Senghor et les arts plastiques

POESIE ET PEINTURE DANS L’ŒUVRE DE LEOPOLD SEDAR SENGHOR

Ethiopiques n°70.

Hommage à L. S. Senghor

1er semestre 2003

Quiconque s’est intéressé à L. S. Senghor connaît l’amour que celui-ci vouait à la peinture. On se souvient des trois grandes expositions qu’il organisa au Musée Dynamique de Dakar, lorsqu’il était à la tête de l’Etat sénégalais : une exposition Marc Chagall en mars 1971, une exposition Picasso en avril 1972 et une exposition Soulages en novembre 1974. En outre, à l’instar de son ami Pompidou qui partageait la même passion, le poète possédait une remarquable collection de tableaux, et comptait parmi ses amis Pierre Soulages, Marc Chagall, Pablo Picasso, Vieira da Silva ou encore Pedro Florès.

De cette relation privilégiée avec la peinture, l’œuvre senghorienne, critique comme poétique, rend compte à maintes reprises. Si l’on ouvre les volumes Liberté, on recense trois articles consacrés à Soulages [2], un à Chagall [3], un à Picasso [4], un à Emile Lahner [5], deux pages à Matisse [6] et un long paragraphe à la peinture hollandaise [7]. Quant à l’œuvre poétique, on pense aux trois éditions à tirage limité de Chants d’ombre, Lettres d’hivernage et Elégies majeures, où la peinture vient à la rencontre des poèmes, à travers les illustrations de Pedro Florès pour Chants d’ombre, de Chagall pour Lettres d’hivernages et de Soulages et Vieira da Silva pour Elégies majeures. Concernant l’édition courante des œuvres complètes [8], les références explicites à la peinture apparaissent ici ou là, dans un poème dédié à Picasso [9] ou dans une mention de Van der Weyden dans « Elégie pour Jean-Marie » [10].

Ce rapide aperçu des points de contact entre peinture et poésie doit nous inciter à pousser plus loin ces investigations, et à poser la question des relations profondes qu’entretient la poésie senghorienne avec la peinture. Ces relations, nous les voyons d’abord apparaître dans les articles précédemment cités, où le Senghor critique d’art laisse souvent la parole au Senghor poète : en révélant, en effet, ce que la peinture contient d’élément poétiques, il montre également tout ce que la poésie (et, en l’occurrence, sa poésie) contient d’éléments picturaux. Ce premier échange entre les deux arts permet ensuite d’entrer dans l’œuvre poétique et d’y chercher le travail de peintre réalisé par le poète, aussi bien dans le traitement des couleurs, des formes, des jeux d’ombre et de lumière, que dans l’art du portrait ou la représentation des corps. C’est alors que nous mesurons combien la poésie senghorienne possède une dimension proprement picturale, et comment l’oreille du poète fait corps avec l’œil du peintre.

Car la poésie négro-africaine, telle que la définit Senghor, est avant tout composée de cette alliance des dimensions auditive et visuelle. Certes, Senghor a beaucoup insisté sur la première, disant des poètes nègres qu’ils « sont, avant tout, des « auditifs », des chantres » [11], donnant une place essentielle au rythme dans la création de la parole poétique, définissant le poème, selon une expression peule qu’il affectionne particulièrement, comme un ensemble de « paroles plaisantes au cœur et à l’oreille », accordant une grande importance à l’accompagnement musical de sa poésie, et ne cessant, dans ses poèmes, de travailler allitérations, assonances et paronomases. Mais la dimension visuelle n’en est pas moins importante : la parole poétique, qui retrouve la fonction créatrice, performative, de la parole négro-africaine en faisant surgir l’objet dans l’acte même de sa nomination, doit avoir un puissant pouvoir de suggestion visuelle, non seulement dans le jeu des « images analogiques », des métaphores, sur _ lesquelles Senghor insiste beaucoup, mais encore dans la dimension plastique de ces images et dans la matérialité des mots. C’est ici que des procédés relevant des arts plastiques viennent s’intégrer aux procédés spécifiquement littéraires pour renforcer une poésie profondément visuelle. Dans l’étude des relations entre la peinture et la poésie senghorienne, c’est l’unité constitutive de celle-ci et sa cohérence qui sont en jeu.

Sur le plan de la représentation littéraire, le recours à la peinture apparaît également particulièrement significatif dans l’entreprise poétique senghorienne. On sait, en effet, que Senghor cherche à atteindre, à travers ses poèmes, les objets dans leur présence immédiate, comme l’oralité de la parole créatrice africaine le permet ; le poète doit donc tenter de dépasser les cadres de la représentation, a priori irréductible à la présence, que lui impose le langage écrit, pour retrouver cette présence première. Mais un tel dépassement de la représentation ne peut se faire qu’avec des mots, qui sont précisément le noyau de tout le processus de la représentation littéraire. Pour sortir de ce cercle vicieux, il faut doter les mots de qualités « extralittéraires », et l’emprunt aux techniques de la représentation picturale doit être compris comme un moyen de dépasser les fonctions habituelles du mot. Pour casser les cadres de la représentation et faire surgir, par leur nomination, les objets au cœur du poème, les éléments empruntés par Senghor à la représentation picturale constituent un outil supplémentaire, et complémentaire, aux procédés proprement littéraires. En ce sens, la peinture dans l’œuvre poétique participe de la poétique senghorienne de la présence, et l’étude des éléments picturaux, loin d’être périphérique pour l’analyse de cette œuvre, apparaît au contraire tout à fait centrale.

  1. LA CRITIQUE D’ART SENGHORIENNE ET LES RELATIONS THEORIQUES ENTRE POESIE ET PEINTURE.

1.1. La peinture, une poésie picturale.

Dans chacun des articles qu’il consacre aux peintres qui l’ont marqué, Senghor s’attache à faire le lien entre peinture et poésie, à montrer en quel sens la peinture est poésie. Ainsi, écrit-il à propos des peintres hollandais : « J’ai toujours parlé de la “poésie” de mes peintres préférés. C’est tout un » [12]. Ou encore, à propos de Soulages : « Si je réfléchis à la nature intime des tableaux de Soulages, à leur dénominateur commun, je ne peux trouver que le mot de poésie » [13]. Les peintres eux-mêmes, d’ailleurs, viennent confirmer ce rapprochement, et Senghor n’hésite pas à les citer pour conforter son analyse. C’est Picasso, d’une part, qui explique à un critique d’art que « la poésie n’est jamais de la prose, c’est de la poésie, elle est écrite en vers avec des rimes plastiques » [14] ; et d’autre part : « Ce n’est pas hasard si Soulages parle de son art, très précisément de son “refus de la description », comme d’ »une nécessité profonde’’, un besoin d’intensité picturale, je voudrais dire poétique » [15].

Au-delà de ces témoignages, un certain nombre d’éléments communs permettent à Senghor de réunir les deux arts. C’est tout d’abord le sens étymologique du terme « poésie », qui nous renvoie à la « création » du ποιει̃ν grec. C’est ainsi qu’il faut comprendre ce commentaire sur la « puissance créatrice » de Soulages : « Pierre Soulages est un peintre pur, c’est-à-dire un poète. Il est, au demeurant, un grand amateur de poésie. Par quoi je voudrais répondre aux trois interrogations, en expliquant tout son art par son génie poétique : sa puissance créatrice » [16].

Toutefois, ce trait, auquel Senghor a plusieurs fois recours, ne peut suffire à fonder le rapprochement entre les deux arts. Il s’attache donc, ensuite, à montrer que les outils poétiques comme les images, le rythme ou le principe des parallèles asymétriques dans la poésie négro-africaine, se retrouvent en peinture, simplement transposés dans une autre technique de représentation. Parlant de Soulages, voici ce qu’il dit des images : « Les formes qu’il crée sont au peintre – il s’agira toujours du peintre abstrait – ce que les images sont au poète : des métaphores, c’est-à-dire des images analogiques, qui relient le poète – et, avec lui, les autres hommes – à la nature, son monde intérieur au monde extérieur » [17]. Et du rythme, il écrit, à propos de Picasso : « Nous allons passer, maintenant, pour finir, aux “figures”, auxquelles j’assimile les “rythmes plastiques”, qui correspondent, peut-être plus exactement, aux allitérations, assonances et rimes de la poésie, c’est-à-dire au style » [18]. On ne peut plus clairement exprimer la corrélation profonde entre les deux sphères artistiques, qui ne semblent plus alors différer que par leur mode de représentation.

