POLITIQUE CULTURELLE, POLITIQUE DE DEVELOPPEMENT
Ethiopiques numéro 8
revue socialiste de culture négro-africaine
octobre 1976
POLITIQUE CULTURELLE, POLITIQUE DE DEVELOPPEMENT [1]
Le malaise que connaissent la plupart de nos sociétés aujourd’hui semble être l’effet d’un processus de dégradation culturelle, conséquence de l’option pour l’accumulation prioritaire du capital scientifique, technologique et économique. C’est parce qu’ailleurs, dans les pays développés et très industrialisés, il s’est opéré un détournement d’objectif, une perversion des finalités : l’homme s’est objectivé à outrance et a fini par ramener à cette objectivation sa raison d’être, transformant ainsi un mode d’être en finalité de l’existence. Ceci pour les pays développés et fortement industrialisés.
Pour ceux du tiers-monde, et plus précisément pour l’Afrique qui nous préoccupe ici, il faut reconnaître que l’option est aussi faite, dans l’ensemble pour l’accumulation prioritaire du capital scientifique, technologique et économique. La différence avec les pays développés réside évidemment dans l’importance du capital et la vitesse de l’accumulation. La différence, d’autre part, réside aussi dans le fait qu cette option a été imposée à l’Afrique au lendemain de sa décolonisation.
Or, l’histoire coloniale se présente à plusieurs points de vue comme un malaise dans la civilisation des peuples colonisés. Elle a été faite, outre les guerres annexionistes, d’un processus de forte dégradation culturelle. On peut compter les hommes perdus pendant une guerre, on ne saurait dire combien de génies ont été étouffés par l’imposition de canons esthétiques étrangers aux peuples colonisés.
Le malaise de ce vingtième siècle s’explique donc par ces différentes formes de dégradation culturelle refusées par la jeunesse contestataire des pays développés, dénoncées et rejetées par la jeunesse « progressiste » ou gauchisante, voire « révolutionnaire », des pays sous-développés et autrefois colonisés. Signe des temps, on peut aussi le considérer comme le malaise précurseur de l’accouchement violent de l’« homo culturalis ».
Depuis quelques années déjà, les incessants progrès de la science et de la technologie ont fait reculer l’ombre de l’ignorance, ont doté l’homme de moyens immenses et ont éveillé les consciences devenues plus immédiatement les « ordinateurs » des destinées humaines. L’homme est fort mais angoissé de cette force dont le contrôle semble lui échapper. Les besoins humains ne déterminent plus les impératifs économiques, technologiques et scientifiques. Ce sont les produits de la civilisation technicienne et industrielle qui commandent les besoins humains.
Plus spécialement l’Afrique, ce continent où il n’existerait rien sinon seulement des urgences économiques et une nécessité de civilisation. Cette civilisation seulement définie par l’avance technologique et le développement économique assurée par la consommation des produits d’importants. Habitués à consommer des produits tout préparés, fera remarquer Ivan Illich, les hommes ne paraissent plus capables de modifier le milieu ambiant qui devient ainsi un sous-produit de leurs propres habitudes de consommation. Ainsi, au nom même de leur développement, différents plans industrieux sont conçus pour eux, de l’extérieur, qui habituent les Africains à des recettes toutes faites, étouffant en eux toute spontanéité d’initiative, d’invention et de création.
Moins libre que jamais, l’Africain n’est plus que l’être du souci par son souci d’être, une conscience d’angoisse qui l’envahit, l’homme de la révolte et de la révolution.
De cette angoisse, il cherche forcément à se libérer. Cette recherche de sérénité implique d’abord une certaine conscience de soi et la prise en charge par l’homme-même de sa situation historique. Cette conscience de soi n’est pas la conscience de besoin auquel veut répondre l’économique ; elle est conscience de valeur qui n’est pleinement éprouvée et manifestée que dans cette satisfaction et cette fierté ressentie par l’homme dans ce par quoi il crée, agit sur la nature et intervient sa propre existence : LA CULTURE.
Si l’homme a droit à l’existence et si l’existence ne progresse que dans l’initiative et la création, le droit à la culture apparaît comme exigence première, droit fondamental. Il ne s’agit pas d’intégrer le culturel dans l’économique, mais surtout d’en reconnaître la présence sinon la primogéniture. Dès lors que l’existence appelle la culture, les responsables du développement socio-économique devront d’abord se soucier de répondre du développement culturel, du développement tout court, dans lequel « l’homme est l’agent et la fin ». C’est-à-dire, en d’autres termes plus politiques, que l’indépendance économique et politique ne saurait être sans la personnalité culturelle en quoi l’on reconnaît une identité nationale.
