Franck HAMON
Notes

ZONE FRANC ET DEVELOPPEMENT : LES CARACTERISTIQUES DE LA ZONE FRANC SONT-ELLES DISSOCIABLES ? de Patrick et Sylviane GUILLAUMONT Aux Editions HRW – Ltée – MONTREAL – TORONTO

Ethiopiques numéro 03

Revue socialiste de culture négro-africaine

Juillet 1975

 

Voilà un ouvrage – plutôt un rapport – sec et précis, impersonnel et desséché comme le cours d’un professeur, où n’apparaissent que des connaissances, des analyses, des synthèses et des conclusions. Pas de forme littéraire, seulement des « grands A », des « petits » également, mais pourquoi non, puisque nous sommes en Economie et qu’il ne s’agit que de comprendre un système monétaire : la zone franc.

Seulement, ce rapport fut présenté en octobre 1971, et bien que juste dans ses appréciations, il ne constitue aujourd’hui qu’une sorte d’ « exposé des motifs » des textes portant réforme de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest, arrêtés dans leurs principes, il y a deux ans, et approuvés par le Conseil des Ministres de l’UMOA réuni à Dakar le 2 mai 1975.

Voilà pourquoi cette note de lecture, qui n’en sera finalement pas une, rendra compte, et sans le moindre remord, du rapport non encore écrit qu’on aurait aimé lire. Personne n’est fautif, sauf peut-être le temps.

On sait maintenant, bien, les critiques adressées au système de la zone franc. Il fut un temps peu lointain où on ne parlait que de ses insuffisances.

Elles reposent fondamentalement sur le fait que les banques d’émission mises en place en Afrique de l’Ouest, comme en Afrique centrale, ont davantage dans le passé favorisé la stabilité monétaire -et il n’y a pourtant pas là de quoi gémir- que le développement économique.

Mais il faut quand même considérer, même si l’on risque d’enfoncer une porte déjà ouverte, qu’un système monétaire a une certaine vocation… monétaire, et que de ce point de vue, la stabilité du franc CFA et des prix des pays membres de l’UMOA ne sont pas à dédaigner. Il suffit pour s’en convaincre de demander aux pays francophones africains qui battent leur propre monnaie l’opinion qu’ils ont de cette question.

La liste des avantages n’est d’ailleurs pas épuisée là !

Le régime de convertibilité par exemple, qui en principe est celui de la liberté et qui permet la diversité géographique des échanges, autorise :

– la compensation multilatérale des soldes, contribuant ainsi à réaliser l’équilibre à un niveau d’échange plus élevé,

– l’approvisionnement au moindre coût quelle que soit la devise du fournisseur,

– l’expansion des échanges avec les pays africains voisins, ce qui est aussi une des conditions de l’industrialisation africaine.

Mais de plus, il favorise, par son action sur les mouvements de capitaux, l’équilibre des balances des paiements.

En effet, la garantie de la France supprime la spéculation sur la baisse des monnaies et les mouvements défavorables à court terme qui en résulteraient.

C’est à cette stabilité de la monnaie et à la liberté des changes qui l’accompagne que les pays de la zone franc doivent l’apport de capitaux privés étrangers non effarouché.

Enfin, la gestion des réserves en commun, qui se pratique sous la forme du « compte d’opérations » auprès du Trésor français, revêt des avantages non négligeables.

D’abord, c’est d’une véritable « solidarité » qu’il faut parler puisque les soldes positifs des comptes d’opérations de la BCEAO ou de la BCEAC recouvrent des positions nationales dont certaines sont débitrices.

C’est même d’une solidarité « économique » qu’il s’agit, car il apparaît que le rapport des réserves officielles aux importations est nettement plus faible pour l’ensemble des pays de la zone et pour chaque zone d’émission en particulier que pour l’ensemble des pays producteurs primaires en voie de développement.

C’est l’avantage essentiel du système de l’Union monétaire que de permettre à un pays d’avoir des réserves négatives sans être obligé de prendre des mesures de politique économique restrictives, à condition toutefois que le compte d’opérations de l’union ne devienne pas débiteur.

Faite cette mise au point, on peut maintenant aborder les critiques sur ces deux institutions que sont la BCEAO et l’UMOA. Mais ici encore, l’objectivité impose de reconnaître que les chefs d’Etat responsables en ont toujours été conscients.

Le président Léopold Sédar Senghor, dans son rapport de politique générale au VIIIe congrès de l’Union Progressiste Sénégalaise, en 1972, disait sur ce propos :

« L’objectif majeur est la transformation de la BCEAO en une « véritable banque centrale », instrument de développement économique de l’Afrique de l’Ouest. Et le moyen principal doit être la création d’une Banque Ouest Africaine de Développement… ».

Ce fut dit, ce fut fait, et aujourd’hui la Banque existe.

La réforme des statuts de la BCEAO et la refonte des rapports monétaires avec la France qui l’a accompagnée, répondait plus précisément aux nécessités suivantes :

– introduire plus d’égalité entre la France et l’UMOA ;

– donner plus de latitude aux Etats dans la définition de leur politique monétaire ;

– et utiliser évidemment cette politique monétaire à des fins de développement économique.

Ceci, en conservant le principe de base, qui est la garantie apportée par la France au franc CFA et sa contrepartie naturelle qui est la liberté des transferts.

L’égalité dans les rapports entre la France et l’UMOA

A cette fin, deux types de mesures ont été prises :

Il a été décidé, d’une part, que tous les Etats, la France y compris, disposeraient du même nombre de représentants au conseil d’administration de la Banque centrale.

