La pensée

REFLEXIONS SUR LA NEGRITUDE

Ethiopiques n°69.

Hommage à L. S. Senghor

2ème semestre 2002.

 

F. ABIOLA IRELE [1]

 

Dans la préface de son recueil d’essais intitulé Force Fields, Martin Jay fait une observation très pertinente concernant la situation ambiguë de l’historien des idées : n’étant ni philosophe ni historien, celui qui entreprend de faire l’histoire intellectuelle risque de tomber entre deux chaises, représentées par les deux disciplines auxquelles se rapporte sa vocation. Car, selon Martin Jay, la difficulté de la tâche de l’historien des idées provient non pas seulement de la nécessité de maîtriser une documentation souvent plus vaste que d’ordinaire dans le cours de la recherche, mais aussi, et surtout, de réconcilier les exigences opposées des deux composantes de son activité savante : d’une part, celle de la narration et de l’analyse historique, qui doivent pour ainsi dire coller au réel, et de l’autre, celle de la réflexion philosophique, qui, de par sa nature même, procède par le recours constant à l’abstraction. Mais cette difficulté n’a pas empêché des réussites remarquables qui offrent des modèles de travail pouvant être accompli dans ce domaine, à commencer par The Dialectical Imagination, l’étude magistrale que Martin Jay lui-même a consacré à l’école de Francfort. Dans l’aire culturelle française, on peut citer des cas aussi exemplaires, tels que La Crise de la conscience européenne de Paul Hazard, ou L’Aventure intellectuelle du 20è siècle de Jean-Louis Albères, œuvres qui sont devenus des classiques de l’histoire intellectuelle. Ce que ces travaux et autres du même genre ont démontré, c’est que l’histoire intellectuelle a une valeur inestimable, dans la mesure où elle peut amener à une compréhension du rapport entre l’ordre du discours et du savoir, d’une part, et de l’autre, l’ordre du monde, dans son vécu, dans ses dimensions existentielles, même s’il est vrai, ainsi que nous l’enseigne Michel Foucault, que nous devons nous garder de tenir ce rapport pour l’effet d’une simple corrélation entre le monde objectif où se déroulent les événements qui composent le tissu de l’histoire et la conscience que nous avons de ce monde. C’est dans cette perspective théorique qu’il convient de situer les mouvements intellectuels en Afrique noire francophone, afin de mieux saisir leur portée historique et humaine. Cependant, mon objectif aujourd’hui n’est pas de faire de la théorie au sujet de la vie intellectuelle en Afrique, mais plus modestement, d’indiquer l’intérêt que peut avoir une reconsidération d’un courant significatif de notre histoire intellectuelle, celui représenté par le mouvement de la Négritude. Mon étude vise à résumer les débats que ce mouvement a provoqués au sein de l’élite intellectuelle africaine de langue française, afin de mettre en relief le renouveau de la pensée africaine qu’elle a suscité. Il s’agit de proposer, d’un point de vue privilégié conféré par une fréquentation assez ancienne et assidue des milieux africains francophones, une appréciation de l’apport de l’intelligentsia issu de ces milieux à l’effort de réflexion sur soi et sur notre situation dans le monde, d’estimer combien cet effort, rendu nécessaire par les circonstances particulières de notre rencontre historique avec l’Occident, et notre confrontation avec une certaine modernité qui en a résulté, a pu conduire à la constitution d’un véritable discours sur “la condition africaine,” pour reprendre l’expression d’Ali Mazrui.

 

Je dois ajouter que les réflexions qui suivent forment les éléments d’un tour d’horizon servant de complément aux études existantes sur les mouvements intellectuels dans notre continent. Ce tour d’horizon doit permettre d’attirer l’attention sur certains détails qui, du fait même de sa langue d’emprunt, et partant, de sa relation à l’héritage littéraire et philosophique français, rendent compte de la spécificité du champ francophone de la pensée africaine contemporaine.

 

Depuis que Jean-Paul Sartre a voulu, dans son essai “Orphée noir,” cerner le sens et les implications du terme “négritude,” on a coutume de voir dans ce terme, lancé naguère par Aimé Césaire, plus qu’il ne contenait à l’origine, à savoir, une prise de position véhémente sur le problème racial. En effet, Sartre réussit à donner au néologisme de Césaire une extension extraordinaire, en proposant une interprétation qui intègre la prise de conscience noire dans le cadre de la philosophie existentialiste dont il était, en France, le chef de file. Pour lui, la Négritude se définit comme “l’être-dans-le-monde-du noir” : une manière pour le noir d’assumer sa situation d’homme avili, écrasé par l’histoire, et de se reconstituer par un geste d’affirmation de soi, par l’élaboration d’un projet libérateur.

 

Le développement ultérieur de la Négritude, en tant que mouvement littéraire et intellectuel, qui a donne le jour à une somme d’images et de représentation d’une certaine ampleur, favorise une ambiguïté quant au contenu réel du terme. C’est ainsi que la multiplicité d’acceptions qu’on attribue à la Négritude la fait apparaître tantôt comme un mouvement politique, une sorte de version francophone du panafricanisme (Colin Legum, Philippe Decraene), tantôt comme une école littéraire, voire comme un style, une poétique “qui se reconnaît par certaines constantes formelles” dérivant surtout de la tradition orale (Ngal, après Senghor], tantôt comme un terme qui rassemble et résume l’héritage culturel de l’Afrique noire et ses avatars dans le nouveau monde. Cette dernière interprétation du terme, due à Senghor, n’est d’ailleurs pas loin de faire de la Négritude un concept qui renvoie à une sorte d’essence collective nègre, le synonyme d’une hypothétique “âme noire”.

 

Le terme subit ainsi un glissement de sens qui traduit son passage du plan du vécu à celui de la réflexion, l’élaboration consciente au sein d’une catégorie sociale d’un certain nombre d’idées-forces destinées à modeler l’action. La Négritude apparaît de ce point de vue comme le phénomène type de ce que Karl Mannheim appelle “une pensée au service du désir” : une pensée qui, prenant racine dans un faisceau d’émotions, s’est formée comme moyen de suppléer à un manque dans l’existence. Il est important de souligner à ce sujet que le développement en Afrique francophone de l’activité intellectuelle donnant lieu à l’élaboration d’un discours qu’on pourrait qualifier de philosophique, s’est produit parallèlement à l’émergence d’une expression littéraire originale, inventive, intimement liée par sa thématique au projet de revendication politique et d’affirmation raciale devenu impératif à travers tout le monde noir. C’est dire que tout le mouvement de pensée qui a marqué l’effort de réflexion chez les intellectuels africains et antillais de langue française, et qui a eu pour point culminant le concept de la Négritude, procède d’une réponse affective à l’expérience collective de la race noire.

