologique de la différence et dans la récusation existentielle de l’altérité, et plus encore dans l’indifférence.

Le dialogue authentique part tout à la fois de l’identification des valeurs communes et des patrons partagés et de la reconnaissance des différences. C’est de cette double attitude que, au-delà de la tolérance, peut naître l’acceptation de la communauté et de la diversité. Communauté et diversité sont valables au sein d’une même civilisation, voire d’une même culture, comment ne le seraient-elles pas d’une civilisation à une autre, d’une culture à une autre ? Et comment les civilisations pourraient-elles dialoguer et, partant, s’enrichir, si elles n’étaient que des civilisations clones ? Communauté et diversité sont consubstantielles au genre humain. C’est pourquoi le but du dialogue euro-africain est le rapprochement des hommes dans la fraternité et la solidarité, mais il ne peut être de dissoudre la diversité dans l’homogénéité d’un moule unique. Une telle idée contredirait, au demeurant, tout ce que nous savons de la vie même et de toutes ses manifestations.

L’Europe et l’Afrique ont développé chacune une ou plusieurs potentialités du génie humain (Benedict 1950 : 46). L’Europe a cultivé la rationalité, l’organisation et la méthode, qui accompagnent l’efficacité économique, en même temps qu’elle a puissamment contribué à jeter les bases du développement scientifique et technologique, dont il faut cependant situer les prémices, d’abord en Égypte africaine, puis en Grèce occidentale. Cependant, l’Europe a développé concomitamment l’individualisme accentué, distendu les liens sociaux, perdu le sens des vraies solidarités, abandonné les personnes âgées, oublié le sens de la vie.

En revanche, dans l’ensemble de ces domaines, les sociétés africaines [8] s’efforcent de maintenir le sens de la communauté entre l’individu et l’ensemble des siens et de préserver leurs propres valeurs spirituelles tirées de leur philosophie de la vie comme fondement et fin de toutes choses. L’une des grandes leçons que les civilisations africaines pourraient offrir à l’Europe réside dans le refus d’introduire une rupture entre l’individu et son groupe. L’individu peut s’affirmer sans que ce soit contre le groupe, car il est toujours lié à celui-ci par un fort sentiment de solidarité, d’abord au sein de la famille, puis entre familles et, de loin en loin, entre groupes sociaux par le jeu d’alliances multiples et complexes.

La position des personnes âgées dans la société africaine constitue une illustration éloquente de l’importance de la solidarité, fondée sur la reconnaissance de l’utilité sociale de chaque membre du groupe et de ses différentes classes d’âge. En Europe, les vieilles personnes, délaissées à partir d’un certain âge, finissent dans les hospices où elles sont parfois maltraitées. En Afrique, au contraire, de l’accroissement de l’âge découle un surcroît de respect. Loin d’être le signe d’une vie finissante, qui irait avec une marginalisation accrue, la vieillesse est l’occasion d’une forme de consécration sociale. Les anciens sont la mémoire vivante du groupe, les détenteurs de la sagesse collective et, à ce titre, les régulateurs des conflits interpersonnels et des tensions sociales. Ils sont au centre de la vie quotidienne et assument leur rôle dans toute manifestation sociale. Ils ne sont donc pas socialement morts. C’est pourquoi l’Afrique rejette le conflit des générations, qui prend parfois des accents douloureux ailleurs, et allie, dans une volonté commune d’édifier le devenir collectif, la force et la vigueur des jeunes à la sagesse et à la pondération des anciens.

  1. VISION AFRICAINE DU MONDE

Si la civilisation africaine a gardé ce style de vie, que la modernité n’a pas réussi à juguler, c’est parce qu’elle a conservé le sens de la vie. Partout, en Afrique noire, la réalité fondamentale, première et dernière, est la vie. La vie est une énergie, une force, qui se déploie dans le cosmos. Elle est le liant, le lien de parenté entre tous les êtres. Elle fonde la « primo parenté » de tous les êtres. Même la mort ne met pas un terme à la vie, puisque, dit le poète sénégalais Birago Diop (1960 : 64) :

« Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :

Ils sont dans l’Ombre qui s’éclaire

Et dans l’ombre qui s’épaissit.

Les Morts ne sont pas sous la Terre :

Ils sont dans l’Arbre qui frémit,

Ils sont dans le Bois qui gémit,

Ils sont dans l’Eau qui coule,

Ils sont dans l’Eau qui dort,

Ils sont dans la Case, ils sont dans la Foule :

Les Morts ne sont pas morts ».

Là où, pour l’Européen, la force n’est qu’un attribut de l’être [9], pour l’Africain, c’est la force [10] qui est constitutive de l’être. La force est la substance même de l’être. La formule cartésienne du cogito ergo sum, qui déduit l’être de la pensée, n’est pas acceptable dans le système intellectuel africain, car la pensée est le déploiement d’une force qui s’actualise dans la parole, parole qui est la plus puissante des actions. Je suis parce que je suis force, être signifie être force. Ainsi, par définition, le but de la vie est-il d’accroître le dynamisme des êtres, et spécialement celui qui les motive au bien et leur fait répugner au mal. C’est pourquoi la personne humaine est si importante, chaque personne étant liée à toutes les autres personnes humaines par sa capacité à développer sa force vitale. La force du cosmos relie les différents êtres les uns aux autres. C’est la solidarité cosmique des êtres. C’est là que se trouve le secret de l’extraordinaire vitalité des civilisations africaines, qui leur a permis de traverser les traites négrières et les épreuves coloniales, de résister et de survivre, de durer, en conservant leur espérance, c’est-à-dire leur dynamisme.