D’un point de vue ontologique, enfin, Senghor voit entre le peintre et le poète des postures similaires : l’un et l’autre entretiennent dans leur art le même rapport aux choses et au monde. De même que le poème, pour Senghor, doit permettre le surgissement de l’objet dans sa présence immédiate, dans son essence, exprimer le rapport profond du sujet sentant avec l’objet perçu à travers une idée-sentiment qui est image analogique, le tableau apparaît comme « la relation du Peintre-sujet à la toile-objet. Il naît d’un colloque : du double dialogue de l’idée-sentiment et du bras-main, du bras-main et de la toile » [19]. De même, la « technique d’essentialisation : de participation à la force vitale » [20] qu’il retrouve chez Matisse rejoint totalement la fonction ontologique de la poésie négro-africaine.

1.2. Senghor critique d’art.

Mais si le peintre se fait poète en puisant ses techniques dans l’art poétique, le poète Senghor, de son côté, sait prendre le regard du peintre pour dégager des œuvres peintes leurs caractéristiques picturales. Que dégage le poète de l’étude des différents peintres que nous avons rencontrés ? Répondre à cette question présente un double intérêt : le premier concerne l’étude de l’œuvre critique senghorienne, la manière dont Senghor aborde le domaine de la critique d’art, et le contenu des analyses qu’il propose, à partir de son background culturel et de sa pratique poétique. Cet intérêt est cependant limité dans la mesure où, les passages de son œuvre critique consacrés à la critique d’art restant peu nombreux, l’étude ne peut prendre une grande ampleur, contrairement à un poète comme Baudelaire [21], qui avait mené une carrière de critique d’art en parallèle de son œuvre poétique, et pour lequel une telle perspective est véritablement fructueuse. Il n’en est pas de même du second intérêt, qui réside dans la mise en relation des éléments que Senghor retient de ses analyses picturales avec les éléments picturaux que l’on peut dégager de ses poèmes. Car on constate de nombreuses correspondances, qui montrent bien les liens étroits qui existent entre la pratique poétique, d’une part, et la fréquentation régulière d’un certain nombre de peintres, d’autre part. L’analyse poétique que nous mènerons dans la seconde partie de cette étude mettra ces liens en évidence.

Mais avant d’y venir, il s’agit de dégager les conclusions que tire Senghor des différentes œuvres auxquelles il consacre des articles, en tentant moins de faire une synthèse exhaustive de ses analyses que de faire ressortir les points essentiels et pertinents au regard de sa pratique poétique de la peinture. Commençons par Soulages, dont il garde cette étonnante capacité d’extraire des nuances et des variations infinies d’une même couleur dominante : le noir.

« Le noir de notre peintre, écrit-il, n’est pas un. J’ai distingué, chez lui, jusqu’à trois sortes de noirs pour le moins. Et ce noir est vivant, qu’il soit mat ou brillant, épais ou léger, comme transparent. En vérité, on trouve, sous sa palette, toutes les nuances du noir au gris. Et toutes les autres couleurs participent, bien qu’à un moindre degré, de cette même vie » [22].

Et dans un autre article : « Le peintre joue ton contre ton, nuance sur nuance, où le noir se fait, tour à tour, en harmonie avec le fond du tableau, noir-bleu, noir-brun, noir-gris » [23].

 

De manière tout à fait significative, Senghor dégage des toiles de Chagall et de celles de Matisse deux traits presque identiques : la simplification des formes et les couleurs plates. « C’est ainsi, dit-il à propos de Matisse, qu’il simplifie les formes, c’est-à-dire le dessin, pour lui substituer les couleurs, mais plates » [24]. Quant à Chagall, « il sait, en même temps et souvent dans le même tableau, simplifier les formes et charger les couleurs en les faisant plates » [25]. Ce rapprochement mérite d’être souligné, dans la mesure où il révèle l’intérêt de Senghor pour un certain nombre de techniques précises, ici le traitement de la couleur qui permet de lui conférer une dimension spatiale, de faire de l’espace qu’elle occupe une de ses propriétés, lui donnant cette apparence « plate ». Nous verrons que ce point particulier, auquel il se montre sensible à deux reprises, chez Matisse puis chez Chagall, est présent, transposé en figures du langage, dans son œuvre poétique.

Du bref article consacré à la peinture de Lahner, il faut retenir ces quelques lignes :

« Le rythme des formes, la vie des formes s’épanouit, éclate dans les couleurs. Les couleurs sont fleurs. Car les couleurs ont aussi leur rythme, leurs rythmes et leur signification. Lahner n’use que de quelques couleurs, franches et sans nuances précieuses : le bleu profond, le vert tendre, le rouge fervent, l’or rayonnant. Couleurs dont le noir et le blanc soulignent la valeur mystique » [26].

Senghor met là en évidence la notion de « couleur rythmée », et le principe des associations de couleurs « franches » qui permettent de leur conférer ce rythme, en même temps que leur sens profond. Il applique le rythme à la couleur comme à tout autre objet, dans la mesure où le rythme est ce qui permet aux choses de participer à la Force vitale, et d’acquérir une valeur symbolique, un sens qui les rattache à l’ensemble des autre êtres ; la couleur rythmée n’est donc pas la coloration de quelque objet, mais le surgissement d’un sens inhérent à celle-ci. La dynamique des couleurs, ainsi que les contrastes porteurs de valeur signifiante, constituent des traits majeurs du traitement des couleurs dans les poèmes senghoriens, et la conception que propose ici Senghor de la couleur mériterait d’être rapprochée des belles analyses de Kandinsky dans Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier. [27]

Nous terminerons ce parcours avec le commentaire suivant de l’œuvre de Picasso :

« Il supprime l’espace en le remplissant d’une “architecture équilibrée de formes”, s’affranchit de la lumière au foyer unique, confère plus de réalité aux objets du tableau par la “corporéité” sculpturale que leur donnent un dessin plus vigoureux des formes, l’articulation plus nette des diverses parties du corps, de l’objet ou du paysage, présentés comme un jeu de volumes géométriques » [28].

Cette très riche citation contient de précieuses informations pour comprendre un certain nombre de recherches poétiques menées par Senghor, dont on peut retrouver ici les échos, qu’il s’agisse de la « suppression de l’espace », de l’abandon du « foyer unique » de lumière, ou de l’analyse des procédés cubistes qui amènent à trouver « un dessin plus vigoureux des formes ». Ces différents éléments, qui sont à la frontière de la peinture et de la sculpture, trouvent une correspondance indéniable chez Senghor, qui a été particulièrement sensible à l’œuvre de Picasso, qui est sûrement, avec Soulages, celui qui l’a le plus influencé.

Au terme de ce rapide aperçu des études picturales du poète, l’entrée en poésie doit permettre, non pas de chercher mécaniquement derrière chaque procédé poétique les emprunts à tel ou tel peintre, mais d’unifier la vision de Senghor critique d’art avec son regard de poète, et la vision du poète dans son écriture poétique.

  1. LE TRAVAIL PICTURAL DANS LE POEME SENGHORIEN.

Quatre temps ponctueront cette analyse poétique. Il s’agira d’abord d’étudier divers traitements de la couleur, non dans une perspective symbolique (quelle valeur possède telle ou telle couleur [29], très proche : « La géométrie de Chagall, comme celle des artistes négro-africains, est vivante. Voyez, les angles sont des nez ; les courbes des lèvres ; les amandes, des yeux languides ; les cylindres, des bustes, des bras, des cuisses ; et les cercles, des seins fleuris d’amoureuses. » (ibid., p. 259).]]), mais dans la perspective proprement picturale qui montrera comment le recours aux couleurs permet de composer le poème sur le mode d’une toile. Le deuxième point concernera les questions d’éclairage, de jeux d’ombre et de lumière, récurrents chez Senghor. Dans un troisième temps, l’analyse des visages senghoriens mettra en évidence des constantes permettant de parler d’une technique senghorienne du portrait, et avec le dessin des corps, la poésie se rapprochera de la sculpture et des célèbres modèles des statues négro-africaines. Le dernier point de cette étude consistera à constituer des correspondances entre deux poèmes de Senghor et des tableaux de Picasso, puis de Magritte. Ces deux rapprochements doivent être conçus comme des illustrations synthétiques des analyses qui auront précédé, et comme une ouverture vers d’autres correspondances de ce type.