Une politique culturelle devient par conséquent nécessaire, qui sous-tendra toute politique africaine de développement pour donner à celle-ci sa personnalité et son cachet d’authenticité. Car, sans une politique culturelle adéquate, le développement politique et économique d’un pays restera superficiel, sans signification et sans finalité humaine. Et cette « politique culturelle adéquate » doit être un instrument dynamique de transformation sociale et de progrès au service du développement intégré des individus et des communautés. Comment la concevoir ou quelles en peuvent être les finalités ? D’autre part, quels moyens les pouvoirs publics peuvent-ils mettre en œuvre pour réaliser une telle action culturelle ?
L’Afrique est le seul continent à la totalité duquel les spécialistes appliquent la dénomination de « sous-développé ». Mais elle est d’abord un ensemble de colonies et, de ce fait, source du développement des métropoles pour lesquelles aussi, elle demeure un marché ouvert à toute production idéologique, politique, économique, technologique et culturelle, etc. En conséquence, l’évolution des communautés africaines est surtout une occidentalisation progressive et le sens du « développement » en Afrique se révèle manifestement dans son extraversion globale.
On peut retenir trois grandes formes de cette extraversion :
L’extraversion politique et idéologique : Lorsque les élites africaines tentent d’élaborer- une politique sous-tendue par une idéologie précise, elles s’en réfèrent bien vite aux idéologies étrangères qu’elles enrichissent bien moins qu’elles n’en font un catéchisme politique. Ici comme ailleurs, l’extraversion se manifeste dans le souci constant de se faire confirmer par les idéologies étrangères, maîtres à penser et seules vraies références. Lorsque la pensée se réfère à autre chose qu’à elle-même et à ce qui la produit, elle devient un simple mécanisme de l’aliénation la plus subtile et la plus grave, celle de l’esprit.
L’extraversion économique dans un double sens : le sens de la production et celui de la consommation. D’une part, ce sont bien les colonies ou pays sous-développés qui produisent le développement des autres car, comme l’a montré Pierre Jalée, « les nations prolétaires ne sont pas telles du fait d’une malédiction originelle ; elles ne manquent pas de richesses et notamment de matières pour les industries de base. Elles ne sont prolétaires que parce que ces richesses ont été et continuent d’être pillées par l’impérialisme pour les besoins de sa propre industrialisation, au détriment de l’industrie des pays loin desquels s’envolent ces richesses à l’état brut ». On se rappellera le marché de traite par exemple.
D’autre part, la subsistance même des pays africains semble maintenant dépendre de plus en plus des métropoles. Cette dépendance est créée et maintenue au moyen des techniques de publicité et, d’une manière générale et plus massive, par l’intensive utilisation des mass-media. Si l’on pouvait dresser un catalogue des besoins artificiels introduits en Afrique, on se rendrait compte qu’il présente l’état d’aliénation de la conscience. Lorsqu’on a soif, on pense au coca-cola frais et plus à l’eau, et lorsqu’on songe à l’eau, on la désire « glacée », les qualités de l’eau fraîche de la jarre ne sont plus perçues par la conscience. C’est pourquoi Ivan Illich a eu raison de définir le sous-développement comme état de conscience, « terme extrême de ce que nous pouvons appeler , (…) la réification ». « J’entends par là, dit-il, le durcissement de la perception dans la demande massive de produits manufacturés. J’entends par là, le transfert qui s’est opéré de la soif en besoin de coca-cola. Cette sorte de réification résulte des manipulations dont sont l’objet les besoins humains élémentaires, dans les immenses organisations bureaucratiques, qui ont su dominer l’imagination des consommateurs en puissance ». Ajoutons que, lorsque l’imagination est ainsi dominée et aliénée, toute possibilité d’initiative et de création originale est étouffée et toute culture authentique impossible.
L’extraversion culturelle est une conséquence des deux précédentes et elle se manifeste par la négation ou la sous-estimation des valeurs culturelles propres. Ainsi s’expliquent la tendance à « faire comme le blanc », la fierté qu’on éprouve à se promener dans les villages en compagnie d’un ami européen, ce qui est un honneur aux yeux de ses frères de race et paraît signifier le degré atteint dans l’ascension sociale. On retiendra aussi différents éléments qui favorisent cette extraversion et détruisent l’environnement nécessaire à l’émergence et au développement d’une culture africaine authentique. Ce sont : la création d’un nouveau style d’habitat, l’aménagement des espaces de vie, la destruction des sites naturels et des bois ; l’impuissance relative des moyens de production artistique, l’exode rural, l’élévation du coût de la vie et la transformation des structures et des modes de l’échange, et du travail, etc…
Autant de facteurs qui dénaturent l’environnement et font perdre à celui-ci sa fonction de champ de signification sociale, religieuse et économique de la culture africaine. En dehors de ce cadre de signification, la culture africaine et les valeurs qu’elle manifeste s’imposent difficilement ou pas du tout à la conscience africaine en milieu moderne. D’autre part, à défaut des nouveaux besoins dont les hommes de culture – de l’élite comme du peuple – ont besoin pour une période de transition socio-culturelle, les communautés africaines perdront leur identité culturelle et aussi l’espoir de se régénérer.
