ANNEXE : 46ème Congrès international du Pen Club (Caracas 25-9 au 2-10-1983)

LITTERATURE AFRICAINE ET LITTERATURE LATINO-AMERICAINE

Ethiopiques numéro 34 et 35

revue socialiste

de culture négro-africaine

nouvelle série

3ème et 4ème trimestre 1983

volume I n°3 et 4

A certains égards, l’expérience littéraire entre peuples du Tiers – Monde en l’occurrence l’Amérique et l’Afrique se heurte à ce tissu de contradictions qu’est l’écriture face à une masse d’analphabètes. Le Sénégal y est confronté tout comme les pays de l’Amérique Latine. On ressent cette urgence à parler, à crier, affirmer notre identité avec ses valeurs culturelles profondes.

Actuellement, tout un héritage colossal d’œuvres culturelles de l’oralité a été préservé et il est un phénomène notoire qui est de considérer le prolongement de certains modes de l’oralité dans nos sociétés modernes.

Ainsi, pour la littérature négro-africaine et sénégalaise en particulier la poésie qui reste un art majeur, jusqu’à présent, requiert une parfaite maîtrise de la langue. Le Sénégal a fait des bouchées doubles car malgré la difficulté de l’adaptation de cette langue de communication internationale qu’est le français, la poésie jouit parmi les jeunes de la faveur que l’on sait tout comme le théâtre parce qu’ils correspondent au tempérament, à l’âme africaine, reflets d’une société très riche où l’épopée entre autres genres excelle. Dans nos villes et nos campagnes prévaut une véritable littérature orale qui dépasse de loin ce que nous, soi­disants écrivains, confions à la feuille qui baille dans une langue qui n’est pas nôtre.

C’est pourquoi Amadou Hampaté Bâ nous dit que : « L’oralité est la mère de l’écriture » car la langue est en même temps le véhicule et l’instrument majeur de toute culture.

Les faits culturels que nous vivons prouvent deux vérités de ce siècle de transition qu’est le 20e.

– L’une est que même pour les albo-européens, les occidentaux, la renaissance culturelle qui est partie de 1889 a dû, elle-aussi s’abreuver aux sources africaines qui sont millénaires car la plus grande civilisation qu’ait connue en premier lieu le berceau de l’humanité est apparue vers l’an moins 7.000 sinon plus en Afrique avec la civilisation égyptienne chez ces peuples négroïdes comme le souligne Hérodote. Le fait significatif entre tous est que Rimbaud, un des grands poètes français, se proclame « Nègre ». Et on vit Pablo Picasso, saisi par le style de nos masques, s’inspirer de l’Art Nègre dans « Nu sur fond rouge » d’où la naissance du surréalisme en peinture d’autant qu’à mon sens le masque est l’expression de l’oralité imprimée dans le secret du Bois.

– La deuxième vérité est que les afro-américains n’ont réalisé leur Renaissance culturelle et ce dans tous les domaines, qu’en retournant aux sources africaines. Ce qui est valable pour les U.S.A. l’est aussi pour toute l’Amérique latine car la cargaison de l’ivoire noir pendant la traite négrière a non seulement enrichi le Nouveau Monde en force de travail mais surtout a occulté ses – valeurs traditionnelles ses racines, qui ont façonné et fasciné la culture de toutes les Amériques.

Ainsi l’écrivain José Antonio Portuando a mis l’accent sur les grandes richesses poétiques contenues dans les traditions et rythmes transplantés d’Afrique présents dans le folklore cubain.

Pour Antonio Zambrana (Santiago du Chili 1873), c’est une description d’une grande finesse sur la mentalité du noir, être primitif. Quelques années plus tard, les partisans de la Négritude comme Aimé Césaire, entre autres, allaient revendiquer le primitivisme comme qualité positive, en rejetant les dites valeurs de la civilisation occidentale, condamnant les dites logique et raison tout en proclamant une cosmovision exclusivement noire.

Les œuvres de Fernando Ortis dont « Los Negros Brujos » 1906 est une des grandes découvertes des richesses africaines, désormais mises à jour dans ce milieu.

Sans aucun doute, la mode du primitivisme en Europe dans les années 1920-1940, a influencé l’exploitation de la culture afro­antillaise mais la littérature cubaine du 19e siècle, avait, en partie préparé le terrain.

N’oublions pas la poésie du Portoricain Luis Palès Matos centrée sur l’apport africain pendant qu’en Haïti et dans les Antilles, une attitude négriste s’était dégagée à partir du dernier tiers du 19e siècle. Ainsi,Antonio Firmin « De l’égalité des races humaines Paris 1885 » et Hannibal Price dans « De la réhabilitation de la race noire par le peuple d’Haïti » se sont élevés contre toute forme de discrimination.

Mais par son livre « Ainsi parla l’oncle. Port-au-Prince. 1928 », Jean Brice Mars déclencha un mouvement artistique et spirituel vigoureux, rejetant, non seulement la fausse théorie de l’infériorité et du manque de culture de l’Afrique mais étudiant les croyances d’origine africaine du peuple haïtien qualifiées de « magnifiques matières humaines dont sont faits le cœur, la conscience inestimable, l’âme collective du peuple haïtien ».

D’ailleurs, nous, Africains du 20e siècle, avons saisi l’importance du retour de notre élite pour communier avec les grandes vertus de notre peuple dans les sillons féconds de notre tradition culturelle orale que nous voulons préserver. C’est ce qui explique que notre Gouvernement a réalisé un alphabet en six langues nationales, devant être enseignées sur toute l’étendue du territoire.