Ousmane FAYE. L’oiseau maléfique. Tapisserie, 160×102.

Alfred MANESSIER. Hommage à Martin Luther King, 1968.

2.1. Couleur et matière.

2.1.1. Recherches monochromes : le bleu dans Lettres d’hivernage.

Si l’on se souvient que Senghor relève chez Soulages la présence de ce noir envahissant, quasi unique, dont le peintre tire des variations incessantes, peut-on, dans le même sens, analyser le traitement du bleu dans le recueil Lettres d’hivernage ? On sait que ce recueil est placé sous le signe de cette couleur, omniprésente à travers les éléments récurrents que sont la mer et le ciel, et renforcée par l’emploi explicite de l’adjectif « bleu » plus d’une dizaine de fois. Or, loin de créer une monochromie monotone, le poète s’efforce de nuancer et de faire varier sans cesse cette couleur fondamentale, de sorte que, du vert au mauve, le bleu se pare de reflets très divers. Pour suggérer ces nuances de bleu, Senghor a recours à plusieurs procédés stylistiques. Le premier consiste à associer une seconde couleur au bleu premier. Ainsi, le bleu s’imprègne successivement, dans ces différents versets, de vert, de gris, et de violet :

« Et la lumière sur la mer trop verte et bleue » [30].

« Un bateau blanc s’en va là-bas vers le Sud bleu et gris » [31].

« La lumière dans le ciel bleu, violet à peine, joyeux et léger innocent » [32].

Un deuxième procédé consiste à attribuer la couleur bleue à des objets, des êtres ou des entités pour lesquels celle-ci est impertinente. Mais il ne s’agit pas pour autant de caractérisations impropres, comme l’ont souvent pratiqué les surréalistes, dans la mesure où le bleu peut ici être compris comme le reflet pris par la couleur de l’objet. Ainsi, la ténèbre, dans le verset suivant, est certes noire, mais le bleu qui la caractérise est perçu comme une teinte de ce noir profond, lui-même constitué du vert très sombre de la forêt :

« La ténèbre si bleue de la forêt, où sont nées les images archétypes » [33].

Il en va de même des quatre oiseaux énumérés dans le poème « Ta lettre trémulation », et invariablement caractérisés par la couleur bleue :

 

« Tu m’as demandé un oiseau, bleu comme la sauge d’un songe

Merle bleu gobe-mouches bleu, touraco géant comme tes mirages

Ou bien l’Halcyon senegalensis » ?… » [34]

Si le merle est noir et le touraco vert [35], on peut aisément concevoir des reflets bleus dans le plumage du premier, et le vert du second peut changer sur le fond bleu du ciel. Par cette répétition du terme « bleu » associé à des oiseaux de plumages différents, la couleur envahit l’espace poétique tout en se parant de nuances variées, et donne au tableau ce rythme que le poète trouvait aux couleurs de Soulages ou de Lahner [36].

Mais le travail du poète peintre peut également porter sur l’intensité et l’éclat de la couleur. Alors que deux des premières citations représentaient le bleu sous le coup d’une lumière vive, le verset suivant, quant à lui, offre un bleu beaucoup moins intense :

« Je repasse ta lettre, à l’ombre du ciel bleu du parasol » [37].

Cet effet est subtilement obtenu par l’hypallage qui fait du groupe nominal « ciel bleu » le complément du substantif « ombre », « parasol » devenant le complément du nom « ciel ». Par cette figure, le poète parvient à travailler l’expression de la couleur et à signifier un éclat particulier du bleu, différent selon que celui qui regarde le ciel est dans un violent environnement lumineux, ou qu’il est entouré d’une luminosité moins forte, ainsi à l’ombre d’un parasol. Ce détail est révélateur du regard de peintre que sait prendre Senghor dans ses poèmes, en même temps qu’il révèle la justesse de ses images poétiques, ici cette double complémentation, d’une finesse et d’une précision remarquables.

En parallèle de ces variations, Senghor s’attache à rendre l’aspect vivant de la couleur, qu’il reconnaissait au noir de Soulages. Il donne à son bleu une épaisseur, une matière étonnantes, en le substantivant et en en faisant le complément d’objet du verbe « boire », dans ces versets de « Que fais-tu ? » :

« Car je ne pense pas, mes yeux boivent le bleu, rythmiques

Sinon à toi, comme le noir canard sauvage au ventre blanc » [38].

De la même manière, la couleur change de matière et d’aspect selon qu’il s’agit d’une « parole de songe bleu » [39], d’« ailes bleues » [40], d’une « lettre bleue » [41], ou d’une lettre « Bleue comme la chemise neuve que lisse le jeune homme » [42].

La confrontation de ces différentes occurrences, qui mériteraient chacune une analyse particulière, prouve que Senghor ne s’est pas contenté de donner une tonalité chromique forte à Lettres d’hivernage, mais que cette récurrence du bleu a été l’objet d’un véritable travail de peintre sur la variété et la matérialité de la couleur. Nous aurions pu faire la même démonstration, à l’échelle de l’œuvre poétique tout entière, avec l’« or vert », cette double couleur qui traverse tous les poèmes comme un leitmotiv, et qui se charge de multiples nuances selon les contextes d’emploi.

2.1.2. Dégradés et « couleurs plates »

Dans le même domaine de la monochromie, Senghor peut procéder à des variations sur une couleur, que nous appelons « dégradés », en multipliant les nuances et les teintes d’une même couleur en l’espace d’un ou deux versets ; il compose alors une palette particulièrement riche, qu’il étale véritablement dans l’espace poétique, matérialisant le déploiement de la couleur. Voici une occurrence, dans Ethiopiques, concernant le jaune

« Au mieux rien qu’un soulèvement de sables, rien qu’un tourbillon de pruine et de pailles et de balles et d’ailes et d’élytres […].

Ce n’est pas la floraison flave des cassias, les étoiles splendides des cochlospermums

Sur le sol de ténèbres, l’intelligence du Soleil ô Circoncis !

C’est la tendresse du vert par l’or des savanes, vert et or couleurs de l’Absente » [43].

Pas moins de six éléments viennent caractériser la couleur jaune dans ces quatre versets : le sable, la paille, les étoiles, le soleil, l’or, et l’adjectif créé par Senghor sur le latin flavus, « flave ». Dans chacun de ces éléments, le jaune s’imprègne d’une nuance particulière, le recours au latinisme permettant par exemple d’apporter une pointe de rouge [44], le jaune pâle, presque blanc, des étoiles s’opposant à l’éclat profond de l’or, et dans leur réunion, tous ces jaunes constituant un très beau dégradé et enrichissant la couleur dominante ; ce passage du poème n’est pas seulement peint en jaune, il est peint d’un jaune changeant, qui se nuance quand on l’observe en détail, à l’image de ces toiles de Monet où, dans la blancheur apparemment uniforme de la neige, on découvre du rouge, du vert et du bleu [45].

Un autre exemple, moins riche en variations, se présente dans Lettres d’hivernage :

« Rutilent dessus les pelouses, pourpres princiers, les flamboyants

Aux cœurs splendides, et les grands canas d’écarlate et d’or » [46].

Il montre de manière particulièrement nette comment Senghor mêle les emprunts à la représentation picturale et les procédés proprement poétiques. La variation sur le rouge, qui donne à voir cet éclatement vibrant de la couleur en ses diverses apparences, et donc le surgissement de ces arbres, dans une immédiateté remarquable, est soutenue, renforcée par un ensemble de figures stylistiques, notamment allitérations et assonances, mais aussi rythme [47]. C’est la réunion des deux types de procédés qui procure à ces versets leur intensité et à la parole poétique son pouvoir créateur dans la mise en présence des objets.

Le second point de ce paragraphe concerne les « couleurs plates ». Nous avons repris ici l’expression que Senghor utilise à propos de Matisse et de Chagall, dans la mesure où une figure particulièrement étonnante employée par le poète semble pouvoir être expliquée en référence à ce procédé pictural. Cette figure consiste à coordonner le même adjectif de couleur ; nous en avons deux exemples dans Ethiopiques :

« Roses et roses les navettes qui tissaient lêlés et yêlas, exquis les éloges des vierges quand la terre est froide à minuit » [48].

« Vert et vert le Printemps au clair mitan de Mai, d’un vert si tendre hô ! que c’est ravissement » [49].

