Notes

POLITIQUE, SOCIOLOGIE : MONDE NOIR ET DESTIN POLITIQUE JEAN-PIERRE NDIAYE- PRESENCE AFRICAINE NOUVELLES EDITIONS AFRICAINES 192 PAGES

Ethiopiques numéro 10

Revue socialiste

De culture négro-africaine

Avril 1977

 

L’ouvrage de Jean-Pierre Ndiaye se veut témoignage et essai. Il est aussi soliloque. Au bout de sa démarche, notre auteur fait deux découvertes : les choses telles qu’elles sont et lui-même.

Dans les années 70 l’histoire du Soudan « axé sur la vallée du Nil, cet immense pays, le plus grand du continent », a été marquée par l’élimination brutale des communistes et par une guerre civile opposant les « blancs » islamisés du nord aux « noirs » animistes ou chrétiens du sud et qui a coûté plus de 500.000 morts. Jean-Pierre Ndiaye est comme frappé de stupeur par le premier événement : « La leçon à tirer était dure. Quelques jours avaient suffi pour abattre la puissante forteresse politique du P.C. soudanais, à laquelle aucune organisation africaine d’opposition n’aurait pu se comparer ». La leçon est dure parce que Jean- Pierre Ndiaye découvre, au-delà de ses convictions idéologiques, que l’organisation « révolutionnaire » d’un parti communiste, armé de la doctrine marxiste léniniste, peut être, en Afrique, laminée en quelques jours. Le deuxième événement est douloureusement ressenti par Jean-Pierre Ndiaye. C’est un nègre qui est touché. Ce sont aussi des certitudes « scientifiques » qui sont remises en question. « La vie parle d’elle-même et je réalise là le gouffre de mon ignorance : la prétention délirante et bête du savoir politique moderne qui croit expliquer le monde. Quelle distance ! Je sens monter en moi un cri : ma première solidarité, la plus vraie, elle est là. Je vois, devant moi, ma famille noire dans ses fils les plus déshérités ». Et encore « très éloignées des foyers de civilisation arabe, elles (les populations noires du sud) demeurent même farouchement réfractaires à l’Islam et à sa langue en tant que culture expansionniste au service de la pénétration du dominateur. Cette méfiance viscérale du sud envers le nord reflétait également la peur ancestrale des traites négrières… C’est l’origine du contentieux socio-culturel entre le nord et le sud ». Cette lutte des Noirs du Soudan, Jean-Pierre Ndiaye va la découvrir, sous d’autres formes, aux Etats-Unis avec Malcolm X. Pourtant, après avoir interrogé ce dernier sur les « aspects politiques de son idéologie » notre auteur répond au : « Et toi, qui es-tu ? » du leader noir : « Je suis marxiste ». L’on est tenté de poser la question : « seulement ? » Car c’est Jean-Pierre Ndiaye qui écrit plus loin : « les peuples noirs ont beau lutter pour leur liberté, tant que leur mode d’expression, leur méthode, leur vision ne rentrent pas dans les grilles du marxisme occidental, la gauche internationale marxiste leur dénie toute valeur révolutionnaire ». Et de dénoncer l’européocentrisme des Européens situés à gauche, l’impérialisme politique et culturel, l’indifférence devant les 500.000 morts de la guerre civile du Soudan, véritable génocide.

Tout naturellement Jean-Pierre Ndiaye, qui découvre sa négritude, en vient à examiner « le monde noir dans l’histoire d’une trajectoire spécifique ». L’histoire est connue, qui montre ce que furent les souffrances, partout, des peuples noirs. Malgré tout, ils ont, toujours, plus ou moins bien, assumé leur spécificité culturelle. Malgré tout, ils ont gardé leur âme. Jean- Pierre Ndiaye sent cela si profondément qu’il commet une erreur de taille en écrivant : « le concept d’Afrique est une entité géographique et non culturelle ». L’africanité, mot inventé par Léopold Sédar Senghor, est d’abord une réalité culturelle, sous ses deux aspects de la négritude et de l’arabité. Et cela explique, peut-être, que l’Afrique soit le seul continent à avoir mis sur pied une organisation continentale comme l’OUA, quelles que soient les critiques qu’on peut lui faire. Chemin faisant, Jean-Pierre Ndiaye, par l’exemple des Papous, peuples noirs de la Nouvelle Guinée, rappelle que la question noire est toujours d’actualité.

Les Africains, malgré l’histoire n’ont donc pas perdu leur âme. Alors, que faire, pour vivre en étant au diapason du XXe siècle ? Instaurer un régime capitaliste ? Non, répond Jean Pierre Ndiaye ! Le marxisme ? Il y a à prendre et à laisser car « le marxisme, doctrine de libération, s’il est transposé, appliqué mécaniquement, redevient une forme d’obscurantisme, un catéchisme importé, qui se surajoute aux aliénations existantes, alimentant de confusion générale et rendant aveugles des consciences déjà fragiles. Et cette nouvelle forme de confusion fait d’autant plus de ravages qu’elle porte la double appellation de « scientifique » et de « révolutionnaire »

Jean-Pierre Ndiaye jette un regard de sociologue sur la société africaine d’aujourd’hui : sur les générations, sur l’expérience guinéenne tout en essayant d’expliquer les raisons de son échec, sur l’éveil des cadres, la naissance d’une bourgeoisie nationale, sur la consolidation de l’indépendance des pays africains, le cas du Sénégal occupant, naturellement, une place de choix. De même celui de l’Angola au combat, occasion pour notre auteur de percevoir la situation extrêmement dangereuse pour l’Afrique qui s’est créée là-bas : l’Afrique risque d’être un jouet entre les convoitises des grandes puissances. On peut regretter que Jean-Pierre Ndiaye n’ait pas davantage situé les responsabilités et montré combien l’infantilisme politique de certains « révolutionnaires » africains a conduit à la division du peuple angolais et à sa dépendance vis-à-vis des puissances étrangères.

Enfin dans « ses questions-réponses » Jean-Pierre Ndiaye fait une sorte d’introspection et explique pourquoi, après s’être opposé au régime de son pays, il s’est progressivement rapproché du président Senghor. Le cheminement peut paraître tortueux. Il présente, cependant, une certaine logique. La réflexion, les leçons de la vie, c’est-à-dire l’expérience acquise en vivant mieux les réalités du monde et de l’Afrique, la rencontre avec son moi culturel, condition nécessaire de toute désaliénation, tout cela explique le cheminement de Jean-Pierre Ndiaye. D’avoir accepté d’aller jusqu’au bout de soi-même lui a permis d’être réconcilié avec lui-même, avec son pays et d’être disponible pour la construction de la nouvelle Afrique. C’est cela que j’ai cru discerner à la lecture de « Monde noir et destin politique ».