Ursula BAUMGARDT et Jean DERIVE (dir.) Littératures orales africaines, Paris, Karthala, 2008, 440 p.
Ethiopiques n°82.
Littérature, philosophie, art et pluralisme
1er semestre 2009
Ce fort volume, qui a pour sous-titre : « Perspectives théoriques et méthodologiques », propose une introduction aux littératures orales d’Afrique noire. Il dégage d’abord leur spécificité : à savoir, dans l’oralité, le statut de la parole, la performance, et ce qui fait la littérarité des « actes de paroles » par rapport à ce qui est plus globalement désigné par tradition orale. C’est en quoi on peut comparer – et distinguer – ce travail des ouvrages fondateurs de Jean Vansina (1961) et Dioulde Laya, ainsi que de l’étude non moins fondatrice de Mamousse Diagne sur la Critique de la raison orale (Karthala/IFAN, 2005) mais ici il s’agit de littérature et rien que de littérature, ce qui est souligné par les articles de U. Baumgardt, P. Roulon et J. Derive, en particulier de la nature, des acteurs et des différents stades de la communication littéraire et de la variabilité inhérente à une transmission fragilisée par l’absence d’écriture. Mais plutôt que de s’appesantir sur la déperdition qui s’ensuit, Ursula s’attache, à la suite de R. Jakobson, à en montrer la faculté de renouvellement et d’adaptation. Ce qui explique la perpétuation d’un grand nombre de ces récits, chants et dictons à travers les siècles. C’est sans doute cette variabilité qui leur permet de s’actualiser aux situations nouvelles, d’intégrer de nouveaux termes et tournures de langage, sans craindre les anachronismes. Ainsi leur est assurée une contemporanéité que ne peuvent ambitionner des écrits figés une fois pour toutes ! – Mais aujourd’hui qu’on les transcrit, on peut se demander si ces récits oraux garderont leur plasticité ? mais c’est une autre histoire…
La question des genres littéraires est abordée avec beaucoup de pertinence par Christiane Seydou et Jean Derive. Nous avons apprécié en particulier le rappel de l’étude encore mal connue de Mamadou Diarra : La graine de parole (1990) qui offrait un éventail des genres littéraires en fonction non seulement des formes et contenus, mais des castes et des sexes. Ensuite Jean Derive expose de façon exhaustive la configuration du système des genres chez les Dioulas de Kong sur qui il a fait sa thèse, après avoir longtemps travaillé sur l’ethnie gbaka de la Centrafrique.
Christiane Seydou choisit de présenter le genre épique. Et, dans ce genre, de présenter une classification et quelques épopées les plus connues. Comme tout ce que fait Ch. Seydou, c’est clairement exposé, et nous y avons retrouvé beaucoup de nos propres constatations (Dieng et Kesteloot, Les épopées d’Afrique Noire, Karthala-Unesco, 1997).
Nous regrettons cependant que, abordant de façon globale ce sujet des épopées africaines, Ch. Seydou n’ait pas utilisé les rares ouvrages récents qui en proposent des synthèses (J. Johnson et al., 1997, Dieng et Kesteloot, op.cit., J. Derive, 1998), et soulèvent à ce propos certains problèmes et hypothèses : c’était l’occasion ou jamais de rentrer dans un débat qui intéresse aussi les médiévistes français (F. Suard, J.P. Martin, M. J. Pinvidic, D. Buschinger). Mais notre collègue se contente de « débouter » Ruth Finneghan, qui fut largement démentie depuis 1980, par le professeur américain J. Johnson. – Toujours dans ce chapitre des genres, Ch. Seydou oublie le mythe et le roman oral, genres encore mal connus, mais que U. Baumgardt signale vers la fin de l’ouvrage.
Dans le chapitre suivant, Mme Baumgardt s’emploie à situer le champ de la littérature orale africaine dans les champs voisins de l’oralité seconde (texte oral répercuté sur une transcription), de la réécriture et de la néo-oralité. De même elle en cherche l’articulation avec les grands corpus écrits en langues européennes et celui plus restreint écrit en langues africaines et arabe (ajami). Elle aborde le choix difficile de l’écrivain africain à ce propos, et évoque, sans s’y attarder, l’influence de la littérature orale sur les œuvres modernes de ces écrivains.
Le troisième chapitre de l’ouvrage, traité par Paulette Roulon, Jean Derive et Ch. Seydou, est nettement plus technique. Il s’agit d’une véritable pédagogie de la recherche (collecte, enquête, transcription, traduction, édition). Depuis l’enregistrement des récits sur le terrain face aux producteurs analphabètes et créateurs, jusqu’au lent et patient processus de fixation et de conservation : travail de bénédictin, nous en savons quelque chose. Presque tous les problèmes sont abordés par ces collègues qui en ont une grande expérience. Cette partie peut être proposée aux étudiants comme guide pratique à la recherche dans cette discipline, et correspond aux conseils parallèles de Mauss et de Godelier concernant l’enquête anthropologique.
La dernière partie n’est pas la moins intéressante, où U. Baumgardt introduit une vision interdisciplinaire et propose le corpus oral à l’approche des sociologues, des historiens, des linguistes. Elle y rend compte en particulier de l’expérience ethnolinguistique du laboratoire de l’INALCO longtemps dirigé par G. Calame-Griaule, et actuellement prolongée par les activités du LACAN (CNRS). Elle en profite pour faire le point sur les diverses tendances du « discours critique » en littérature orale, et sur les possibilités encore peu exploitées des recherches comparatistes.
Nous terminons cette « note » en signalant l’importance de l’ouvrage qui nous a paru telle, qu’il était impensable de l’expédier en quelques formules d’éloges conventionnels. Nous souhaitons le voir rapidement édité en livre de poche, à la portée des bourses de nos étudiants.