C’est pourquoi c’est une profonde erreur de penser que les sociétés africaines seraient rebelles au changement ou à la mutation. Depuis le VIIIe s., les sociétés ouest africaines ont illustré leur faculté à assimiler d’autres civilisations comme l’arabo-islamique, sans perdre leurs identités propres et, à partir du XIXe s., elles ont subi « la mission civilisatrice » de l’Europe sans s’y laisser absorber. Elles sont capables de réaliser le brassage de diverses civilisations, d’affronter le métissage, de s’ouvrir au mélange et à la mixité, tout en conservant les valeurs essentielles, les fondements des civilisations négro-africaines. Elles sont ouvertes au progrès, mais elles restent attachées au sens de la vie, qui s’exprime d’abord dans la joie de vivre. Cette joie de vivre, fondée sur une grande espérance, l’Europe peut la redécouvrir dans un dialogue fécond avec l’Afrique et dans l’expérimentation de ses valeurs fondatrices.

L’Afrique moderne est dans la disposition d’esprit d’emprunter, sans complexe, à l’Europe et à la civilisation occidentale tout ce dont elle peut avoir besoin pour atteindre ses objectifs de progrès et de développement humain et social, et pour se situer au diapason des nations les plus nanties. Elle reste ouverte à une coopération solidaire, à un partenariat mutuellement avantageux au service de l’émancipation continue, matérielle, morale et spirituelle, de la personne humaine. Elle sait que même la préservation de sa propre identité se fait non pas isolément ni dans le repli sur soi, mais dans la relation qu’elle construit avec les autres [11]. C’est bien là la preuve que, tout en reconnaissant la tolérance, l’Afrique va bien au-delà en prônant l’acceptation de la différence et de l’altérité comme un droit humain et social fondamental.

CONCLUSION

Dans sa belle préface rédigée pour Baumann et Westermann (1967 : 5), mon illustre prédécesseur, feu Théodore Monod, écrivait au sujet du dialogue des civilisations :

« Il ne s’agit nullement, en effet, d’appauvrir l’humanité en assurant le triomphe d’un seul aspect possible de la culture humaine, mais bien plutôt de permettre à chaque élément de la famille terrestre d’apporter au concert commun, pour en enrichir l’ensemble, ce qu’elle possède de meilleur ».

 

La France et l’Afrique noire francophone disposent déjà d’un cadre approprié d’expérimentation d’un tel dialogue à travers l’Agence intergouvernementale de la Francophonie. Bâtie à l’origine autour de la langue française – puissant facteur externe d’unité africaine : sociale, culturelle et politique -, la Francophonie s’est par la suite ouverte aux langues et aux cultures africaines, dans lesquelles elle perçoit non des rivales mais des compléments enrichissants.

À cet égard, la communauté francophone offre déjà un modèle remarquable de ce que peut être le dialogue des civilisations. Ce que la Francophonie a réussi à une certaine échelle, l’Union européenne et l’Union africaine peuvent le réaliser à un niveau beaucoup plus élevé sans avoir à se substituer aux cadres préalablement formés par l’histoire. En décrétant 2001 Année du Dialogue des Civilisations, les Nations unies ont indiqué le chemin à suivre, sauf que l’amorce d’un tel dialogue nécessite la durée.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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[1] Directeur de l’IFAN Ch. Anta Diop, Université de Dakar.

[2] PICCO, G., ABOULMAGD, A. K., LOURDES, A. et al. (2001), Crossing the Divide. Dialogue among Civilizations, New Jersey (USA) : School of Diplomacy and International Relations.

[3] L’année suivante (1445), Antao Gonçalves effectue la première opération de traite négrière (Zurara 1960). Cependant, entre 1433 et 1446, quelques 51 navires portugais transportèrent en Europe un millier d’Africains, parmi lesquels les Noirs n’étaient qu’une infime minorité (Renault & Daget 1985 : 73).

[4] La traite transsaharienne, de moindre intensité mais de bien plus longue durée, porte néanmoins sur des grandeurs voisines.

[5] Par ex., sur les conséquences de la traite dans une région limitée, v. BECKER et MARTIN (1976).

[6] Pour un point de vue africain parfaitement informé sur la question, v. DIOUF (2002 : 26-34).

[7] Sur les fondements d’une sorte de morale publique internationale, voir Crossing the Divide. Dialogue among Civilizations (2002 : 70-98).

[8] C’est une erreur, en effet, d’ignorer la pluralité des sociétés africaines et de considérer l’Afrique comme uniforme. Au sein de l’Afrique même, il existe plusieurs civilisations (MAQUET 1981 : 8).

[9] Cette conception est maintenant bien connue dans la littérature européenne (MAQUET 1981 : 141).

[10] WADE, A., (1989 : 40) emploie une expression forte, « énergies vivantes », qui traduit parfaitement la pensée africaine. Il note aussi la « pluridimensionnalité » du cosmos africain.

[11] Cf. L’Afrique noire et l’Europe face à face (1969 : 28).