La plupart des décisions de ce conseil étant prises à la majorité simple, les possibilités de blocage par un seul Etat sont nulles.

Les décisions plus importantes, comme celles par exemple relatives à la définition des règles de l’émission monétaire, devant être prises à la majorité des 6/7e ne pourront non plus être bloqués par la France si les Etats africains sont de leur côté unanimes.

D’autre part, et afin que les avoirs extérieurs de l’UMOA ne soient plus soumis aux aléas de la politique monétaire française – risque bien réel qui s’est matérialisé lors de la dévaluation du franc en 1969 – ils seront désormais garantis par référence à une unité de compte internationale.

Une plus grande indépendance dans la définition de la politique monétaire de l’Union et des Etats

Ce souci de plus grande indépendance s’est traduit au niveau de l’Union par le fait que désormais les correctifs à apporter à la politique de l’émission monétaire, lorsque la situation l’exige, ne sont plus soumis à des règles automatiques – réduction des plafonds de réescompte, hausse des taux d’intérêt, etc… – mais sont du ressort du conseil d’administration où tous les Etats sont également représentés.

Dans le même esprit, la gestion des avoirs est décentralisée, puisque 65% seulement, et non plus la totalité des avoirs extérieurs des Etats de l’Union, devront être déposés au compte d’opérations ouvert auprès du Trésor français. Au niveau national, les compétences des comités monétaires sont renforcées.

La politique monétaire au service du développement

Outre que le montant des avances aux Etats est augmenté et peut désormais représenter jusqu’à 20% des recettes fiscales, ces concours perdent leur caractère de seule avance de trésorerie et sont susceptibles de devenir un instrument de développement : en effet, la BCEAO concourra directement au financement d’investissements publics en escomptant ou réescomptant des effets publics ayant moins de dix ans à courir.

Il appartient en outre aux conseils nationaux du crédit de définir un plafond, à l’intérieur de la limite globale de 20%, pour chaque type de concours – avance à court terme, concours à 10 ans – c’est-à-dire, en d’autres termes, de choisir entre avance de trésorerie et financement du développement.

La Banque centrale pourra aussi réescompter des effets représentatifs de crédits servant au rachat par des nationaux d’entreprises étrangères – ce qui constitue un important pas en avant dans la maîtrise par les Etats de leur économie nationale – et également prendre des participations au capital d’établissements ou d’organismes de développement et donc contribuer au développement économique.

Mais surtout, la création de la Banque Ouest-Africaine de Développement- B.O.A.D. – contribuera, dans le futur, au développement des économies.

Cette banque peut procéder à des emprunts à l’extérieur et peut contribuer au financement du développement avec des moyens importants et sous des formes variées : prise de participations dans le capital d’entreprises ou d’institutions financières, octroi de prêts, d’avals, de bonifications d’intérêt.

Certains trouveront ces reformes timides. Ils auront raison, mais ils auront tort aussi de n’avoir pas pensé que dans l’anarchie et l’indéterminisme actuel, qui règnent sur le système monétaire international, il faut être magicien pour transformer profondément la partie d’un tout qu’on ne connaît plus.

Ce qui est d’ores et déjà prévisible à moyen terme, étant donne le développement des échanges des pays de la zone franc avec la Communauté économique européenne, et étant donné surtout l’établissement progressif d’une zone monétaire européenne composée de monnaies liées entre elles par une partie fixe et fluctuante ensemble à l’égard de l’extérieur, c’est une substitution de la garantie de la France par la garantie de l’Europe avec tout ce que cette évolution comporte.

Mais, finalement, le problème n’est peut-être pas celui que l’on croit. L’on cherche à perfectionner un outil : une union monétaire, en oubliant peut-être que si cet outil, de par son existence, possède une « utilité », il n’a de « sens » que s’il dispose de la matière première qu’il doit travailler. Et cette matière première, c’est l’Union économique, c’est l’intégration des économies. Et c’est d’ailleurs dans le sein de ces vastes marchés, plus ou moins unifiés, qu’étaient l’Afrique occidentale et l’Afrique équatoriale françaises, que s’est développé le système de la zone franc.

Ce qui subsiste, aujourd’hui, c’est-à-dire la garantie de la France, avec les avantages qu’elle comporte, tant sur la stabilité de la monnaie, des prix, que sur les apports de capitaux, qu’encore sur la coopération économique et financière, c’est, il faut le reconnaître, un signe positif de dépendance, disons d’interdépendance, de chaque pays, avec l’ancienne métropole et non, quoiqu’elle en revête les habits, une union monétaire, génératrice de progrès et d’intégration économique, telle qu’elle est conçue par exemple dans la fédération des Etats-Unis ou des cantons helvétiques..

Il faut d’abord attendre que les conditions économiques de l’intégration soient réunies pour réaliser l’intégration monétaire.

C’est dire que les frontières doivent s’ouvrir, que la mobilité des facteurs de production doit s’élever, que la concurrence ne doit être entravée par nulle mesure nationale discriminatoire.

C’est dire qu’il faut harmoniser les législations fiscales, juridiques et économiques, qu’il faut harmoniser les politiques économiques, monétaires, sociales et culturelles.

C’est dire, en un mot, qu’il faut développer, à tous les niveaux, la supranationalité.

Alors l’intégration monétaire provoquera une sorte de « dynamique communautaire » qui entraînera à son tour une plus grande intégration économique dans l’harmonie et dans le développement.