 

On ne peut pas faire abstraction de ce contexte historique global si on veut comprendre ou juger les écrits des intellectuels noirs, pour qui l’avilissement de la race noire par l’esclavage et sa domination objective pendant presque un siècle de colonisation, d’une part, et sa dévaluation subjective par le racisme, de l’autre, constituaient les données premières, fondamentales, de l’expérience collective. Mais si cette histoire douloureuse sert de toile de fond à l’expression littéraire et idéologique dans le monde noir pris globalement – une expression traversée par un sentiment d’amertume à l’égard de l’Occident, débouchant souvent sur la révolte et entraînant une démarche vers la redécouverte de soi – l’orientation spécifique de l’activité intellectuelle en Afrique francophone ainsi que son style d’expression ont été déterminés par les relations particulières, entretenues par l’élite noire francophone avec la tradition littéraire et philosophique française à laquelle leur formation au sein du système d’enseignement colonial leur a donné un accès privilégie. On doit se rappeler à cet égard que l’éducation coloniale avait pour fondement la politique de l’assimilation, formulée de manière explicite dans les textes officiels rédigés par les administrateurs coloniaux – parmi lesquels figure en bonne place Georges Hardy -politique appliquée avec plus ou moins de rigueur dans les colonies françaises, et belges d’ailleurs (A. Moumouni, 1998 ; C. Coulon, J. L. Balans et A. Ricard, s.d.). Il faut se rappeler encore que toute l’entreprise de dépossession culturelle mise en œuvre par l’éducation coloniale reposait sur la notion de la “mission civilisatrice” de la colonisation européenne en Afrique.

 

La double articulation, littéraire et idéologique, du discours africain francophone provient donc du caractère singulier de l’expérience coloniale telle qu’elle a été vécue par l’élite noire occidentalisée sous domination française et belge. Les contraintes psychologiques de l’assimilation expliquent la centralité du thème de l’aliénation dans la littérature africaine francophone, thème dont L’Aventure Ambiguë de Cheikh Hamidou Kane représente peut être l’expression la plus pathétique. Pour bien apprécier l’intensité du drame dévoilé par le récit de Hamidou Kane, et toute la symbolique qui sous-tend la progression narrative dans son roman, il faut comprendre que, pour la génération de la Négritude, le malaise de l’assimilation n’était point une vue de l’esprit mais représentait bien une réalité avec laquelle l’élite noire francophone était confrontée : une élite en proie à un mal existentiel provenant de leur situation d’individus écartelés entre deux ordres du monde opposés, voire antagonistes, en quête donc d’une nouvelle intégration de conscience et de sensibilité, en un mot, d’une plénitude de l’être. C’est ainsi que l’exploration imaginaire de la condition aliénée s’est renforcée chez les écrivains et les intellectuels noirs francophones par une préoccupation conceptuelle dominée par la problématique de l’identité. C’est que l’expérience vécue avait donné une acuité particulière à une question qui s’est posée à la conscience réfléchie comme problème immédiat, comme drame de l’existence. Pour l’élite noire francophone, contrainte, malgré la promesse de promotion sociale offerte par l’assimilation, à interpréter pour son propre compte l’expérience coloniale dans toutes ses implications, l’expression littéraire et l’activité intellectuelle ne pouvaient procéder que sous forme d’une méditation sur soi, en rapport avec une historicité pour le moins singulière.

 

Le rapport objectif entre la littérature nègre francophone et la situation objective dont elle procède fait que cette littérature soit plus que l’impression du poids social sur le groupe. L’écriture sert ici à véhiculer et à cristalliser un sentiment collectif, à inscrire une volonté du groupe. Et en projetant une certaine image que le groupe se fait de lui-même et du monde, la littérature devient du même coup une façon d’élaborer une pensée du groupe. Jamais peut être une école littéraire n’a répondu si parfaitement à la définition de la valeur sociale de la littérature que Jean Paul Sartre a offerte dans son livre Qu’est-ce que la littérature (et je le cite) : “ dans une collectivité qui se reprend sans cesse, et se juge et se métamorphose, l’œuvre écrite peut être une condition essentielle de l’action, c’est-à-dire le moment de la conscience réflexive”. En termes hégéliens, dont Sartre lui même se servait régulièrement, et presque inconsciemment, l’imaginaire peut servir à marquer le passage de la conscience en soi à la conscience pour soi.

 

Ceci attire notre attention sur un aspect fondamental de l’expression littéraire et idéologique des intellectuels noirs francophones : la dimension intérieure de l’expérience coloniale dont témoignent leurs écrits. Car, au malaise de l’assimilation devait s’ajouter l’embarras et même la déconvenue produite chez les intellectuels noirs par l’image négative de l’Afrique projetée par le monde occidental, image reprise jusque dans les textes qui constituaient la base même de leur formation scolaire. Car ils étaient confrontés par cette image surtout dans les textes de la littérature coloniale – on peut en citer comme l’exemple le plus frappant Le Roman d’un Spahi de Pierre Loti qui témoigne d’un ethnocentrisme européen auquel l’œuvre de Hegel avait donné une formulation philosophique (L. Faroud-Siefer,1968). On sait que Hegel excluait le continent africain et toute la race noire de sa vision du processus historique, concept qui constitue le fondement de tout l’édifice philosophique qu’il a voulu construire, toute une entreprise conceptuelle découlant de sa postulation d’une dialectique de l’esprit en mouvement vers son accomplissement dans l’absolu. Pour Hegel, l’Afrique ne pouvait pas participer au mouvement universel car elle était le lieu de la négation, du non esprit, le contraire de l’humain.