L’exigence de dignité
Ces trois formes d’extraversion sont liées et il ne serait pas faux de penser que l’extraversion culturelle est fondamentale aux deux premières dans la mesure où il s’agit moins des besoins de l’homme africain que de celui-ci en tant qu’agent créateur, intervenant sur son environnement pour lui donner sens et y actualiser des valeurs. Dans la mesure où la culture est ce qui prouve à ses propres yeux la valeur d’un homme, elle est aussi ce qui répond à son besoin le plus haut : la dignité. La perception de cette dignité au niveau étendu de la communauté nationale fait découvrir la dignité nationale comme exigence fondamentale et nécessaire à toute action commune pour le développement.
Tout ce qui précède rend déjà nécessaire une politique du développement qui recherchera essentiellement le développement intégré de l’individu et de la collectivité. Par conséquent, il s’agira d’une politique culturelle d’abord. Mais, au moment d’élaborer une telle politique culturelle, il est important de comprendre qu’elle dépendra moins d’une théorie a priori ou d’une option philosophique, que des besoins, des attitudes et des comportements individuels et collectifs propres à chaque société.
La politique culturelle dans les pays africains doit prioritairement rechercher l’enracinement du peuple africain, surtout de l’élite, dans les valeurs de civilisation authentiquement africaines. Il s’agit d’abord d’effectuer un retour à soi pour y retrouver la source de cette fierté nécessaire à toute initiative de création authentique et originale, pour y puiser la confiance nécessaire à l’œuvre d’innovation qui s’impose dans le développement qui attend, pour se faire, l’acte d’auto-engendrement ou de renaissance de l’homo culturalis africain.
Ceci rend nécessaire une politique de libération culturelle qui sera la libération de tous les complexes qui entretiennent encore les différentes formes d’extraversion inhibitrice. Puisque l’indépendance politique l’a déjà précédée dans la plupart des Etats, il convient de rendre l’indépendance culturelle contemporaine des luttes menées pour l’indépendance économique.
Cette indépendance culturelle ne doit pas conduire à un isolationnisme culturel. Elle suppose, en plus, des options claires et des choix sociaux déterminés. L’enracinement et le retour à soi ne doivent pas faire de la culture africaine un musée d’antiques ou un conservatoire d’attitudes et de proverbes, ni l’adoption sans contrôle d’une modernité qui rendrait étranger à chaque peuple son passé. Car, la politique culturelle nationale doit, en se sauvegardant, s’ouvrir à la culture universelle, adopter des moyens rationnels du développement qui doivent être harmonieusement greffés, sous peine de rejet, sur les structures d’accueil des attitudes innées, conditionnées par une longue et inconsciente sédimentation.
Quant aux options et choix sociaux, il est évident qui si un Etat a choisi, par exemple, de suivre seulement l’ancien colonisateur sans arracher à l’ancien appareil son indépendance culturelle, il se bornera volontiers à former de larges équipes de contremaîtres, gestionnaires de second ordre de la production, tout en copiant sur les institutions reçues des simulacres d’universités et en assignant à la culture des masses rurales un rôle essentiellement folklorique. Dans le même sens, on peut exalter les anciennes structures (chefferie, castes, confréries, etc…) de la société traditionnelle, les utiliser autant que les superstitions qui pourraient les entretenir, pour organiser le culte de la personnalité et les divers obscurantismes traditionnellement occultes.
Mais, pour une politique culturelle d’indépendance effective, l’Université – pour ne prendre que l’exemple d’une structure – modifiera ses programmes en fonction des réalités proprement africaines. Tandis que les sciences et les techniques acquises, les institutions nouvelles suggérées par le développement, s’inspireront, dans la forme et la pratique, de tout ce qui était positif dans la sagesse ancienne. Car il est évident que la dynamique européenne de promotion individuelle qui a engendré l’option pour l’accumulation prioritaire du capital dans ses diverses formes est en contraste avec les dynamiques sociales africaines qui visaient l’épanouissement de la personnalité collective – au lieu de la propriété individuelle – et la fin collective des tâches.
L’exemple de l’Université a été pris, entre autres, pour représenter les structures scolaires, l’école en général, qui doivent devenir des structures souples d’éducation permanente et qui, de toute manière, constituent les premiers creusets de la culture dont elles assurent la sauvegarde et la transmission. Au moment d’élaborer une politique culturelle, il faut penser à redéfinir l’école, à lui fixer une voie africaine, alors que la masse des choses à apprendre semble défier les possibilités d’entrepôt de la mémoire. Mais c’est aussi l’occasion d’échapper à l’envoûtement par les techniques modernes d’éducation pour valoriser tout le positif des concepts et des techniques africaines, pour faire le tri des disciplines et techniques occidentales susceptibles d’être harmonieusement greffées sur de telles infrastructures.