Quel effet produit ce redoublement ? Il permet assurément de renforcer la présence de la couleur énoncée ; il a alors la même valeur que la substantivation de l’adjectif, dont nous avons vu un exemple précédemment [50]. Mais il a une autre valeur, que lui confère la répétition : il permet en effet, littéralement, de déployer la couleur dans le texte, de l’étaler en quelque sorte, et de lui faire ainsi envahir l’espace poétique. La couleur est déposée, aplatie. En ce sens, ces couleurs sont plates, car plaquées sans nuance sur la toile du poème, à l’opposé de la couleur élaborée et affinée qu’on avait découverte dans les occurrences précédentes [51] . L’effet poétique ne peut ici prendre vraiment de sens qu’en comparaison des autres usages de la couleur proposés par Senghor.

2.1.3. Polychromies : contrastes et rythme des couleurs

Un travail complémentaire sur les couleurs enrichit les poèmes senghoriens : il s’agit non plus de travail monochrome, mais de jeux de contrastes et de composition multicolore. L’une des structures les plus répandues est l’opposition violente entre deux couleurs, comme dans ce passage de l’ « Elégie des Alizés » : « Sous les geysers du sang, qu’éclate donc l’écorce

Qu’il éclate l’oryx de ses ailes feux de brousse, et monte, comète d’or, et

Tombe la veuve à queue de foudre » [52].

Ce remarquable extrait montre parfaitement comment le tableau se charge de couleur et par là même acquiert un rythme. La conjugaison des deux mouvements opposés de montée et de chute associés au double éclatement de l’écorce et de l’oryx, fait jaillir des giclées de couleur et donne toute sa force au contraste entre le rouge et le jaune. De nouveau, le poète parvient à construire une couleur rythmée, vivante.

Une autre occurrence, enrichie par le redoublement de l’expression de chacune des couleurs, apparaît dans ce tableau du corps défunt de la princesse, où se rencontrent le bleu et le blanc :

« Elle repose maintenant, grande et très droite

Et belle, ivoire mûr en sa robe de neige au parfum d’oranger.

Elle repose sous le sapin bleu, les cheveux sagement comme des gerbes de blés mauves » [53].

Les deux couleurs sont désignées deux fois chacune, le blanc mat de l’ivoire se mêlant au blanc éclatant de la neige d’un côté, le bleu, de l’autre, se chargeant de teintes mauves et dorées (les cheveux blonds et les gerbes de blé). La différence de contraste avec le premier exemple est tout à fait sensible : autant le rouge et le jaune s’opposaient violemment, autant le bleu et le blanc se marient plus qu’ils ne se choquent ; on pourrait parler ici d’un « contraste harmonieux ».

Si Senghor affectionne particulièrement la rencontre de deux couleurs, il n’en délaisse pas pour autant les tableaux multicolores. Ainsi, dans la cinquième strophe de « l’Absente », où jaune, bleu, vert et blanc se côtoient dans une explosion de couleurs :

« La voilà l’Ethiopienne, fauve comme l’or mûr incorruptible comme l’or

Douce d’olive, bleu souriante de son visage fin souriante dans sa prestance

Vêtue de vert et de nuage » [54].

Il s’agit bien d’une « explosion », dans la mesure où l’origine de ces versets multicolores est constituée par l’embrayeur « la voilà ». Tout le poème consistant en une longue attente du poète dans l’espoir du retour de la femme aimée, le déictique marque un changement radical dans le déroulement de la strophe et du poème. Cette rupture est donc matérialisée par la coloration violente et variée des trois versets qui suivent, rythmant la présence retrouvée de l’amante. La fonction poétique de la peinture dans les poèmes senghoriens s’affirme une nouvelle fois dans la corrélation entre couleur, rythme et présence.

Avant de clore cet aperçu des polychromies senghoriennes, un dernier point doit être mentionné : il s’agit de l’ensemble tricolore constitué du noir, du blanc et du rouge, couleurs fondamentales de l’Afrique, et que Senghor prend plaisir à utiliser, autant pour sa valeur picturale que comme élément culturel dans le cadre de sa poétique de la Négritude. Les deux occurrences suivantes concernent d’ailleurs l’Afrique d’une part, et le masque d’autre part, symbole essentiel de la civilisation africaine :

« Et la lumière sur l’Afrique noire blanche mais rouge » [55].

« Masque noir masque rouge, vous masques blanc-et-noir » [56].

Un tel trio de couleurs récurrent et directement lié à un contexte culturel, voire philosophique, est unique dans le traitement des couleurs chez Senghor. S’il a un statut à part dans l’ensemble des procédés que nous avons analysés, il ne s’intègre pas moins dans le travail de coloriste accompli par le poète.

2.2. Jeux d’ombre et de lumière, éclairages, clair-obscur.

Complétant le travail sur les couleurs en ce sens qu’il les influence, le soin accordé à l’éclairage des poèmes est un trait tout à fait essentiel à la dimension picturale de la poésie senghorienne. Senghor attache en effet une importance extrême aux jeux d’ombre et de lumière, et aux contrastes qui en découlent. La ligne de lumière qui compose le contour d’un objet à contre-jour est ainsi un élément que le poète s’efforce très souvent de souligner. L’opposition entre ombre et lumière fournissant un éclairage sur un détail du tableau est ainsi représentée dans ces versets :

« Princesse de quatre coudées ! au visage d’ombre autour de ta bouche de lumière Comme le soleil sur la plage de galets noirs » [57].

Mais remarquons que si l’on se concentre d’abord sur le visage, la comparaison du second verset, qui redouble le contraste, permet d’offrir un éclairage de tout le plan, et dans le même temps, d’indiquer la source de lumière qui éclaire le visage de la princesse. Il en résulte un contraste saisissant, que renforce la valeur métaphorique de l’ombre et de la lumière en fonction de compléments des noms « visage » et « bouche ».

Si l’éclairage peut concerner un détail du poème, il s’applique aussi à l’ensemble du tableau. Une occurrence remarquable illustre ce cas, dans le groupement « D’autres chants… » d’Ethiopiques [58]. Il s’agit du poème « Ce soir Sopé » qui offre un double éclairage au début et à la fin du texte, permettant la diffusion d’une luminosité particulière sur l’ensemble de la scène. Composé de quatre versets centraux qu’encadrent un verset introducteur et un verset de conclusion, le texte sur la page se présente comme une véritable toile. Cette dimension spatiale est d’autant plus forte que les deux versets extrêmes se font écho, et ancrent l’éclairage particulier du poème. Désignant d’une part « le ciel de pluie », d’autre part « ton ciel qui se ferme », l’encadrement reconstitue la voûte céleste nocturne qui domine le tableau, et confère à toute la scène centrale une obscurité générale (confirmée par la métaphore du « tam-tam détendu et sans lune »). Cet éclairage homogène obtenu par la création de deux pôles d’obscurité permet alors au poète, au cœur du tableau, de faire surgir trois taches de blancheur qui trouent l’ombre ambiante et acquièrent ainsi une intensité accrue :

« Le poulet blanc est tombé sur le flanc, le lait d’innocence s’est troublé sur les tombes Le berger albinos a dansé par le tann, au tam-tam solennel des défunts de l’année ».

La structure du poème apparaît dans ce cas particulièrement efficace pour mettre en place l’éclairage du tableau, et une telle élaboration poétique rend bien compte des préoccupations picturales de Senghor.

Un dernier type d’éclairage mérite enfin d’être analysé : c’est le clair-obscur. Le poème intitulé « Je t’ai accompagnée » [59], dans le recueil Nocturnes, en rend bien compte. Le poète s’attache ici à représenter la luminosité du crépuscule, lorsque le dernier rayon s’apprête à disparaître, lorsque ne subsiste plus que l’ultime clarté avant la nuit. Ne pouvant la saisir directement, il multiplie les saisies tout au long du poème, tentant de faire durer l’instant de basculement en le répétant sans cesse [60]. Il commence ainsi par la métaphore des « portes de la Nuit », qui suggère le passage de la lumière à l’ombre, l’entre-deux, et qui est redoublé dans le verset suivant, le poète se découvrant face à sa Signare, « sans paroles, devant l’énigme d’or de [son] sourire ». La préposition « devant » suggère de nouveau, sinon une porte, du moins une façade, et la confrontation des « portes de la Nuit » et de « l’énigme d’or » fait surgir le fugitif clair-obscur. Les trois versets qui suivent proposent trois nouvelles saisies de cette luminosité éphémère :

« Un crépuscule bref tomba sur ton visage, un caprice divin.