 

Mais Hegel n’était pas seul à nier l’humanité du noir. La hiérarchie des races que présuppose sa philosophie de l’histoire a trouvé son élaboration anthropologique la plus achevée dans l’œuvre du comte Arthur de Gobineau. Dans cette hiérarchie, ainsi que Gobineau l’a érigée, la race noire s’est vue réservée le rang le plus bas de l’humanité, à peine distinguée de l’espèce animale : « son animalité inscrite dans ses bassins, » écrivait-il à ce sujet dans son Essai sur l’inégalité des races humaines. Mais c’est à l’ethnologue français, Lucien Lévy-Bruhl, que revient la distinction d’avoir voulu conférer l’autorité de la science aux lieux communs de l’ethnocentrisme européen véhiculés par ces textes. Dans la série d’essais ethnologiques inaugurée par Les Fonctions mentales dans les sociétés inférieure (publié en 1910), jusqu’a La mentalité primitive (ouvrage publié en 1921, et généralement considéré comme son magnum opus), Lévy-Bruhl s’est acharné à donner une caution scientifique à la séparation entre l’homme occidental et le reste de l’humanité en proposant le terme de « mentalité prélogique » pour définir un mode de pensée qu’il a attribué aux peuples et races non occidentaux. Pour Lévy-Bruhl, la logique était l’apanage de l’homme blanc, associée étroitement à la civilisation occidentale ; elle était donc fermée par nécessité aux cultures élaborées en dehors de cette civilisation. L’évolution raciale ainsi envisagée par Lévy-Bruhl visait à établir une disparité radicale entre l’Occident et le reste de l’humanité, au niveau même des opérations mentales.

 

Si je rappelle ces auteurs, ce n’est pas simplement pour rafraîchir les mémoires sur l’histoire coloniale, mais aussi et surtout pour insister sur la signification idéologique revêtue par leurs travaux dans le contexte colonial. Car les textes et travaux que j’ai évoqués ont puissamment contribué à fonder l’ordre du discours colonial, à donner l’allure de vérités éternelles à un système de représentations qui avait pour fonction immédiate la dévaluation des sociétés et des civilisations africaines précoloniales, et par voie de conséquence, la démoralisation des populations colonisées. Comme l’atteste la fameuse scène du tramway dans le Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire, l’image de l’Afrique proposée par les textes occidentaux était de nature à provoquer le désarroi chez le noir, incitant chez certains individus jusqu’au reniement de soi [2].

 

L’élite intellectuelle noire francophone se savait interpellée par cette situation ; (et c’est à dessein que je reprends le terme de Louis Althusser, car il rend bien compte du mécanisme dont il s’agit). Les individus appartenant à cette élite ont pris conscience de la nécessite de faire face au discours colonial non seulement comme facteur déterminant de leur rapport avec le monde blanc, mais aussi comme dimension essentielle de l’appréhension de soi-même : l’enjeu pour eux, c’était la reconnaissance de leur humanité, de cette qualité intrinsèque qu’ils se savaient receler en eux-mêmes. La réflexion africaine, et d’une manière générale noire, devait dans ces conditions prendre sa source dans un narcissisme nécessaire, originaire, avant de s’élaborer comme discours au service d’un nationalisme culturel dont une image rénovée de l’Afrique constituait le fondement affectif et symbolique. C’est dire que la réhabilitation de l’Afrique impliquée par ce mouvement n’était pas seulement une nécessité idéologique mais aussi, et plus profondément, un impératif psychologique. Vue dans cette perspective, on peut affirmer que la littérature de la Négritude n’est en somme que l’expression de la subjectivité noire dans l’histoire.

 

J’ai évoqué plus haut un double étagement, littéraire et idéologique, du discours noir francophone. La prépondérance du contenu politique et social de la littérature des écrivains noirs francophones relie leur expression au nationalisme nègre d’une façon globale. La Négritude en tant que mouvement littéraire s’interpénètre de l’idéologie nègre jusqu’à ne faire qu’un avec celle-ci Il s’agit dans les deux cas des produits mentaux que le sujet nègre projette afin de dominer l’histoire, ou bien plutôt d’une convergence des thèmes articulés à des registres différents, qui ont nourri le contre discours par lequel les écrivains et les intellectuels francophones ont voulu contester toute l’entreprise de dévaluation dont l’Afrique était l’objet.

 

On est frappé à ce sujet par le paradoxe d’un processus qui fait que ce contre discours devait se constituer par le recours aux termes mêmes dans lesquels l’idéologie coloniale a été élaborée. C’est que les textes qui formaient “la bibliothèque coloniale” (selon la désignation de Valentin Mudimbe dans The Invention of Africa) ont fourni le cadre conceptuel du contre discours que ces intellectuels devaient opposer aux idées et aux images par lesquels l’Occident a voulu les représenter. En effet, les intellectuels noirs ont été obligés de récupérer et de reformuler un discours pré‑existant sur l’Afrique et sur la race noire, discours qui, paradoxalement, leur a servi de référence globale dans leur mouvement de résistance à l’idéologie coloniale. Leur contre-offensive conceptuelle devait se servir du même appareil discursif établi par l’Occident ; mais ils ont voulu en renverser les articulations afin de remettre ce discours au service d’une cause nouvelle, celle de la revalorisation de l’Afrique et de la race noire. C’est le cas notamment de Senghor, qui a fait consciemment usage des idées de Gobineau et de Lévy-Bruhl, qu’il a réinterprétées pour les intégrer dans sa théorie de la Négritude [3] (L. S. Senghor, 1986).