Actuellement prévalent plusieurs courants de littérature écrite à côté des richesses de l’oralité qui concernent la grande masse de la population où à travers le chant et le dit, philosophie, poésie et autres genres sont à profusion.

Le second est la cristallisation en caractères arabes de ce qui est dit, mis en adéquation avec la langue woloff.

Le troisième est le volet de la littérature d’expression français dont mon confrère vous fera état mais je ne passerais pas sans établir quelques paramètres avec votre littérature. Contrairement à Carlos Fuentes, j’estime que nous avons beaucoup à dire ; pays neufs, assez prêts de la nature, pas encore phagocytés jusqu’à la moelle par la technologie comme les pays d’Europe Centrale, nous avons beaucoup à apporter car la littérature devrait déboucher sur la sauvegarde de l’humain : ce qui fait l’homme.

Cette littérature concentrée dans le chant épique liée à la grande sensibilité des peuples du Tiers-Monde vivant entre « l’épée et la fleur » est commune au peuple africain, tout comme à l’Amérique latine où la passion s’exacerbe sous le feu des événements et où la familiarité est constante avec la mort qui rehausse le goût des jours.

Si l’Afrique partage avec l’Amérique latine les sollicitudes résultant de la précarité des vies sous certains régimes (l’Anthologie de la Nouvelle Sénégalaise en est une preuve flagrante) N.E.A. 1979, il n’en demeure pas moins que la notion de solitude n’existe pas dans nos masses : la vie communautaire a droit de cité et même jusqu’au théâtre populaire les mouvements d’ensemble priment.

Il est un fait, que les problèmes ne sont pas pareils mais que la toile de fond est la même. Au Pérou et autres pays de l’Amérique latine loin de l’image de l’écrivain créateur ou artiste ce sont plutôt des hommes politiques. Ce parce que les réformes d’ordre social, moral sont des besoins profondément ressentis.

L’exercice de la littérature est une mission sacrée. L’injustice économique, la violence des puissants, l’oppression de la culture dominante, le niveau dérisoire de l’Education, le manque de libertés sont tout autant d’obstacles à abattre pour un meilleur devenir.

L’écrivain par ce statut devrait participer à travers ses actes exprimés oralement ou écrits à la solution des différents problèmes de son pays voire du monde. Pour ce faire, la liberté de l’écrivain est de rigueur dans le Tiers-Monde.

La littérature de l’Amérique latine est la plus importante de notre temps même si l’exil l’écorche vive.

Pablo Neruda et Miguel Angel Asturias sont des personnalités universelles qui ont marqué la culture latino-américaine.

L’un des plus grands écrivains, hispano-américains vivant est Gabriel Garcia Marquez sans oublier Octavio Paz et Alejo Car­pentier qui sont pour « Ne jamais trahir l’idéal initial qui est la dignité de l’homme ».

La naissance et l’évolution dans les trois langues (espagnol, français, anglais) est un phénomène spécifique dans l’histoire de ladite littérature et l’idéal d’indépendance littéraire est à l’origine des croyances en une littérature nationale alors que toutes ces littératures ne sont compréhensibles que comme partie intégrante de la littérature hispano-américaine. Même s’il existe d’excellents poètes vénézuéliens, nicaraguayens ou colombiens entre autres.

L’Afrique ne vit pas une telle ambiance : la différence fondamentale existe entre anglophones et francophones mais le fond culturel reste le même. Pour le cas de l’Afrique de l’Ouest, le tracé des frontières étant superficiel, un leurre : Malgré ce leurre de la colonisation, l’univers culturel africain reste le même et cette notion de différences culturelles ne fait pas surface. Abstraction faite de l’oralité, la littérature francophone est neuve et les problèmes sont plutôt d’affirmation d’une certaine personnalité de participation dynamique à la littérature universelle en vue d’un changement de la condition de l’homme noir.

Il va sans dire que les arabophones partagent ce même souci. Si l’organisation était mystique et ésotérique au début, elle n’était pas pour le moins socio-économique. Exemple : les écrits du Vénéré Cheikh Ahmadou Bamba fondateur du mouridisme, à travers lesquels l’universalité de sa théorie est indéniable.

Donc, en Afrique, la tendance est pour le dépassement des frontières. Des hommes tels qu’Ham­pathé Bâ, Kwame Krumah, Léopold Senghor, Birago Diop entre autres ne peuvent contenir dans le carcan d’un pays.

De même les œuvres d’écrivains haïtiens vivant parmi nous : Jean-François Brierre, Roger Dorsinville etc…

En Amérique latine, l’unité hispano-américaine se réalise dans sa littérature : ce qui semble être un paradoxe à votre avantage car l’unité linguistique est plus grande qu’en Espagne même. Vous êtes plus proches de la langue de Cervantes qu’un catalan ou un basque. Même pendant les luttes de libération, en Amérique latine les romans, poèmes et le théâtre ont rempli la fonction primordiale d’information.

Un écrivain très connu a déclaré que l’émotion est nègre et la raison hellène. Pour marquer que je n’y souscris pas, je citerai ce passage du texte de Mario Vargas LLosa, « Le royaume de la subjectivité se transforme en Amérique latine, en royaume de l’objectivité. La fiction remplace la science comme instrument de description de la vie sociale ».

On pourrait en dire de même pour le Sénégal où Symbolisme, mythe et légendes entretiennent un courant profond canalisant l’éveil des consciences pour un meilleur devenir de l’être partant de ses valeurs propres pour s’ouvrir aux différents souffles extérieurs.

Chaque écrivain change le langage qu’il reçoit en naissant mais le conserve et le perpétue dans l’irréalité du monde et du temps, l’écrivain fait plus qu’inventer, il découvre.