Car, pour prendre un exemple, apparemment fatigué des systèmes purement mnémoniques, l’Occident a fait sa grande découverte des moyens audio-visuels. Mais il y a d’autres moyens découverts depuis longtemps par l’Afrique (la répétition rythmique, la récitation animée compétitive, le chant, la pédagogie utilisée dans certains couvents pour la maîtrise, en quelques semaines, d’une langue étrangère, etc.), ce qui a fait aux familles de conteurs leurs fantastiques mémoires pour les noms et les détails, et a préparé les enfants, sans écrit, à retenir les longues généalogies de leurs familles, sans parler de milliers de recettes d’herboristes-guérisseurs, et des techniques courantes de jeu et de métiers utiles.
Un bilan des années d’indépendance politique africaine est assez malaisé ou peu clair sur plusieurs plans. Cependant, il faut scruter les apparences et voir au-delà que les Africains n’ont assimilé, des grandes valeurs de l’Occident : ni le christianisme qu’ils ont alourdi de pratiques synchrétiques, ni le droit qu’ils transgressent au nom du bon plaisir, et dont la loi n’est seulement appliquée qu’aux faibles de la base sociale lorsqu’elle n’est pas dénuée de tout fondement et de tout sens pour la nature des rapports sociaux en milieu africain, ni les procédés démocratiques qui s’appliquent en société d’égaux alors que les nouvelles bourgeoisies africaines ne se reconnaissent pas d’égaux parmi les illettrés, les analphabètes, les « hommes de la brousse ». Même le capitalisme africain n’est pas une entreprise vigoureuse de croissance industrielle et commerciale, mais l’accumulation anarchique au droit du plus fort, du plus rusé et du mieux posté.
De sorte que, au-delà des apparences trompeuses et mystifiantes, seules des politiques culturelles révisées dans leurs moyens, concertées quant à leur fins, permettront aux pays africains de sortir du cercle contraignant du sous-développement qui, en définitive, leur est moins imposé par « l’impérialisme » que par leur manque de volonté et de détermination, par leur acharnement anti-africain à ne pas partager, à renoncer à la solidarité, au bien collectif, au profit d’une politique de classe.
Car, il est de l’essence même des cultures africaines d’être populaires et démocratiques. Par conséquent, l’instauration d’une politique culturelle authentiquement africaine verra l’avènement d’une société démocratique et d’un développement intégré.
Une telle révision des fins implique, pour la mise en œuvre d’une politique culturelle, des moyens adéquats dont la plupart devront être tirés des ressources disponibles de chaque Etat. Il s’agira, soit de ressources humaines, soit de ressources financières, soit encore des disponibilités en structures organisationnelles.
L’homme, agent de la culture
En effet, on est maintenant convaincu que l’homme est l’agent, par excellence, de la culture. Il s’agit ici de l’homme en tant que « poète », créateur parce que capable de sentir et d’exprimer, capable d’une forme d’objectivation, « poétique », au sens étymologique de ce mot. D’où il faut, dans la conception et surtout dans la mise en œuvre d’une politique culturelle, permettre l’expression libre de cette « poésie » qui devient, par ce fait, la condition « sine qua non » de la production et du développement culturels.
D’autre part, cette sensibilité créatrice a besoin, pour s’exprimer, non seulement de ne pas être étouffée par l’invasion massive et encombrante aujourd’hui satellisée des media, mais encore d’être fréquemment stimulée. Ceci veut dire qu’il est nécessaire de considérer cette stimulation comme moyen de développement culturel et de prendre toutes les dispositions législatives et sociales devant permettre aux agents de la culture une réalisation optimale de leurs virtualités culturelles.
Cela veut dire qu’il est nécessaire que les gouvernements prennent conscience que la récente reconnaissance du droit de leurs peuples à la culture implique pour ceux-là, – en tant que responsables de l’organisation de la vie communautaire en vue du mieux-être de ceux-ci – le devoir de protéger leur vie culturelle, en élaborant une législation culturelle judicieuse devant servir tout au plus de « garde fou » sans devoir jamais apparaître comme un cadre contraignant et limitatif.
Dans ce sens, l’Etat devra inventorier tous les biens culturels (sites et monuments, œuvres d’art, etc…) et voter des lois de protection de ces derniers. De même les « hommes de culture » – entendons : tous les créateurs et producteurs d’œuvres culturelles, mais aussi tous ceux qui aident, par des initiatives personnelles ou des encouragements de quelque sorte, le développement culturel national devront être protégés et encouragés par une législation particulière.
Dans les pays aussi sous-développés que ceux de l’Afrique, on est encore assez peu disposé à considérer avec tout le sérieux et la faveur qu’elle mérite l’idée de la prise en charge des « meilleurs » producteurs d’œuvres culturelles, les artistes confirmés notamment. Le choix des « meilleurs » et surtout leur prise en charge par l’Etat comportent d’ailleurs de nombreux problèmes qui se répartissent sur différents plans : esthétique, politique, social, économique, etc. Mais en attendant cet idéal, les Etats devraient pouvoir garantir à leurs « hommes culturels » un maximum de liberté d’expression, condition nécessaire à la pleine manifestation du génie créateur. Condition nécessaire aussi pour une démocratisation effective et efficiente de la culture car, sans la massive participation du peuple (participation par création ou participation par compréhension et communion), il ne saurait y avoir de culture authentique. Et la participation du peuple ne se réalise qu’à la condition des libertés démocratiques élémentaires.