On sait combien cette réappropriation du discours occidental a été facilitée par les révolutions qui ont marqué l’histoire intellectuelle et culturelle en Occident au cours du XXe siècle. On pense surtout aux développements dans la philosophie et les arts dans les années d’entre les deux guerres, et l’influence directe qu’ils ont exercé sur les intellectuels noirs. Lilyan Kesteloot s’est surtout étendue sur l’impact considérable du Surréalisme et du Marxisme sur les consciences et l’imagination des intellectuels de la génération de la Négritude. Il me paraît important, pour avoir une vision plus complète du contexte historique et intellectuel dans lequel la pensée africaine francophone a pris racine, de considérer également le rôle de deux écrivains français dans la formation de l’esprit européen à cette époque, et l’influence de leurs œuvres sur l’élite noire francophone. Ces deux écrivains ont nom Maurice Barrès, pour qui l’exaltation nationaliste, résumée par son slogan “la terre et les morts,” fournissait l’inspiration de toute l’écriture romanesque, et Henri Bergson, qui, à partir de son Essai sur le données immédiates de la conscience, a voulu promouvoir une nouvelle théorie de la connaissance affranchie des normes de la philosophie traditionnelle régie par le rationalisme cartésien ; une nouvelle philosophie donc, portée par une appréhension du monde ouverte aux sollicitations d’une énergie universelle. De même, si on a remarqué la fascination des pionniers de la Négritude pour l’allemand Leo Frobenius, il faut ajouter qu’en plus des éloges qu’il faisait des sociétés et des civilisations africaines, ses écrits participaient par ailleurs à un climat de malaise spirituel en Occident, que son compatriote, Oswald Spengler, avait largement répandu grâce à son œuvre monumentale Le Déclin de l’Occident. D’ailleurs, derrière l’œuvre des deux allemands se profile la figure de Nietzsche, à qui Senghor a eu l’occasion de rendre un hommage singulier : fait très significatif, quand on songe à l’impact de Nietzsche sur l’ensemble de la philosophie contemporaine occidentale. Ces écrivains que j’ai cités apparaissent bien comme les devanciers de Jean-Paul Sartre, dont on reconnaît le rôle déterminant qu’il a joué dans la naissance du discours africain francophone. Mais le terrain avait été préparé avant lui, pour le rendre propice au questionnement des valeurs occidentales, propice donc à l’émergence d’un discours dissident qui remettait en cause l’idée de la suprématie culturelle et morale de l’Occident. Nous pouvons donc affirmer que “l’Orphée Noir,” qui a lancé le mouvement de la Négritude, marque l’ultime point de convergence entre une nouvelle disposition de la sensibilité occidentale et ce remous de conscience qui aboutit à la prise de la parole par les intellectuels noirs francophones (travaux de Phyllis Taoua et de Watts).

 

Autant que les tendances artistiques et philosophiques dans les années trente, le rôle la nouvelle ethnologie occidentale, surtout celle qui en France a pris le relais de la génération de Lévy-Bruhl, a été mis en avant comme l’un des facteurs déterminants dans l’éveil de la conscience nègre. On a reconnu ainsi l’apport des ethnologues européens tels que Maurice Delafosse, Robert Delavignette, Placide Tempels et Marcel Griaule, dont les travaux ont permis de reconnaître la valeur humaniste des systèmes de pensée des sociétés africaines précoloniales, et par conséquent, de favoriser une nouvelle estimation des civilisations africaines. Tout en reconnaissant cet apport, il est important de rappeler la provenance américaine du concept de relativisme culturel qui animait leurs travaux et que l’on doit en premier lieu à des savants comme Franz Boas et Melville Herskovits. De même, les mouvements littéraires et idéologiques dans la diaspora africaine qui ont servi d’antécédents à la Négritude – le panafricanisme de Du Bois, la Renaissance de Harlem et celle de Haïti, qui apparaît comme le chaînon reliant ces mouvements anglophones à l’expression littéraire de la Négritude – doivent être situés dans une perspective historique plus compréhensible qui embrasse la carrière et les écrits des pionniers tels que Olaudah Equiano, au dix-huitième siècle, et Edward Wilmot Blyden qui déjà, vers la fin du dix-neuvième siècle, inventait le concept de “personnalité africaine”, concept auquel Senghor devait donner toute son ampleur au siècle suivant [4].

Ceci nous amène à examiner de plus prés le concept de la Négritude tel qu’il a été élaboré par Senghor. Malgré la résonance raciale du terme, il me semble qu’on l’appréciera mieux aujourd’hui en lui restituant sa dimension culturelle, comme « l’ensemble des valeurs de civilisation africaines » selon la définition classique donnée par Senghor lui même. Contrairement aux critiques qu’on lui a adressées, la Négritude de Senghor n’est ni une forme de racisme (même anti-raciste) ni un concept anti-raison. Pour Senghor, la raison humaine est une, dans la mesure où elle donne accès à une certaine réalité objective de notre univers, mais les formes d’expérience qu’elle aide à structurer sont réfractées par les normes culturelles de chaque groupement humain. De ce point de vue, il est aisé de comprendre pourquoi Senghor reconnaît dans le mythe une modalité de la connaissance (G. Gusdorf). S’appuyant sur la philosophie de Bergson, Senghor fournit de la Négritude une explication qui l’amène à postuler une qualité mystique comme trait fondamental de toutes les formes du rapport que l’homme africain entretient avec le monde.

 

La Négritude apparaît à la lumière de cette interprétation comme explication d’un mode de connaissance qui s’apparente à celui reconnu dans les philosophies vitalistes (Lebensfilosofie). Cette parenté ressort nettement de la primauté accordée par Senghor à l’émotion comme catégorie d’appréhension : « saisie de l’être intégral ‑ conscience et corps ‑ par le monde de l’indéterminé, » comme il le dit. C’est d’ailleurs ici que l’influence de Bergson se fait le plus sentir chez Senghor, car la Négritude pourrait être considérée comme une version africaine du bergsonisme : comme vérification dans les formes africaines d’expression culturelle des notions de l’intuition et de l’élan vital que l’on doit au philosophe français. Dans un sens, la Négritude de Senghor se présente comme effort de récupérer dans l’univers africain des expressions culturelles manifestant les signes de l’expérience aux niveaux les plus profonds et les plus authentiques de la conscience. La portée de cet effort est évidente, car si Senghor a emprunté les termes de la philosophie bergsonienne pour construire sa théorie, c’est afin d’accorder à l’Afrique la distinction d’un foyer spirituel privilégié. L’affirmation de la Négritude chez Senghor passe par ce qu’on peut appeler une métaphysique de la différence.