Du haut de la colline refuge de lumière, j’ai vu s’éteindre l’éclat de ton pagne

Et ton cimier tel un soleil plonger dans l’ombre des rizières ».

Les trois versets sont triplement parallèles : ils sont construits autour d’un même mouvement de chute (« tomba », « du haut de la colline », « plonger ») ; ils offrent la même rencontre de l’ombre et de la lumière (« crépuscule » et « visage », dont on admet qu’il connote la lumière, en relation avec le verset précédent ; le « refuge de lumière » et le pagne qui s’éteint ; le « cimier tel un soleil » et « l’ombre des rizières ») ; et ils suggèrent la ténuité de la lumière éphémère à capter : le crépuscule est « bref », c’est un « caprice », changement soudain et passager ; ce qui s’éteint n’est même plus un rayon, mais un simple « éclat », et c’est un « cimier » qui plonge dans l’ombre, l’extrême crête de l’arbre (peut-être aussi la coiffure de la femme), c’est-à-dire un point.

A la suite de ces trois versets, le poème tombe dans la nuit totale, les « horizons diurnes » étant dominés par « la nuit pour toujours » et par « les ténèbres ». Mais le dernier verset ramène à la luminosité première, et donne toute son unité à l’ensemble du poème, en évoquant ce même entre-deux lumineux, non plus au crépuscule, mais à l’aube :

« Je dormirai dans le silence de mes larmes

Jusqu’à ce qu’effleure mon front l’aube laiteuse de ta bouche ».

Les jeux d’ombre et de lumière atteignent ici des effets magnifiques, dignes d’un Rembrandt, dont Senghor soulignait, dans son intervention sur la peinture hollandaise, « le blanc et le noir, les ombres et les lumières qui s’opposent et s’harmonisent en même temps, sans se confondre » [61].

2.3. Du peintre au sculpteur : art du portrait et modelage des corps

2.3.1. Les techniques senghoriennes du portrait

Après les couleurs et l’éclairage du poème, un troisième champ d’investigation permet de compléter le travail pictural mené par Senghor : le dessin des formes, et notamment celui des visages et des corps. A l’instar de la « simplification des formes » qu’il relevait dans les tableaux de Matisse et de Chagall, ou du « dessin plus vigoureux des formes » chez Picasso [62], le poète vise lui aussi à la simplification dans le dessin des visages, par la focalisation sur un petit nombre d’éléments.

Pour analyser la manière dont Senghor peint les visages, et savoir si l’on peut dégager des constantes dans ce domaine, nous avons retenu un corpus de vingt descriptions choisies dans l’ensemble de l’œuvre [63]. La comparaison de ces vingt visages éclaire tout à fait la technique senghorienne.

Tout d’abord, on remarque le peu d’éléments du visage utilisés par le poète dans chacun des portraits : jamais plus de trois éléments dans quinze des vingt cas. La description est épurée, la représentation stylisée, et cette simplification donne à la fois plus de rythme et plus de force au portrait. Ensuite, parmi l’ensemble des éléments utilisés dans ce corpus, quatre sont nettement prédominants : en tête, les yeux et la bouche, utilisés respectivement quatorze et treize fois [64], puis le front et les cheveux, respectivement huit et six fois. Par conséquent, menton, joues, nez ou oreilles sont très rarement convoqués, jamais plus de deux fois. Ces chiffres sont très révélateurs : la technique du portrait senghorien repose sur la simplification des formes représentées et sur quelques détails quasi constants.

Mais du point de vue des critères de beauté tels que les impose la culture seereer, ils sont également significatifs. Si l’on considère les analyses éclairantes d’Amade Faye dans son article « La beauté seereer : du modèle mythique au motif poétique » [65], qui détaille les éléments constitutifs du canon de la beauté seereer, les parties du visage les plus importantes selon Faye sont précisément celles que Senghor privilégie dans ses poèmes. En somme, Senghor ne fait pas seulement œuvre de peintre, mais œuvre de peintre seereer ; c’est en s’enracinant dans sa culture et son esthétique, que le poète construit son travail pictural.

La technique senghorienne possède en outre l’avantage de constituer un modèle de portrait, qui se répète à l’identique dans sa forme, tout en étant sujet à de multiples variations ; c’est le principe de la répétition qui ne se répète pas, chère au théoricien de la poésie négro-africaine qui revendique la « variation de la répétition, [l’]unité dans la diversité » [66], mises en pratique dans ses célèbres « parallèles asymétriques ». Or, pour décliner la femme dans son infinie diversité, une telle exploitation du modèle est parfaitement adaptée. Il suffit de comparer ces cinq occurrences, qui déploient les yeux et la bouche de cinq visages féminins, dans une profonde variété traversée par un coup de pinceau commun :

« Les paupières closes, coupe double et source scellées.

Ce fin croissant, cette lèvre plus noire et lourde à peine – où le sourire de la femme complice » [67] ?

« L’Etrangère aux yeux de clairière, aux lèvres de pomme cannelle au sexe de buisson ardent » [68].

« Si timide d’abord devant tes yeux de métal bleu, ton sourire de givre » [69].

« Nolivé aux bras de boas, aux lèvres de serpent-minute Nolivé aux yeux de constellation – point n’est besoin de lune pas de tam-tam » [70]. « Aujourd’hui,

Qu’il me suffise le sourire

Qu’ébauchent tes lèvres hâtives,

Qui se perd dans le rêve marin de tes yeux » [71].

Cependant, dans l’ensemble des portraits que propose l’œuvre senghorienne, deux occurrences occupent un statut particulier, en ce qu’elles mentionnent chacune explicitement la référence à la peinture, et constituent donc des moments privilégiés de contact entre les deux arts. La première s’organise autour du célèbre peintre néerlandais Van der Weyden, chef de file, avec Van Eyck, des « primitifs flamands » au XVe siècle, que Senghor cite dans son « Elégie pour Jean-Marie » :

« Ton visage flamand était noble était long, j’aurais dit de Van der Weyden. […]

Et le peintre traçait dans la poussière : “Souvenez-vous de Paul, de Léopold souvenez-vous” » [72].

En introduisant le nom de Van der Weyden, le poète peut se contenter d’ébaucher le portrait de son ami défunt, laissant le visage se composer par le pouvoir de suggestion de l’œuvre du peintre néerlandais. L’artifice de la substitution du nom à la description acquiert, dans le contexte pictural de l’œuvre, une grande force poétique, tout en achevant la rencontre de la poésie senghorienne avec la peinture, puisque celle-ci finit par se substituer à celle-là. Quelques versets plus loin, la communion est renouvelée, à travers la mention du « peintre », dont on ne sait plus exactement s’il s’agit de Van der Weyden ou du poète lui-même devenu peintre…

La seconde occurrence ne fait pas appel à un peintre particulier, mais propose, en introduction à la description d’un visage, une double métaphore qui fait du visage et du corps des tableaux. Au-delà de sa référence explicite à la peinture, cette métaphore est significative dans la mesure où elle joue le rôle d’embrayeur pictural. Le portrait qui la suit est en effet d’une richesse singulière par rapport à l’ensemble des portraits réalisés par Senghor, par la rareté des éléments requis, aussi bien pour le visage (les oreilles et le nez) que pour le reste du corps (les poignets et les reins) :

« Car ton visage est un chef-d’œuvre, ton corps un paysage.

Tes yeux d’or vert qui changent comme la mer sous le soleil

Tes oreilles d’orfèvrerie, tes poignets de cristal

Ton nez d’aigle marin, tes reins de femme forte mon appui

Et ta démarche de navire oh ! le vent dans les voiles de misaine… » [73].

A la mention très rare de la peinture correspond donc une description formellement éloignée des autres descriptions. La mention du tableau de peinture inscrite dans la métaphore du premier verset, et qui annonce une description unique, une variation particulièrement rare sur le modèle classique, met alors symboliquement en scène le pouvoir de création qu’inspire la peinture chez le poète.