Par ailleurs, les dispositions législatives devront, dans leurs formes administratives, avoir pour finalité d’encourager les « hommes de culture ». En attendant l’idéal préconisé plus haut, il s’impose d’instituer pour eux des gratifications spéciales.
Ici, les Etats africains pourraient s’inspirer d’un exemple asiatique, celui du Japon.
On notera, en effet, des dispositions législatives tendant à encourager l’action et les initiatives culturelles. Ainsi, la loi sur l’Ordre du mérite culturel une « décoration qui peut être décernée aux personnes qui contribuent de façon éminente au développement culturel du pays ». Elle « est accordée à ceux qui, par leur action créatrice, ont rendu des services éminents dans le domaine des sciences sociales, des sciences exactes et naturelles ou de la culture et ont ainsi contribué à promouvoir la culture ». Alors que l’ordre du mérite est décerné à ceux qui ont fait œuvre créatrice ou originale, des prix pour services culturels sont attribués « à ceux qui ont contribué au développement culturel dans leurs spécialités ou qui ont déployé une grande activité formatrice » (on se reportera utilement à « la politique culturelle au Japon » par Nobuya Shikaumi, dans la collection « Politiques culturelles – études et documents » de l’Unesco).
Il est certain que les résultats de telles dispositions législatives influeront avec bonheur sur la créativité culturelle dans une Afrique où déjà la seule participation à une foire, à une exposition, à un festival culturel national ou mondial, est une source de stimulation qui féconde le génie créateur et l’oblige dans la voie de l’originalité. On ne saurait encore évaluer, à sa dernière mesure, le développement quantitatif mais surtout qualitatif de la créativité culturelle africaine de 1966 à 1976, c’est-à-dire pratiquement entre deux festivals mondiaux des Arts Nègres et son incidence sur le développement culturel, touristique et, partant, économique.
Nécessité d’une législation culturelle
Ainsi s’affirme l’impérieuse nécessité d’une législation culturelle qui serait un ensemble de dispositions législatives et administratives par lesquelles l’Etat, assumant ses responsabilités, organiserait la participation de tous ses sujets à la vie culturelle. Il s’agit donc d’une intervention de l’Etat qui, « nolens volens », réglementera dans une certaine mesure le partage par tous du « droit à la culture ». L’aspect « réglementaire » – et par conséquent restreignant – de l’intervention appelle quelques réflexions.
Les experts qui se sont réunis autour de la question à Dakar, en octobre 1969, sur l’invitation de l’Unesco, avaient noté trois attitudes possibles de l’Etat :
« Une attitude de laisser-faire laissant le champ libre à l’initiative privée ». Mais alors la culture ne sera pas démocratique parce que seuls ceux qui en auront la possibilité pourront y participer et ils ne constituent pas la majorité ni le vaste public.
« L’action directe et systématique de l’Etat ». Dans ce cas, la culture deviendra « la chose de l’Etat », un instrument de la politique avec les contraintes et les inhibitions que cela pourra comporter pour la libre initiative du créateur, de l’artiste. Il faut éviter tout dirigisme qui, en matière de culture, conduira sûrement au sous développement culturel, conséquence de la frustration de l’artiste.
« Une attitude intermédiaire : l’Etat se donne pour mission de conserver le patrimoine culturel et d’encourager la création artistique sans aucun dirigisme ».
La forme d’intervention de l’Etat à laquelle il faudrait souscrire semble bien être celle qui commande cette troisième attitude possible de l’Etat. Toutefois, et en toute logique de système, elle ne saurait être faite par l’Etat si celui-ci demeure un appareil au service des intérêts d’une classe sociale minoritaire, par surcroît manipulée de l’étranger, et qui n’accepterait d’encourager que des initiatives économiquement rentables, qui ne la remettent pas en cause. D’autre part, la conservation du patrimoine culturel ne devra pas signifier « protectionnisme culturel » ou refus d’ouverture aux apports étrangers et aux renforts technologiques modernes.
Ainsi la législation culturelle sera un moyen efficient du développement culturel. Elle ne restreindra nullement la participation du peuple à la culture mais, au contraire, permettra une totale expression des virtualités culturelles. Une telle législation ne saurait exister sans des institutions pour son exécution.