 

Ces observations ouvrent une perspective intéressante sur les prolongements de la Négritude dans ce qu’on a baptisé du nom de « l’ethnophilosophie », c’est-à-dire les efforts déployés par certains intellectuels africains francophones pour construire une philosophie africaine à partir des pratiques culturelles et des systèmes de croyances (les représentations collectives, selon le terme consacré par la sociologie de Durkheim) des sociétés africaines précoloniales. On a reproché au discours de l’ethnophilosophie tel qu’il s’incarne surtout dans l’œuvre de l’Abbé Kagame, de s’être constitué à partir des données ethnologiques. On se demande si Kagame aurait pu faire autrement, et si l’enracinement dans la langue et la culture de son peuple n’était pas la seule voie valable pour lui de philosopher en sa qualité d’Africain. Il faut revoir l’œuvre de Kagame pour se convaincre de ce point. Dans son ouvrage, La philosophie bantu‑rwandaise de l’être, Kagame s‘est efforcé de reconstruire les catégories fondamentales d’une pensée bantoue authentique, celles que recouvre la structure classificatoire de la langue rwandaise. Les quatre catégories qu’il a proposées servent, selon lui, à expliciter la philosophie bantu-rwandaise : Muntu (l’homme, l’être doué de raison et de volonté) Kuntu (l’être sans intelligence : animaux, plantes, le monde minéral) Hantu (l’espace-temps), et Kuntu (modalités de l’être). Kagame soutient que ces termes, bâtis sur la racine ntu – terme qui désigne l’être en général – fonctionnent non pas simplement comme indices des processus de pensée, mais comme véhicules d’un discours philosophiques explicites, consigné dans la tradition orale rwandaise.

 

L’apport de Kagame à la vie intellectuelle africaine ne me paraît pas avoir été apprécié à sa juste valeur. Au delà de toute critique qu’on a pu lui adresser en ce qui concerne sa méthode et les présupposés ethnologiques et culturels qui ont orienté sa pensée, il faut reconnaître que son œuvre représente un effort exceptionnel pour ramener les systèmes de pensée africains à la conscience claire de la philosophie discursive. L’essai de Kagame représente à cet égard plus que l’ébauche d’une philosophie africaine authentique, mais bien le point de départ d’une philosophie conduite dans un vocabulaire africain, inscrite par conséquent dans l’univers du discours africain à proprement parler. C’est en ceci que réside pour moi l’originalité de Kagamé, son intuition du potentiel philosophique de langues africaines [5]. L’importance de son travail est d’ailleurs indiquée par les prolongements qu’il a connus dans les écrits d’autres philosophes africains dans la mouvance de l’ethnophilosophie, tels Vincent Mulago, Emile Bahoken, et Alassane Ndaw. Les noms que j’ai évoqués représentent les figures marquantes de ce qu’on peut appeler l’école philosophique de la Négritude, qui fait pendant en quelque sorte à l’école littéraire. Une remarque s’impose ici au sujet de leurs travaux. A travers les œuvres de ces intellectuels noirs, gagnés sans retour possible aux modes de pensées occidentaux, on voit s’achever le processus de l’acculturation, l’implantation définitive dans l’aire culturel africain des références logiques du monde occidental. La référence africaine de la Négritude semble donner à la littérature produite sous l’impulsion du mouvement, surtout à la poésie, un air d’authenticité qui permet de penser qu’il subsiste une africanité originelle dans la sensibilité du noir occidentalisé. Mais il ne faut perdre de vue que cette authenticité est le résultat d’une volonté consciente, l’aboutissement d’un effort de récupération culturelle. De sorte qu’on peut conclure que la Négritude est dans le fond l’africanité du noir assimilé.

 

Ce qui vaut pour l’expression littéraire l’est davantage pour l’idéologie, qui repose sur les opérations intellectuelles. Nous avons vu que les formulations conceptuelles de la Négritude en tant que système de pensée sont largement tributaires de l’ordre du discours occidental. Dans le cas de Senghor, qui prône sinon un retour a la “logique participante” du moins la reconnaissance d’autres formes de pensée que celle de la raison discursive, on peut faire l’observation que sa Négritude n’est nullement spontanée, mais qu’au contraire elle présente un caractère hautement réfléchie. De même que Sartre a remarqué (dans ses Réflexions sur la question juive) que Bergson fait de l’intuition une méthode par une démarche tout à fait rationnelle, de même il serait juste de voir dans la Négritude de Senghor un spiritualisme démontré par l’argumentation, ou si l’on veut, un anti-intellectualisme médiatisé par l’intellect. Nous pouvons donc conclure que la Négritude atteste l’émergence d’une nouvelle conscience africaine, l’instauration d’un univers mental qui, détaché des anciens cadres de connaissances et de représentations collectives, s’oriente vers des cadres rationnels dans sa façon d’envisager le monde.

 

Si la Négritude et son courant tributaire dans l’ethnophilosophie cherchent à définir l’identité africaine en termes d’une ontologie et d’une métaphysique, un autre courant du nationalisme culturel en Afrique francophone conçoit cette identité comme l’aboutissement d’une longue durée collective qui remonte à la civilisation de l’Egypte ancienne. On l’aura deviné : il s’agit de l’école historique associée au nom de Cheikh Anta Diop. On s‘est trop attaché à l’aspect polémique, voire passionnel, de l’œuvre de Diop, mais on oublie que le problème fondamental qu’il a soulevé, celui du rapport entre Race et Histoire, ne provient nullement de je ne sais quel esprit de contestation chez lui, mais bien des sources européennes. Comme on l’a vu, ce problème est au coeur de la philosophie de Hegel, qui a voulu exclure l’Afrique de l’histoire universelle. L’Abbé Grégoire, dont l’essai intitulé De la littérature des Nègres est l’une des sources d’inspiration de Diop, avait bien à l’esprit les déformations de l’histoire africaine par des auteurs européens quand il a entrepris de démontrer le génie africain en restituant l’Egypte ancienne au continent noir. Ce faisant, il a tracé une voie que Diop a élargie pour projeter une nouvelle vision de la personnalité historique africaine. C’est cette circonstance que Jean Godefroy Bidima (1995, pp.78 et seq) a voulu ignorer lorsque, dans son livre La Philosophie négro-africaine (dans la collection “Que sais-je ?), il reproche à Diop et aux historiens africains ce qu’il considère comme une préoccupation quasi obsessionnelle à l‘égard de Hegel. Ce que Bidima a perdu de vue, c’est qu’il y avait un défi à relever, et dans le cas de Diop, celui lancé non seulement par Hegel, mais aussi par Champollion sur le terrain technique de l’égyptologie. Que dans le contexte de son élaboration, l’œuvre de Diop ne pouvait que prendre un caractère polémique.