2.3.2. Le dessin des corps, vers le modèle des statues africaines

En passant du visage au corps, le poète emprunte autant le regard du peintre que celui du sculpteur. Or, lorsqu’il est question de sculpture chez Senghor, la référence qui apparaît immédiatement est celle des statues africaines, dont le poète a souvent parlé, en faisant l’un des points essentiels de sa théorie sur l’art négro-africain. On pense par exemple à ses références aux statues baoulé, qu’il affectionne particulièrement. Si la sculpture acquiert une telle importance, c’est en partie parce que le rythme, clef de voûte de l’édifice théorique senghorien, y a un statut primordial. Si nous n’avons pas rencontré de mention explicite de ce rythme au cours des analyses précédentes sur le portrait, celui-ci apparaît en revanche central dans tous les corps que modèle Senghor. Le poète l’exprime ainsi très clairement dans ces deux versets, à travers la voix de son personnage Chaka :

« Mais je ne suis pas le poème, mais je ne suis pas le tam-tam

Je ne suis pas le rythme. Il me tient immobile, il sculpte tout mon corps comme statue du Baoulé » [74].

A l’instar des parties dominantes qui structuraient le modèle de description des visages, deux parties dominent les découpes du corps féminin : la poitrine et le bassin [75]. Pour désigner chacune de ces parties, le poète a recours à plusieurs termes, dont nous allons voir qu’ils ne sont pas équivalents. Pour la première, il utilise essentiellement ces trois termes : « seins », « collines » et « poitrine ». Pour la seconde, il s’appuie principalement sur les termes « hanches », « reins » et « taille ».

Dans l’ensemble de l’œuvre, une seule description est soumise tout entière, et explicitement, à un rythme qui scande littéralement le corps en ses différents accents, mimant le regard qui se déplace et rebondit sur chacune des formes saillantes ; nous ne pouvons éviter de penser ici au modèle des statues africaines, à cette cassure des hanches, notamment, qui les caractérise

« Et de la terre sourd le rythme, sève et sueur, une onde odeur de sol mouillé

Qui trémule les jambes de statue, les cuisses ouvertes au secret

Déferle sur la croupe, creuse les reins tend ventres gorges et collines

Proues de tam-tams » [76].

A l’exception de cette très belle occurrence, le rythme n’est jamais appliqué à toute la description, mais à telle ou telle partie du corps. Pour qu’il y ait rythme, il faut en effet qu’il y ait des accents forts en opposition à des accents faibles. Mais au-delà de la mise en relief, on découvre un autre procédé tout à fait remarquable, qui permet au poète, selon sa volonté, d’insister sur le rythme d’une forme, sa rupture dans l’évolution des courbes du corps, ou, au contraire, sur sa continuité dans l’ensemble des lignes qu’elle prolonge. Et c’est là qu’interviennent les différents termes présentés ci-dessus, termes qui apparaissent en emploi complémentaire.

Si l’on considère en effet les occurrences de « collines », « seins » et « poitrine », on remarque parfaitement que c’est « collines » que Senghor utilise pour marquer une forme rythmée, alors qu’il emploie les deux autres pour désigner la seule forme qu’ils représentent. Ainsi, aux « seins debout » [77] ou « triomphants » [78], qui ne précisent pas explicitement une forme rythmée, on opposera quelques occurrences de la métaphore « collines » [79] ; elles ne contiennent pas le terme « rythme », mais l’expriment très clairement. La première le fait par l’expression « élan fougueux », et par ce remarquable trait stylistique qui consiste à opérer le changement de verset après la conjonction de coordination, donnant au groupe nominal en position de rejet une forte impulsion :

« O visage classique ! Depuis le front bombé sous la forêt de senteurs et les yeux larges obliques jusqu’à la baie gracieuse du menton et

L’élan fougueux des collines jumelles ! » [80]

Les deux occurrences suivantes ont en revanche recours à la connotation musicale pour suggérer le rythme. On remarquera, dans la première, d’abord la comparaison du corps décrit avec des sculptures égyptiennes, ensuite l’importance de la ponctuation, qui permet de marquer, de nouveau, une rupture grâce à l’absence de virgule entre les deux premiers substantifs, faisant se détacher nettement de ce bloc que constituent le buste et les flancs, la poitrine de la jeune fille :

« Buste peul flancs, collines plus mélodieuses que les bronzes saïtes » [81].

« Lumière sur les collines jumelles, sur la courbe mélodieuse et ses joues » [82].

La même analyse peut être proposée concernant la taille, les hanches et les reins. Le terme « taille » ne connote aucun rythme ; avec les reins, le poète exprime une rupture dans le dessin du corps, mais sans marquer non plus un véritable rythme :

« Ton nez d’aigle marin, tes reins de femme forte mon appui » [83]. « Plus fine, plus fière la cambrure des reins » [84].

C’est donc sur les hanches que se porte le rythme des descriptions. Un poème de Chants d’ombre le mentionne ainsi explicitement, désignant « le rythme des hanches balancées » [85]. Quant à ce verset d’Hosties noires, Senghor a recours à des tirets pour rythmer le verset et marquer l’arrêt sur le bassin :

« Et les hanches des femmes – oh ! douceur – généreusement s’alourdissent » [86].

 

Deux derniers exemples illustrent le recours à la dimension musicale du rythme, comme nous l’avons vu précédemment dans le cas des « collines jumelles », avec « la musique subtile de ses hanches » [87]et « l’harmonie tumultueuse des hanches » [88].

2.4. Du poème au tableau : deux correspondances d’œuvre à œuvre

Le dernier point de cette étude tentera d’élucider quelques extraits de poèmes à la lumière de certains tableaux. Nous ne prétendons pas montrer que Senghor s’est attaché, dans tel passage, à représenter telle toile précise, mais plutôt, dans le prolongement de nos analyses, montrer l’analogie entre certains versets et des procès picturaux bien connus ; il s’agit donc de proposer quelques ponts supplémentaires reliant la poésie senghorienne à la peinture, et de susciter, selon la sensibilité et la culture de chaque lecteur, d’autres rapprochements de ce type.

Considérons par exemple cette description d’un étonnant visage, que nous rapprocherions volontiers d’un tableau cubiste de Picasso :

« Ton sourire de part en part traverse ce ciel mien, comme une voie lactée.

Et les abeilles d’or sur tes joues d’ombre bourdonnent comme des étoiles

Et la Croix-du-Sud étincelle à la pointe de ton menton

Et le Chariot flamboie à l’angle haut de ton front dextre » [89].

Nous avons en effet affaire à des angles plutôt qu’à des courbes, et à des formes géométriques plutôt qu’à des lignes sans forme déterminée : un grand trait représente la bouche, l’angle de deux côtés d’un triangle constitue le menton, et un second angle dessine les contours du front. Dans cette perspective, le verset consacré au front est particulièrement intéressant. Il faut d’abord considérer l’hypallage dont il fait l’objet, et reconstituer le contenu sémantique dans une paraphrase du type : « à l’angle droit de ton front haut » ; ceci ramène à l’analyse des formes géométriques, puisque l’on découvre un front de forme rectangulaire, dont l’angle droit est mis en valeur. Cependant, le sens apparent, littéral, en deçà de l’hypallage, doit également être pris en compte, et permet de compléter le dessin du front, qui n’est pas seulement composé de formes géométriques, mais qui est double : il y a un front « dextre » et un front « sénestre », qui ne semblent d’ailleurs pas symétriques, le droit étant plus haut que le gauche.

Ainsi composé d’une bouche barrant tout le visage, d’une grande pointe pour le menton et de deux fronts triangulaires ou rectangulaires, le tableau suggère un visage complètement désarticulé, fait d’un assemblage de figures géométriques qui nous rappellent naturellement quelques célèbres toiles cubistes de Picasso. Pensons, par exemple, à Femme nue se coiffant [90], à La femme qui pleure [91], ou encore à un Autoportrait de 1972 [92].

La seconde correspondance est tirée d’un poème de Lettres d’hivernage, dont nous citons la première strophe :

« Trompettes des grues couronnées ? Ou est-ce ton visage en songe

En la lueur de l’aube, ta voix de bronze lisse qui chasse les angoisses ?

J’ouvre le ciel de ma fenêtre sur la mer » [93].