D’une manière générale, on peut se féliciter de l’effort important auquel consentent les gouvernements africains pour institutionnaliser la politique culturelle de leurs pays respectifs. On notera dans ce sens la création de Ministères, Secrétariats d’Etat, Hauts Commissariats et Directions Générales pour les Affaires Culturelles. L’institution de hautes instances politiques et de structures opérationnelles spécialement conçues pour le développement culturel est devenue, il en était temps, une nécessité. Cependant, outre que ces dispositions ne sont pas encore prises partout où elles sont pourtant admises, il reste que, dans la plupart des cas, on remarque une association des affaires culturelles à d’autres formes de préoccupations aussi différentes que complexes. Ainsi, il est courant de voir le même Ministère chargé, à la fois, de l’Education, de la Jeunesse, des Sports, de la Culture, etc.
Il est évident que ceci s’explique surtout par la situation économique des Etats et non, fondamentalement par des considérations commandées par une philosophie politique. Mais l’inconvénient est que, très impérativement sollicités par les problèmes immédiats que pose l’adolescence d’une élite africaine en pleine maturation les « Ministres de l’Education, de la Culture, de la Jeunesse et des Sports » en viennent malgré eux, et souvent inconsciemment, à perdre de vue le plan culturel de leurs responsabilités. C’est le développement culturel qui s’en trouve retardé. Or précisément, pour reprendre des termes de René Maheu à la Conférence de Venise, si « les droits sociaux, dont fait partie le nouveau droit à la culture …d’apparition récente, n’ont pas encore atteint le même degré de rigueur (que les droits politiques) dans leur définition théorique ni dans leurs applications pratiques », il est urgent et nécessaire de leur accorder, à l’heure de « l’homo culturalis » africain, le maximum de sollicitude et davantage d’intérêt.
Certains Etats ont perçu les problèmes et ont tenté des solutions à la mesure de leurs moyens et qui obéissent à une plus efficiente répartition des charges par la décentralisation de leur ministère concerné. Cette formule qui est provisoire en attendant la création de cette instance politique et administrative immédiatement et exclusivement responsable des affaires culturelles que serait un Ministère de la Culture – de la décentralisation sera appliquée aussi avec bonheur dans la conception des différentesstructures de l’action culturelle.
Parce que d’abord, la décentralisation ici aussi est la voie de la démocratisation de l’action culturelle qui sera moins une affaire de spécialistes qu’une participation de tous au fonctionnement de la structure culturelle dont l’opérationnalité sera fonction de son adéquation aux aspirations du peuple, et dont la validité sera jugée en référence au résultat, à savoir : l’expression culturelle produite.
Parce que la décentralisation impliquera et révélera la nécessité, pour l’ensemble de l’instance politique, de s’appuyer sur des centres de documentation, de recherche sur la vie culturelle, les moyens disponibles pour l’action culturelle, des centres culturels pour l’animation culturelle elle-même, les centres de conservation des objets d’art ou musées, etc… Autant de niveaux auxquels s’expliciteront et se rectifieront, selon la dynamique sociale et les mutations qu’elle entraîne, la politique culturelle devant déterminer le développement.
Eviter l’institutionnalisation
Toutefois, la création de telles institutions comportera de graves dangers si elle devait conduire à une institutionnalisation de la culture. Et ceci arrivera si ces institutions, dans les principes qui les animent autant que dans leur fonctionnement, deviennent des fins au lieu d’être seulement les supports d’une action culturelle qui doit les dépasser. Dans cette mesure, elles atrophieront la vie culturelle. Parce que, en tant que structures, ces institutions fonctionnent toujours selon un « mécanisme », voire un automatisme, qui leur confère de la rigidité. Ce qui les imposera à l’action culturelle plutôt que de les rendre disponibles. Ainsi, au lieu d’être des instruments permettant seulement de « prendre la tension » de la vie culturelle, ces institutions exerceront une certaine pression sur celle-ci. Parce que enfin, « les institutions ne peuvent pas ne pas être rigides, ne pas présenter la culture faite plutôt que la culture en train de se faire, ne pas se soucier plus de l’œuvre que de son public. Or, les œuvres doivent être considérées comme des moyens – moyens de féconder le processus d’apprentissage – plutôt qu’en tant que fin en soi » (Augustin Girard « Développement culturel – expériences et politiques » UNESCO, Paris, 1972).
Pour cela, il s’avère nécessaire de mettre au service de l’action culturelle un autre moyen important : la formation d’agents spécialisés, et ceci, pour plusieurs raisons dont celles-ci :
L’utilisation des mass-média : la radio, la télévision, le cinéma, le livre, etc. La technologie moderne a mis d’énormes moyens de communication de masse au service de l’homme, mais non sans effet sur celui-ci, sur ses œuvres et sur son environnement. Pour l’action culturelle, il s’impose aux pays africains à la recherche de leur personnalité culturelle, d’opérer un choix extrêmement judicieux des moyens de communication culturelle et de soumettre le contenu qu’ils véhiculent à une censure rigoureuse. Ceci suppose une préparation toute spéciale aujourd’hui, étant donné l’extrême complexité de ces techniques et de leurs influences.
