Notes

TEMPETE SUR DOUARNENEZ par Henri QUEFFELEC

Ethiopiques numéro 23

Revue socialiste

de culture négro-africaine

juillet 1980

« Au service du grand océan qui l’a pris pour disciple, Douarnenez défie tous les ports de pêche (à commencer par Concarneau). Sur la coque de leurs pinasses ou de leurs malamoks ses hommes n’oublient pas de ciseler leur DZ selon les fioritures de l’alphabet celtique, d’abord parce qu’il ne faut pas renier « les pères », ensuite et surtout parce que Douarnenez, c’est Douarnenez, c’est tout un élan spirituel et c’est toute la mer ».

C’est à Douarnenez que se situe le centre du roman, un roman qui retrace sur fond de tempêtes, la rude alliance de la Bretagne avec la mer. Les personnages humains servent seulement de supports à ces noces, car il est manifeste que le port et la mer sont les grands promis de cet amour millénaire qui a vu défiler tant de destinées.

En premier lieu, le port se présente comme un campement de nomades où « après une expédition contre les poissons de la mer profonde, les mâles se retirent près de leurs enfants et de leurs femmes » 45. Là vit un peuple de guerriers, de conquérants, d’hommes énergiques au visage long, aux yeux bleus, aux mains calleuses, « ils portent du plomb de quille dans leurs sabots » et leurs hanches « dansent une perpétuelle chaloupée » 49. Ils sont silencieux pour la plupart, connaissant le poids des mots et habitués aux coups de tabac du grand large. Ils sont également obstinés, de vraies têtes de pioches, bagarreurs au besoin, mais une fraternité mâle les cimente dans leur affrontement avec la mer. Leur carrure épaisse et leurs gros mots cachent l’étincelle de tendresse qu’ils ont au cœur pour une coiffe, la voiture allurale des grands thoniers, les grosses pierres verdies par les algues, les quais, les digues, « l’odeur fade et finement écœurante de la vase et du poisson pourri » 45 .

Louis Marzin est l’un de ces hommes. La vie ne lui a pas fait de cadeau : très tôt orphelin (avant treize ans, « il était en puissance de beau-père et de belle-mère » 25), il embarque, puis fait la guerre. Après, il se jette sur les femmes et sur l’alcool, prend de l’âge et une philosophie de vieux crabe qui le pousse à lutter contre toute forme d’attendrissement. « J’épouserai personne ! que les coups de tabac ! » C’est son credo. Il tombe pourtant amoureux de Maria…

La mer, quant à elle, incarne le lieu de la lutte, le champ d’honneur où combat cette race de seigneurs et où périodiquement tombent certains d’entre eux. Elle peut être généreuse, promettre de « hautes journées lumineuses et fécondes » 61. Il lui arrive d’être nette comme une aire, « mer évangélique où se fût avancé le Christ » 65 ; mais à d’autres moments elle devient terrible et monte à l’abordage pour tuer.

Elle est elle-même « sans coquetteries fades, large, travailleuse » 66, et vit en osmose avec les marins, dont elle imprègne l’être profond, se glissant dans leur sommeil comme dans leurs amours.

« Les heures passent, le sommeil continue de pénétrer à flot dans le corps et l’âme du pêcheur, où il découvre mille plages qu’il ne visitait plus » 107.

« Louis n’avait jamais dû être aussi sincère. Marée d’équinoxe, le bonheur déchalait sur son âme et découvrait au loin de longues plages blanches » 140.

L’auteur, par le jeu constant des images et des métaphores, arrive à l’incorporer à la trame du récit à tel point qu’elle en devient comme la chair. A cet égard, Tempête sur Douarnenez est un grand roman de la mer : il témoigne pour l’authentique réalité de la Bretagne dans une langue étincelante de poésie qui « dépulpe le flot » pour en faire « une colline ruisselante d’avril » 37.

Et puis, dans ce roman, la vie multiple et ramifiée circule, avec un parfum de légèreté, comme pour ramener l’homme à la vertu d’humilité, lui rappeler qu’il n’est qu’un être parmi les autres. Par exemple, pendant que le public de Douarnenez rit au cinéma,« sur la grève nord du cap de la Chèvre, une roche, en surplomb depuis deux siècles, se détache et tombe écrasant le long de sa chute un mulot, des fougères et des ronces » 73. Ailleurs, à un mille de la digue, c’est un bouchon qui danse toujours sur lui-même, après avoir gagné en une semaine deux mille et demi sur la terre 119.

La parole d’Henri Queffélec sait fondre la Bretagne et la mer dans une vérité large qui « sonne ferme sous le regard » 90.