C’est ici le troisième verset qui est le plus intrigant, par l’espace paradoxal qu’il développe. A partir d’un tableau très simple, celui d’une personne qui ouvre une fenêtre donnant sur la mer et sur le ciel, le poète compose un verset qui inverse l’ordre des perspectives. Dans une description commune de la scène, en effet, on devrait voir se succéder, à partir du regard de celui qui ouvre la fenêtre, l’espace encadré de la fenêtre, puis l’espace encadrant de la mer et du ciel. Ici, non seulement cet ordre est inversé, puisque la fenêtre encadre le ciel, mais le ciel et la mer deviennent deux espaces distincts. On a donc affaire à l’emboîtement non logique de trois espaces différents, tout à fait propre à l’incohérence des rêves dont il est question ici.

Ce début de poème n’est pas sans suggérer certaines toiles de Magritte, qui a autant travaillé sur la déconstruction de l’espace qu’il a représenté le ciel bleu et la mer. On pense par exemple à des œuvres comme Le monde poétique II [94] ou Le poison [95], et plus encore à La lunette d’approche [96], qui développe précisément le vers senghorien, en représentant une fenêtre entrouverte au milieu d’un mur, dans les carreaux de laquelle apparaît un ciel bleu, alors que l’espace sur lequel elle ouvre est totalement noir ; c’est exactement « le ciel de la fenêtre » qui est peint là ! [97]

Au-delà du rapprochement en tant que tel, qui reste une lecture parmi d’autres, la comparaison confirme la dimension picturale de ce poème conférée par le traitement de l’espace : Senghor ne se contente pas de spatialiser ses textes, il construit ses perspectives avec un regard de peintre, comme il l’a fait pour les jeux de couleurs, d’éclairage et de stylisation des corps.

Pour conclure, il conviendrait de dresser un dernier pont entre l’œuvre poétique de Senghor et ses études picturales, en revenant sur un élément essentiel qu’il dégageait de l’œuvre de Soulages comme de celle de Rembrandt : la fonction de l’œuvre d’art, à la fois adressée à Dieu et dressée contre la mort. De Rembrandt, Senghor écrit en effet ceci : « De Hals à Rembrandt, le dialogue se hausse d’un niveau. Il n’est plus de personne à personne, mais de personne à la Personne : de l’homme à Dieu » [98]. Et plus loin, à propos des tons utilisés par le peintre : « Ils s’harmonisent pour exprimer l’essentiel : toujours l’homme, mais Dieu à travers les hommes, voire à travers les choses » [99]. Les vibrants appels à Dieu que constituent les stèles funèbres des grandes Elégies majeures, tout comme les prières torturées d’Hosties noires, n’ont pas d’autre statut que le dialogue du poète avec Dieu.

Quant aux œuvres d’art dressées comme un défi contre la mort, Senghor dit des toiles de son ami Soulages qu’elles viennent « nous arracher aux ténèbres de la Mort » [100], et, dans la recréation perpétuelle du même modèle, il le voit travailler « jusqu’à la mort, avec laquelle tout grand artiste est confronté sa vie durant – pour prévaloir contre elle » [101]. Revenons une dernière fois à Elégies majeures ; rejoignant les propos du critique, la voix du poète lance ses poèmes contre la mort en les élevant pour la postérité, comme il l’écrit si fortement dans le message qu’il envoie à son ami disparu Georges Pompidou :

« Dans la nuit tamoule, je pense à toi mon plus-que-frère.

Au fond du ciel, les étoiles chavirent sous les madras dénoués.

Comment dormir en cette nuit humide, odeur de terre et de jasmin ? Je pense à toi.

Pour toi, rien que ce poème contre la mort » [102].

Si l’on comprend maintenant mieux combien la poésie senghorienne est redevable aux arts plastiques, on saisit également ce que Senghor entendait par une « poésie totale », qui puisse rendre compte du monde dans son essence, par une réunion des sens et des arts. Ce dernier pont symbolique entre les peintres et le poète, autour des fonctions vitales de l’art, donne aux poèmes senghoriens leur dimension profonde, celle d’une poésie au carrefour des arts et des cultures, destinée à dire, par des modes de représentation variés, le rapport complexe et constitutif de l’homme au monde.

[1] Doctorant, Université de Paris IV.

[2] SENGHOR, L. S., Liberté1. Négritude et Humanisme, Paris, Seuil, 1964, « Pierre Soulages », p.232.

– Ibid., « La poésie de Pierre Soulages », p. 300.

– Liberté III Négritude et Civilisation de l’Universel, Paris, Seuil, 1977, « La puissance créatrice de Pierre Soulages », p. 553.

[3] Ibid., « Marc Chagall et l’Art nègre », p.257.

– Ibid., « Picasso en Nigritie », p. 323.

[4] Ibid., « Picasso en Nigritie », p.323.

[5] Liberté 1, op.cit., « Le lyrisme de Lahner », p. 292.

[6] Liberté III, op.cit., « Négritude et modernité ou la Négritude est un humanisme du XXe siècle », p. 239-240.

[7] Ibid., « Robur Batavorum », p.527-530.

[8] SENGHOR, L. S., Œuvre poétique, Paris, Seuil, 1990. Toutes les références aux poèmes de Senghor sont de cette édition.

[9] Chants d’ombre, « Masque nègre », p. 17.

[10] Elégies majeures, p. 276.

[11] Ethiopiques, « Comme les lamantins vont boire à la source », p. 161.

[12] Liberté III, op.cit., p. 528.

[13] Liberté 1, op.cit., p. 300.

[14] Liberté III, op.cit., p. 326.

[15] Ibid., p. 558.

[16] Liberté III, op.cit., p. 557.

[17] Ibid., p. 557.

[18] Ibid., p. 329. Certes, ces rapprochements sont propres au peintre concerné, et dans l’article « La poésie de Pierre Soulages », Senghor ne rattache pas le rythme des tableaux aux mêmes procédés littéraires ; mais il le rattache néanmoins, comme dans le cas de Picasso, à la pratique poétique, et c’est ce qu’il nous importe de montrer ici : que tout procédé et tout style picturaux ont leurs équivalents dans la sphère de la poésie.

[19] Liberté 1, op.cit., p. 301.

[20] Liberté III, op.cit., p. 239.

[21] Senghor le connaissait particulièrement bien pour avoir rédigé un mémoire de D.E.S. sur son œuvre, intitulé L’exotisme dans l’œuvre de Baudelaire.

[22] Liberté 1, op.cit., p. 235.

 

[23] Liberté III op.cit., p. 556.

[24] Ibid., p. 240.

[25] Ibid., p. 259.

[26] Liberté 1, op.cit., p. 292.

[27] KANDINSKY, Wassily, Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1989. Voir notamment les chapitres V et VI, « Action de la couleur », et « Le langage des formes et des couleurs ».

[28] Liberté III, op.cit., p. 329. De nouveau, comme précédemment, nous pouvons rapprocher ce commentaire d’un autre, sur Chagall, très proche : « La géométrie de Chagall, comme celle des artistes négro-africains, est vivante. Voyez, les angles sont des nez ; les courbes des lèvres ; les amandes, des yeux languides ; les cylindres, des bustes, des bras, des cuisses ; et les cercles, des seins fleuris d’amoureuses. » (ibid., p. 259).

[29] Ce travail a déjà été mené, notamment par G. LEBAUD-KANE dans son ouvrage Imaginaire et création dans l’œuvre poétique de Léopold Sédar Senghor, Paris, L’Harmattan, 1995.

[30] Œuvre poétique, op.cit., Lettres d’hivernage, « C’est cinq heures », p. 230.

[31] Ibid., « Car je suis fatigué », p. 248.

[32] Ibid., « Tu te languis », p.249. On remarque ici qu’à l’instar du peintre Senghor nuance les teintes qu’il associe au bleu premier ; il ne s’agit pas de violet, mais d’un reflet plus ténu, « violet à peine ». Ce qu’en revanche il possède et ne partage pas avec le peintre, c’est la possibilité de donner immédiatement un sens aux couleurs, une valeur symbolique, « rythmée ». Les trois adjectifs qui caractérisent ici le ciel influencent en effet indéniablement l’aspect et la qualité de la couleur.

[33] Œuvre poétique, op.cit., Lettres d’hivernage, « Toujours “Miroirs” », p. 253.

[34] Ibid., p. 245.