La gestion des institutions culturelles : sans doute les mass-média permettent la diffusion culturelle et la communication entre les hommes. Encore faut-il rendre une telle communication possible ! C’est dans ce sens que la Conférence des Ministres Africains de la Culture, à Libreville (Avril 1974), a estimé qu’il était « essentiel de former des enquêteurs spécialisés et des statisticiens capables d’évaluer les besoins du public en matière cultrelle et de déterminer de façon précise, l’importance du public réellement touché par l’action culturelle, de même que la portion de la population restée en dehors des effets de cette action culturelle. La possession de ces données devra permettre de corriger ou de réorienter l’action culturelle en milieu populaire » (cf. Rapport Général). Et la même conférence a souhaité « la formation d’agents spécialisés dans la gestion des institutions culturelles et d’animateurs compétents ».
Depuis plus d’une dizaine d’années maintenant, les pays qui ont élaboré une politique culturelle systématique ont créé des cadres d’animation culturelle qu’entretient une nouvelle catégorie d’agents que sont les animateurs culturels. On semble reprocher à cette terminologie de ne rien exprimer. Ce reproche, en fait, n’est que le succédané d’une attitude de démission devant les nouveaux impératifs en réponse auxquels l’Etat doit créer de nouveaux cadres jusque-là inexistants. Et cette démission s’explique par une certaine crainte de grever davantage un budget national déjà déséquilibré et par la non-rentabilité immédiate de l’action culturelle, ce qui en limite la crédibilité. Or, l’option pour le développement culturel signifie la détermination à répondre aux besoins culturels de la société. Ces besoins culturels étant de nouveaux besoins, comme « le nouveau droit à la culture », il est donc nécessaire aussi que soient créés de nouveaux postes ou structures animées par des hommes nouveaux devant les satisfaire.
Ce problème de l’incidence budgétaire de l’action culturelle doit être abordé sans feinte et doit nécessairement trouver une solution qui tienne compte de l’option prise et lui soit conséquente. Car, il faut reconnaître que très peu d’Etats africains prévoient une dotation budgétaire particulière et importante pour l’action culturelle. Ceci pour la raison évoquée plus haut, mais aussi parce qu’il n’est pas souvent fait à l’action culturelle le sort qui devrait être le sien. La dispersion des responsabilités culturelles au niveau de plusieurs instances politiques – Ministère de la culture, Ministère de l’information et (Ministère) du tourisme, etc. – explique en partie ce fait parce qu’elle entraîne un tel éparpillement des crédits alloués à la culture qu’en réalité, ceux-ci deviennent inopérants dans les différents domaines auxquels ils sont affectés.
On doit pourtant se préoccuper de trouver les moyens de constituer le budget de l’action culturelle, de lui donner la proportion suffisante pour le rendre opérationnel. Dans ce sens on peut combiner les moyens suivants :
Le financement de l’action culturelle par l’Etat. L’Etat doit reconnaître comme son devoir de rendre l’action culturelle possible en lui affectant les moyens financiers nécessaires, dans la mesure de ses possibilités, mais surtout dans une proportion dictée par un ordre dans lequel le droit de tous à la culture ou à la vie culturelle en général paraît fondamental et final. La personnalité d’un peuple s’affirme surtout dans l’originalité de sa culture. A l’Etat qui se préoccupe, au nom de la dignité nationale que fonde cette culture, de sauvegarder et d’épanouir cette personnalité, il incombe par conséquent d’être le premier promoteur de son développement culturel.
Car, de même que la fierté de l’homme ne lui vient que de la satisfaction qu’il éprouve à reconnaître son empreinte sur la nature, à se reconnaître dans l’œuvre de ses mains, de même une communauté nationale n’éprouve pleinement sa dignité et sa fierté que lorsqu’elle a conscience d’être, sinon le seul, du moins le premier agent de son propre développement. C’est pourquoi l’action culturelle devra être avant tout l’œuvre de l’Etat. D’où, quelle que soit la situation économique d’un Etat, il devra prévoir, sur son budget, la part de l’action culturelle.
Le financement sur le budget de l’Etat pourrait porter seulement sur la création des infrastructures nécessaires. Parmi ces infrastructures, on pourrait particulièrement se préoccuper des institutions devant acquérir rapidement leur autonomie à cause de leurs activités. Ce sont par exemple, les organismes de distribution des productions culturelles, des entreprises de production qui s’adaptent aux conditions du marché local et extérieur : les centres nationaux d’art, les centres d’exposition-vente, les maisons d’édition, les foires, les services de théâtre et de cinéma, etc. Autant d’institutions dont le fonctionnement, s’il satisfait les besoins du public, aura l’avantage appréciable de couvrir les frais et de permettre d’autres investissements, cette fois, sans l’intervention financière de l’Etat.