 

Mais ce qu’il y de plus significatif, s’agissant de Cheikh Anta Diop (et je parle ici en tant qu’africain, c’est que son œuvre a connu une riche moisson. On doit mettre de coté la réception factice qu’elle a rencontrée aux Etat-Unis, à travers le livre de Martin Bernal, Black Athena, pour souligner sa valeur plus durable : l’impulsion qu’elle a donnée aux recherches historiques en Afrique francophone, et même son importance pour l’historiographie africaine tout court. Diop a servi de figure de proue à toute une génération d’historiens africains de langue française pour qui il a balisé le chemin : outre Théophile Obenga, son disciple le plus en vue, on doit compter parmi ses héritiers les regrettés Engelbert Mveng et Ibrahima Kaké, et les vivants comme Joseph Ki‑Zerbo, Djbril Tamsir Niane, Boubacar Barry, et tant d’autres qui ont renouvelé l’écriture historique en Afrique francophone. Au delà du projet de revalorisation de l’histoire africaine entreprise par ces grands chercheurs, leur œuvre comporte par la force des choses une réflexion sur les problèmes de l’historiographie africaine, problèmes que Ki-Zerbo a passé en revue dans son introduction au premier volume de l’Histoire Générale de l’Afrique Noire, publié sous l’égide de l’UNESCO.

 

Passer de Cheikh Anta Diop à Frantz Fanon, c’est suivre le trajet reliant le passé africain au présent, pour s’ouvrir vers les perspectives d’avenir. L’œuvre de Fanon occupe dans l’histoire intellectuelle africaine une position singulière. Partant d’une conscience de race dérivée de l’œuvre et de l’action d’Aimé Césaire, il en est venu à atteler cette conscience à un projet de renouveau africain issu d’une expérience concrète, celle de la révolution algérienne. Pour lui, c’est n’est pas tant l’appartenance raciale ni la question de l’identité qui doit préoccuper le noir colonisé, mais l’affrontement concret de l’histoire qui permet d’échapper à la dépendance coloniale et de reprendre l’initiative historique qui lui est déniée. Le regard clinique qu’il a porté sur l’expérience coloniale dans Peau noire masques blancs, sa reconstruction, dans le langage de la phénoménologie, du drame de conscience du sujet nègre et de la lutte pour la reconnaissance impliquée dans la dialectique maître/esclave, manifestée de manière littérale dans le rapport historique entre le blanc et le noir : tout ceci l’a amené à concevoir la révolution comme l’unique voie de salut pour le colonisé, quelle que soit la race ou la couleur.

 

Il est temps, à ce sujet, de dissiper un malentendu sur la conception de révolution que Fanon a voulu promouvoir par ses écrits. Car s’il a pu dérouter par l’éthique de la violence qu’il a prônée dans son dernier livre, Les damnés de la terre, il est indéniable que la pensée de Fanon tire son sens des données mêmes de l’histoire. Chez lui, la violence n’est pas fonction d’un acte gratuit ; elle est représentée plutôt comme thérapeutique aux ravages psychologiques de la domination ; mieux, rêvée, comme chez Césaire (dans Et les chiens se taisaient) en tant que moyen de se ressaisir et de se refaire dans sa qualité d’homme. Ainsi, le rôle restaurateur que Fanon attribue à la violence constitue celle-ci comme exigence morale dans le contexte colonial. C’est pourquoi, malgré l’importance que Fanon lui accorde dans sa pensée, la violence n’est pas célébrée chez lui comme un absolu, mais plutôt comme facteur dynamique dans la formation de la conscience nationale, comme son moteur, pour ainsi dire, au sens où Lénine parlait de la violence comme accoucheuse de l’histoire. Pour Fanon, l’idéal vers lequel tout l’effort musculaire du colonisé doit tendre lorsqu’il est engagé dans sa lutte de libération, c’est cette communauté d’individus libres qu’est la nation, source des valeurs humaines les plus essentielles, dans la conception idéaliste que Fanon en a retenu tout au long de sa carrière malheureusement trop brève. La violence apparaît donc chez lui comme le signe d’une ferveur affective procuré par un projet collectif ‑ au sens sartrien du mot ‑ de création de soi.

 

L’impact considérable de l’œuvre de Fanon explique, tout au moins en partie, certains développements dans l’espace idéologique antillais, où on assiste à l’évolution de la Négritude de Césaire vers la notion de “créolité” due à la troïka caribéen – Jean Bernabé, Raphaël Confiant et Patrick Chamoiseau (1989) – en passant pas “l’antillanité” d’Edouard Glissant. Autant Césaire a construit pour l’Antillais un mythe de fondement ayant pour référence une Afrique de son rêve, autant Fanon s’est attaché à démythifier notre perception du continent, afin de promouvoir une intelligence du monde plus conforme aux réalités postcoloniales en Afrique.

 

La portée de cette remarque peut être jugée à la lumière de l’impact de l’œuvre de Fanon sur la nouvelle génération d’intellectuels africains francophones qui ont commencé à se faire connaître dans les années après les indépendances. C’est le cas en particulier du Béninois, Stanislas Adotevi, dont la critique acerbe de la Négritude marque un tournant important dans l’évolution de la vie intellectuelle en Afrique noire francophone. La critique d’Adotevi ne fait que souligner le caractère de débat continu que la vie intellectuelle a revêtu en Afrique francophone dès le départ, fait qu’un léger recul dans le temps permet de vérifier, car déjà, dans les années cinquante, des intellectuels africains comme Albert Franklin et Gabriel d’Arboussier avaient commencé à exprimer des réserves sérieuses au sujet de la Négritude, inaugurant ainsi une controverse qui n’a pas fini d’agiter les esprits africains, aussi bien francophones qu’anglophones. Ce sont ces réserves qu’Adotevi a reprises et développées lorsqu’il s’en prend à ce qu’il tient pour les défauts majeurs de la Négritude, à savoir, son essentialisme, fondé sur un biologisme sommaire, et son ahistoricisme.

