Poésie

Y-a-t-il quelque part sur la terre…par Pierre LODS

Ethiopiques numéro 33

revue socialiste

de culture négro-africaine huitième année

Nouvelle série volume 1 n° 2 –

2ème trimestre 1983

Y-a-t-il quelque part sur la terre un endroit pour savoir si je peux espérer bientôt te revoir ?

Y-a-t-il quelque part sur la terre un pays perdu où je trouverai la trace vraie de ton passage perdu ?

Peut-être y-a-t-il quelque part dans les bois un arbre

parmi les arbres perdus où je saurai lire la marque de

ton passage perdu. Et peut-être y-a-t-il dans les champs

de hautes herbes couchées qui sont la marque de ton passage récent

Mais peut-être pour te revoir n’y-a-t-il qu’une formule

à trouver, une phrase à bien dire ou quelques mots à prononcer,

ou alors faudrait-il une très grande foi et de très grandes

peines pour assembler des choses improbables ou les objets

les plus usuels,

mais dans quel ordre et de quelle manière et qui trouvera

les mots, qui dira les choses nécessaires

et sous quelle lumière et à quelle heure du jour ou de la nuit ?

Peut-être faudrait-il un rituel perdu et les mages

ne sont plus pour me vêtir comme il faut et m’asperger

de rosée sous la lune blêmissante de l’aube.

Mais il y a quelque part un chemin dans les champs où

j’ai rencontré hier un enfant qui a cru te voir comme

une fleur vibrante volant sur les champs.

Mais il y a quelque part un chemin vers la mer où j’ai croisé, hier, sans le savoir, quelqu’un qui a cru te voir en esprit sur la mer.

Mais un autre m’a dit que tu ne pouvais être que sur un

astre perdu qui s’enfonce dans la nuit des temps.

 

Et moi je crois bien que tu es cet astre perdu qui s’enfonce

dans la nuit des temps mais que tu es aussi tout entière

à tous les endroits sur la terre.

Tandis qu’aux brûlures de l’air se délite le sable

au contour du basalte,

je reste à l’écoute des pierres qui un jour te virent passer

ou sinon toi, presque immergée ton ombre.

Et je garde l’empreinte du vent qui étancha

ton chagrin, pour éprouver la blessure

qui soudain t’installa dans l’exil.

Et tu seras telle qu’en mémoire se tient l’inexprimé.

Telle qu’un soir te guetta de son aire le rapace

comme offerte à l’amour mais inerte

sur l’amas de varechs aux modules brillants

bijoux sombres du deuil ravivés par la mer

au moment où la foudre intronisa le roc

qui nous fut un sanctuaire au temps si

lointain de l’accord…