[35] Etant donné le nombre important d’espèces de gobe-mouches, et partant, de plumages, il n’est pas possible de donner ici une couleur précise. Notons simplement que le plus souvent, le gobe-mouches possède un plumage gris brun. Quant à l’halcyon senegalensis (espèce de martin-pêcheur autrement connue sous le nom de martin-chasseur du Sénégal), il ne possède pas un plumage unicolore, mais à dominante de noir, de blanc et de brun

[36] Le rythme tel que l’entend Senghor est aussi obtenu, ici, par le fait que le bleu représente le ciel, et qu’attribué à l’oiseau, il permet de suggérer la fusion intime entre l’animal et son environnement : l’oiseau est imprégné du ciel dans lequel il vole au point d’en être bleu. Cette communion poétique reproduit tout à fait la structure de l’univers comme symbiose et réseau de forces complémentaires.

[37] Ibid., « Je repasse », p. 234.

[38] Ibid., p.231. Remarquons qu’ici, l’adjectif « rythmiques », en apposition, s’il désigne grammaticalement les yeux, s’applique également à la couleur bleue.

– Ibid., « J’aime ta lettre », p. 231.

[39] Ibid., « J’aime ta lettre », p. 231.

 

[40] Ibid., « Sur la plage bercé », p. 238.

[41] Ibid., « Sur la plage bercé », p. 238.

[42] Ibid., « Ta lettre sur le drap », p. 241.

[43] Ethiopiques, « L’Absente », p. 112.

[44] L’adjectif signifie certes « jaune », mais également « blond », et « rougeâtre », selon GAFFIOT (Paris, Hachette, 1934, p. 673).

[45] Pensons par exemple au célèbre tableau conservé au Musée d’Orsay, La Pie, effet de neige, environs de Honfleur, 1869.

[46] Lettres d’hivernage, « J’aime ta lettre », p. 232.

[47] Allitérations en [p], [k] et [d], assonances en [a] et [ã] ; quant au rythme, il offre une structure en chiasme, deux octosyllabes encadrant trois groupes de quatre syllabes, ou de demi octosyllabes, ce qui introduit un rythme ternaire dans le rythme de base binaire, le statut surnuméraire du dernier groupe « et d’or » soulignant le contraste entre le rouge dominant et cette tache d’un jaune vif qui apparaît en une sorte de contre-rejet rythmique à la fin du verset.

[48] Ethiopiques, « Teddungal », p. 108.

[49] Ibid., « L’Absente », p. 112.

[50] Voir supra, p. 10. Voir aussi ce début de la deuxième strophe de l’ « Elégie des Alizés » : « L’Hivernage m’occupe. Il a pris possession de ma poitrine, sentinelles debout aux portes de l’aorte

Et le vert despotique à devenir ténèbre » (p. 262).

[51] Nous pourrions ajouter aux deux exemples proposés celui du poème « Départ », extrait de Chants d’ombre :

« Toutes ces heures claires vertes bleues, vertes claires bleues ! » (p. 40).

[52] Elégies majeures, « Elégie des Alizés », p. 262.

[53] Ethiopiques, « La mort de la Princesse », p. 146.

[54] Ethiopiques, « La mort de la Princesse », p. 113.

[55] Lettres d’hivernage, « C’est cinq heures », p. 230.

[56] Chants d’ombre, « Prière aux masques », p. 23.

[57] Chants d’ombre., « Que m’accompagnent kôras et balafong », p. 34.

[58] Ethiopiques, « Ce soir Sopé », p. 148.

[59] Nocturnes, p. 172.

[60] C’est une difficulté que ne connaît pas le peintre, dont l’œuvre est beaucoup plus apte à dire l’instant que le texte écrit, qui ne peut éviter de se dérouler, d’avancer, et qui doit donc user d’artifices pour suggérer l’instantané ; car dire l’instantané lui prend du temps… Problème qu’en leur temps les théoriciens du Nouveau Roman ont aussi rencontré, dans le cadre de leur dénonciation des illusions du récit classique.

[61] Liberté III, op.cit., p. 529.

[62] Voir supra, p. 4-5.

[63] Voici les références de ces extraits (nous donnons le titre du poème suivi du numéro de la page) : « Lettre à un poète », 12 ; « Masque nègre », 17-18 ; « Que m’accompagnent kôras et balafong », 37 ; « Chant d’ombre », 41-42 ; « Femmes de France », 78 ; « Congo », 102 ; « Le Kaya-Magan », 105 ; « L’absente », 114 ; « A New York », 115 ; « Chaka », 121 ; « Comme rosée du soir », 139 ; « Par-delà quelle nuit d’orage », 147 ; « Mais oublier tous ces mensonges », 180 ; « Chant de l’initié », 195 ; « Le portrait », 220 ; « Avant la nuit », 244 ; « Tu parles », 250-251 ; « Elégie des alizés », 265 ; « Elégie pour Georges Pompidou », 316 ; « Je viendrai », 345.

[64] Pour simplifier le classement, nous avons regroupé sous l’élément « yeux » les sourcils et les paupières, et associé les lèvres et le sourire à l’élément « bouche ».

[65] FAYE, Amade, « La beauté seereer : du modèle mythique au motif poétique », dans DURAND, Jean-François, Un autre Senghor, Université Paul Valéry – Montpellier III, Montpellier, 1999, p. 203-219.

[66] Liberté 1, op.cit., « L’esthétique négro-africaine », p. 213.

[67] Chants d’ombre, « Masque nègre », p. 17.

[68] Ethiopiques, « Le Kaya-Magan », p. 105.

[69] Ibid., « A New York », p. 115.

[70] Ibid., « Chaka », p. 121.

[71] Poèmes divers, « Le portrait », p. 220.

[72] Elégies majeures, « Elégie pour Jean-Marie », p. 276-277.

[73] Ethiopiques, « Comme rosée du soir », p. 139.

[74] Ibid., « Chaka », p. 128.

[75] Nous nous attacherons dans cette analyse à ces deux éléments majeurs ; mais Senghor a recours à d’autres éléments physiques pour décrire le corps de la femme, comme les cuisses ou les muscles.

[76] Ibid., « Epîtres à la Princesse », « Princesse, ton épître », p. 144.

[77] Ibid., « L’absente, p.111 ; Elégies majeures, « Elégie pour la reine de Saba », p. 328.

[78] Chants d’ombre, « Que m’accompagnent kôras et balafong », p. 32.

[79] Il n’est pas anodin que ce soit le terme métaphorique qui porte cette marque rythmique. Dans sa théorie de l’image poétique, Senghor souligne toujours que l’image analogique n’est rien sans le rythme qui la soutient et qui lui confère son statut ontologique de mise en rapport du monde visible et du monde invisible, à travers l’expression de l’essence des choses et des forces vitales qui les relient les unes aux autres. Il en donne ici une parfaite application.

[80] Ibid., p. 37.

[81] Lettres d’hivernage, « Avant la nuit », p. 244.

[82] Nocturnes, « Chant de l’initié », p. 192.

[83] Ethiopiques, « Epîtres à la Princesse », « Comme rosée du soir », p. 139.

[84] Poèmes perdus, « A une Antillaise », p. 338.

[85] Chants d’ombre, « Le retour de l’enfant prodigue », p. 51.

[86] Hosties noires, « Aux soldats négro-américains », p. 89.

[87] Nocturnes, « Ma sœur, ces mains de nuit », p. 176.

[88] Poèmes divers,« Pourquoi », p. 218.

[89] Nocturnes, « Mais ces routes de l’insomnie », p. 173-174.

[90] Femme nue se coiffant, Royan, juin 1940, huile sur toile, 130×97 cm, coll. particulière.

[91] La femme qui pleure, Paris, 26 octobre 1937, huile sur toile, 60x 49 cm, Tate Gallery, Londres.

[92] Autoportrait, 30 juin 1972, crayon et pastel gras, 65,7x 50,5 cm.

[93] Lettres d’hivernage, « Trompettes des grues couronnées », p. 246.

[94] Le monde poétique II, 1939, gouache, 27x 22, Fondation Edward James, Chichester, Sussex.

[95] Le poison, 1939, gouache, 35×40 cm, Fondation Edward James, Chichester, Sussex.

[96] La lunette d’approche, 1963, huile, 175,5x 116 cm.

[97] Pensons également à La Joconde (1962, Patrimoine culturel de la Communauté de Belgique).

[98] Liberté III, op.cit., p. 528.

[99] Ibid., p. 529.

[100] Liberté 1, op.cit., p. 303.

[101] Liberté III, op.cit., p. 553.

[102] Elégies majeures, « Elégie pour Georges Pompidou », p. 321.