 

Mais ce sera sur le terrain de la philosophie en tant que discipline que la Négritude a été combattue le plus durement, notamment dans les écrits des philosophes professionnels tels que Eboussi Boulaga, Marcien Towa et surtout Paulin Hountondji, le nom de ce dernier étant spécialement associé à la critique de l’ethnophilosophie. Le procès de l’ethnophilosophie, entrepris par Hountondji dans son recueil intitulé Sur la “philosophie africaine,” procède d’une conception étroite de la discipline qui est la sienne, conception fondée sur l’exigence de rigueur méthodologique dans la pratique de la philosophie, qu’il assimile d’ailleurs, après son maître, Louis Althusser, à une forme de discours scientifique. Le ton péremptoire de certaines formulations de Hountondji traduit son intransigeance sur le minimum de lucidité qu’il estime nécessaire pour conduire un vrai débat sur le statut épistémologique de la philosophie africaine, entendue non pas simplement comme discipline universitaire, mais comme forme de savoir qui sous-tend une pratique culturelle, et surtout comme mode de réflexion sur les réalités de l’Afrique contemporaine. Mais il est à noter à ce sujet que depuis un certain temps, Hountondji a sensiblement assoupli sa position rigide sur la question de la philosophie africaine, de sorte que son œuvre a évolué vers un pragmatisme qui se concrétise dans son effort pour réactualiser les systèmes de savoir endogènes en Afrique, afin de promouvoir leur prise en charge par les savants africains, en même temps que les technologies qu’ils ont engendrées [6].

 

La dimension politique de l’œuvre de Hountondji ressort clairement de l’essai d’Achille Mbembe, “Notes provisoires sur la postcolonie” (1992), essai qui semble avoir servi d’ébauche à son dernier livre paru récemment sous le titre de The Postcolony. Véritable phénoménologie de la vie politique dans l’Afrique contemporaine, cet essai met en relief les carences du pouvoir, et les insuffisances de l’imagination politique et de vision sociale dans l’Afrique actuelle. L’œuvre de Mbembe démontre de façon exemplaire la fonction critique et introspective dont l’activité intellectuelle est chargée en Afrique francophone, en rapport immédiat avec les problèmes inhérents au processus de transition qui se déroule partout dans le continent. C’est sous la pression de ces problèmes, et autour des notions liées à l’hypothèse d’un socialisme humaniste d’un cru africain, que s’organisait dans les années après les indépendances toute une réflexion en Afrique francophone sur la pertinence du marxisme à la situation africaine (M.Diop, 1958 ; A. A. Dieng, 1979 ; B. Sine, 1983), réflexion qui ne me paraît pas avoir été concluante dans un sens ou dans l’autre, et qu’il serait intéressant de reprendre aujourd’hui, au lendemain de la disparition de l’Union soviétique et le coup sévère que cet événement a porté au marxisme en tant que système d’idées. Quoi qu’il en soit, il ne fait pas de doute que le discours africain francophone de ces dernières années est commandé presque exclusivement par des préoccupations politiques et sociales, à tel point que, comme c’est le cas avec Marcien Towa (1979), la philosophie s’est vue assignée la tâche d’orienter nos manières d’envisager même les questions d’ordre pratique, relevant de la condition existentielle que nous vivons tous à l’heure actuelle en Afrique. Il est intéressant de noter que l’œuvre de Valentin Mudimbe va à l’encontre de tout ce courant circonstanciel. Mudimbe tente pour sa part de situer l’activité philosophique en Afrique francophone sur un tout autre plan, en proposant une nouvelle épistémologie africaine. Le point de départ de son projet, c’est la critique de l’ethnologie occidentale, qui s’est constituée, selon lui, en « science des sauvages, » et renferme par conséquent un « langage en folie » (le titre d’un de ses livres). The Invention of Africa, son livre le plus connu, s’inspire en grande partie de la méthode de Foucault et peut être qualifié pour cette raison comme une tentative pour établir une archéologie du savoir africain. Ce livre représente un développement de ses idées sur « l’impérialisme épistémologique » de l’Occident qui, selon Mudimbe, fausse le rapport, sur le plan conceptuel, entre l’Afrique et le monde occidental, et sur le dilemme que cette situation pose pour l’élaboration d’un vrai discours africain. Parce que celui‑ci reste prisonnier du savoir occidental, il apparaît comme simple « discours de succession, » sans aucune autonomie sur le plan épistémologique. La solution pour Mudimbe, c’est de sortir du cadre conceptuel tracé par les critères de normativité imposés par la rationalité occidentale. Son projet consiste à instaurer un nouvel ordre de discours africain, ayant son propre registre d’énonciation. Pour cela, Mudimbe prône le recours à la méthode structuraliste, fondée sur la reconnaissance de la valeur cognitive de ce que Lévi-Strauss a nommé “le bricolage” dans les cultures humaines. Selon Mudimbe, cette méthode permet d’échapper aux contraintes d’une rationalité systématisée, tout en ouvrant la voie à la vérité du monde ; comme il le précise, “les catégories empiriques peuvent servir de clés qui donnent accès à un code tacite, conduisant ainsi à des universaux” (V. Y. Mudimbe,1998, p35). Mais l’interrogation critique du projet de Mudimbe par Masolo et Bidima a montré qu’il n’est pas certain que la gnose africaine qu’il nous propose puisse conduire à un discours africain authentique et original, vu sa subordination dès l’entrée de jeu au structuralisme de Lévi-Strauss. J’ajouterai pour ma part qu’elle n’offre pas non plus une réelle consistance intellectuelle, reposant, comme chez Kagame, sur un ordre de concepts clairement définis, accessibles par conséquent à ce que Descartes nomme “le sens commun.” Le moins qu’on puisse dire, c’est que le projet de Mudimbe paraît hautement ambigu. Mais son œuvre, dans l’ensemble, garde néanmoins un intérêt qui réside dans son exploration de la rencontre de l’esprit africain avec le système de monde occidental.