Le financement de l’action culturelle par l’aide internationale : Mais, comme il apparaît clairement, l’Etat devra subventionner des institutions culturelles sans but lucratif telles les bibliothèques, les parcs zoologiques, les centres culturels, les instituts de recherche, etc. Autant d’objectifs qui sont difficilement réalisables compte tenu des moyens dont peut disposer un Etat africain alors que tous les besoins s’expriment avec urgence. Reste donc la possibilité des ressources extrabudgétaires que peut offrir la solidarité internationale.
Les formes de la solidarité internationale
Cette solidarité internationale devra être d’abord africaine. Elle s’exprimera à travers une coopération culturelle interafricaine qui permettra aux cultures africaines de se féconder mutuellement dans le continent et de se prêter réciproquement, selon les besoins, les moyens de leur propre épanouissement. Et cette coopération sera effective et efficiente grâce aux échanges d’artistes, d’œuvres d’art, de pièces de musée, etc. qui inspireront les génies de chaque pays. Dans cette mesure, elle comportera un capital inestimable pour le développement culturel de chaque Etat. A cet effet, des entreprises de coopération s’avèrent nécessaires.
Le retour à la solidarité internationale consistera ensuite aussi en des échanges culturels avec les pays d’autres continents et davantage en l’adoption des moyens de la « techno-culture » (l’ensemble des moyens rendus disponibles pour la culture par la technologie moderne pour en permettre la diffusion et la communication, et aussi, la culture nouvelle produite par cette technologie) pour les mettre au service du développement culturel africain. Outre ceci, la participation financière de l’Etat à l’action culturelle pourrait être aidée par l’assistance financière des pays développés dans le respect sacré de l’originalité et de la personnalité culturelle de chacun des partenaires.
Dans une très grande mesure, la coopération culturelle favorise la compréhension internationale, une meilleure connaissance des peuples et leur rapprochement. A tel point qu’on peut dire que, si le but de la politique internationale est la paix entre les hommes, la fraternité de tous les peuples par quoi l’homme participe de l’humanité et communie à la civilisation de l’universel, la politique culturelle internationale en est le moyen le plus efficace.
Car au niveau national déjà, la dignité nationale est un sentiment qu’inspire la conscience qu’on a de posséder un patrimoine culturel au développement duquel on est fier de contribuer. La conscience de ce patrimoine national et de son développement, en un mot, le développement culturel, apparaît comme la condition de la compréhension mutuelle au sein d’une même communauté faite d’ethnies et de cultures différentes. Cette compréhension mutuelle est le facteur de la cohésion sociale dont dépendent toutes les autres formes de développement, économique et politique. Et l’histoire des pays aujourd’hui développés est rassurante dans ce sens.
Athènes a connu son épanouissement au Vème siècle avant Jésus-Christ avec Périclès, ce stratège qui le couvrait chaque année de monuments en même temps qu’il encourageait les lettres et les arts. La Renaissance européenne a consisté en une rénovation littéraire, artistique et scientifique, aux 15e et 16e siècles, par la redécouverte des sources antiques de la culture occidentale. Et elle a précédé et préparé le siècle de Louis XIV, celui de l’essor industriel et économique qu’on appelle « le Grand Siècle ». « La révolution culturelle » a été la condition de l’essor économique et technologique du plus géant des pays du tiers-monde, la Chine, qui est ainsi devenue une grande puissance parmi les mieux développés. Et le « miracle japonais » n’a été possible que grâce à l’accroissement du capital « confiance-en-soi » retrouvé aussi dans le recueillement religieux et autres pratiques para-religieuses, entretenu et « rentabilisé » par une politique culturelle authentique et systématique au Japon.
Tout cela est possible lorsque les autorités gouvernementales comprennent que, pour participer au développement économique, les hommes ont d’abord besoin de cette motivation qu’ils ne trouveront que dans la culture. Car les données objectives qui rendent ce développement nécessaire et urgent crèvent les yeux et les ventres des peuples sous-développés. Elles demeurent pourtant insuffisantes pour leur développement intégré. Reste cette mobilisation de l’âme qui l’amène à exprimer les aspirations humaines à la fois les plus profondes et les plus hautes et auxquelles elle tentera de répondre par les œuvres qu’elle inspire. C’est à cela que doit veiller, prioritairement, toute politique culturelle.
Il est évident que l’Africain a faim. Il est aussi vrai qu’il se rassasie bien vite de son bol de riz, de son ragoût de manioc ou de ses beignets de mil, et il s’en lasse. Mais ce dont il ne saurait se rassasier et pour lequel il ne connaît point de lassitude, c’est la culture dans laquelle il s’atteint et se dépasse, où il s’épanouit et se survit. Le comprendre, c’est entreprendre de lui créer les cadres culturels nécessaires pour défier son sous-développement en évitant la prison de l’opulence et sa propre domination par le capital. C’est, au-delà de l’avoir et de l’être choisir le mieux être, c’est-à-dire faire de la « politique de développement » une « politique culturelle ».
[1] Cette étude a été préparée pour l’UNESCO. Les opignons exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les vues de l’UNESCO.