 

L’œuvre de Mudimbe marque un terme provisoire de l’aventure intellectuelle de l’Afrique noire francophone. Les thèmes et les prises de positions qui ont jalonné les différentes étapes de cette aventure définissent une trajectoire particulière de l’activité intellectuelle en Afrique, activité déployée autour de certaines préoccupations privilégiées, avec un style de discours distinctif. Il est à noter que cette trajectoire a suivi les traces du mouvement de la Négritude, du débat que ce mouvement a inauguré sur la nature essentielle de l’homme africain et la possibilité de construire en Afrique, à partir des concepts normatifs implicites dans les institutions et les pratiques culturelles des nos sociétés traditionnelles, une vision du monde qui reflète notre personnalité et qui réponde en même temps à notre situation et à nos besoins à l’époque contemporaine. Refus de l’héritage philosophique des Lumières, la Négritude comporte une remise en question de ce que Max Weber a nommé “la rationalité instrumentale” dans ses conséquences historiques. Sur ce point, le discours élaboré par les intellectuels africains francophones situe dans une perspective singulière, déterminée par les conditions africaines, le rapport entre les mutations sociales qui animent le processus historique, d’une part, et de l’autre, la constitution de tout système de pensée, le même type de rapport qu’Ernest Gellner a examiné dans le contexte européen dans son livre Thought and Change. (1964). Il est par ailleurs d’un grand intérêt de remarquer comment l’expérience coloniale avait amené les théoriciens de la Négritude à entreprendre une interrogation critique de la tradition philosophique occidentale, afin d’en démontrer les limites, anticipant en cela sur l’effort déployé de nos jours par le tenants du “postmodernisme” pour entourer toute cette tradition d’un épais atmosphère de soupçon.

 

Mais si l’unanimité est faite sur la nécessité de “régler ses comptes” avec l”Occident en faisant le procès de son discours philosophique (P. Diagne, 1981), le mouvement des idées en Afrique francophone traduit néanmoins une pluralité de discours assez marquée, gravitant autour d’une constellation d’idées qui réussit à articuler les réponses hautement diversifiées d’un groupe social déterminé à une problématique commune découlant d’une histoire spécifique. En particulier, la controverse autour de la Négritude et de l’ethnophilosophie offre tous les signes d’une crise de conscience. On est frappé à ce sujet par le parallèle entre le contexte historique et culturel du débat qui opposait, en Russie, les Slavophiles et les modernistes dans les années qui ont précédé la révolution d’Octobre (A. Walicki, 1975), et celui qui, de nos jours, agite les esprits en Afrique francophone.

 

En conclusion, on peut résumer le parcours suivi par le mouvement des idées en Afrique francophone en disant que le thème indigéniste et le discours identitaire qui lui ont servi de point de départ ont progressivement cédé le pas à d’autres sujets de réflexion visant à situer l’homme africain au coeur du devenir historique. On a par ce biais abouti à la recherche d’un nouvel humanisme enraciné dans le sol africain, tout en se réclamant d’une vocation universaliste.

 

Une dernière remarque s’impose donc ici : c’est que la thématique de toute l’écriture intellectuelle francophone en Afrique noire est passée d’un contre discours, d’une contre interpellation (Althusser), pour se définir en pensée prospective. Elle est cette profession de foi formulée par Alioune Diop dans son discours d’ouverture au 2ème congrès des écrivains et hommes de cultures noirs organisé à Rome par la Société Africaine de Culture (c’est- à- dire, Présence Africaine) :

 

« Incapable de nous assimiler a l’Anglais, au Belge, au Portugais, – de laisser éliminer au profit d’une vocation hypertrophiée de l’Occident, certaines dimensions originales de notre génie – nous nous efforcerons de forger à ce génie des ressources d’expression adaptées à sa vocation dans le XXe siècle ».

 

On ne saurait mieux dire que la Négritude est projet plutôt qu’aboutissement, “une conscience mouvante” comme l’a très bien vu notre regretté collègue, Thomas Melone. C’est dire que la Négritude garde aujourd’hui toute son actualité en tant qu’idéologie de reconstruction africaine. Cette observation me parait revêtir une signification toute particulière, dans la mesure où la Négritude apparaît des le départ comme pensée chargée non seulement de marquer une rupture d’avec la dépendance coloniale, mais de définir pour les peuples africains et toute la race noire d’une manière générale, une nouvelle dimension d’être historique. On peut donc affirmer que la Négritude définit le sens de tout le mouvement de la pensée africaine contemporaine, tendue comme elle est vers ce que Paulin Hountondji a appelé “l’utopie d’une autre société” (V. Y. Mudimbe, 1992, p.364).

 

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[1] Rédacteur de Research in African Literatures

 

[2] Le cas de Lévy-Bruhl est instructif à cet égard, car son œuvre a eu un retentissement inattendu au-delà des milieux scientifiques dans lesquels l’ethnologue français croyait confiner ses travaux, à tel point que le terme de « mentalité prélogique » est entré dans le lexique du Français moyen, malgré les scrupules que, au soir de sa vie, Lévy-Bruhl lui-même devait exprimer à ce sujet dans ses Carnets.

 

[3] Le retournement du discours colonial par les intellectuels noirs francophones rappelle en quelque sorte l’aventure intellectuelle du jeune Marx qui, selon Louis Althusser, devait commencer par emprunter le langage de l’idéologie dominante de son époque pour élaborer son propre système de pensée. Voir « Sur Le Jeune Marx » in ALTHUSSER, 1996, pp. 47-83, note 35 : Senghor : « The Revolution of 1889 and Leo Frobenius » in MOWOE et BJORNSON, 1986.

 

[4] J’ai essayé dans ma communication au colloque sur la Négritude tenu à Dakar en 1971 d’indiquer l’importance de Blyden dans l’histoire intellectuelle africaine. Voir aussi Robert July, 1968.

 

[5] C’est justement à l’instar de Kagame que, dans son ouvrage intitulé Cultural Universal and particulars, Kwasi WIREDU préconise en Afrique le développement de la philosophie en langues nationale. Voir aussi IMBO, 1998, What Should the languages of African Philosophy Be ? (Chapter Four, pp. 97-122). Pour les implications philosophiques du corpus divinatoire Ifa chez les Yoroubas, voir ABIODUN, 1987.

 

[6] « Démarginaliser », dans l’ouvrage collectif qu’on doit à ses soins, Les savoirs endogènes.